
1. Les dominantes économiques des industries de contenu
Les coûts de production jouent un rôle essentiel dans les industries de contenu, en particulier en raison de
l’existence d’économies d’échelle considérables. Du côté de l’offre, l’information est coûteuse à produire
et peu coûteuse à reproduire. Par exemple, le coût du premier exemplaire d’un journal fabriqué chaque
jour entraîne un coût fixe élevé, puisqu’il est indépendant du nombre d’exemplaires produits, alors que les
exemplaires reproduits ultérieurement ont un coût unitaire pratiquement nul. Ainsi, plus le nombre
d’exemplaires produits est grand, mieux sont réparties les charges correspondant à la production du
prototype 3. En termes économiques, cela signifie que la production d’un produit de contenu nécessite
généralement des coûts fixes élevés, mais possède des coûts variables et marginaux faibles. On retrouve
cette combinaison de fortes économies d’échelle, notamment, dans le domaine des médias audiovisuels 4.
Soulignons de plus que les coûts fixes liés aux produits de contenu sont souvent irrécupérables, étant
acquittés avant que la production débute, sans en connaître la réussite commerciale 5.
Une deuxième caractéristique réside dans la nature intrinsèque des produits de contenu : ce sont des biens
d’expérience, on ne les connaît qu’après les avoir consommés. En d’autres termes, le consommateur ne
connaît pas la valeur des produits achetés. Cette spécificité, que l’on retrouve dans d’autres biens, tels le
vin ou les parfums, impose des procédures de sélection et de signalisation capables de susciter le désir
d’expérience. Dans leur ouvrage, Bomsel, Geffroy et Le Blanc stipulent que ces procédures sont intenses
en information et s’appuient sur l’identification de composantes connues (auteurs, interprètes, acteurs…) 6.
Dès lors, compte tenu de la capacité limitée d’expérience de chaque individu, la concurrence entre les
produits de contenu portera sur la signalisation, les produits les mieux signalés seront ceux qui seront
consommés en premiers.
Une troisième caractéristique des produits de contenu est de mettre à la disposition des consommateurs
des biens sous tutelle. Le contenu médiatique notamment est considéré dans de nombreux pays européens
comme un instrument potentiel de développement culturel. Au regard des nombreuses externalités
(psychothérapie, divertissement, intégration sociale), le contenu des médias écrits, par exemple, va de la
culture politique à la culture générale, en passant par le divertissement. De ce fait, la nature et la diversité
des titres de presse sont susceptibles d’exercer une influence non négligeable sur la formation des valeurs
de la communauté. Compte tenu de cette spécificité, qui caractérise les produits de contenu en général, et
les contenus médiatiques en particulier, ces industries font l’objet d’un encadrement législatif important et
spécifique : dans le but de garantir l’intérêt général, l’Etat souhaite compléter l’initiative privée en
imposant ses propres préférences. Par une décision législative ou réglementaire, l’Etat décide que telle ou
telle consommation est nécessaire ou, au contraire, néfaste. Pour que la démocratie soit effective, toutes
les idées politiques doivent disposer d’un espace d’expression médiatique ; dès lors, le libre accès à un
3 Dans le cas des médias écrits, notons que la fréquence de parution d’un quotidien oblige souvent l’éditeur à
internaliser les opérations liées à l’impression du journal. L’information, par nature imprévisible, peut nécessiter des
ajustements de dernière minute afin que les lecteurs puissent en prendre connaissance dès le lendemain. Dans ce cas,
l’éditeur est obligé de posséder ses propres rotatives de manière à mieux gérer la flexibilité requise. L’investissement
qui en découle représente un coût extrêmement élevé que l’éditeur aurait pu partiellement éviter en déléguant la
production à d’autres entreprises si la périodicité du titre avait été plus espacée. Cf. notamment M. Mathien,
Economie générale des médias, Ellipses, Paris, 2003 ; N. Toussaint-Desmoulins, L’économie des médias, Presses
Universitaires de France, Paris, 2004 ; P. Le Floch, N. Sonnac, Economie de la presse, La Découverte, Paris,
nouvelle édition refondue, 2005.
4 M. Bourreau, M. Gensollen, J. Pérani, « Les économies d’échelle dans l’industrie des médias », Revue d’économie
industrielle, n° 100, 3ème trimestre 2002, p. 119-136.
5 C. Shapiro, H. R. Varian, Economie de l’information, De Boeck, Bruxelles, 2001.
6 O. Bomsel, A. Geffroy, G. Le Blanc, Modem le maudit. Economie de la distribution numérique des contenus,
Presses de l'Ecole des Mines de Paris, Paris, 2006.