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LA
Comédies tragiques »
de Catherine ANNE
OCCUPATION 3. O rage ! O désespoir ! 2011
INTRODUCTION.
Situation Catherine ANNE : Catherine Anne est une actrice, metteuse en scène
et dramaturge française née en 1960.
Elle joue sous la direction de metteurs en scène de renom. Catherine Anne a
dirigé le Théâtre de l'Est parisien de 2002 à juin 2011, sa programmation était
nettement marquée par la promotion des auteurs vivants, l'ouverture du théâtre
à toutes les générations de spectateurs et l'investissement dans la formation
artistique en milieu scolaire et associatif.
Elle se tourne vers l'écriture dès le début des années 80 et a écrit, à ce jour,
une vingtaine de pièces, dont
Agnès
et, dernièrement,
Pièce africaine
et
Une
petite sirène
. Plusieurs sont en direction du jeune public :
Ah ! Annabelle ; Ah
là ! Quelle histoire ; Le Crocodile de Paris ; Petit ; Une petite sirène.
Depuis juillet 2011, Catherine Anne continue son parcours de femme de théâtre
et prépare plusieurs productions, à la tête de sa compagnie À Brûle-pourpoint.
Situation de Comédies tragiques : Nous sommes au Grand Théâtre les
spectateurs attendent une représentation du
Cid
, mais ce sont
trois manifestants qui, après avoir échappé aux C.R.S., font irruption sur la
scène.
Les séquences, plutôt courtes, font défiler sous nos yeux des employés et des
« clients » de La Poste et de Pôle emploi, une conseillère au ministère de
la Culture, un directeur de théâtre, une patronne d’entreprise d’intérim, des
comédiens, l’animateur et les participants à un jeu télévisé, etc. Tous ont en
commun d’être confrontés aux divinités de notre société : la sacro-sainte
rentabilité, l’ordre, le pouvoir de l’argent.
Situation de l’extrait : La scène 3 met en scène la directrice de l’entreprise de
nettoyage « L’Immaculée » et une nouvelle employée. Elles sont sur le lieu de
travail l’employée démarrera ses fonctions : nettoyer un théâtre. A
commencer par la scène elle-même.
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Pb : Quelle image du théâtre est-elle donnée ici ?
I) Les mots font leur théâtre
A) La référence à Corneille : l’intertexte
Réf au
Cid
de Corneille 1637
Résumé intrigue
La scène cite le monologue de l’acte I scène 4
Cette tirade montre sa faiblesse due à l’âge, et c’est à son fils, le valeureux Don
Rodrigue, qu’il demandera secours.
Voici le début de la réplique de Don Diègue :
Ô rage ! ô désespoir ! ô vieillesse ennemie !
N’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ?
Et ne suis-je blanchi dans les travaux guerriers
Que pour voir en un jour flétrir tant de lauriers ?
Mon bras qu’avec respect tout l’Espagne admire,
Mon bras, qui tant de fois a sauvé cet empire,
Tant de fois affermi le trône de son roi,
Trahit donc ma querelle, et ne fait rien pour moi ?
Ô cruel souvenir de ma gloire passée !
OEuvre de tant de jours en un jour effacée !
Nouvelle dignité fatale à mon bonheur !
Précipice élevé d’où tombe mon honneur !
Faut-il de votre éclat voir triompher Le Comte,
Et mourir sans vengeance, ou vivre dans la honte ?
Mise en scène / didascalies : Le vieil acteur joue dans des conditions très
difficiles car deux femmes viennent perturber sa concentration.
Ces femmes parlent fort et occupent l’espace de la scène avec le chariot que la
plus jeune pousse dans le cadre de son travail de nettoyage.
Plusieurs vers pourraient rendre compte de ces difficultés et donc établir des
//ismes entre la tirade de Corneille et la situation concrète du vieil acteur:
« ô vieillesse ennemie »
« Ô cruel souvenir de ma gloire passée ! »
« N’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ? »
« Précipice élevé d’où tombe mon honneur ! ».
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En effet, l’infamie porte ici un double sens, elle serait la situation dans laquelle
le personnage et le comédien se trouvent.
Le comédien dans l’exercice de son travail et le personnage en tant que tel, spolié
dans le
« Grand théâtre » (l. 1),
la scène, où il prend vie grâce à l’acteur.
Cette scène devient alors une mise en abyme du théâtre classique
Tout est là
: « les cheveux blancs très longs », le « costume de « théâtre ».
Catherine Anne, s’est amusée dans la didascalie avec les poncifs du théâtre
classique et de sa représentation.
Les contrastes sont nombreux de façon à marquer les oppositions.
« La vieillesse
»
en est donc la cause et
« la gloire passée »
n’y peut rien,
« il sort de l’obscurité
», « infamie »
étant amplifiée par l’oxymore
« précipice élevé ».
Le passage où intervient en voix off le personnage de l’Immaculée vient donc
perturber l’acteur et le personnage.
Dès la didascalie le contraste est flagrant,
« une voix enthousiaste »
(l. 7) vient
rompre la tristesse de Don Diègue.
C’est la voix de l’Immaculée.
En fait le nom de l’entreprise par antonomase devient celui du personnage.
Une antonomase est une figure de style ou un trope, dans lequel un nom
propre ou bien une périphrase énonçant sa qualité essentielle, est utilicomme
nom commun, ou inversement, quand un nom commun est employé pour signifier un
nom propre1,2. Certaines antonomases courantes finissent par se lexicaliser et
figurent dans les dictionnaires usuels (« une poubelle », « une silhouette », « un
don Juan », « un harpagon », « un bordeaux », « un roquefort », « le macadam »,
« un gavroche », etc.).
Son double sens ici est intéressant,
immaculée pour la propreté apportée par la société de nettoyage,
et pour le personnage, vierge de toute approche théâtrale, ignorante du
fait.
S’en suivra une discussion sur ce qu’est le travail, le
vrai
.
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B) Une scène comique
Les répliques de l’Immaculée vont donc croiser celles de Don Diègue créant une
vivacité certaine, une rupture de ton cocasse, et par les rimes, croisées bien
entendu ( // trad théâtre cornélien) , et la mesure respectant l’alexandrin,
À ce comique de situation va s’ajouter le comique de mots, par bouclage et par
association d’idées :
« lauriers » (l. 6) appelle « saint des saints (l. 8),
« bras » (répété l. 9 et 11) appelle « huile de coude », répété également il va de
soi aux l. 12, 14 et 18.
Les vers 11, 12, 13 et 14 se répondent.
Le coude appartenant au bras bien sûr comme le bras est celui du guerrier, la
métonymie bat son plein.
Et l’huile de coude apporte l’image d’un bras mécanique qui a besoin de réglages.
Comme celui de Don Diègue maintenant vieilli.
Stichomythie = La rapidité des répliques crée un dynamisme qui est visible sur la
page par le jeu de l’alexandrin et qui sur la scène, pour le spectateur, passera par
son oreille.
C’est l’acteur ici qui s’exprime dans la forme verbale de son personnage. Le
décalage de ton, de sujet, crée un comique de situation et de mots auxquels peut
s’ajouter la gestuelle.
En effet si le chariot de nettoyage est actionné par la Timide, l’entremêlement
peut aussi concerner cet objet, amenant le rire également par le décalage des
registres.
II) Un théâtre engagé
A) Jouer n’est pas un métier !
Le jeu sur le verbe « jouer » retient notre attention puisqu’il sera propice à la
définition du verbe travailler à l’opposé de « jouer » pour l’Immaculée.
Ici rentre de plein pied le débat sur le métier d’acteur à l’heure de la société
mondialisée et de la crise financière.
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Le titre de la pièce
Comédies tragiques
par l’oxymore des deux genres
théâtraux du XVII (
cf. Le
Cid
choisi ici), renvoie aux débats de société dont la
pièce se fait l’écho à travers des scènes du quotidien mais drôles ou incongrues
comme celle que nous étudions ici.
Polysémie : Le titre de la scène est cocasse car « occupons » peut renvoyer
autant aux deux femmes qui prennent la place de l’acteur, mais l’inverse est vrai
puisque l’acteur les empêche elles aussi de travailler.
Face au vieil acteur aguerri, nous avons la jeune stagiaire inexpérimentée. Les
deux se font concurrence sur la scène visiblement pour l’Immaculée.
B) Du balai
Avec le jeu de mot sur le verbe « jouer », l’Immaculée va très vite au coeur du
problème :
« Eh bien, nous, nous ne jouons pas/Nous travaillons. »
(l. 28)
effet accentué par le rejet,
« Jouez, monsieur ! Jouez ! Laissez-nous travaillez
! » (l. 31)
Effet appuyé
par les verbes à l’impératif et les exclamatives (
idem
l. 41). Le
comique de geste s’associe à l’ensemble
lorsque la réplique demande à la timide
(celle qui
apprend son métier),
« ne baillez pas vous » (l. 38)
pour faire le jeu de
mot avec
« Corneille » (l. 37). = Baillez aux corneilles
Nous sommes ici dans le jeu de mot populaire mais qui fonctionne
C) Le vieil acteur et le public face au monde moderne
Ce qui contraste avec la suffisance et le ton hautain du vieil acteur (
Nous jouons
du Corneille! » (l. 37) « Nom de Dieu !
» l. 47, juron bien connu qui marque la
colère, en ce sens blasphématoire mais qui ici prend un double sens, comme si
l’acteur en appelait à Dieu pour le sauver) ainsi que le rappel de la présence
sacrée du public,
« Le public ! » (l. 34),
sans qui, rappelons-le le théâtre n’est pas
le théâtre.
Le public est fustigé par l’Immaculée,
« s’ils restent en bas »,
rehaussé par
l’onomatopée
« Bah ! »,
en rime avec
« ces gens-là »,
et les rimes intérieures
«
c’est qui, ça »
(expression dénigrante),
« ne me dérangent pas ».
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