27 avril 2015 Pourquoi la croissance du commerce international s’est-elle essoufflée? Beaucoup d’espoir repose sur la libéralisation des échanges commerciaux La crise de 2008‑2009 a eu des conséquences néfastes pour l’évolution du commerce mondial. Tout comme pour l’économie en général, les échanges commerciaux ont rebondi, mais, là aussi, on observe une progression plutôt décevante par rapport à la période précédant la crise. D’où vient cette faiblesse relative? Est-ce qu’une croissance plus rapide des échanges est envisageable bientôt? L’évolution des échanges mondiaux de biens et services a grandement changé depuis la crise qui a sévi en 2008 et 2009. Pour commencer, la Grande Récession a été particulièrement douloureuse pour le commerce mondial. Selon les données annuelles du Fonds monétaire international (FMI), les échanges de biens et services (en termes réels) ont diminué de 10,6 % en 2009 alors que le PIB réel mondial a seulement stagné (graphique 1). Si l’on utilise plutôt les données mensuelles de l’organisme néerlandais CPB Netherlands Bureau for Economic Policy Analysis, la contraction du commerce mondial de marchandise paraît encore plus dramatique avec une baisse de 19,9 % entre le sommet cyclique d’avril 2008 et le creux de mai 2009 (graphique 2). Pendant la même période, la production industrielle mondiale a diminué de 13,9 %, ce qui est quand même plus modeste que la chute des échanges. Graphique 2 – Les données mensuelles sur le commerce de marchandises montrent une contraction plus importante Indice 14 12 10 8 6 4 2 10 8 6 4 2 0 (2) (4) (6) 0 (2) (4) (6) (8) (10) (12) PIB mondial 1980 1985 1990 1995 2000 2005 -19,9 % 110 100 90 90 80 80 70 70 60 60 50 50 30 1990 40 30 1995 2000 2005 2010 2015 Sources : CPB Netherlands Bureau for Economic Policy Analysis et Desjardins, Études économiques Différents facteurs peuvent expliquer pourquoi les échanges ont souffert davantage que l’économie en général. L’industrie des services, sauf peut-être pour les services financiers, a été moins sensible aux aléas de la conjoncture. Ainsi, le PIB réel plus global a moins chuté que la production industrielle, et les échanges de services ont moins diminué que les échanges de marchandises. Deuxièmement, certains secteurs industriels ont été particulièrement touchés, comme celui de l’automobile qui a subi une importante restructuration, notamment aux États‑Unis. Les chaînes d’approvisionnement du secteur automobile sont très internationalisées et les échanges de produits finis, comme de matériel et de pièces, ont subi le contrecoup. C’est aussi vrai pour d’autres industries, comme l’aéronautique. Troisièmement, les difficultés financières issues de la crise 2010 Francis Généreux Économiste principal 120 +40,6 % 40 Sources : Fonds monétaire international et Desjardins, Études économiques François Dupuis Vice-président et économiste en chef 130 100 (8) (10) (12) Commerce mondial 140 130 110 Var. ann. en % En termes réels 14 12 150 140 120 Graphique 1 – La chute des échanges commerciaux internationaux a été particulièrement grave pendant la crise Var. ann. en % Indice Commerce international en volume 150 514-281-2336 ou 1 866 866-7000, poste 2336 Courriel : [email protected] Note aux lecteurs : Pour respecter l’usage recommandé par l’Office de la langue française, nous employons dans les textes et les tableaux les symboles k, M et G pour désigner respectivement les milliers, les millions et les milliards. Mise en garde : Ce document s’appuie sur des informations publiques, obtenues de sources jugées fiables. 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Les opinions et prévisions figurant dans le document sont, sauf indication contraire, celles des auteurs et ne représentent pas la position officielle du Mouvement des caisses Desjardins. Copyright © 2015, Mouvement des caisses Desjardins. Tous droits réservés. 27 avril 2015 Point de vue économique 2 0 0 10 8 8 6 6 4 4 2 2 0 0 2015 2012 Afrique et MoyenOrient 12 10 (2) Amérique latine 14 12 2009 4 2 Europe de l’Est 16 14 2006 6 4 Asie 16 2003 8 6 Économies avancées 18 2000 10 8 (2) 18 12 Économies émergentes Indice 14 2011-2014 10 Monde Indice 2000-2007 12 Var. ann. en % Exportations réelles Zone euro Indice CBI – crédit ou financement comme facteur limitant les exportations Var. ann. en % 14 Japon Graphique 3 – Les difficultés de financement ont été un frein au commerce mondial pendant la récession et la crise européenne Graphique 4 – La croissance des échanges commerciaux a ralenti partout par rapport à la période précédant la crise États-Unis ont engendré des problèmes de financement pour les exportateurs et les importateurs. Les risques de faillites bancaires ont miné la confiance des lettres de crédit qui permettent le financement de court terme des échanges commerciaux. Selon une enquête britannique, les difficultés de financement étaient l’une des principales raisons de frein aux exportations (graphique 3). www.desjardins.com/economie Sources : CPB Netherlands Bureau for Economic Policy Analysis et Desjardins, Études économiques Graphique 5 – La part des exportations dans le PIB mondial stagne depuis quelques années En % du PIB mondial En % du PIB mondial Exportations mondiales 30 30 25 25 20 20 15 15 Sources : Confederation of British Industry et Desjardins, Études économiques La décevante reprise Après l’hécatombe de 2008 et 2009, un rebond des échanges commerciaux s’est manifesté. Le taux de croissance des échanges réels de biens et services a atteint 12,6 % en 2010, le plus fort gain annuel depuis que les données sont disponibles en 1980. Du côté des marchandises, le décollage est encore plus réussi : dans les 12 mois qui ont suivi le creux de mai 2009, le volume échangé a grimpé de 20,4 %. Toutefois, au-delà de l’effet de rebond, la progression des échanges a été plutôt décevante. Alors qu’ils avaient tendance à croître bien plus rapidement que le PIB réel mondial, les échanges internationaux ont plutôt progressé à la même vitesse, soit aux alentours de 3 % depuis 2012. Ce rythme de croisière assez constant se situe clairement sous la moyenne de 7 % établie dans les vingt années qui ont précédé la Grande Récession. Cette tendance s’observe dans tous les grands blocs économiques (graphique 4). On remarque aussi que les exportations en pourcentage du PIB mondial ont arrêté de s’améliorer. Elles sont passées de 19 % à 30 % en 1990 et 2008. Cette proportion fait toutefois du surplace depuis : le ratio était de 30 % en 2013 (graphique 5). Donc, si un écart par rapport à la tendance s’est creusé pour le PIB mondial pendant et après la récession, celui-ci est encore plus prononcé pour le commerce. La Banque mondiale estime que si la croissance observée avant la crise 2 10 10 1960 1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010 Sources : Banque mondiale et Desjardins, Études économiques s’était poursuivie, les échanges commerciaux internationaux seraient 20 % plus élevés que le niveau enregistré en 2014. D’autres indicateurs témoignent de la faiblesse actuelle du commerce mondial. Historiquement, l’indice Baltic Dry qui représente l’évolution des prix du transport maritime de marchandises suit relativement bien l’évolution du commerce mondial. Sa variation annuelle pointe actuellement vers le bas, suggérant que les exportations mondiales ralentiront davantage (graphique 6 à la page 3). Toutefois, les fluctuations de l’indice Baltic Dry subissent également, et parfois de façon violente, les facteurs microéconomiques qui affectent l’industrie maritime. Ainsi, une offre supplémentaire de bateaux, issue de commandes trop élevées, peut affecter le coût du transport, et ce, sans que la demande soit en cause. Comme l’indice Baltic Dry était tout récemment à un creux des 30 dernières années (graphique 7 à la page 3), il est plausible que ce type de facteurs ait présentement une influence importante. Il demeure néanmoins qu’une faiblesse des échanges commerciaux est perceptible depuis la récession. Plusieurs 27 avril 2015 Point de vue économique www.desjardins.com/economie Graphique 6 – L’indice Baltic Dry suggère une faiblesse continue du commerce mondial Var. ann. en % Var. ann. en % 350 300 250 200 150 100 50 0 (50) (100) (150) (200) 40 35 30 25 20 15 10 5 0 (5) (10) (15) (20) 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006 2008 2010 2012 2014 Indice Baltic Dry – moyenne mobile trois mois (gauche) Volume des échanges internationaux (droite) souveraines a fait retomber l’Europe en récession à partir de 2011, et ce, jusqu’au printemps de 2013 (graphique 8). La demande eurolandaise de produits importés a été considérablement affaiblie. De plus, la faiblesse de l’euro provoquée par les problèmes financiers et économiques, ainsi que par les actions tardives de la Banque centrale européenne a amoindri une partie des bienfaits causés par la modeste remontée de l’économie européenne. Même si l’économie eurolandaise est moins importante que celle des États‑Unis à l’intérieur du PIB mondial, l’effet sur les échanges d’une faiblesse européenne est plus grave parce que le volume des échanges internationaux y est plus important relativement à l’économie (graphique 9). Sources : Datastream, CPB Netherlands Bureau for Economic Policy Analysis et Desjardins, Études économiques Graphique 7 – L’indice Baltic Dry se situe à un creux historique, probablement à cause d’une offre supplémentaire de bateaux Indice Indice Indice Baltic Dry Graphique 8 – Les problèmes économiques de la zone euro ont amoindri la demande de biens importés Var. trim. ann. en % Var. trim. ann. en % Zone euro 6 20 12 000 4 15 11 000 11 000 2 10 10 000 10 000 0 9 000 9 000 (2) 8 000 8 000 7 000 7 000 6 000 6 000 5 000 5 000 (8) (20) 4 000 4 000 (10) (25) 3 000 3 000 (12) 2 000 2 000 12 000 1 000 0 1985 5 0 (5) (4) (10) (6) (15) (30) 2005 2006 1 000 1995 2000 2005 2010 2015 2008 2009 PIB réel (gauche) 0 1990 2007 2010 2011 2012 2013 2014 Importations réelles (droite) Sources : Eurostat et Desjardins, Études économiques Sources : Datastream et Desjardins, Études économiques facteurs peuvent expliquer cette faiblesse. Certains éléments sont de nature conjoncturelle et d’autres facteurs sont de nature plus structurelle. Facteurs conjoncturels Faible croissance des économies avancées : La reprise post‑2009 a été caractérisée par deux éléments très importants pour l’économie mondiale. Le premier est la croissance décevante de l’économie américaine. Celle-ci a été lente à reprendre un rythme de croisière acceptable alors que plusieurs facteurs ont miné la capacité et la confiance des ménages et des entreprises à accélérer leur contribution à la croissance. Les différentes crises politiques entre démocrates et républicains ont miné le climat d’investissement et de consommation en créant une incertitude artificielle. Les ménages et les institutions financières ont dû également continuer à assainir leur bilan financier, retardant la reprise du marché immobilier et du crédit en général, et ce, malgré les efforts sans précédent de la Réserve fédérale. Ce n’est qu’à partir de la mi‑2013 que l’économie américaine et le marché du travail ont commencé à afficher des résultats plus satisfaisants. Et, encore là, la conjoncture a été accablée par des conditions météorologiques anormalement ardues au début de 2014 et de 2015. Deuxièmement, la crise des dettes Graphique 9 – Les échanges commerciaux sont relativement bien plus importants en zone euro qu’aux États-Unis En % du PIB En % du PIB 45 40 45 Exportations 40 Importations 35 35 30 30 25 25 20 20 15 15 10 10 5 5 0 0 États-Unis Zone euro Sources : Banque mondiale et Desjardins, Études économiques Ralentissement des pays émergents : La plupart des pays émergents n’ont pas subi avec autant de difficultés la crise de 2008‑2009. Un ralentissement important a certes eu lieu, mais, en général, il n’a pas eu la même amplitude que pour les pays plus avancés. La production des pays émergents a rebondi en 2010, mais on sent depuis un essoufflement de plus en plus manifeste. En premier lieu, la Chine ne croît plus aussi vite par rapport à ce qu’elle nous avait habitués. Alors que les hausses annuelles du PIB réel 3 27 avril 2015 Point de vue économique www.desjardins.com/economie chinois dépassaient constamment les 10 % au milieu des années 2000, le gouvernement chinois cible maintenant des hausses de 7 %. Pour l’ensemble des pays émergents, la croissance du PIB réel était de moins de 5 % en 2013, alors qu’elle était de près de 9 % en 2007. Ce ralentissement est vrai pour la plupart des zones géographiques (graphique 10). L’importance accrue des services : L’importance des services en proportion de la demande mondiale est un facteur qui explique en partie la croissance plus faible des exportations et des importations. Les services comptent pour 67 % du PIB mondial, mais seulement 12 % des échanges commerciaux. Graphique 10 – La croissance a nettement ralenti au sein des économies émergentes Essor du protectionnisme : Les années 1980 et 1990 ont vu un élan de chute des barrières commerciales tarifaires avec la mise en place de multiples accords multilatéraux et bilatéraux. Toutefois, la récente crise économique a remis le protectionnisme en vogue. Et cela a continué par la suite. Selon la Banque mondiale et l’Organisation mondiale du commerce (OMC), les membres du G‑20 ont, depuis octobre 2008, mis en place 1 185 nouvelles mesures de restrictions des importations. Var. ann. en % Var. ann. en % PIB réel 2007 12 2014 12 10 10 8 8 6 6 4 4 2 2 0 0 Asie du Nord Asie du Sud Amérique latine Europe de l’Est Autres Sources : Banque mondiale, Datastream et Desjardins, Études économiques Facteurs structurels Changement dans la structure économique chinoise : L’économie chinoise est en pleine réforme et sa structure industrielle se transforme. On observe que sa production de biens finis demande moins de biens intermédiaires fabriqués ailleurs qu’auparavant. Selon la Banque mondiale, la part des importations chinoises de pièces et composantes relativement à ses exportations totales est passée d’un sommet de 60 % au milieu des années 1990 à environ 35 % en 2012. La Chine exporte autant de biens manufacturés, mais elle a moins besoin d’importer pour le faire. De plus, l’arrivée d’une plus grande classe moyenne en Chine amène une plus grande diversification économique vers l’industrie des services qui nécessite généralement moins d’échanges internationaux. Boom pétrolier américain : Depuis la fin de la récession de 2008‑2009, les États‑Unis ont connu un véritable boom pétrolier rendu possible par les technologies d’extraction issues de la fracturation. La production pétrolière a augmenté de 49,2 % depuis la fin de 2009. Du même souffle, les importations de produits pétroliers ont reculé de 14,3 %. L’effet sur les échanges est amoindri par les exportations américaines de produits pétroliers transformés. Mais, au total, les échanges de pétrole et de produits pétroliers ont crû de seulement 3,1 % depuis l’automne 2009 alors que le PIB réel a progressé de 12,1 %. 4 Réglementation financière : Le financement du commerce international a été durement affecté pendant la crise. La situation s’est rétablie par la suite et les risques associés au financement par lettres de crédit se sont largement dissipés. Toutefois, la réglementation financière plus sévère depuis la crise et les appels à la réduction de l’effet de levier (deleveraging) ainsi qu’à une capitalisation plus élevée pour les institutions financières ont amené une croissance plus faible du crédit en général et du crédit commercial (trade finance) en particulier. Une croissance plus robuste à l’horizon Le principal soutien à la croissance des échanges commerciaux demeure une croissance économique mondiale plus vigoureuse. À ce niveau, la situation devient plus encourageante. Les États‑Unis, en dehors de surprise comme la météo difficile ou le conflit de travail dans les ports de la côte Ouest, connaissent une croissance plus rapide. L’appréciation du dollar américain facilite d’autant plus les exportations vers la plus grande économie du monde, ce qui ne peut qu’aider le commerce mondial. L’effet net de la baisse des prix du pétrole est cependant plus ambigu. La situation s’améliore aussi en zone euro alors que les risques d’une triple récession semblent maintenant écartés et que certains indicateurs, notamment du côté de la confiance et du crédit, affichent des résultats intéressants. Pour la zone euro, les meilleures perspectives dépendent toutefois d’une amélioration de la balance commerciale, elle-même appuyée par la baisse de l’euro. L’économie mondiale profitera surtout de croissance plus rapide de la zone euro lorsque celle-ci sera aussi alimentée par une demande intérieure plus robuste. La stabilisation des économies émergentes serait aussi un soutien important pour le commerce mondial. Point de vue économique 27 avril 2015 www.desjardins.com/economie Toutefois, pour pouvoir réellement observer une accélération du commerce mondial et le retour à un rythme plus élevé que la croissance du PIB réel, il faudra des changements structurels qui permettront de renverser la tendance de décélération observée depuis la crise. Une plus grande place à l’investissement des entreprises, où la demande de biens importés est souvent plus intensive, serait une condition importante. Un plus grand espoir repose aussi sur un nouvel élan de libéralisation des échanges commerciaux. Des accords bilatéraux ou multilatéraux importants sont présentement en négociation. Si les pourparlers portent des fruits, les tendances protectionnistes récemment observées seraient grandement renversées. Deux tables de négociation semblent particulièrement prometteuses, ne serait-ce qu’à cause de l’importance des joueurs impliqués. Le premier est le Trans‑Pacific Partnership qui regroupe 12 pays, dont les États‑Unis, le Japon, l’Australie le Canada et le Mexique. L’autre est le Transatlantic Trade and Investment Partnership qui se négocie entre l’Union européenne et les États‑Unis. Ce type d’accord (et d’autres comme celui conclu récemment – mais non ratifié – entre le Canada et l’Union européenne) pourrait réellement servir de bougie d’allumage à une croissance plus vigoureuse du commerce mondial. Francis Généreux Économiste principal 5