Contrôle de l’émission spontanée d’un émetteur à l’état solide Bruno Gayral [email protected] Équipe CEA-CNRS « Nanophysique et Semi-conducteurs », CEA-Grenoble, DRFMC/SP2M, Grenoble Pascale Senellart [email protected] Laboratoire de photonique et de nanostructures, UPR 20, LPN/CNRS, Marcoussis L’émission spontanée n’est pas une propriété intrinsèque d’un émetteur : en plaçant l’émetteur dans une cavité optique on peut accélérer son émission spontanée, voire la rendre réversible. Cet effet, démontré dans un système semi-conducteur à l’aide de boîtes quantiques semi-conductrices, ouvre des perspectives intéressantes pour le traitement quantique de l’information à l’état solide. L ’émission spontanée décrit généralement l’émission de lumière qui accompagne la relaxation d’un électron d’un état excité vers un état moins énergétique. Ce phénomène est pour le physicien expérimentateur une manière de sonder les transitions électroniques dans un atome : l’énergie du photon émis est égale à la différence énergétique entre les deux niveaux électroniques concernés, tandis que le temps moyen nécessaire pour émettre le photon renseigne sur les fonctions d’onde des états électroniques. Présenté ainsi, il pourrait sembler que l’émission spontanée est une propriété intrinsèque de l’émetteur. Or en 1946, Purcell a proposé dans un article très dense de quelques lignes que l’émission spontanée caractérise plus généralement l’interaction d’un émetteur avec son environnement électromagnétique. Supposons par exemple un émetteur placé entre deux miroirs. Dans une telle cavité optique seuls certains modes optiques sont permis, similaires aux modes vibratoires d’une corde de guitare tenue à ses deux extrémités. Lorsque les dimensions typiques de la cavité sont de l’ordre de la longueur d’onde des photons émis par l’émetteur, le champ électromagnétique à l’énergie des modes est concentré au sein de la cavité : on parle alors de microcavité. Purcell prévoit alors que le taux d’émission spontanée d’un tel émetteur sera fortement augmenté par rapport à la situation du même émetteur dans l’espace libre. Si la microcavité optique présente des pertes optiques suffisamment faibles, alors l’émission spontanée de lumière peut même être rendue réversible : le photon émis par l’émetteur est piégé suffisamment longtemps dans la cavité pour être réabsorbé puis réémis périodiquement. L’énergie du système est successivement stockée par l’émetteur et par le champ électromagnétique, ce qui d’un point de vue quantique signifie que les états propres du système sont des états mixtes émetteur-champ électromagnétique. Ce processus extrême d’interaction lumière-matière est appelé 64 « régime de couplage fort ». Ces effets physiques ont été démontrés expérimentalement dans les années 1980 en physique atomique. Quelques années plus tard, l’idée est apparue qu’un tel contrôle de la dynamique d’émission spontanée à l’état solide pourrait être utilisé avantageusement pour améliorer les performances de nombreux composants optoélectroniques. Par la suite, la spécificité de l’état solide est également apparue prometteuse pour des applications au traitement quantique de l’information. C’est la démonstration de ces effets de contrôle de l’émission spontanée pour des systèmes semi-conducteurs que nous présentons dans cet article. Dans une première partie, nous décrivons plus en détail les paramètres physiques importants de l’interaction entre l’émetteur et le mode de cavité, ainsi que les particularités des systèmes semi-conducteurs que nous étudions. Puis nous décrivons les expériences qui ont permis de mettre en évidence l’effet Purcell ainsi que le couplage fort pour des émetteurs semi-conducteurs en microcavité optique. Couplage lumière-matière : les paramètres pertinents Considérons un émetteur dans un état électronique excité et notons λ0 la longueur d’onde de la transition électronique qui mène l’émetteur de son état excité vers son état fondamental. Supposons que l’émetteur soit placé dans une microcavité optique à un ventre d’un mode optique confiné, résonant à la longueur d’onde λ0. Les états e,0 > (émetteur dans son état excité, aucun photon dans la cavité) et f ,1 > (émetteur dans son état fondamental, un photon dans le mode de cavité) sont à la même énergie (on dit qu’ils sont résonants, ou encore dégénérés). Appelons Contrôle de l’émission spontanée d’un émetteur à l’état solide l’espace libre par une fréquence de couplage donnée par 2 π/τcav (figure 1, haut). Quand le couplage entre l’émetteur et le mode de cavité est inférieur à l’échappement du photon hors de la cavité ( g << 2π /τ cav), l’état e,0 > se désexcite en émettant un photon dans la cavité (état f ,1 > ) et ce photon quitte alors rapidement la cavité pour rayonner dans l’espace libre. L’émetteur « voit » un continuum de modes optiques dont la densité est modifiée par la présence de la cavité (figure 1, gauche). La probabilité d’émission d’un photon par l’émetteur au cours du temps est donnée par une loi de déclin exponentiel, caractérisée par un taux d’émission spontanée donné par la règle d’or de Fermi : Γ ∝ g 2 ρ(λ0 ) , où ρ(λ) est la densité d’état du mode électromagnétique. On peut montrer que la densité d’états du mode à l’énergie de résonance ρ(λ0) est inversement proportionnelle au temps d’échappement du photon hors de la cavité. Cela peut être vu comme une conséquence de la relation de Heisen( berg temps/énergie Dt ⋅DE = : plus le phoFigure 1 – Couplage émetteur-champ confiné. Lorsque le couplage g entre l’émetteur et le mode de 2 cavité est dominé par les pertes optiques de la cavité (gauche), il s’établit un régime d’effet Purcell. ton reste longtemps dans la cavité, plus il est Le graphe du bas indique la probabilité que l’émetteur soit dans son état excité en fonction du monochromatique et donc plus sa distributemps : la dynamique d’émission reste irréversible, mais est accélérée par rapport à la dynamique tion de densité d’état est étroite. On introduit Γ0 pour le même émetteur non couplé à un mode confiné. Si le couplage g l’emporte sur les pertes optiques (droite), il s’établit un régime de couplage fort et il faut considérer les états mixtes émetalors le facteur de qualité de la cavité Q, avec teur-champ confiné résultant de leur couplage. La probabilité de trouver l’émetteur dans l’état τ cav = (Q 2πλ ) / c de sorte que ρ(λ0 ) ∝ Q. excité est alors une fonction oscillante du temps, l’amortissement de cette oscillation étant dû à l’échappement du photon hors de la cavité. Comme par ailleurs g 2 ∝ 1/V , le taux d’émission spontanée dans le mode de cavité est finalement proportionnel à Q/V. Une anag la fréquence du couplage entre ces deux niveaux. Dans lyse plus quantitative montre que le taux d’émission sponl’approximation dipolaire électrique, ce couplage est tanée de l’émetteur est augmenté par rapport à son taux 8 K8 8 d’émission dans l’espace libre Γ0 du facteur de Purcell donné par g ∝ d ⋅ E max , où d est le dipôle de l’émetteur et 3 Qλ 3 K8 Γ =Fp Γ0, où Fp = . Dans ce régime, le photon est E max est le champ électrique du mode optique à l’emplace4π 2 V ment de l’émetteur. On introduit alors la force d’oscilladonc émis dans le mode confiné de cavité, puis il teur fosc de l’émetteur qui caractérise son couplage s’échappe hors de la cavité en raison des pertes optiques. K8 K La cavité a pour effet d’accélérer l’émission spontanée par intrinsèque au champ f osc ∝ d2 (voir encadré 2). Si le un renforcement du couplage lumière matière : c’est ce dipôle de l’émetteur et le champ électrique du mode optiqu’on appelle l’effet Purcell. que sont alignés, g ∝ f osc E max . Le confinement spatial Supposons maintenant que les pertes optiques de la du mode optique signifie que son énergie électromagnéticavité soient réduites au point que le photon reste suffique minimale (appelée énergie du champ du vide) est consamment longtemps dans la cavité pour être réabsorbé finée spatialement dans un volume V, si bien que par l’émetteur. Cette condition est remplie quand g >> 2π /τ cav . Le système comprenant le mode confiné de l’intensité E2 du champ à son maximum est inversement la cavité et l’émetteur peut dans un premier temps être proportionnelle à V. Finalement, le couplage entre l’émettraité comme un système isolé. Le couplage dipolaire élecf osc trique g lève la dégénérescence entre les états teur et la cavité est proportionnel à g ∝ . V e, 0 > et f , 1 > et définit de nouveaux états propres qui sont des superpositions quantiques des états de l’émetPar ailleurs, la cavité optique présente des pertes de teur et de la cavité. L’interaction entre l’émetteur et le sorte qu’un photon confiné dans la cavité finit par s’échapchamp confiné change alors de nature : le régime de per au bout d’un temps moyen τcav hors de la cavité. Le couplage fort est établi entre les états e, 0 > et f , 1 > . mode de cavité est ainsi couplé aux modes optiques de 65 Contrôle de l’émission spontanée d’un émetteur à l’état solide Encadré 1 Comment confiner la lumière sur moins de 1 µm3 Le confinement de la lumière dans une microcavité en semi-conducteur se fait à l’aide de deux effets : la réflexion totale interne et la réflexion de Bragg. Une onde se propageant dans un milieu d’indice fort n1 est totalement réfléchie à l’interface avec un milieu d’indice plus faible n2, si l’angle d’incidence est supérieur à Arcsin(n1/n2). C’est ainsi qu’un cylindre d’indice fort peut guider des ondes optiques sans perte (principe de la fibre optique). La réflexion de Bragg se manifeste dans un empilement périodique de couches de deux matériaux d’indices différents. À chaque interface, la lumière est partiellement réfléchie et partiellement transmise. Les ondes transmises interfèrent destructivement, tandis que les ondes réfléchies interfèrent constructivement autour d’une longueur d’onde λ si les épaisseurs des couches sont égales à λ/4n, où n est l’indice de réfraction (voir zoom ci-contre). La première cavité présentée dans cet article, le micropilier, confine la lumière à la fois par réflexion totale interne et réflexion de Bragg. Il s’agit d’un cylindre en semi-conducteur comportant deux miroirs de Bragg en GaAs (n1 = 3.5) et AlAs (n2 = 3) qui entourent une cavité en GaAs. Le cylindre se comporte globalement comme un guide d’onde d’indice fort dans l’air dont les modes sont de plus confinés verticalement par les miroirs de Bragg. Un mode stationnaire confiné dans la cavité en GaAs s’établit ainsi. La deuxième cavité étudiée est le microdisque. Dans ce cas, le confinement optique tridimensionnel est obtenu uniquement par réflexion totale interne. Cette cavité est constituée d’un disque d’épaisseur typique λ/(2n), où n est l’indice de réfraction du matériau (ici de l’AlGaAs) et repose sur un pied dont l’unique fonction est de soutenir le disque. Sur les Le photon émis dans la cavité par l’émetteur est périodiquement réabsorbé de manière cohérente, cet échange d’énergie se faisant à la fréquence g/π. L’énergie du système finit cependant par se dissiper par les pertes optiques de la cavité (figure 1, droite). Le spectre d’émission du système est alors constitué de deux raies séparées énergétiquement de Ω = 2( g qui correspondent à l’état lié et à l’état anti-lié du système couplé émetteur-champ. Ω est appelé le dédoublement de Rabi. Nous avons ici traité le cas où l’émetteur est en exacte résonance spectrale avec le mode de cavité. Lorsque les deux états ne sont pas exactement résonants, le couplage dipolaire électrique repousse les niveaux d’énergie. Le régime de couplage fort est alors caractérisé par un anticroisement du mode de cavité et du niveau excité de l’émetteur lorsqu’on cherche à les mettre en résonance. L’exaltation d’émission spontanée L’observation de l’effet Purcell et du couplage fort dans des systèmes semi-conducteurs nécessite ainsi des microcavités de faible volume et de haut facteur de qualité, et un émetteur adapté. La fabrication de structures semi-conductrices permettant de confiner la lumière à 66 Figure 2 – Le confinement dans le micropilier est obtenu par un guidage latéral dans le cylindre semi-conducteur, et par la cavité en GaAs insérée entre deux miroirs de Bragg dans la direction verticale. L’intensité du champ électrique est représentée suivant les directions radiale (rouge) et verticale (bleu). Le confinement en périphérie du microdisque est un phénomène reposant uniquement sur la réflexion totale interne à l’interface semi-conducteur/air. Les modes résonants sont confinés à la périphérie du disque. pourtours du disque, le semi-conducteur est entouré d’air. Les modes confinés sont appelés « mode de galerie » : ils sont guidés dans le plan du disque et le long de sa périphérie par réflexion totale interne. l’échelle du micromètre s’est spectaculairement développée dans les années 1990 grâce aux progrès en croissance épitaxiale et en microfabrication. L’encadré 1 présente deux sortes de cavités optiques utilisées dans les travaux décrits ici. Elles confinent le champ optique sur moins de 1 µm3. Concernant l’émetteur, en faisant croître des inclusions d’un semi-conducteur dans une matrice constituée d’un autre semi-conducteur, il est possible de réaliser des puits de potentiel tridimensionnels pour les électrons, à des échelles commensurables à la longueur d’onde de de Broglie électronique. Ces objets appelés boîtes quantiques (BQs) présentent des états discrets électroniques, similaires aux orbitales atomiques. Deux types de boîtes quantiques semi-conductrices basées sur les matériaux GaAs et InAs ont été étudiées. Leurs structures et leurs propriétés optiques sont résumées dans l’encadré 2. C’est en étudiant le couplage entre des BQs InAs dans une cavité micropilier qu’un effet Purcell nettement supérieur à un a été observé pour la première fois dans un système semi-conducteur. Pour accroître le signal collecté, cinq plans de BQs InAs sont insérés dans le micropilier, situés aux ventres du mode optique confiné suivant l’axe vertical. Ces structures sont étudiées par photoluminescence. Cette technique expérimentale consiste à exciter l’échantillon avec un laser et à analyser la lumière réémise Contrôle de l’émission spontanée d’un émetteur à l’état solide par l’échantillon. Le laser excite des porteurs à haute énergie. Les porteurs relaxent (en émettant des phonons, vibrations du cristal) vers les puits de potentiel que sont les BQs InAs, où ils finissent par se recombiner radiativement en émettant un photon de longueur d’onde proche de 950 nm (1.3 eV). Pour une BQ donnée, l’énergie de la transition électronique dépend de sa taille. Les BQs étant obtenues par croissance auto-organisée, il y a une dispersion de taille qui se traduit par une dispersion des énergies de transition. La luminescence d’une collection de BQs d’une densité d’environ 400 par micromètre carré, donne lieu à un spectre relativement large (≈ 60 meV ) constitué de toutes les raies fines (largeur de raie de l’ordre de 10 µeV) des BQs dont on collecte la luminescence. Lorsque ces BQs sont placées dans une cavité micropilier, le spectre d’émission collecté se trouve fortement altéré. L’émission de lumière vers le haut n’est en effet permise que pour les modes résonants de la cavité. Cette cavité agit comme un filtre spectral dans la direction verticale. Comme la lumière est collectée par un objectif de microscope situé au-dessus de l’échantillon, les BQs émettent un spectre large bande, mais on ne collecte efficacement que la lumière émise par les BQs qui sont en résonance avec un mode de la cavité verticale. C’est ce qui apparaît sur la figure 2 : les modes résonants du micropilier apparaissent en positif dans le spectre de photoluminescence. Les BQs qui ne sont pas en résonance avec un mode confiné doivent émettre leur lumière dans des « modes de fuite » qui se propagent à l’oblique du micropilier. Cette luminescence dans les modes de fuite est collectée avec une très faible efficacité par le dispositif expérimental. La caractérisation des modes résonants par microphotoluminescence permet de mesurer le facteur de qualité pour le mode fondamental de chaque micropilier étudié. Lorsque le diamètre des piliers diminue, le facteur de qualité se dégrade car le champ optique confiné est plus sensible aux défauts de surface dus au procédé de fabrication. Il existe donc un optimum pour le facteur de Purcell Fp ∝ Q /V . Nous considérons ici un pilier de Q = 2 200 pour un diamètre de 1 µm (V = 0.1 µm3), ce qui correspond à Fp =32. Une réduction d’un facteur 32 du temps de vie radiatif des BQs en résonance avec le mode de cavité est donc attendue. Pour sonder la dynamique d’émission spontanée, une expérience de photoluminescence résolue dans le temps est réalisée : le laser d’excitation utilisé émet des impulsions courtes de lumière (durée de quelques picosecondes). Les électrons excités par le laser relaxent rapidement vers les BQs (typiquement en 20 ps). La photoluminescence émise est alors dispersée spectralement et temporellement, ce qui permet de reconstituer les courbes de décroissance temporelle de la luminescence en fonction de la longueur d’onde d’émission. La figure 3 donne les résultats du déclin temporel de la luminescence pour des BQs dans un micropilier. La courbe indiquée en rouge donne le déclin pour les BQs qui ne sont pas en résonance avec un mode confiné du micropilier et émettent dans des modes de fuite. Le temps caractéristique Figure 3 – Le graphe du haut indique le schéma de l’expérience de photoluminescence : un laser focalisé sur un micropilier excite les BQs qui s’y trouvent. Leur émission est alors filtrée par la microcavité. Les modes résonants apparaissent donc en positif dans le spectre de luminescence, la mesure de la largeur de raie permettant de mesurer le facteur de qualité. Le graphe du bas indique les résultats de photoluminescence résolue en temps pour les boîtes en résonance et hors-résonance avec le mode fondamental confiné. L’accélération de la dynamique d’émission spontanée due au couplage à la cavité apparaît clairement. d’émission spontanée est dans ce cas environ 1 ns, ce qui est également le temps d’émission spontanée pour des BQs InAs dans une matrice homogène de GaAs (i.e. hors cavité). Pour les BQs qui ne sont pas en résonance spectrale avec un mode confiné, le fait d’être dans le micropilier n’a donc pas d’effet significatif sur la dynamique d’émission spontanée. En revanche, les BQs en résonance avec le mode fondamental du micropilier présentent une dynamique d’émission spontanée nettement accélérée, avec un temps caractéristique de déclin de 250 ps. On a donc là une signature claire d’un effet Purcell. Il y a tout de même un décalage entre la valeur 32 du facteur de Purcell pour ce micropilier et la modification de dynamique d’émission spontanée d’un facteur 4. Le facteur de Purcell représente en fait l’effet maximum qui peut être obtenu pour un émetteur placé au maximum du champ optique et en parfaite résonance spectrale avec celui-ci. Dans notre expérience, nous étudions une collection de 67 Contrôle de l’émission spontanée d’un émetteur à l’état solide Encadré 2 Confinement et force d’oscillateur des boîtes quantiques Nous étudions deux sortes de BQs. Les BQs InAs sont obtenues par croissance d’InAs sur GaAs : du fait du grand désaccord de maille entre ces deux cristaux, au bout de 1.7 monocouches, la croissance de la couche d’InAs relaxe sa contrainte en formant des petites lentilles d’InAs de 15-20 nm de large et de 2 - 3 nm de haut. Ces BQs constituent un piège efficace pour les porteurs avec un puits de potentiel de 100 meV environ. Les boîtes quantiques GaAs apparaissent lorsque l’on fait croître un puits quantique étroit (10 monocouches atomiques) de GaAs dans des barrières d’AlAs. Des variations locales d’une monocouche atomique de l’épaisseur du puits quantique constituent un piège local pour les porteurs, avec un puits de potentiel de 15 meV environ. Lors d’une excitation optique, un électron de la bande de valence est promu dans la bande de conduction, y laissant un « trou ». Ainsi une paire électron-trou est créée, qui se couple d’autant plus au champ électromagnétique que le dipôle constitué par les deux charges est grand. Ce couplage, qui détermine ainsi le taux d’émission spontanée de l’émetteur dans un milieu d’indice uniforme, est mesuré par la force d’oscillateur fosc des porteurs créés, une grandeur sans dimension pour un émetteur ponctuel. Les BQs InAs, qui constituent un piège profond, présentent toutes des forces d’oscillateur entre 7 et BQs spatialement réparties sur toute la section du micropilier, et nous collectons la luminescence de BQs qui émettent sur toute la largeur spectrale de la résonance optique. Nous collectons donc la luminescence de BQs pour lesquelles l’effet Purcell attendu est plus faible que l’effet maximum. En prenant en compte la contribution de l’ensemble des BQs, plus ou moins bien couplées au mode optique, on rend très bien compte qualitativement des résultats expérimentaux dans le cadre de la théorie de l’effet Purcell. Ces premières expériences ont permis de valider les concepts d’électrodynamique quantique en cavité pour un émetteur semi-conducteur dans le régime d’effet Purcell. Un des intérêts de cet effet est l’obtention d’une émission monomode. En effet, les BQs couplées spectralement au mode de cavité peuvent aussi émettre des photons dans les modes de fuite de la cavité. Mais comme leur taux d’émission spontanée dans le mode de cavité est bien plus élevé que le taux d’émission spontanée dans les modes de fuite, la plus grande partie de l’émission spontanée se fait dans le mode confiné de cavité, ce qui permet d’avoir une meilleure extraction des photons émis. L’étape suivante a consisté à coupler une BQ unique à un mode de cavité. Un facteur de Purcell de plus de 30 a ainsi été mis en évidence pour une BQ unique insérée dans un micropilier. Les BQs ont par ailleurs récemment montré des propriétés très intéressantes pour la génération de photons uniques (voir article « Photons indiscernables : qui se ressemble s’assemble », Images de la Physique 2006, p. 106). En combinant ces deux effets, des sources de photons uniques efficaces ont été obtenues. 68 Figure 4 – Représentation schématique des boîtes quantiques InAs et GaAs. En bas : force d’oscillateur des porteurs piégés dans une BQ GaAs en fonction de la taille de la BQ. 15. Dans les BQs GaAs, la paire électron-trou est liée par interaction coulombienne et occupe pratiquement toute la surface de la BQ : la force d’oscillateur est déterminée par cette surface et augmente avec la taille de la BQ. Elle peut ainsi varier entre 30 et 300. Couplage fort Modifier plus avant l’émission spontanée jusqu’à la rendre réversible ne requiert pas simplement de réaliser des cavités de plus grand facteur de qualité et de plus petit volume effectif. En effet, il ne s’agit pas simplement d’accélérer l’émission de l’émetteur par rapport à ce qu’elle serait dans l’espace libre : il s’agit maintenant que le couplage entre l’émetteur et le mode de cavité soit plus grand que tout autre processus de dissipation de l’énergie. Pour atteindre le régime de couplage fort, il faut que f g >> 2π /τ cav . Comme τ cav = (Q 2πλ ) / c et g ∝ osc , il s’agit V f osc de maximiser le produit Q . V Deux stratégies complémentaires peuvent alors être adoptées pour démontrer le régime de couplage fort : l’une consiste à accentuer l’effort technologique de façon à réaliser des cavités optiques de très petit volume effectif tout en maintenant des facteurs de qualité élevés. L’autre stratégie consiste à développer des BQs semi-conductrices de grande force d’oscillateur, afin de compenser les pertes de la cavité optique. Nous avons choisi d’étudier des microcavités de type microdisque où la lumière est confinée par réflexion totale interne à la périphérie du disque : pour un disque de 2 µm de diamètre, le champ électromagnétique des modes de galerie les plus confinés est concentré sur moins de 200 nm au bord du disque. Le facteur de qualité de ces cavités est de l’ordre de 8 000 à 12 000 pour des Contrôle de l’émission spontanée d’un émetteur à l’état solide microdisques de 2 à 3 µm de diamètre. Pour obtenir le régime de couplage fort à l’aide d’un microdisque de 2 µm, il faut une BQ unique placée au maximum du champ optique avec une force d’oscillateur de plus de 70. Les paires électron-trou confinées dans les BQs InAs étudiées au paragraphe précédent présentent une force d’oscillateur de l’ordre de 10. Nous avons donc choisi d’étudier un autre type de BQs, appelées les BQs GaAs à fluctuation d’interface. Comme l’explique l’encadré 2 , les porteurs confinés dans ces BQs présentent une force d’oscillateur d’autant plus grande que la taille latérale de la BQ est importante. La force d’oscillateur de 70 est atteinte pour une taille latérale de 30 nm. Pour démontrer le régime de couplage Figure 5 – a), b) : Spectres de photoluminescence en fonction de la température obtenus sur deux microdisques de 2 µm de diamètre (image au microscope électronique à balayage en c). Les raies fort, nous devons isoler des BQs uniques et notées X et M sont identifiées respectivement comme des résonances électroniques et optiques. Le étudier leur couplage aux modes de cavité : il croisement des raies en a) et l’anticroisement des raies en b) démontrent les régimes de couplage s’agit maintenant d’étudier des microdisques faible et couplage fort respectivement. En c) sont reportées les énergies des pics de luminescence contenant entre une et une dizaine de BQs mesurés en b). Les pointillés indiquent les déplacements spectraux attendus pour des modes électroniques et optiques découplés. par µm2. De plus, le régime de couplage fort ne peut être atteint que si la BQ est proche du maximum du champ électromagnétique. deux BQs et d’une raie correspondant à une émission Comme la technique de croissance ne permet pas de résiduelle filtrée par le mode de la microcavité. Sur cette contrôler la position des BQs, nous fabriquons et étufigure, un croisement entre les deux raies à haute énergie dions un grand nombre de microdisques jusqu’à en idenest observé. Il n’y a pas de levée de dégénérescence à la tifier un qui contient une BQ située de manière optimale résonance : les transitions électroniques de la BQ sont en par rapport au champ optique. Par ailleurs, le régime de régime de couplage faible avec le mode de la cavité. Deux couplage fort se manifeste lorsque la transition électroraisons peuvent expliquer ce régime de couplage faible : nique de la BQ est en résonance énergétique avec la résod’une part, il se peut que la force d’oscillateur de la BQ nance optique. Pour contrôler l’accord spectral entre ces considérée soit trop faible, d’autre part, il y a une forte deux transitions, nous utilisons comme paramètre la temprobabilité pour que cette BQ ne soit pas située à un venpérature. tre du champ optique. Considérons maintenant la En effet, l’énergie de la transition électronique se figure 5b qui présente des spectres de photoluminescence déplace vers les basses énergies, d’environ 2 meV entre observés sur un autre microdisque de 2 µm de diamètre : 4 K et 40 K : ce déplacement spectral est dû à la variation deux raies sont encore observées qui présentent des de la bande interdite des matériaux GaAs et AlAs avec la dépendances en température différentes. Entre 5 K et température. L’énergie du mode de cavité se déplace seu28 K, la raie à haute énergie se déplace plus fortement lement de 1 meV entre 4 et 40 K : cette variation provient avec la température : elle peut donc être attribuée à une de la variation de l’indice optique du matériau avec la transition électronique. Au-delà de 35 K, cette raie se température. La différence de comportement en tempédéplace très peu avec la température : elle peut donc être rature des deux transitions considérées est utile à deux attribuée à un mode de cavité. La figure 5c montre la posiniveaux. D’une part, elle permet d’utiliser la température tion spectrale des deux raies observées en fonction de la pour amener en résonance spectrale la transition électrotempérature (symboles) : nous indiquons en pointillés nique avec le mode optique, pour peu que l’émission de les déplacements spectraux attendus pour un mode de la BQ soit à légèrement plus haute énergie à basse tempécavité et la transition électronique de la BQ. Cette figure rature. D’autre part, ces dépendances caractéristiques met en évidence un anticroisement entre la raie associée vont permettre d’identifier la nature des résonances au mode de cavité et la raie associée à la transition élecobservées. tronique de la BQ. Cet anticroisement est la signature de La figure 5a illustre ces propriétés : elle présente les l’établissement du régime de couplage fort. Le déplacespectres de photoluminescence observés sur un microment en température montre ainsi un échange de la disque, pour différentes températures. Sur ces spectres nature électronique et optique des deux raies observées trois raies fines sont observées : deux de ces raies (X) se en photoluminescence. La résonance spectrale a lieu à déplacent de manière plus marquée avec la température 30 K ; c’est à cette température que l’écart spectral entre que la troisième (M) : il s’agit de deux raies corresponles deux raies est de 400 µeV et correspond à Ω : les états dant à la recombinaison radiative de porteurs piégés dans propres du système sont des états moitié photon, moitié 69 Contrôle de l’émission spontanée d’un émetteur à l’état solide excitation électronique de la matière. L’observation de ce régime de couplage fort à l’état solide pourrait permettre d’explorer à des températures de plusieurs dizaines de kelvin des phénomènes d’électrodynamique quantique en cavité jusqu’alors observés en physique atomique à des températures de l’ordre du mK. Par ailleurs, de récents travaux théoriques proposent d’utiliser ce régime de couplage fort pour implémenter des portes logiques quantiques à l’état solide. Conclusion La modification de l’émission spontanée à l’état solide a suscité un grand intérêt dans la communauté internationale. En effet, l’accélération de l’émission spontanée a d’ores et déjà donné lieu à de nouveaux effets : source de photons monomode, source de photons indiscernables pour la cryptographie quantique (voir article « Photons indiscernables : qui se ressemble s’assemble », Images de la Physique 2006, p. 106). Le couplage fort, quant à lui, est un premier pas vers la réalisation d’une porte logique quantique qui serait réalisée en utilisant comme bit quantique les états de spin d’un électron unique piégé dans une BQ. Le couplage au champ électromagnétique servirait en effet de médiation entre les différents bits quanti- 70 ques. Pour ces deux applications, un enjeu majeur aujourd’hui est la capacité de ne plus compter sur le seul hasard pour trouver une BQ au maximum du champ optique d’une cavité. Beaucoup d’efforts sont ainsi développés pour être capable de réellement contrôler la force de couplage entre le champ optique et une BQ individuelle. POUR EN SAVOIR PLUS J.M. Gérard, B. Sermage, B. Gayral, B. Legrand, E. Costard, and V. Thierry-Mieg, Phys. Rev. Lett., 81, 1998, 1110. L.C. Andreani, G. Panzarini, and J.M. Gérard, Phys. Rev. B, 60, 1999, 13276. S. Varoutsis, S. Laurent, P. Kramper, A. Lemaître, I. Sagnes, I. Robert-Philip, and I. Abram, Phys. Rev. B, 72, 2005, 041303. E. Peter, P. Senellart, D. Martrou, A. Lemaître, J. Hours, J.M. Gérard, and J. Bloch, Phys. Rev. Lett., 95, 2005, 067401. J.M. Raimond et S. Haroche, Images de la Physique, 55, 1984, 17. Ont également participé à ce travail J.M. Gérard du DRFMC/ SP2M, J. Bloch, E. Peter, A. Lemaître, D. Martrou, J. Hours, B. Sermage, B. Legrand, V. Thierry-Mieg du LPN-CNRS-UPR20.