Scène nationale de Sénart - création - 06 décembre 2013
Le conte d’hiver
William Shakespeare - Patrick Pineau
Note d’intention
Un jour, après une répétition du Suicidé, j’étais assis dans la salle et je me suis dit,
en voyant tous ces comédiens sur le plateau « C’est beau, une troupe, c’est quand
même beau… » Il y avait, bien sûr quelque chose d’un peu sentimental dans cette
impression. Mais j’avais là, sous les yeux, cette superbe bande d’acteurs et d’ac-
trices, et je ne sais pas pourquoi mais, ce soir-là, j’ai été touché par la communauté
qu’ils formaient. Et comme si cela allait de soi, comme si c’était là la suite logique
de cette émotion-là, j’ai ensuite pensé : « I l faudrait que l’on fasse un Shakespeare,
ensemble… ».
Il y a tout chez cet homme-là : le style et la pensée, les tréteaux et la poésie savante,
la grosse blague et la métaphysique… Quand on fait du théâtre, on passe un peu
son temps à se mesurer à lui, de près ou de loin. On l’a toujours dans un coin de sa
tête. Il fait partie de votre « histoire de théâtre », au moins comme point de repère. Il
vous attend. Et puis un jour, peut-être parce que l’on se sent prêt, parce que quelque
chose a mûri, on veut la formuler, cette histoire, on veut que Shakespeare vienne se
tisser dedans. Alors, quand j’ai lu Le Conte d’hiver, cette intrigue incroyable, cette
explosion de folie du roi Léonte avec ses conséquences monstrueuses… forcément,
ça m’a rappelé Le Roi Lear.
Pour moi, les pièces se choisissent en fonction des désirs qu’on a de raconter des
histoires par et avec certains acteurs. Je n’ai pas de Lear dans ma bande… enfin,
pas encore ! Par contre j’ai un Léonte, j’ai une Hermione, j’ai un Polixène, et ainsi de
suite. Et tous sont magnifiques.
Et puis, il y a toutes ces difficultés foraines que Shakespeare nous pose comme des
colles ou des devinettes ! Il a une telle liberté, une telle légèreté, qu’on a envie de
puiser son énergie là-dedans. Comment fait-on pour incarner un personnage qui vient
sur scène vous dire : « Je suis le Temps en personne, et pendant que je vous parle,
considérez qu’il va s’écouler seize ans ? » Tout Le Conte d’hiver est plein de petits
problèmes poétiques de ce genre-là. Les résoudre au plateau, c’est déjà un plaisir.
Mais il faut le faire au service d’une histoire. Une histoire terriblement humaine. Et pour
tout dire, je m’y reconnais assez… Elle tend un miroir à l’humain, mais c’est un miroir
flou, bizarre, déformant… Incertain et changeant, comme nous…