Proposition pour le colloque sur « Les traces bouddhistes dans la

Proposition pour le colloque sur « Les traces bouddhistes dans la littérature occidentale »
Le bouddhisme, l’altérité animale et l’amour neutre : le cas du roman La passion selon G.H.
Aurélie Dubois-Prud’homme
« J’ai alors compris que, de toute façon, vivre
est une grande bonté envers les autres. (…) celui qui
vit sa propre largesse fait un don, même si sa vie se
passe dans le secret d’une cellule »
-Clarice Lispector
Le rapport entre l’Homme et l’Animal est un problème irrésolu. Comment considérer cet Autre extrême? Ces
questions sont primordiales pour la compréhension des relations de l’humain à son environnement. Comme le
souligne le philosophe Agamben : « (…) se demander en quelle manière---chez l’homme---l’homme a été séparé du
non-homme et l’animal de l’humain, est plus urgent que de prendre position sur les grandes questions sur les
prétendus valeurs et droits humains. »1
En effet, comment se positionner face aux droits de l’Homme si ce dernier est un objet indéterminé, dont le statut est
mouvant. Faut-il comprendre l’humain par un processus de différenciation, par un procès de spécificité face à
l’animal? Comment gérer le rapport entre l’Homme et la Bête en dehors du prisme de l’anthropocentrisme?
L’étude de la pensée bouddhiste et notamment du Dhammapada de Bouddha permet d’entrevoir une relation avec
les animaux hors des sphères affectives de la pitié et de l’amour du prochain. En effet, la pensée bouddhiste est celle
de la voie moyenne, la voie sans chemin tracé, entre la négation et l’acception des affects. De plus, « Toutes les
choses sont dépourvues de Soi »2. Il n’y a donc pas de spécificités individuelles. La différence n’a pas lieu d’être. De
plus, le cycle des transmigrations offre la possibilité d’explorer d’autres modalités du vivre (sous la forme d’un
animal, d’une pierre etc.). Cette conception de la renaissance abolie la question hiérarchique, l’idée de primauté. Or
donc, le bouddhisme ouvre la voie à une nouvelle économie du rapport. Tout se joue en dehors du modèle de la
rencontre, du face à face de deux différences. On ne va plus vers l’Autre pour soi-même ou par projection de
sentiments sur l’Autre mais, par responsabilité envers le Tout, le vivant. Ce renversement paradigmatique,
qu’amorce la pensée bouddhiste permet d’explorer à nouveau les questions de l’humain, du vivre et de l’altérité.
Afin de réfléchir à celles-ci, je me pencherai sur l’œuvre littéraire, La passion selon G.H. de l’écrivaine Clarice
Lispector. Ce roman atypique met en scène le monologue exploratoire d’une femme faisant l’expérience d’une
révolution intérieure. Je démontrerai, par ma lecture, que cette œuvre est une manifestation possible des conceptions
bouddhistes sur la question de l’humain et son rapport à l’animal. En effet, la narratrice, par divers procédés, tant
imaginaires que concrets (expériences de pensée, ingestion d’un cafard) ouvre la voie à une nouvelle économie de
l’Autre et de la relation. De plus, tant au niveau formelle que discursif, La passion selon G.H amorce un pas vers
une humanité réconciliée avec le monde et sa condition particulière.
Dans mon exposé, je m’attarderai tout d’abord sur la narration rétrospective qui s’expose, se questionne et hésite.
Cette dernière met en scène le procès de l’humanisation de l’humain ainsi que l’expérience de dépersonnalisation de
la protagoniste et permet de cheminer vers l’Autre. Je me pencherai ensuite sur l’hostilité de la narratrice envers la
transcendance qui pousse à catégoriser, simplifier le réel et empêche d’entrer en contact direct avec l’altérité (ici le
cafard). Je réfléchirai également à la conception de l’amour neutre développée par la narratrice. Voisine de la voie
1 AGAMBEN, Giorgio L’ouvert : de l’homme et de l’animal, Coll. Bibliothèque Rivages, Éditions Payot et Rivages,
2002, p.31
2 BOUDDHA, Dhammapada : les stances de la loi, Coll. GF Flammarion, Paris, Flammarion, 1997, p.104.
Proposition pour le colloque sur « Les traces bouddhistes dans la littérature occidentale »
moyenne bouddhiste, l’amour neutre permet de considérer l’Autre en dehors du régime de la différenciation
discriminatoire ou de la préférence, dans une indifférence aimante.
Dans la conception du monde proposée par l’œuvre de Lispector, la question l’animal perd de son importance
spécifique. La gestion de tout Autre (matière non-vivante, animal etc.) se trouve dans le don de vivre totalement sa
vie, en état de contact. Pour considérer l’Autre, il faut être; être présent à sa propre vie.
Le roman La passion selon G.H., aux réminiscences bouddhistes offre une perspective juste sur la condition
humaine, ses travers et sa présence à l’Autre. « Quand on réalise le vivre, on demande : mais ça n’était que cela? Et
la réponse est : ça n’est pas que cela, c’est exactement cela »3, dit la narratrice de l’œuvre de Lispector.
C’est ce que cette présentation tentera d’aborder. De plus, la thématique de l’altérité dans les conceptions
bouddhistes est une thématique digne d’intérêt et peu explorée dans le milieu universitaire. Ma communication
servira donc de prémisse à ce type de réflexions.
3 LISPECTOR, Clarice, La passion selon G.H, Paris, Éditions des Femmes, 1998, p.221
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