Projet artistique par Alexandre Bernhardt
Sur les flancs de l'Himalaya, à Dharamsala, la capitale du Tibet en
exil, en Inde, j'ai découvert Hermann Hesse avec la lecture du Jeu des
Perles de Verre, et, parallèlement, j'étudiais les quatre vérités du
Bouddha. Dans le roman comme dans ma vie, l'utopie de
l'enseignement parfait était confrontée à la réalité doctrinaire. Ces
deux pôles s'attirent et se repoussent en nous. Et c'est en lisant
Siddhartha que j'ai vraiment senti résonner en moi la possibilité de
s'affranchir de ce conflit.
Si je souhaite adapter Siddhartha sur scène aujourd'hui c'est pour
partager avec le plus grand nombre cette vision.
Siddhartha est un roman qui traite de l'affranchissement d'un
homme avec son moi. C'est le voyage d'un héro en quête d'absolu dans
les multiples vies que lui propose sa culture. Cette histoire particulière
a un écho universel. Notre défi dans cette adaptation sera autant de
faire voyager le spectateur dans un conte de l'inde du VI ème siècle que
de lui permettre de s'approprier le propos. Il s'agit donc d'intégrer la
narration dans notre culture, la rendre possible n'importe où. La scène
se doit donc d'être vide ou d'incarner le vide, comme cette chaise posée
là qui attend quelqu'un. La pièce se doit d'être un monologue car il
place l'homme à la fois face à sa propre solitude et à l'ensemble du monde. Nous avons alors
devant nous la force et la vulnérabilité de ce qu'il y a de plus fondamental en chacun de nous.
Voilà pourquoi l'adaptation scénique de Siddhartha sera racontée-vécue par un acteur-conteur.
Trois styles prédominent dans l'écriture de Hermann Hesse. La narration, où les éléments
sont mis en place, les dialogues, où les personnages prennent vie, et les envolées lyriques, où
Siddhartha est transcendé par ce qu'il vit. Chaque style a une oralité différente, chaque style sera
partagé différemment : la narration verra le rapprochement entre le public et le conteur créant
une connivence ; les dialogues verront l'apparition de personnages archétypaux et enfin les
envolées placeront la salle dans un état second, une abstraction dansée, pour ouvrir une brèche
poétique, sublimée, dans les méandres de l'esprit de Siddhartha.
La révélation de Siddhartha est symbolisée par l'écoute du fleuve, dont le son permet
d'entrer en contact avec l'éternel retour des choses. Le fleuve, lieu de passage d'une rive à l'autre,
est aussi le symbole de l'unité, étant toujours fleuve à sa source comme à son embouchure. Ainsi,
dans Siddhartha le fleuve est bien plus qu'un lieu, c'est un appel. Nous chercherons le design
sonore de cet élément pour en représenter toutes ses facettes. Les variations ondulatoires
combinées aux rythmiques électroniques actuelles composeront la musique originale de cette
pièce.
Mon ambition est de réveiller les consciences dans un spectacle divertissant. L'oeuvre de
Hermann Hesse est un bijou littéraire. Ce texte, d'une structure dramaturgique impeccable, aux
précisions historiques et symboliques avérées, renferme une caractéristique rare: il est nécessaire.
Il soulève des questions essentielles. Chacun y trouve des pistes, l'univers des possibles grandit,
et l'on rêve de s'aventurer sur d'autres sentiers. Chacun emportera avec lui ses propres images,
ses propres liens, gardant pour lui la vision d'un homme qui danse, pense, jouit, souffre, crève et
renaît avec pour unique but celui d'être libre.
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