-elle un savoir infus?De la nature sociale
de l’architecture cognitive 423
logiquement cohérente des connaissances2. Dans les faits, toutefois,
les sciences sociales peinent à faire admettre la légitimité de leur
objet d’étude et de leurs explications par les tenants des sciences dites
« dures ». La tendance à ce que nous proposons d’appeler un
réductivisme est plus que jamais présente : les phénomènes sociaux
ne seraient que les combinats d’actions individuelles, motivées par
des états mentaux individuels. Ces derniers ne seraient à leur tour que
le résultat de processus biologiques incarnés dans le cerveau, qui ne
serait lui-même qu’une organisation matérielle complexe dont
l’architecture physique est encore en phase d’exploration. Si ce type
de réduction fait trop peu de cas de la nature des phénomènes
émergents qui caractérisent la complexité croissante de l’arrangement
de la matière, l’intérêt d’une forme de réduction plus modeste n’est
pas à exclure. Ainsi, le réductionnisme, qui prêche l’établissement de
« ponts » entre les différents domaines ontologiques, s’avère
nettement plus prometteur. Après tout, il est vrai que les lois de la
chimie reposent en dernier lieu sur la structure physique des
composants étudiés ; la physique peut ainsi aider à comprendre la
cause des lois observées au niveau moléculaire. Mais on ne
demandera pas pour autant au physicien de rendre compte d’une
réaction chimique donnée ; cette dernière sera mieux décrite par le
chimiste, qui sera même en mesure d’énoncer des prédictions. De
manière similaire, bon nombre de régularités propres à la biologie
reposent sur la structure chimique des organismes analysés. Mais il
serait peu pertinent de s’escrimer à expliquer tous les phénomènes
biologiques en recourrant à la chimie. Les interactions disciplinaires
se compliquent encore davantage pour les sciences qui s’occupent du
sommet de la pyramide ontologique. Si l’on suit la même ligne
argumentative, on devrait en effet affirmer que les régularités
observées en psychologie dépendent de la biologie, et celles de la
sociologie de la psychologie. Nous allons moins nous arrêter sur la
première de ces affirmations, qui est sujette à de nombreuses
discussions (Gazzaniga 1998 ; Jeannerod 1996 ; Engel 1996), que sur
la seconde, qui pose une question cruciale souvent réitérée. La nature
du social est-elle réductible aux états mentaux des individus qui
2 Le débat philosophique qui est sous-jacent ici est celui dit de l’ « unité de la science » :
dans quelle mesure est-il possible d’insérer toutes les branches scientifiques au sein d’un
système cohérent ? Cette possibilité, autrefois maintenue par les théoriciens du
positivisme logique, a plus récemment été défendue par les promoteurs d’une réduction
de toutes les théories à une seule théorie basique (il s’agit en général de la physique, une
fois celle-ci pleinement réalisée). Voir Oppenheim & Putnam ([1958] 1991). Plus
récemment, la notion de « supervenience » (parfois traduite en français par
« survenance ») indique la dépendance des objets d’un niveau supérieur par rapport aux
objets du niveau ontologique inférieur sans pour autant affirmer que les premiers
pourraient être éliminés au profit des seconds. Pour une exposition des différentes
manières de concevoir la supervenience, voir Kim (1994).