Éditorial
Le rhumatisme psoriasique existe-t-il ?
Psoriatic arthritis: is it for real?
Mots clés : Rhumatisme psoriasique ; Psoriasis cutané
Keywords: Psoriatic arthritis; Psoriasis
La réponse à cette question paraît simple : oui, le rhuma-
tisme psoriasique existe puisque je lai rencontré. Je lai ren-
contré comme étudiant en médecine car tous les manuels de
rhumatologie lui consacrent un chapitre particulier [1],jelai
rencontré chez mes patients et/ou comme prescripteur car les
autorités sanitaires françaises et internationales le considèrent
comme une indication pleine et entière, et dailleurs les auto-
rités européennes viennent même de publier des recommanda-
tions pour développer les médicaments dans cette indication
[2].
En fait, seul lépidémiologiste clinicien nest pas aussi sûr
de ce fait. Il se pose la question de savoir sil ne pourrait pas
sagir dune association fortuite (psoriasis et rhumatisme sont
deux pathologies fréquentes, il nest pas étonnant quon les
rencontre chez le même patient). Quand bien même le psoriasis
sobserverait à une plus grande fréquence au cours des mani-
festations rhumatismales, la question reste de savoir si lon doit
individualiser un rhumatisme sous le terme de rhumatisme pso-
riasique ou bien seulement considérer que le psoriasis cutané
traduit la coexistence dun processus inconnu, mais qui va
influer sur la présentation clinique [3]. Par exemple, si une
personne souffre dune arthrose digitale, la coexistence dun
psoriasis cutané fera que larthrose digitale sera plus sévère,
plus érosive.
Pour répondre à ces questions, il faut au préalable
connaître :
la prévalence respective des deux affections ;
la prévalence des affections rhumatismales selon que lon
souffre ou non de psoriasis ;
la prévalence du psoriasis selon que lon souffre ou non
daffections rhumatismales ;
enfin, la présentation clinique des maladies rhumatismales
selon quil existe ou non un psoriasis de manière concomi-
tante.
La prévalence du psoriasis est estimée entre 2 et 6 % dans la
population générale [4]. La prévalence des affections rhumatis-
males varie en fonction du type daffection rhumatismale. En
ce qui concerne les rhumatismes inflammatoires chroniques,
cette prévalence est estimée entre 0,6 et 1 % [5], en ce qui
concerne les rachialgies inflammatoires en rapport avec une
spondylarthropathie entre 0,2 et 0,5 % [5]. Quant à la préva-
lence de larthrose, elle est différente selon lâge, le sexe et
surtout la localisation (très fréquente au rachis et aux mains,
un peu moins fréquente à la hanche et aux genoux).
Curieusement, à notre connaissance, il nexiste quune seule
étude ayant évalué la prévalence des affections rhumatismales
selon que lon souffre par ailleurs, ou non dun psoriasis dans
la population générale [5]. Cette étude conduite il y a plus de
20 ans dans une ville hollandaise de 3659 habitants a conclu de
la manière suivante :
dans cette étude, la prévalence du psoriasis a été trouvée à
1%;
un rhumatisme inflammatoire périphérique a été retrouvé
chez 5 % des patients avec psoriasis et 2,2 % des patients
sans psoriasis sans que cette différence soit statistiquement
significative ;
http://france.elsevier.com/direct/REVRHU/
Revue du Rhumatisme 74 (2007) 621623
Pour citer cet article, utiliser ce titre en anglais et sa référence dans le
même volume de Joint Bone Spine.
1169-8330/$ - see front matter © 2007 Publié par Elsevier Masson SAS.
doi:10.1016/j.rhum.2006.11.021
les symptômes musculosquelettiques (tels que cervicalgies,
périarthrite) étaient plus fréquents chez les patients avec
psoriasis. Ces symptômes généraient plus souvent des
consultations auprès des médecins généralistes chez les
patients avec psoriasis (35 %) que sans (21 %).
Concernant la prévalence du psoriasis au cours des affec-
tions rhumatismales, à notre connaissance, il ny a pas eu
détude conduite sans a priori (cet a priori est que souvent
lon considère que le psoriasis peut être associé à un rhuma-
tisme inflammatoire, mais pas à une pathologie rhumatismale
dégénérative). Une étude conduite sous légide de la Société
française de rhumatologie est intéressante à considérer dans
cette optique. Cette étude avait pour objectif dévaluer les per-
formances des critères de spondylarthropathies en pratique rhu-
matologique hospitalière quotidienne [6]. Cette étude consistait
à demander à chaque investigateur dinclure tout malade
venant consulter pendant une semaine. Il est intéressant de
noter que la fréquence dun psoriasis cutané était de lordre de
21,2 % dans le groupe de patients considérés comme souffrant
de spondylarthropathie, mais également de 11,2 % dans le
groupe témoin. Ces chiffres suggèrent que le psoriasis cutané
soit plus fréquemment observé chez les patients souffrant de
spondylarthropathie (21,2 versus 1 à 2 % dans la population
générale), mais également chez tout patient rhumatisant justi-
fiant une consultation auprès dun rhumatologue.
Les cohortes de patients souffrant darthrite récente sont
également intéressantes à considérer. Par exemple, la préva-
lence du psoriasis a été retrouvée à 9,5 % dans la cohorte
anglaise Norfolk [7,8] et à 6,15 % dans la cohorte française
Espoir [communication personnelle].
À notre connaissance, de telles études nont pas été condui-
tes chez des patients souffrant darthrose, dostéoporose, de
périarthrite.
Un autre point curieux au plan de lépidémiologie clinique
est le fait que la présentation clinique des affections rhumatis-
males en fonction de lassociation à un psoriasis cutané na été
que rarement évaluée. Concernant les arthrites périphériques, le
devenir à court (un an) et long (cinq ans) terme des patients
souffrant darthrite récente, selon la coexistence dun psoriasis
cutané, a été évalué à partir des données de la cohorte Norfolk.
Ces résultats suggèrent quun patient souffrant darthrite
récente soit plus à même dêtre un homme et davoir une séro-
logie rhumatoïde négative en cas de psoriasis concomitant. À
signaler quil ny avait pas de différence en termes de nombre
et de localisation des arthrites, de présence denthésiopathie et/
ou datteinte axiale entre les deux groupes de patients (avec ou
sans psoriasis concomitant). Le devenir à un ou cinq ans en
terme dimpotence fonctionnelle était identique dans les deux
groupes.
Une autre étude conduite chez les patients souffrant
darthrite périphérique ET répondant aux critères de spondylar-
thropathie (ESSG) conclut que le devenir à deux ans était plus
sévère en cas de psoriasis concomitant [9].
Une analyse critique de ces études épidémiologiques per-
mettrait de conclure quà ce jour, il ny a pas de démonstration
nette justifiant de considérer le rhumatisme psoriasique comme
une entité à part entière. Toutefois, il faut aussi reconnaître que
ce champ de recherche na été que (curieusement) très peu
investigué et que dautres études, notamment, prospectives
menées en population générale sont nécessaires. Néanmoins,
dans le cadre des rhumatismes inflammatoires périphériques,
il est raisonnable de conclure que la prévalence du psoriasis
est plus importante que ne le suggèrerait le simple hasard.
In fine, on pourrait se demander si cette reconnaissance
(conférer au rhumatisme psoriasique la place dune entité par-
ticulière) est importante ou non en pratique quotidienne.
Certains peuvent considérer que cela na pas dimportance,
car la prise en charge des patients (évaluation du pronostic,
critères dévaluation, stratégie thérapeutique) est basée sur
la présentation clinique (arthrite périphérique versus atteinte
axiale versus atteinte périarticulaire) plutôt que sur un diagnos-
tic précis de la maladie sous-jacente. Par exemple, nombre de
cliniciens considèrent que la prise en charge dun patient souf-
frant datteinte inflammatoire axiale sera la même que le
malade souffre ou non de psoriasis cutané concomitant.
Dautres peuvent considérer que cela est important à consi-
dérer. À ce jour, on ne sait pas si la nature du traitement dune
présentation clinique particulière (par exemple arthrite périphé-
rique) peut (doit) être influencé par la présence dun psoriasis
cutané associé. Par ailleurs, certains patients peuvent souffrir
dun rhumatisme inflammatoire sévère sans pour autant répon-
dre aux critères officiels tels que les critères du Collège améri-
cain de rhumatologie pour le diagnostic de polyarthrite rhuma-
toïde. Il serait dommage que ces patients ne puissent pas
bénéficier des traitements certes onéreux, mais très efficaces
que sont les anti-TNF à cause de cela.
Reconnaître le rhumatisme psoriasique comme une entité
particulière a également des conséquences en terme dorgani-
sation de la rhumatologie :
création dun groupe de travail proposant des critères de
classificationdiagnostic pour le rhumatisme psoriasique
[1018] ;
proposition de critères dévaluation spécifiques [19] ;
indication spécifique des autorités sanitaires [2].
Cest lopinion de lauteur, quavant de considérer le rhu-
matisme psoriasique comme une entité particulière (et donc
de sembarquer dans toutes ces initiatives), il serait bon de
conduire des études épidémiologiques de qualité pour répondre
aux questions soulevées dans cet éditorial, à savoir : est-ce que
le psoriasis est plus souvent observé au cours des affections
rhumatismales ? Si oui, lesquelles ? Si oui, est-ce que la pré-
sentation clinique et/ou le pronostic de laffection rhumatis-
male est différent ? Si oui, est-ce que laffection rhumatismale
observée représente une entité particulière ?
Références
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[2] EMEA. http://www.emea.eu.int/pdfs/human/ewp/489103en.pdf.
Éditorial / Revue du Rhumatisme 74 (2007) 621623622
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Maxime Dougados
Service de rhumatologie B, hôpital Cochin, APHP,
faculté de médecine, université ParisDescartes,
27, rue du Faubourg-Saint-Jacques, 75014 Paris, France
Adresse e-mail : [email protected]
(M. Dougados).
Reçu le 27 juillet 2006 ; accepté le 6 novembre 2006
Disponible sur internet le 15 mai 2007
Éditorial / Revue du Rhumatisme 74 (2007) 621623 623
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