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STOCK DE CAPITAL ET CROISSANCE ECONOMIQUE AU MAROC : UNE
ANALYSE CLIOMETRIQUE
Ouail Oulmakki (Docteur en Economie)
Université de Montpellier - Faculté d’Economie
Rue Raymond Dugrand 34960 Montpellier
ouail.oulmakki@lameta.univ-montp1.fr
Résumé- Ce papier se propose à travers une analyse cliométrique d’étudier la relation entre
le processus d’accumulation du capital et la croissance économique au Maroc entre 1980 et
2011. La démarche utilisée s’appuie sur les travaux de Diebolt (2001, 2005) permettant une
meilleure compréhension quantitative et historique de l’évolution récente de l’économie
marocaine sous l’effet de l’accumulation du capital. Nous explorons ainsi les relations de
causalité en mobilisant des variables de nature différente. Nous utilisons la méthodologie des
modèles vectoriels auto-régressifs à la suite de Kamps (2005) et de Stock et Watson (2012).
Les résultats montrent qu’aucune évidence empirique n’est à formuler à l’égard de la
contribution du stock du capital à la croissance économique au Maroc. Cependant, le capital
public orienté vers les infrastructures de transport contribue positivement à la croissance
économique. .
Mots clés- Capital, cliométrie, croissance, causalité, modèles autorégressifs
Classification JEL- C41, C51, C54, C82, N17
Abstract- This paper proposes through a cliometric analysis to study the relationship between
the process of capital accumulation and economic growth in Morocco between 1980 and
2011. Our approach is based on the work of Diebolt (2001, 2005) for quantitative and
historical understanding of the recent evolution of the Moroccan economy as a result of the
accumulation of capital. Then, we explore causal relationships by using different types of
variables. We use the methodology of autoregressive vector models following Kamps (2005)
and Stock and Watson (2012). The results show that no empirical evidence is to formulate for
the contribution of capital stock to economic growth in Morocco. However, public capital on
transport infrastructure contributes positively to economic growth.
Key words- Capital, cliometric, growth, causality, autoregressive models
JEL classification- C41, C51, C54, C82, N17
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INTRODUCTION
Depuis Adam Smith (1776), la croissance économique est un sujet qui n’a cessé de
préoccuper les économistes et les décideurs publics, de même que la compréhension des
facteurs susceptibles de la générer. Or, la question de croissance à long terme est un
phénomène relativement récent. En effet, La croissance n’a pas toujours été une nécessité
historique, autrement dit, n’a pas toujours été observée et loin d’être un processus universel
vu les écarts constatés entre les pays développés et les pays en développement.
L’expérience du XXème siècle montre qu’à mesure que les pays se développent, ils passent
d’une économie agricole vers une économie industrielle pour atteindre ensuite, le stade
d’économie de services. Cette transformation est le résultat de facteurs humains et de choix
politiques et économiques qui transforment la société et l’espace. En effet, ce dernier accueille
des activités productives dont la densité s’accroit en présence d’économies d’échelle car les
entreprises bénéficient d’une proximité physique (liée à l’accès à de nouveaux marchés) et
d’une proximité informationnelle (liée à l’accès à de nouvelles idées). L’espace évolue et se
restructure de manière hétérogène donnant naissance à une variété spatiale nécessaire à la
croissance économique.
Afin de mieux comprendre ces évolutions, nous pouvons citer le travail d’Helpmann (2004)
qui examine la problématique de la croissance économique. Il fait une analyse rétrospective
en se basant sur les travaux de Madison pour le deuxième millénaire (1000-1998). Il constate
qu’après une période de longue stagnation, on assiste à une croissance qui se manifeste
statistiquement à partir des années 1820. Il focalise par la suite, sur la deuxième partie du XX
ème siècle. En effet, après 1945 le taux de croissance présente des inégalités entre les pays, ce
qui pose la question des facteurs explicatifs de la croissance. Ce constat a donné naissance du
point de vue de la recherche économique à deux vagues successives depuis la seconde guerre
mondiale : de 1955 à 1970 avec les travaux de Solow (1956, 1957), puis de 1985 à nos jours
avec d’une part, les théories de la croissance endogène (TCE) avec les travaux de (Romer
1989 ; Lucas 1988 ; Barro 1990) se basant sur les économies d’échelle et les effets
d’externalités. Ces travaux fondateurs vont dans le sens de l’endogénéisation du rôle du
capital public tout en adoptant des approches de modélisation différentes.
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D’autre part, les enrichissements considérables de la nouvelle économie ographique
permettent de rendre compte des spécificités territoriales dans le jeu d’interaction entre espace
et activité économique. Le croisement de ces deux champs d’analyse, met en évidence le rôle
des institutions politiques et particulièrement de l’Etat dans la promotion du processus de
croissance économique à long terme.
En sens, les TCE formalisent des modèles dans lesquels le capital physique a des effets sur la
croissance à long terme. En conséquence, ces modèles sont en mesure de déterminer d’une
part, l’impact de l’accumulation du capital sur la croissance économique, et d’autre part,
d’explorer empiriquement les maillons clés de la dépense publique jouant directement un rôle
dans le processus de croissance économique (Barro 1990, Kneller et al. 1999). Ainsi, Les
modèles de la croissance endogène sont nés d’une juxtaposition des problématiques
économiques et politiques.
Selon les TCE, la croissance économique est considérée comme un processus auto-entretenu
par l’accumulation de quatre facteurs : le capital humain, le capital physique, le capital
technique et le capital public1. Ces variables évoluent suivant un taux d’accumulation
fortement lié aux choix économiques. D’ailleurs, c’est pour cette raison qu’on parle de
processus de croissance endogène.
En effet, il s’agit de l’abondant de l’hypothèse d’exogenéité du progrès technique en évoquant
une croissance endogène dont la principale cause réside dans l’accumulation des facteurs
susceptibles de créer de la croissance. L’existence de facteurs productifs cumulables permet à
ces théories de s’intéresser aux effets d’externalités omis par les anciennes théories. Les
nouvelles théories de la croissance se basent sur l’idée selon laquelle les rendements ne sont
pas décroissants.
Incontestablement, le modèle fondateur des théories de la croissance endogène est celui
proposé par Romer (1986). Ce dernier fait le lien entre la croissance et l’accumulation des
connaissances et des compétences techniques. L’investissement est placé au cœur de la
dynamique de croissance, car il permet d’acquérir de nouvelles techniques de production,
augmente la productivité et émet des externalités positives profitables aux autres firmes.
1 Meade (1952) considère que le capital public affecte la croissance de l’output de deux manières. D’abord, à travers des
effets directs lorsque l’accroissement du capital public agit comme un facteur additionnel dans la fonction de production
macro-économique. Ensuite, apparaissent des effets indirects lorsque le capital public agit sur la productivité du capital privé
et du travail.
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Le deuxième modèle développé par Lucas (1988) se base sur la notion de capital humain,
celui-ci génère de son côté des externalités positives qui empêchent la décroissance des
facteurs de production, conduisant ainsi l’économie vers une croissance auto-entretenue. Le
modèle de Romer (1990) développé à la suite de ces travaux considère de son côté que le
progrès technique est issu de l’activité de recherche et développement soutenue par les acteurs
économiques. Enfin, Barro (1990) et Barro et Sala-I-Martin (1992) accordent dans leur
modèle une place centrale aux infrastructures publiques, ces dernières étant considérées
comme le moteur de la croissance à long terme.
Du point de vue empirique, suite aux travaux de Holtz-Eakin (1988), Aschauer (1989a) est
l’un des premiers économistes américains à trouver un lien entre la baisse du taux de
croissance de la productivité totale des facteurs (PTF) au cours des années 1970, et le stock de
capital public des Etats-Unis, net des dépenses militaires. Aschauer estime cette relation à
l’aide d’une fonction de production Cobb-Douglas sur la période 1949-1985 et trouve une
élasticité de la productivité au ratio capital public/capital privé de 0.39. Ce résultat
correspond à une productivité marginale du capital public très élevée (de l’ordre de 75%). Dès
lors, le capital public est considéré comme une « driving force » pour le capital privé, dont les
retombées sont nombreuses : réduction des coûts de transport, élargissement des marchés, et
ouverture de nouvelles opportunités de concurrence (Aschauer 1989 ; Agenor et Moreno-
Dodson 2006). Un autre canal de transmission des effets du capital public réside dans les
économies d’échelles et les économies d’envergure (Straub 2008) qu’il est susceptible de
diffuser du point de vue macro-économique.
S’intéressant au cas du Maroc comme pays en veloppement (PED), ce papier tente de
répondre à deux questions essentielles. La première s’intéresse à déterminer le rôle du stock
du capital et à son accumulation dans le processus de croissance économique en adoptant une
approche quantitative et historique d’inspiration cliométrique basée sur les travaux de Diebolt
(2001, 2005). Quant à la seconde question, celle-ci permet d’explorer le rôle de la dépense
publique productive orientée vers le secteur des infrastructures de transport dans la croissance
économique au Maroc dans le prolongement des modèles de croissance endogène (Barro ;
1990). Nous proposons également une modélisation de la fonction d’efficience de
l’investissement public autoroutier en s’appuyant sur les travaux de Hurlin (2008).
Ce papier se présente en quatre parties. Nous présentons dans la première section une analyse
rétrospective versus cliométrique des faits stylisés ayant marqué l’évolution récente de
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l’économie marocaine depuis les années 1960. La deuxième section illustre empiriquement le
rôle de l’accumulation du capital dans la croissance économique au Maroc entre 1980 et 2011.
Cette section mobilise l’économétrie des séries temporelles et des modèles d’auto-régression
vectorielle. La troisième section s’intéresse au rôle du capital public en matière
d’infrastructures de transport et à l’efficience de l’intervention publique dans le processus de
fourniture des infrastructures de transport. Enfin, la dernière section présente et discute les
résultats obtenus à la lumière de la théorie économique et de l’histoire économique du Maroc.
-1- FAITS MARQUANTS DE L’EVOLUTION RECENTE DE L’ECONOMIE
MAROCAINE
1-1- Les apports de la cliométrie
Jusqu’à la deuxième moitée du XXème siècle, l’économie et l’histoire représentaient deux
disciplines distinctes. La première adoptait les approches des sciences exactes, tandis que la
seconde, adoptait l’approche narrative des faits historiques dans lesquels la composante
économique est fortement présente.
En ce sens, la cliométrie2 à pour rôle de réconcilier entre l’histoire et l’économie tout en
enrayant la dichotomie ayant longtemps caractérisée la recherche en sciences économique se
focalisant quasi exclusivement sur la compréhension des faits économiques sans pour autant
les contextualiter historiquement. Le papier de Conrad et Meyer (1958) représente sans doute
le point de départ de cette discipline qualifiée de « Nouvelle Histoire Economique » (NHE). Il
s’agit de mobiliser les méthodes quantitatives et économétriques en vue d’une meilleure
compréhension du passé.
Ensuite, la cliométrie ou la nouvelle histoire quantitative, s’est formalisée dans les travaux
précurseurs de Fogel3 (1993) souhaitant introduire une dimension historique dans la
compréhension des faits économiques, tout en suivant une démarche analytique basée sur la
construction d’une situation contrefactuelle. Selon Diebolt (2001) « il faut envisager les faits
et les systèmes sous leur aspect statique, c’est-à-dire à un moment donné, et aussi les saisir
dans leur évolution, ce qui en suppose l’examen des diverses transformations qu’ils subissent,
2 Ce terme a été élaboré par Stanley Reiter, signifie littéralement mesure de l’histoire. Diebolt 2005., « La cliométrie se
rebriffe ».
3 L’auteur a renouvelé la recherche en matière d’histoire économique en combinant histoire, théories et méthodes
quantitatives dans la compréhension des changements économiques et sociaux sur de longues périodes d’observation. Fogel
et Douglass North ont été nommés au prix Nobel d’Economie en 1993 pour leurs travaux connus sous le courant de la « New
Economic History » au croisement de l’économétrie rétrospective et de la nouvelle économie institutionnelle.
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