JOINDRE LE CORPS À LA PAROLE : QUELLE PLACE POUR LE CORPS DANS LES TEXTES DE THÉÂTRE ? Thierry Gallèpe Université Michel de Montaigne - Bordeaux III Il peut sembler paradoxal de choisir comme champ de recherches concernant le langage du corps dans les interactions verbales le texte écrit de théâtre ; celui-ci ne présente-t-il pas précisément comme caractéristique essentielle, comme l'a fort judicieusement fait remarquer B. N. Grünig dans la préface à l'ouvrage que je consacre aux didascalies (GALLÈPE 1997), la séparation irrémédiable des paroles constituant les répliques, du corps du locuteur, présent tout au plus métonymiquement dans le corps du texte de théâtre par le truchement de ces didascalies particulières que sont les IdN1 de corps ? Mais le fait que l'auteur du texte doive noter les éléments corporels et gestuels des interactants par ajouts explicites, distincts du texte des répliques, le conduit nécessairement à faire une sorte de tri, permettant in fine une émergence 1 Ces didascalies, que je propose d'appeler les Indications de Nom (IdN), se trouvent à deux endroits du texte de théâtre ; soit elles sont placées après les bornes extra-diégétiques structurant la pièce (ex : Acte 2, Scène 6), et elles sont alors des IdN de tête, soit elles se trouvent les unes au dessous des autres, alignées à la marge de gauche de la page. Signalant une nouvelle réplique, elles ont pour fonction d'assigner ces répliques à une source locutoire, de constituer un point d'ancrage de ces répliques, et sont alors dénommées par l'expression doublement significative, qui prend ici tout son relief, d' IdN de corps : elles se trouvent en effet dans le corps de texte théâtral, et figurent symboliquement le corps des locuteurs-interactants. Cahier du CIEL 1998-1999 instructive des faits corporels saillants, indispensables à la production du sens au cours de l'interaction qu'il se représente, et qu'il donne pour mission au texte de théâtre de présenter de telle sorte que le lecteur puisse se construire une représentation correspondante. L'on peut donc penser que les textes de théâtre sont a contrario un terrain fertile pour l'étude de la présence du corps dans les interactions verbales, car les éléments corporels y figurant, quel que soit par ailleurs leur mode d'existence textuelle, sont ceux étant retenus comme particulièrement pertinents. Les corps des personnages-interactants sont donc présents à divers endroits du texte, et selon divers modes. • Le mode didascalique est le plus aisément repérable ; il regroupe tout d'abord les didascalies formellement 2 insérées en de multiples endroits du texte, et apportant des précisions sur le corps, son rôle dans la communication. (1) - ZAÏRE. (…) Eh quoi! d'où vient que votre âme soupire? (Elle lui donne la croix .)3 Ce sont ces éléments qui seront au centre de nos préoccupations dans cette étude. Mais avant de s'y consacrer, il convient de noter les autres modes d'existence du corps dans les textes de théâtre, et spécifiquement le second mode : • La mention du corps dans les propos mêmes tenus par les personnages, constituant ce que A. Übersfeld (1991) définit comme didascalies internes. (2) - MAÎTRE À épaules. 4 DANSER. — (…) La, la, la. Ne remuez point tant les Ce mode est très couramment utilisé aux époques où les contraintes esthétiques sont les plus lourdes, qui proscrivent l'emploi de didascalies externes ; leur présence est attestée aussi bien chez Racine (Britannicus 1669 - : "Gardes, qu'on obéisse aux ordres de ma mère5 "), que, par exemple chez D. C. von Lohenstein (Sophonisbe - 1682 - : Hiemps … : "Ihr Götter! träumet uns? trägt unser König Ketten?"). • Le troisième mode est l'implicite : le corps et ses actions doivent 2 Le mot n'est pas peu significatif, puisque les marques formelles, typographiques et topographiques, sont justement ce qui permet d'identifier les éléments didascaliques au sein du texte de théâtre. 3 (VOLTAIRE 1732, p. 55) 4 (MOLIÈRE 1670, p. 25) 5 Il est inutile de préciser qu'aucune autre indication, ni dans les IdN de tête ni dans les IdN de corps, ne précise l'existence, ni la présence de ces gardes, qui naissent donc par le biais du présupposé d'existence ! 50 T. GALLÈPE - Joindre le corps à la parole être inférés à partir de ce qui disent les personnages (3) - DON GORMAS . Ton épée est à moi. ou bien même de la tension existant entre un propos et le contenu de didascalies: (4)- LA GRANGE , un bâton à la main. - Ah! ah! coquins, que faites-vous ici ? Il y a trois heures que nous vous cherchons. MASCARILLE , se sentant battre. — Ahi! ahi! ahi! vous ne m'aviez pas dit que les coups en seraient aussi. 6 Pour des raisons évidentes de place et de faisabilité, ce sont les didascalies porteuses d'indications sur les corps (que nous appellerons "gestes" de façon générique) qui seront retenues ici ; une seconde sélection doit cependant être accomplie. En effet, maintes didascalies, et beaucoup d'entre elles situées avant le début des interactions, sont consacrées aux indications concernant la "façade" personnelle (GOFFMAN 1973) des interactants : (5) - Dans une rue de Marseille, César, seul, pensif, marche assez vite. Il a vieilli. sa moustache est blanche, son visage ridé. (…) 7 L'importance de ces éléments dans les interactions verbales est maintenant certes abondamment reconnue, et une observation attentive des constituants de la façade institués dans les didascalies comme particulièrement pertinents pourrait, à n'en pas douter, faire avancer la connaissance de la production du sens au cours de celles-ci. Mais dans le cadre de cette journée8 , il semble préférable de se tourner exclusivement vers les didascalies centrées vers les notations des gestes et présences des corps dans les interactions. La méthode utilisée est la suivante : tout d'abord une analyse méthodique des didascalies de diverses pièces de théâtre allemandes et françaises de divers genres et époques constituant un corpus de base : - Les Plaideurs (Racine) Comédie - 1668 [P] - Le Tartuffe (Molière) Comédie -1669 [T] - Le barbier de Séville (Beaumarchais) Comédie - 1775 [BS] - On ne badine pas avec l'amour (A. de Musset) Proverbe - 1834 [ONB] - La puce à l'oreille (G. Feydeau) Pièce en trois actes - 1907 [PO] - Marius (M. Pagnol) Pièce en quatre actes - 1929 [M] - La cantatrice chauve (E. Ionesco) Anti-pièce - 1958 [CC] 6 (MOLIÈRE 1659, p. 37) 7 (PAGNOL 1946, p. 7) 8 Journée organisée par Conscila sur le thème "Sémantique, langage du corps et cognition" 51 Cahier du CIEL 1998-1999 - Yes, peut-être (M. Duras) 19689 [Y] - Der Hofmeister10 (J. M. R. Lenz) Eine Komödie - 1774 [H] 11 - Der zerbrochene Krug (E. von Kleist) Ein Lustspiel ) - 1808 [ZK] - Der Biberpelz12 (G. Hauptmann) Eine Diebskomödie - 1893 [B] - Der Besuch der alten Dame13 (F. Dürrenmatt) - 1956 [AD] - Oberösterreich14 (F. X. Kroetz) - 197215 [OÖ] Pour chacune de ces pièces, les cent premières répliques ont été considérées ; cela a permis de délimiter un champ d'observation des diverses didascalies insérées dans les premières pages de chacun des textes, et de prendre une mesure quantitative de la nature et de l'ampleur de ces notations. S'est posé ensuite le problème de la description de ces contenus didascaliques, et alors la discussion s'est enrichie d'autres exemples venus d'autres textes de théâtre, tout en respectant toujours l'impératif de la diversité, et la prise en compte de textes français et allemands, ce qui rend une perspective comparative possible. Un premier tableau permet de recenser le nombre total de didascalies, quelles qu'elles soient, pour les 100 premières répliques de chaque pièce : P 6 5 • Pièces françaises : T 7 6 BS 34 32 • Pièces allemandes : H ZK B ONB 24 20 PO 80 80 AD M 42 41 CC 24 23 Y 50 34 OÖ 9 (BEAUMARCHAIS 1775; de MUSSET 1834; DURAS 1968; FEYDEAU 1907; IONESCO 1950; MOLIÈRE 1669; PAGNOL 1920; RACINE 1668) 10 le Précepteur 11 La cruche cassée 12 La pelisse de Castor 13 La visite de la vieille dame 14 Haute-Autriche 15 (DÜRRENMATT 1956; HAUPTMANN 1893; KROETZ ; LENZ 1774; von KLEIST 1808) 52 T. GALLÈPE - Joindre le corps à la parole 26 25 6 6 42 39 22 15 19 16 La grande disparité constatée doit tenir compte par exemple des différentes contraintes esthétiques pesant sur la confection des textes de théâtre à certaines époques16 , et témoigne de la diversité des écritures théâtrales. Les chiffres figurant sur la seconde ligne comptabilisent les didascalies se référant aux gestes et notations corporelles17 ("gestes"). La proportion est significative et donne une idée de l'importance des éléments attachés au corps. Il y a sur ce point une belle unanimité, transcendant les époques, les genres et les frontières linguistiques : la quasi totalité des indications didascaliques porte sur la présence corporelle et ses manifestations. Les autres didascalies se rapportent aux diverses localisations, par exemple : (6) - Une place devant le château. , (ONB p. 15) ou à d'autres événements contextuels : (7) - La pendule sonne cinq fois. Un long temps, (CC p. 17) Une fois ces précisions méthodologiques apportées, il convient maintenant d'en venir à des aspects plus directement liés à la problématique. Et tout d'abord, quelles manifestations du corps peuvent être repérées au sein des didascalies ? Il y a certes d'un côté les mentions explicites de telle activité corporelle : (8) - A : est jeune (geste), comme ça, mais dans la tête est antique, ( Y p. 158) (9) - Heinz nickt. Pause., ( OÖ p. 10) (10) - MARIUS : Trente ans… (Marius secoue la tête) Et ça ne vous fait rien quand vous voyez passer les autres ? (Mp. 13) Mais tout n'est pas toujours aussi clair : (11) - Frau Wolff, ihm nachrufend, ( B p. 12) (12) - (Le comte paraît), (BS p. 46) (13) - ROSINE, toujours au balcon. — (…), (BS p. 47) (14) - ESCARTEFIGUE (il crie encore plus fort), (M p. 17) 16 Par exemple les "conseils" d'un D'aubignac recommandant d'éviter le recours aux didascalies! 17 Il est difficilement possible, à partir des didascalies (et même ailleurs ?), de séparer les gestes des autres manifestations du langage du corps ; celui-ci englobe ceux-là, sans que la frontière entre geste et non-geste soit nettement traçable ; c'est donc l'ensemble des "gestes" qu'il convient de considérer ici, ce qui implique ensuite que des critères valides soient mis au point pour rendre compte de la diversité des vecteurs de ce langage du corps. 53 Cahier du CIEL 1998-1999 (15) - (il écrit en chantant:) (…), (BS p. 42) (16) - F INACHE , affectant l'air contrit. — (PO p. 123) (17) - A : Yes (prononciation anglaise), (Y p. 159) Il semble impossible de décider arbitrairement que telle indication mérite d'être retenue au titre de la présence gestuelle et telle autre non, tant il est vrai que le corps est aussi bien présent dans tous ces exemples, la seule chose variant étant en fait le mode de présentation du fait dénoté. C'est ce constat qui permet une première classification. 1. LE MODE DE PRÉSENCE TEXTUELLE Pour repérer le corps et sa portée signifiante l'on doit tenir compte de deux pôles distincts : la mention est explicite comme en 18 et 19 ou 20 : (18) - F ANNY (elle rit), (M p. 20) (19) - Elle jette les chaussettes très loin et montre ses dents. Elle se lève. , (CC p. 21) (20) - HEINZ Nein. Lacht. Keine Ente, (OÖ p. 12) Ces deux didascalies s'opposent en revanche plus radicalement aux suivantes : (21) - FRAU WOLFF tut erstaunt, (B p. 8) (22) - ORGON . Je suis votre valet (Il veut s’en aller), (T p. 89) Ces deux didascalies sont subjectives, le lecteur, à la lecture du signifié, doit se faire une représentation du signifiant (verbal, vocal, nonverbal) impliqué, de ce qui peut bien contribuer à faire en sorte que Me Wolff ait l'air de simuler la surprise et qu'Orgon ait vraiment l'air de vouloir s'en aller. Nul doute que ces jeux (d'acteur ou de représentation mentale) sont codifiés et ressortissent à des régularités culturelles et / ou zoologiques ; elles ne pourraient être décrites qu'en observant par exemple les diverses concrétisations, sur scène, de ces expressions corporelles, qui concernent les domaines connus de la communication non-verbale, par exemple, les domaines kinésique, proxémique, mimique, gestuel, paraverbal etc. Une chose ressort cependant de ces notations, c'est la présence du corps indispensable, pour "donner corps" à ces significations et expressions, mentalement ou sur scène. Le corps est donc ici aussi, dans ces didascalies, bien présent, mais présenté sous les espèces d'un mode implicite, il y est impliqué. La répartition sur l'ensemble du corpus est la suivante (La première ligne indique les mentions explicites du corps, tandis que la ligne inférieure réunit les mentions où il est seulement impliqué.) : 54 T. GALLÈPE - Joindre le corps à la parole • Pièces françaises : P 4 1 T 3 3 BS 27 6 • Pièces allemandes : H 24 1 ZK 6 0 ONB 17 3 B 26 14 PO 55 29 M 28 13 AD 14 1 CC 22 1 Y 15 22 OÖ 16 0 La tendance est donc sans exception toujours la même ; les mentions explicites dominent largement. Si l'on fait des calculs cumulés par langue, l'on trouve les résultats suivants, parfaitement en harmonie avec les proportions globales (ligne supérieure = mention explicite, ligne inférieure = corps impliqué)18 : Textes 171 77 français 71% 21% Textes 86 16 allemands 85% 31% Tous les textes 257 75% 93 27% Pour notre étude, il ressort de ce fait qu'il est impossible de ne considérer que les contenus des seules didascalies décrivant de façon explicite les "gestes", même si elles présentent à elles seules plus des deux tiers des didascalies ; les unes comme les autres apportent des informations sur les éléments corporels accompagnant la parole. Décrire l'impact du corps et de ses manifestations implique donc que l'on établisse des critères permettant de discerner les différents niveaux. 2. L' INTENTIONNALITÉ EN QUESTION L'intention de communiquer (assortie de la reconnaissance de cette intention) est un critère auquel ici et là il est largement fait appel pour décrire la production (et l'interprétation du sens). Tout ceci ne va pas sans poser quelques problèmes, et il faut bien convenir que ce critère n'est pas explicitement mis à contribution pour décrire les différents types de 18 Les résultats chiffrés (et les pourcentages) dépassent le nombre total de didascalies "gestuelles" ; ceci est dû au fait que certaines didascalies, plus ou moins longues, comportent plus d'une notation, et donc plusieurs choix critériés doivent être faits pour les décrire. 55 Cahier du CIEL 1998-1999 gestes, même si sa présence est sans doute sous-jacente pour différencier les gestes communicatifs des gestes extra-communicatifs mais cependant non dépourvus de signification. Si l'on tente de mettre en œuvre ce critère de l'intention pour repérer les gestes ou manifestations corporelles dépendant d'une intention communicative en opposition aux gestes réputés non dépendants de cette même intention, les choses sont loin d'être évidentes. (23) - PETIT JEAN , traînant un sac derrière lui , (P p. 5) (24) - ADAM . Was tu ich jetzt ? Was laß ich ? (Er greift nach seinen Kleidern), (ZK p. 11) (25) - FRAU WOLFF , wegwerfend . I, Märker zwelwe!, (B p. 12) (26) - ETIENNE à ANTOINETTE , (PO p. 122) Ces quatre didascalies (23 & 24 "gestes" explicites, 25 & 26 impliqués) présentent des faits corporels dont on peut prétendre qu'ils sont tous "extra-communicatifs ", au sens où ils ne dépendent pas d'une intention de communiquer, et dont il est clair qu'ils sont néanmoins porteurs de signification, et qu'ils dépendent d'une intention autre : Petit Jean a l'intention de porter le sac quelque part, Adam a l'intention de s'habiller, Madame Wolff désire exprimer un sentiment en réaction à une information donnée, et Étienne a bien l'intention de parler à Antoinette. L'on peut certes objecter que l'intention de communiquer n'est sans doute pas totalement absente de tous ces "gestes" : 25 et 26 notamment ne peuvent guère se décrire sans prendre en compte cette intention communicative, qui peut également être mise en relation avec des codes (intonatoire [25], kinésique (25 & 26), proxémique [26]), destinés à transmettre des messages qui seraient de l'ordre d'un jugement appréciatif pour 25 (= hélas!, seulement !) et d'une interpellation (= "summon"19 , comme la sonnerie du téléphone) en 26. Mais l'intention communicative n'est peut-être pas dominante. Faut-il alors pondérer diverses intentions ? Certaines didascalies montrent certes très clairement que les "gestes" (explicites ou impliqués) ne dépendent pas toujours d'une intention : (27) - L EONTINE, verschlafen. (…), (B p. 7) (28) - MARIUS (rêveur) (…), (M p. 14) Mais maintes autres mettent l'analyste en échec : (29) - L ÄUFFER . O...o... verzeihen Sie dem Entzücken, dem Enthusiasmus, der mich hinreißt.(Küßt ihr die Hand), (H p. 8) (30) - Me et M. Martin s’assoient l’un en face de l’autre, sans se parler. Ils se sourient, avec timidité. (CC p. 23) 19 (SCHEGLOFF 1968) 56 T. GALLÈPE - Joindre le corps à la parole (31) - DAME PLUCHE . (…) vous êtes des butors et des malappris. (Elle sort.), (ONB p. 17) (32) - LE BARON . — Allez, dame Pluche, réparer le désordre où vous voilà ; (…) (Dame Pluche sort.) , (ONB p. 18) Le "geste" en 29 est-il dû à une effusion incontrôlable, ou est-il un moyen de communiquer consciemment un indicible sentiment ? Le sourire de Me et M. Martin est-il l'expression d'un sentiment (plaisir ou gêne) ou un message-signal (réparateur) envoyé faute de mieux dans la situation donnée ? Un même "geste" doit-il est compris comme message intentionnel en 31 (sortie délibérément insultante sans formule adéquate), et 32 (sortie de simple accomplissement ressortissant à l'intention d'aller mettre de l'ordre là où il faut) ? Classer les "gestes" en fonction de l'intention requiert donc de prévoir quatre critères : • A = "gestes" non intentionnels (27, 28) • B = "gestes" sans intention de communication. (23, 24) • C = "gestes" intentionnels de communication (33,34,35) • D = indécidable (29,30,31,32) (33) - (Finache s'incline en manière d'acquiescement.) , (PO p. 123) (34) - (Geht dem Geheimen Rat und dem Major mit viel freundlichen Scharrfüßen vorbei.), (H p. 5) (35) - JODELET , s'embrassant l'un l'autre. — Ah! Marquis!, ( Les précieuses ridicules p. 32) 20 Peut-être convient-il en outre de remarquer que deux types d'indécidabilité peuvent être distingués : - Entre A, et B ou C d'une part : il ne peut être décidé si le "geste" est intentionnel (quelle que soit cette intention) ou involontaire (de l'ordre du réflexe, de l'émotif-expressif pur) : 29, 30 ou même 36 (36) - LEONTINE , weinerlich, trotzig., (B p. 8) - Entre B et C d'autre part : intention communicative ou non ; en 31, et même 32, car n'aurait-on pas été en droit de postuler une réelle intention de communication, si la didascalie avait été au contraire : (Dame Pluche ne sort pas.) ? N'en est-il pas de même dans les exemples ci-dessous ? (37) - Silence. B s’approche de l’homme et s’adresse à lui. , (Y p. 159) (38) - MAJOR. (…) Ich will dich zu Tode hauen - (Gibt ihm eine Ohrfeige.) (…), (H p. 10) 20 (MOLIÈRE 1659) 57 Cahier du CIEL 1998-1999 (39) - MADAME PERNELLE . (…) (Donnant un soufflet à Flipote) Allons, vous ; (…), (T p. 79) Si l'on fait un recensement selon les quatre critères ci-dessus (A, B, C, D) les résultats sont les suivants : • Pièces françaises : A B C D P 0 2 0 3 T 0 3 1 2 BS 1 16 4 12 • Pièces allemandes : A B C D H 0 10 2 17 ZK 0 5 0 1 ONB 0 9 2 9 B 8 18 3 18 PO 11 12 14 48 AD 1 10 3 04 M 9 11 1 23 CC 0 7 8 16 Y 11 6 1 19 OÖ 0 8 1 7 La totalisation de ces résultats fait apparaître les tendances suivantes : A B C D Textes 32 66 31 132 français 13,3% 27,5% 12,9% 55% Textes 9 51 9 47 allemands 8,9% 50,4% 5,9% 46,5% Tous les 41 117 40 179 textes 12% 34,3% 11,7% 52,4% Une conclusion s'impose à la lecture de ces tableaux ; le taux d'indécidabilité est très fort. Si l'on tient compte du fait qu'aucune pondération n'est ici notée, l'on conçoit facilement que l'intentionnalité est un critère encore plus difficilement fiable. Ce constat débouche alors sur deux tendances opposées ; d'une part une voie qui se place dans la perspective éthologique 2 1 , et l'autre qui est alors la plongée dans l'instance de l'interactant, comme l'ont fait B. N. & R. Grünig (1985), ce qui permet de tenir compte de l'effet dialogique de miroir : l'intention n'est jamais "une"22 et ne semble guère correspondre terme à terme à 2 1 Cf sur ce point la classification de J. Cosnier (1987, p. 297) : gestes “communicatifs” ≠ “extra-communicatifs”, ou A. Helbo (1983, p.94 -95) : "gestualité de l'interaction comprenant la convention paralinguistique ≠ gestualité extra-communicative". 22 L'on note les grands avantages qu'il y a à décrire en termes de P(ressions pour le dire) les "gestes" présentés en 25 à 28. 58 T. GALLÈPE - Joindre le corps à la parole celle que l'"en-face" tente de reconstruire dans son travail d'interprétation et de fabrication (du sens, sur une perspective de fuite). 3. A NCRAGE PARTICIPATIF Il est important de noter à quel pôle de participation à l'interaction, les "gestes" sont attachés. Pour ce faire, il est nécessaire d'élargir les deux pôles antagonistes émetteur / récepteur aux autres catégories telles que celles évoquées par E. Goffman (1987) : émetteur, récepteur ratifié, récepteur espion, extérieur, et ici spécifiquement, neutralisation. Le pôle d'émission ne pose aucun problème particulier ; les propos sont assignés à un locuteur clairement désigné par l'IdN : (40) - CHICANNEAU . Peut-on voir monsieur? PETIT JEAN , refermant la porte. Non., (P p. 24) (41) - FRAU WOLFF , ohne einen Sack, welchen sie auf der Schulter trägt, abzulegen. (…), (B p. 7) Le récepteur ratifié est lui aussi clairement identifiable ; il est mentionné dans une didascalie d'adresse, ou explicitement nommé : (42) - MAJORIN . So? lassen Sie doch sehen. (Läuffer steht auf.), (H p. 7) (43) - MARIUS Oui (Escartefigue rit.) (…), (M p. 15) Le récepteur auquel sont attribués les "gestes" peut ne pas être officiellement ratifié par les interactants comme tel, mais être caché, espion. Cet ancrage participatif est très rarement attesté ; seules deux didascalies du corpus de base sont affectées à un espion : elles décrivent les "gestes" impliqués du Comte Almaviva et de Figaro lorsqu'à deux reprises ils se cachent. Le pôle extérieur sert à décrire deux configurations : - l'entrée en scène (en dialogue) d'un personnage qui était jusqu'alors extérieur. La didascalie sert alors à signaler l'irruption corporelle, qui institue l'extérieur en nouvel interactant dans une interaction déjà en cours entre les interlocuteurs ratifiés : (44) - (A ce moment, César respire bruyamment, puis il fait glisser le tablier qui lui cache le visage. Il s’étire. Il regarde autour de lui.), (M p. 22) (45) - (Der Geheime Rat tritt herein: beide springen mit lautem Geschrei auf.), (H p. 14) - Il peut aussi s'agir de la mention des "gestes" d'un extérieur, qui ne fait que passer au milieu d'une interaction en cours entre les interactants ratifiés : 59 Cahier du CIEL 1998-1999 (46) - Ein Reisender ist ausgestiegen, geht von links an den Männern auf der Bank vorbei, verschwindet in der Türe mit der Anschrift: Männer. , (BAD p. 10) (47) - Un autre arabe est entré, et de la même façon que le premier, dessine des flammes au pied des orangers du second paravent., (Les Paravents p. 111)23 Il y a de surcroît une autre possibilité, qui rend les classements comme ci-dessus impossibles ; il s'agit essentiellement des didascalies placées avant le début de l'interaction, destinées à décrire les interactants, sans qu'il soit possible des les identifier dans un rôle particulier, alors qu'ils sont susceptibles de se trouver au cours de l'interaction subséquente, alternativement aux deux pôles de l'émission / réception : (48) - Das Donnern des nahenden Zuges macht seine Rede unverständlich. Kreischende Bremsen. Auf allen Gesichtern drückt sich fassungsloses Erstaunen an. Die fünf auf der Bank springen auf. , (BAD p. 14) (49) - Intérieur bourgeois anglais, avec des fauteuils anglais. M. Smith, Anglais, dans son fauteuil et ses pantoufles anglais, fume sa pipe anglaise et lit un journal anglais, près d’un feu anglais. Il a des lunettes anglaises, une petite moustache grise, anglaise. A côté de lui, dans un autre fauteuil anglais, Mme Smith, Anglaise, raccommode des chaussettes anglaises. Un long moment de silence anglais. La pendule anglaise frappe dix-sept coup anglais. , (CC p. 11) Les résultats chiffrés sont globalement les suivants (A : émission, B = réception ratifiée, C = espion, D = extérieur, E = neutralisation) : A B C D E Textes 217 21 2 8 4 français 90,4% 8,7% 0,8% 3,3% 1,6% Textes 76 14 0 11 9 allemands 75,2% 13,8% 10,8% 8,9% Tous les textes 295 86% 35 10,2% 2 0,5% 19 5,5% 13 3,8% Pour ce critère, les chiffres sont éloquents ; c'est le pôle émetteur qui attire les descriptions des "gestes". L'on peut d'ailleurs faire un parallèle avec l'endroit où sont ancrées les didascalies dans le texte de théâtre : 49,1% sont placées avant réplique, et parmi celles étant intrarépliques (58), 77% sont centrées sur l'émetteur. 4. PERSPECTIVE CONVERSATIONNELLE 23 (GENET 1958) 60 T. GALLÈPE - Joindre le corps à la parole L'avantage des textes de théâtre, c'est que par le biais des IdN de corps, une vision claire de l'alternance des répliques est donnée. Il est ainsi facile de suivre les successions des tours de parole. Les classements des gestes mettent le plus souvent en évidence l'existence de plusieurs types de gestes, eu égard à leur articulation avec les textes verbaux des répliques. L'on peut ainsi mettre en évidence l'existence communément reconnue des trois sortes bien distinctes : - gestes textuels : ils sont ceux nécessaires à la production des textes verbaux : J. Cosnier les appellent syllinguistiques phonogènes. Les autres classifications ici évoquées ne mentionnent pas ces "gestes" pourtant présents dans les didascalies : (50) - En réalité, et dans tout le courant de l’acte, il doit parler d’une façon absolument inintelligible, la voix dans le masque et en ne prononçant, mais bien nettement que les voyelles, comme les gens qui ont le palais perforé. , (PO p. 126) (51) - DER KONDUKTEUR mit langgezogenem Schrei: Güllen! (BAD p. 10) ces gestes, explicites ou impliqués sont textuels, car ils concernent la phonation du texte (oral) de l'interaction. - gestes cotextuels : ces gestes sont ceux qui constituent le co-texte non-verbal des textes (des répliques). Ils correspondent au registre d'accompagnement ("Redebegleitung"24). B. Rimé (1994) les répartit sur plusieurs catégories (idéatifs, figuratifs dupliquant la parole, évocatifs de pointage ou déictiques) : (52) - MADAME PERNELLE (…) (Montrant Cléante.) Voilà-t-il pas monsieur qui ricane déjà ? (T p. 79) (53) - CHICANNEAU , allant et revenant, (P p. 23) Les exemples 27, 28, 29 ou 38 sont autant d'exemples de "gestes" cotextuels. - "gestes" contextuels : Il s'agit de gestes ou d'activités non directement communicatifs, mais centrés sur une action autre, en relation avec une occupation concrète matérielle en rapport avec la situation : 5, 50 (54) - FRAU WOLFF war bemüht, ein Stück Rehwild aus dem Sack hervorzuziehen. I, schinden tun se dich also bei Kriegers? (…) Nanu 24 Selon la classification de H. Wespi (dans die Geste als Ausdrucksform und ihre Beziehung zur Rede - Romanica Helvetica. Berne 1949), cité par P. Larthomas (1972, p. 88). 61 Cahier du CIEL 1998-1999 faß an, dort unten a Sack! 25 , (B p. 8) - "gestes" protextuels. Ces gestes recoupent partiellement les gestes figuratifs pantomimiques (B. Rimé) ou quasi-linguistiques (J. Cosnier), ou les Redeersetzende ou redeergänzende Gesten (H. Wespi). On peut y trouver certes, des gestes codés, correspondants à un rite interactionnel particulier : en 34, les révérences valent pour un texte. (55) - LE BARON . — (…) Maître Blazius, je vous présente Maître Bridaine, curé de la paroisse ; c’est mon ami. MAÎTRE BLAZIUS, saluant. , (ONB p. 17) Une autre sous-catégorie de "geste" protextuel sert à compléter le texte ; celui-ci ne serait pas complet sans le gestuel : (56) - FRITZ . Und was willst du mir dafür wieder schwören, mein englisches …(Küßt sie.) (H p. 13) La réplique de Fritz ne serait pas complète sans le baiser, qui désigne analogiquement26 mieux qu'un lexème ce qu'un substantif digital n'aurait pu que froidement dénoter. Voici un fonctionnement similaire : (57) - CHATENAY . — (…) et si je ne me retenais, je… je … (cherchant une porcelaine pour la briser.) tiens… il n'y en a plus!… ( Embrassonsnous, Folleville! p. 212)27 (58) - BERTHE . Il veut parler de … (Elle fait le geste de lui donner un soufflet). ( Embrassons p. 199) L'analyse des textes de théâtre fait apparaître de surcroît des "gestes" protextuels peut-être non envisagés jusqu'à présent, dans la mesure où ce ne sont pas des quasi-linguistiques, mais de simples "gestes" (changement de postures, émission de sons divers, etc.) qui ont fonctionnellement une valeur de texte, de réplique dans le déroulement de la conversation, dans l'alternance des tours de parole : (59) - MAJORIN . (…) Wer hat ihn gefragt? (Läuffer tritt einige Schritte zurück.) , (H p. 8) (60) - ROSINE (…) Ss’t, s’t (Le Comte paraît) ramassez vite et sauvez-vous. (BS p. 46) Ce rôle fonctionnellement protextuel est d'ailleurs typographiquement attesté dans maints textes de théâtre, puisque ces "gestes" viennent en lieu et place d'une réplique, accrochés qu'ils sont à une IdN de corps alignée à gauche, dont le rôle est précisément de 25 L'on se rend bien compte à l'aide de cet exemple que l'intentionnalité ne permet pas de rendre compte du rôle de P(ression pour le dire) dans l'émission de l'énoncé suivant, et de l'imbrication du contextuel et du verbal. 26 (WATZLAWICK, BEAVIN, & JACKSON 1969) 27 (LABICHE 1850) 62 T. GALLÈPE - Joindre le corps à la parole signifier qu'une réplique commence! (61) - Me smith (…) M. smith, continuant sa lecture, fait claquer sa langue. Me smith (…), (CC p. 13) (62) - die Männerstimme. (…) schlafen Se schon? Frau Wolff löscht das Licht. die Männerstimme. (…), (B p. 18) Une des caractéristiques de ces "gestes" protextuels est qu'ils fonctionnent comme intervention dans un échange, voire également comme élément de régulation. Ces interventions peuvent être réactives, comme dans les exemples ci-dessus (61, 62) ou initiatives, notamment quand le "geste" est proxémique et sert d'ouverture à l'échange (37). Si l'on considère la répartition par type de "geste", les résultats sont les suivants (A = textuel, B protextuel, C = cotextuel, D= contextuel) : A B C D Textes 23 28 164 48 français 9,5% 11,6% 68,3% 20% Textes 4 18 60 35 allemands 3,9% 17,8% 59,4% 34,6% Tous les textes 27 7,9% 46 13,4% 224 65,6% 83 24,3% L'on remarque ainsi, une forte convergence entre les textes français et allemands, les hiérarchies étant constamment respectées. Si les notations cotextuelles sont les plus nombreuses, et de loin (ce qui se comprend dans la mesure où le besoin est grand de matériau sémiotique complémentaire permettant le travail de décodage et interprétation tant au niveau cognitif, qu'au niveau expressif, relationnel), on peut noter l'émergence de la protextualité, sous des formes codées rituelles qui sont déjà familières, mais aussi d'un point de vue fonctionnel, qui semble être plus original. Comment ce fait peut-il être expliqué ? Les analyses faites à partir d'observations dans une perspective éthologique se fondent sur des films enregistrés à partir d'interactions qui ne sont pas toujours enracinées dans les actions au quotidien ; elles sont le plus souvent des interactions à dominante verbale, et les irruptions de tâches matérielles sont exclues. Dès que les interactions sont replacées dans des contextes matériellement impliqués, l'on voit émerger cette dimension de l'activité corporelle au sein même du déroulement de l'interaction verbale, et conduisant même à des brouillages de frontières entre le contextuel et le protextuel, à l'instar de ce passage extrait de Les paravents: (63) - LE LIEUTENANT . Il ne s'agit pas de revenir vainqueur. A quoi bon ? (Pendant qu'il parle, tout le monde s'active, de sorte que le Lieutenant 63 Cahier du CIEL 1998-1999 semble parler dans le vide, le regard fixe. Pierre noue ses lacets, Moralès se rase, Felton se peigne, Helmut nettoie sa baïonnette, le Sergent se lime les ongles;) …La France a déjà vaincu. (Paravents p. 180) Cette dernière citation permet en outre d'illustrer le fait que ces "gestes" protextuels interviennent aussi bien au titre d'intervention réactive (61,62) qu'au titre de la régulation (63). 5. Q UEL MATÉRIAU SIGNIFIANT ? Sans pouvoir faire ici une étude exhaustive de tout le matériau corporel mis en œuvre au sein des textes de théâtre, il est temps d'en donner un bref aperçu. Vu les différents modes de présence textuelle de ces indications corporelles, il va de soi que seules les didascalies où les "gestes" sont explicites peuvent être ici pris en compte ; dans une didascalie comme 25 ou 26 par exemple, les signifiants corporels permettant de traduire dans les "gestes" sont divers, laissés à la libre appréciation de l'interprétant (mouvement de tête, du corps, du torse, du bras, rapprochement de l'allocutaire, et toute combinaison entre ces éléments, dont la liste n'est sans doute pas exhaustive !). Les différents registres trouvés sont les suivants : • A = Mimique : (64) - L UCIENNE, avec un sourire inquiet. — (…), (PO p. 126) (65) - Das Donnern des nahenden Zuges macht seine Rede unveständlich. Kreischende Bremsen. Auf allen Gesichtern drückt sich fassungsloses Erstaunen an. Die fünf auf der Bank springen auf. (BAD p. 14) • B = Paraverbal : 61 (66) - JULIUS brummt. FRAU WOLFF. Kannste nich reden?, (B p. 10) • C = Regards : (67) - FIGARO . (Pendant sa réplique, le Comte regarde avec attention du côté de la jalousie.) , (BS p. 44) (68) - J ULIUS, sie erschrocken anglotzend, schweigt. Nach einigen Sekunden, leise . (B p. 10) • D = Posture (statique) : (69) - F INACHE ., assis sur la chaise à gauche de la table. (…), (PO p. 122) 64 T. GALLÈPE - Joindre le corps à la parole (70) - Frau Majorin auf einem Kanapee. Läuffer in sehr demütigender Stellung neber ihr sitzend. Leopold steht. (H p. 7) • E = Posture (dynamique) : 43 (71) - MONSIEUR S. MITH , se lève à son tour et va vers sa femme, tendrement. (…) Pourquoi craches-tu du feu ! (…), (CC p. 21) • F = Kinésique (indifférencié) : 8 • G = Kinésique (mains) : (72) - ETIENNE — Quand on a comme ça, de chaque côté du ventre, comme un point continuel ? Pour bien préciser les points, des deux mains retournées, il se donne des petits coups de chaque côté de l’abdomen. , (PO p. 124) • H = Kinésique (tête) : (73) - MARIUS — Trente ans… (Marius secoue la tête) , (M p. 13) • I = Kinésique (bras) : (74) - GEH . RAT . (…) Geschwind, umarmt euch. (Fritz und Gustchen umarmen sich zitternd). (H p. 15) • J = Kinésique (torse) : (75) - ÉTIENNE (…) (F. s’incline en manière d’acquiescement. ) Oh… ! entre nous … (PO p. 123) • K = Kinésique (membres inférieurs) : (76) - MAJOR. (…) Fort, sag’ ich. (stampft mit dem Fuß. Leopold geht ab. (…)), (H p. 10) • L = Proxémique : 76, 59, 60. • M = Action : ce dernier critère demande quelques précisions supplémentaires ; il s'agit d'un complexe, qu'une description synthétique désigne, mais qui nécessite pour sa réalisation plusieurs "gestes" combinés entre les éléments des rubriques ci-dessus : 39, 38, 24, 29, 17. L'on retrouve ainsi le problème de la ponctuation de la gestualité en gestes de base (kinèmes ?), qui sont en fait conceptualisés par le lexique (par exemple donner un soufflet, jn ohrfeigen). Si l'on donne un aperçu quantitatif, cela donne le résultat suivant : 65 Cahier du CIEL 1998-1999 A B C D E F G H I J K L M Textes 16 41 19 4 22 4 3 2 0 7 0 62 49 français 6,9% 17,9% 8,2% 1,7% 9,6% 1,7% 1,3% 0,8% 3% 27% 21,3% Textes 10 15 4 3 7 0 0 2 1 0 1 26 35 allemands 9,6% 14,4% 3,8% 2,8% 6,7% 1,9% 0,9% 0,9% 25% 33,6% Tous les textes 26 7,8% 56 16,8% 23 6,9% 7 2,1% 29 8,7% 4 1,2% 3 0,9% 4 1,2% 1 0,6% 7 2,1% 1 0,6% 88 26,4% 84 25,2% Ainsi émergent de claires hiérarchies, qui sont peu ou prou les mêmes en tendance dans les deux langues. L'importance des déplacements est fortement marquée, ainsi que des actions complexes mettant en cause simultanément plusieurs éléments corporels ; il est sans doute légitime de penser que ces notations permettent d'établir un catalogue d'actions potentielles venant co-composer les textes des interactions. Viennent ensuite les manifestations paraverbales, constituées en majeure partie des manifestations du rire, des pleurs et autres soupirs. Les autres "gestes" sont ensuite nettement moins nombreux ; mais il y a fort à parier que ces éléments ne seraient numériquement pas si éloignés des autres si les "gestes" impliqués étaient considérés. 6. POUR CONCLURE L'étude de la gestualité à partir des textes de théâtre ne va sans doute pas de soi, surtout si l'on considère le silence des textes sur la foule de "gestes" produits sur scène, et non notés dans le texte. Cela fait naturellement apparaître le caractère routinier, automatique de ceux-ci, ainsi d'ailleurs que la liberté et la grande marge d'initiative des interprétants (acteurs ou non). Le texte graphique du théâtre, dans son dépouillement sémiotique, offre cependant l'avantage de se dévoiler, le texte non revêtu par la volonté sémiotique d'un metteur en scène instrumentalisant les acteurs et leurs corps au service d'une lecture et d'une intention significative particulière. Il suffit d'ailleurs de jeter un coup d'œil sur des éditions présentant les gestes et ajouts prévus 66 T. GALLÈPE - Joindre le corps à la parole explicitement par le metteur en scène (par exemple : (de MUSSET 1836; MOLIÈRE 1671), pour se faire une idée de ce travail de recouvrement sémiotique, qui ne représente de plus qu'une partie du matériau sémiotique sur scène, enrichi qu'il est par la présence du corps des acteurs. Mettant l'accent sur certains "gestes", le texte de théâtre tend à renverser les hiérarchies entre les effets de figure et les effets de fond28 . Les "gestes" deviennent des figures à part entière, se détachant du fond qu'ils contribuent à constituer d'ordinaire29, et détachés ainsi, sont mieux perceptibles, isolés qu'ils sont les uns par rapport aux autres. Le texte de théâtre, dans sa constitution d'univers fictionnel a en outre l'avantage de sécréter son contexte et les précisions sociales particulières dans lesquelles sont émis ces "gestes"30 . L'étude des interactions verbales devrait pouvoir tirer profit de telles observations. Révélateur de l'humain, le théâtre accorde en son texte une place non négligeable au "geste"31 dont l'importance est ainsi une fois de plus réaffirmée au sein des interactions verbales, marquant ainsi son indissociable association aux faits de langage. SOURCES Pièces allemandes 28 (RIMÉ 1994, p151) 2 9 Il est cependant vrai que l'étude des didascalies selon une perspective syntagmatique (GALLÈPE 1997 - Troisième partie) permet d'appréhender cette dimension du fond, au service de la "coloration de la figure centrale" (B. Rimé, op. cité) 30 Cf. cette appréciation de B. Feyereisen (1985, p. 257) "Trop souvent en effet, on se contente d'examiner la mesure dans laquelle des signaux non verbaux peuvent informer de l'état émotionnel d'un sujet, sans considérer le contexte dans lequel apparaissent ces signaux, ni les interactions sociales particulières au cours desquelles il sont émis par ce sujet." 31 Même quand les canons esthétiques de l'écriture théâtrale interdisent le recours aux didascalies, surtout dans des tragédies, les grands auteurs ne peuvent en faire l'économie. C'est ainsi qu'aussi bien dans Cinna (CORNEILLE 1640) que dans Carolus Stuardus (GRYPHIUS 1657), l'on trouve des didascalies, qui sont plus spécifiquement des notations gestuelles. Celles présentes dans le texte allemand prennent d'ailleurs la forme de notes infrapaginales, et appportent des précisions "gestuelles" telles que : " er stellet sich als höret er etwas von fern ", ou " Er geberdet sich mit dem Stock als einer Trompeten." (p. 129). 67 Cahier du CIEL 1998-1999 DÜRRENMATT, Friedrich. 1956. Der Besuch der alten Dame . Eine tragische Komödie. Zürich: Die Arche (1956). GRYPHIUS, Andreas. 1657. Ermordete Majestät oder Carolus Stuardus, König von Großbritanien. In Werke :53 à 160. Tübingen: Max Niemeyer Verlag (1964). HAUPTMANN, Gerhart. 1893. Der Biberpelz . Eine Diebskomödie. Frankfurt am Main: Ullstein - Theater Texte (1982). KROETZ, Franz Xaver. Oberösterreich. In Oberösterreich … :7 à 42. Frankfurt am Main: Suhrkamp Verlag (1974). LENZ, Jakob M. Reinhold. 1774. 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Paris: Folio N° 326 (1954). LABICHE, Eugène. 1850. Embrassons-nous Folleville. Comédie-vaudeville en 1 acte. PARIS: Garnier - Flammarion N° 635 (1990). MOLIÈRE. 1659. Les précieuses ridicules . Comédie. Paris: Les classiques Larousse (1934). MOLIÈRE. 1669. le Tartuffe . Comédie. Paris: Éditions sociales (1970). MOLIÈRE. 1670. Le bourgeois gentilhomme. Comédie-ballet. Paris: Classiques Larousse - 1954. MOLIÈRE. 1671. Les fourberies de Scapin . Comédie. Paris: Éditions théâtrales Nanterre Amandiers (1990). PAGNOL, Marcel. 1920. Marius , pièce en quatre actes. Paris: Éditions de Fallois (1993). PAGNOL, Marcel. 1946. César . Paris: Le livre de poche - Fasquelle (1946). RACINE, Jean. 1668. Les plaideurs. In Œuvres complètes - Tome I:302 à 369. PARIS: Bibliothèque de la Pléiade - Gallimard (1950). VOLTAIRE. 1732. Zaïre . Tragédie. Paris: Larousse - 1938. 68 T. GALLÈPE - Joindre le corps à la parole OUVRAGES CITÉS COSNIER, Jacques. 1987. Éthologie du dialogue. 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