Revue du Rhumatisme 74 (2007) 621–623 http://france.elsevier.com/direct/REVRHU/ Éditorial Le rhumatisme psoriasique existe-t-il ? Psoriatic arthritis: is it for real?◊ Mots clés : Rhumatisme psoriasique ; Psoriasis cutané Keywords: Psoriatic arthritis; Psoriasis La réponse à cette question paraît simple : oui, le rhumatisme psoriasique existe puisque je l’ai rencontré. Je l’ai rencontré comme étudiant en médecine car tous les manuels de rhumatologie lui consacrent un chapitre particulier [1], je l’ai rencontré chez mes patients et/ou comme prescripteur car les autorités sanitaires françaises et internationales le considèrent comme une indication pleine et entière, et d’ailleurs les autorités européennes viennent même de publier des recommandations pour développer les médicaments dans cette indication [2]. En fait, seul l’épidémiologiste clinicien n’est pas aussi sûr de ce fait. Il se pose la question de savoir s’il ne pourrait pas s’agir d’une association fortuite (psoriasis et rhumatisme sont deux pathologies fréquentes, il n’est pas étonnant qu’on les rencontre chez le même patient). Quand bien même le psoriasis s’observerait à une plus grande fréquence au cours des manifestations rhumatismales, la question reste de savoir si l’on doit individualiser un rhumatisme sous le terme de rhumatisme psoriasique ou bien seulement considérer que le psoriasis cutané traduit la coexistence d’un processus inconnu, mais qui va influer sur la présentation clinique [3]. Par exemple, si une personne souffre d’une arthrose digitale, la coexistence d’un psoriasis cutané fera que l’arthrose digitale sera plus sévère, plus érosive. Pour répondre à ces questions, il faut au préalable connaître : ● la prévalence respective des deux affections ; ◊ Pour citer cet article, utiliser ce titre en anglais et sa référence dans le même volume de Joint Bone Spine. 1169-8330/$ - see front matter © 2007 Publié par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.rhum.2006.11.021 ● la prévalence des affections rhumatismales selon que l’on souffre ou non de psoriasis ; ● la prévalence du psoriasis selon que l’on souffre ou non d’affections rhumatismales ; ● enfin, la présentation clinique des maladies rhumatismales selon qu’il existe ou non un psoriasis de manière concomitante. La prévalence du psoriasis est estimée entre 2 et 6 % dans la population générale [4]. La prévalence des affections rhumatismales varie en fonction du type d’affection rhumatismale. En ce qui concerne les rhumatismes inflammatoires chroniques, cette prévalence est estimée entre 0,6 et 1 % [5], en ce qui concerne les rachialgies inflammatoires en rapport avec une spondylarthropathie entre 0,2 et 0,5 % [5]. Quant à la prévalence de l’arthrose, elle est différente selon l’âge, le sexe et surtout la localisation (très fréquente au rachis et aux mains, un peu moins fréquente à la hanche et aux genoux). Curieusement, à notre connaissance, il n’existe qu’une seule étude ayant évalué la prévalence des affections rhumatismales selon que l’on souffre par ailleurs, ou non d’un psoriasis dans la population générale [5]. Cette étude conduite il y a plus de 20 ans dans une ville hollandaise de 3659 habitants a conclu de la manière suivante : ● dans cette étude, la prévalence du psoriasis a été trouvée à 1%; ● un rhumatisme inflammatoire périphérique a été retrouvé chez 5 % des patients avec psoriasis et 2,2 % des patients sans psoriasis sans que cette différence soit statistiquement significative ; 622 Éditorial / Revue du Rhumatisme 74 (2007) 621–623 ● les symptômes musculosquelettiques (tels que cervicalgies, périarthrite…) étaient plus fréquents chez les patients avec psoriasis. Ces symptômes généraient plus souvent des consultations auprès des médecins généralistes chez les patients avec psoriasis (35 %) que sans (21 %). Concernant la prévalence du psoriasis au cours des affections rhumatismales, à notre connaissance, il n’y a pas eu d’étude conduite sans a priori (cet a priori est que souvent l’on considère que le psoriasis peut être associé à un rhumatisme inflammatoire, mais pas à une pathologie rhumatismale dégénérative). Une étude conduite sous l’égide de la Société française de rhumatologie est intéressante à considérer dans cette optique. Cette étude avait pour objectif d’évaluer les performances des critères de spondylarthropathies en pratique rhumatologique hospitalière quotidienne [6]. Cette étude consistait à demander à chaque investigateur d’inclure tout malade venant consulter pendant une semaine. Il est intéressant de noter que la fréquence d’un psoriasis cutané était de l’ordre de 21,2 % dans le groupe de patients considérés comme souffrant de spondylarthropathie, mais également de 11,2 % dans le groupe témoin. Ces chiffres suggèrent que le psoriasis cutané soit plus fréquemment observé chez les patients souffrant de spondylarthropathie (21,2 versus 1 à 2 % dans la population générale), mais également chez tout patient rhumatisant justifiant une consultation auprès d’un rhumatologue. Les cohortes de patients souffrant d’arthrite récente sont également intéressantes à considérer. Par exemple, la prévalence du psoriasis a été retrouvée à 9,5 % dans la cohorte anglaise Norfolk [7,8] et à 6,15 % dans la cohorte française Espoir [communication personnelle]. À notre connaissance, de telles études n’ont pas été conduites chez des patients souffrant d’arthrose, d’ostéoporose, de périarthrite. Un autre point curieux au plan de l’épidémiologie clinique est le fait que la présentation clinique des affections rhumatismales en fonction de l’association à un psoriasis cutané n’a été que rarement évaluée. Concernant les arthrites périphériques, le devenir à court (un an) et long (cinq ans) terme des patients souffrant d’arthrite récente, selon la coexistence d’un psoriasis cutané, a été évalué à partir des données de la cohorte Norfolk. Ces résultats suggèrent qu’un patient souffrant d’arthrite récente soit plus à même d’être un homme et d’avoir une sérologie rhumatoïde négative en cas de psoriasis concomitant. À signaler qu’il n’y avait pas de différence en termes de nombre et de localisation des arthrites, de présence d’enthésiopathie et/ ou d’atteinte axiale entre les deux groupes de patients (avec ou sans psoriasis concomitant). Le devenir à un ou cinq ans en terme d’impotence fonctionnelle était identique dans les deux groupes. Une autre étude conduite chez les patients souffrant d’arthrite périphérique ET répondant aux critères de spondylarthropathie (ESSG) conclut que le devenir à deux ans était plus sévère en cas de psoriasis concomitant [9]. Une analyse critique de ces études épidémiologiques permettrait de conclure qu’à ce jour, il n’y a pas de démonstration nette justifiant de considérer le rhumatisme psoriasique comme une entité à part entière. Toutefois, il faut aussi reconnaître que ce champ de recherche n’a été que (curieusement) très peu investigué et que d’autres études, notamment, prospectives menées en population générale sont nécessaires. Néanmoins, dans le cadre des rhumatismes inflammatoires périphériques, il est raisonnable de conclure que la prévalence du psoriasis est plus importante que ne le suggèrerait le simple hasard. In fine, on pourrait se demander si cette reconnaissance (conférer au rhumatisme psoriasique la place d’une entité particulière) est importante ou non en pratique quotidienne. Certains peuvent considérer que cela n’a pas d’importance, car la prise en charge des patients (évaluation du pronostic, critères d’évaluation, stratégie thérapeutique…) est basée sur la présentation clinique (arthrite périphérique versus atteinte axiale versus atteinte périarticulaire) plutôt que sur un diagnostic précis de la maladie sous-jacente. Par exemple, nombre de cliniciens considèrent que la prise en charge d’un patient souffrant d’atteinte inflammatoire axiale sera la même que le malade souffre ou non de psoriasis cutané concomitant. D’autres peuvent considérer que cela est important à considérer. À ce jour, on ne sait pas si la nature du traitement d’une présentation clinique particulière (par exemple arthrite périphérique) peut (doit) être influencé par la présence d’un psoriasis cutané associé. Par ailleurs, certains patients peuvent souffrir d’un rhumatisme inflammatoire sévère sans pour autant répondre aux critères officiels tels que les critères du Collège américain de rhumatologie pour le diagnostic de polyarthrite rhumatoïde. Il serait dommage que ces patients ne puissent pas bénéficier des traitements certes onéreux, mais très efficaces que sont les anti-TNF à cause de cela. Reconnaître le rhumatisme psoriasique comme une entité particulière a également des conséquences en terme d’organisation de la rhumatologie : ● création d’un groupe de travail proposant des critères de classification–diagnostic pour le rhumatisme psoriasique [10–18] ; ● proposition de critères d’évaluation spécifiques [19] ; ● indication spécifique des autorités sanitaires [2]. C’est l’opinion de l’auteur, qu’avant de considérer le rhumatisme psoriasique comme une entité particulière (et donc de s’embarquer dans toutes ces initiatives), il serait bon de conduire des études épidémiologiques de qualité pour répondre aux questions soulevées dans cet éditorial, à savoir : est-ce que le psoriasis est plus souvent observé au cours des affections rhumatismales ? Si oui, lesquelles ? Si oui, est-ce que la présentation clinique et/ou le pronostic de l’affection rhumatismale est différent ? Si oui, est-ce que l’affection rhumatismale observée représente une entité particulière ? Références [1] COFER : Collège français des enseignants de rhumatologie. Le précis de rhumatologie, 800 pages. Masson; 2006. [2] EMEA. http://www.emea.eu.int/pdfs/human/ewp/489103en.pdf. Éditorial / Revue du Rhumatisme 74 (2007) 621–623 [3] Fitzgerald O, Dougados M. Psoriatic arthritis: one or more diseases? Best Pract Res Clin Rheumatol 2006;20:435–50. [4] Guillemin F, Saraux A, Guggenbuhl P, Roux C, Fardellone P, Le Bihan E, et al. Prevalence of rheumatoid arthritis in France: 2001. Ann Rheum Dis 2005;64:1427–30. [5] Van Romunde LKJ, Valkenburg HA, Swart-BRUINSMA W, Cats A, Hermans J. Psoriasis and arthritis. I. A population study. Rheumatol Int 1984;4:55–60. [6] Amor B, Dougados M, Listrat V, Menkes CJ, Dubost JJ, Roux H, et al. Evaluation of the Amor criteria for spondylarthropathies and European spondylarthropathy study group (ESSG). A cross-sectional analysis of 2228 patients. Ann Med Interne (Paris) 1991;142:85–9. [7] Harrison BJ, Silman AJ, Barrett EM, Scott DG, Symmons DP. Presence of psoriasis does not influence the presentation or short-term outcome of patients with early inflammatory polyarthritis. J Rheumatol 1997;24: 1744–9. [8] Morgan C, Lunt M, Bunn D, Silman AJ, Symmons DP. Similar outcome at 5 years in inflammatory arthritis patients with and without psoriasis. Arthritis Rheum 2005;52:S120. [9] Stafford L, Kane D, Murphy E, Duffy T, Lassere M, Youssef PP, et al. Psoriasis predicts a poor short-term outcome in patients with spondylarthropathy. Arthritis Rheum 2001;45:485–93. [10] Moll JM, Wright V. Psoriatic arthritis. Semin Arthritis Rheum 1973;3: 55–78. [11] Biondi Oriente C, Scarpa R, Pucino A, Oriente P. Psoriasis and psoriatic arthritis. Dermatological and rheumatological co-operative clinical report. Acta Derm Venereol Suppl (Stockh) 1989;146:69–71. [12] Torre Alonso JC, Rodriguez Perez A, Arribas Castrillo JM, BallinaGarcia J, Riestra Noriega JL, Lopez Larrea C. Psoriatic arthritis (PA): a clinical, immunological and radiological study of 180 patients. Br J Rheumatol 1991;30:245–50. 623 [13] Jones SM, Armas JB, Cohen MG, Lovell CR, Evison G, McHugh NJ. Psoriatic arthritis: outcome of disease subsets and relationship of joint disease to nail and skin disease. Br J Rheumatol 1994;33:834–9. [14] Veale D, Rogers S, Fitzgerald O. Classification of clinical subsets in psoriatic arthritis. Br J Rheumatol 1994;33:133–8. [15] Vasey FB, Espinoza LR. Psoriatic arthritis. In: Calin A, editor. Spondyloarthropathies. Orlando: Grune and stratton; 1984. p. 151–85. [16] Fournie B, Crognier L, Arnaud C, Zabraniecki L, Lascaux-Lefebvre V, Marc V, et al. Proposed classification criteria of psoriatic arthritis. A preliminary study in 260 patients. Rev Rhum Engl Ed 1999;66:446–56. [17] Helliwell PS, Taylor WJ. Classification and diagnostic criteria for psoriatic arthritis. Ann Rheum Dis 2005;64(Suppl 2):ii3–ii8. [18] Taylor W, Gladman D, Helliwell P, Marchesoni A, Mease P, Mielants H, CASPAR Study Group. Classification criteria for psoriatic arthritis: development of new criteria from a large international study. Arthritis Rheum 2006;54:2665–73. [19] Helliwell PS, Firth J, Ibrahim GH, Melsom RD, Shah I, Turner DE. Development of an assessment tool for dactylitis in patients with psoriatic arthritis. J Rheumatol 2005;32:1745–50. Maxime Dougados Service de rhumatologie B, hôpital Cochin, APHP, faculté de médecine, université Paris–Descartes, 27, rue du Faubourg-Saint-Jacques, 75014 Paris, France Adresse e-mail : [email protected] (M. Dougados). Reçu le 27 juillet 2006 ; accepté le 6 novembre 2006 Disponible sur internet le 15 mai 2007