Poursuivons l'ombre de la nuit. WILLIAM SHAKESPEARE, Le Songe d'une nuit d 'été SONGES ET MÉTAMORPHOSES Un spectacle de Guillaume Vincent HÔTEL MÉTAMORPHOSES Un texte de Guillaume Vincent librement inspiré d'Ovide LE SONGE D'UNE NUIT D'ÉTÉ De William Shakespeare Traduction Jean-Michel Déprats Avec Elsa Agnès, Mirabelle, Hermia Candice Bouchet, Chanteuse, Obéron Lucie Durand, Tom Snout Elsa Guedj, Sophie, Héléna Emilie lncerti Formentini,Procné, Snug Florence Janas, Hermaphrodite, Sandrine (belle-sœur de Procné), Peter Quince Hector Manuel, Gauthier, Lysandre Estelle Meyer, Chanteuse,Titania Alexandre Michel, Pygmalion, Didier (voisin de Procné), Nick Flute Philippe Orivel, Le pianiste, Robin Starveling Makita Samba, Quentin, Démétrius Kyoko Takenaka, La v ierge d'ivoire, Philomèle (sœur de Procné), Hippolyta Charles Van de Vyver, Christian (mari de Procné), Thésée Gérard Watkins, M.Gaillard, Puck Charles-Henri Wolff, Nick Bottom et la participation de Muriel Valat et David Jourdain et des enfants Jane Foll, Gaëtan Hunout, Viktor Klépal, Violette Sauvage, 2 SONGES ET METAMORPHOSES Mise en scène Guillaume Vincent Dramaturgie Marion Stoufflet Scénographie François Gauthier-Lafaye En collaboration avec James Brandily et Pierre-Guilhem Coste Lumières Niko Joubert En collaboration avec César Godefroy Composition musicale Olivier Pasquet et Philippe Orivel Son Géraldine Foucault En collaboration avec Florent Dalmas Costumes Lucie Durand En collaboration avec Elisabeth Cerqueira et Gwenn Tillenon Collaboration mouvement Stéfany Ganachaud Répétiteur enfants Pierre-François Pommier Régie générale et vidéo Edouard Trichet Lespagnol Régie plateau Muriel Valat et David Jourdain Perruques et maquillages Justine Denis Maquillage Mityl Brimeur Marionnette Bérangère Vantusso Moulage Anne Leray Communication/diffusion Ninon Leclère Production/administration Laure Duqué et Simon Gelin Durée 4h (dont entracte) Production Cie MidiMinuit www .midiminuit.f r Coproduction La Comédie de Reims-CON. Odéon-théâtre de l'Europe, l'lrcam-Centre Pompidou.CON Besançon Franche-Comté, Le Lieu unique scène nationale de Nantes, le Printemps des Comédiens, le Centre Dramatique National Orléans/Loiret/Centre, La scène nationale d'Albi, Théâtre de Caen, Comédie de CaenCentre dramatique national de Normandie, Le TANDEM-Scène nationale. Le Cratère, scène nationale d'Alès. Théâtre Ouvertcentre national des dramaturgies contemporaines. Avec le soutien de La Colline-théâtre national, l'Arcadi Île-de-France, la Ménagerie de verre.la Maison d'arrêt de Fresnes, la Chartreuse de Villeneuve lez-Avignon. Le décor est réalisé par les ateliers du Théâtre du Nord-CDN Lille Tourcoing. les ateliers de L'Odéon et les ateliers du CDN de Caen. Avec la participation artistique du Jeune Théâtre National, avec le soutien de I'Opéra de Rouen, d'Astérios Spectacles.de La Maison Louis Jouvet / ENSAD LR et avec le dispositif d'insertion de L'ESAD du Théâtre National de Bretagne. La Cie MidiMinuit est soutenue par la DRAC Île-de-FranceMinistère de la Culture et de la communication. Commande musicale : lrcam-Centre Pompidou. Parties électroniques de l'œuvre réalisées dans les studios d l'lrcam-Centre Pompidou. Le texte Hôtel Métamorphoses a reçu le soutien du fond SACD théâtre. 3 Du Songe d'une nuit d'été de Shakespeare est né Hôtel Métamorphoses : voici deux œuvres rassemblées en une, à la comédie féérique shakespearienne viennent faire écho des variations sur les Métamorphoses d'Ovide. Comment le théâtre nous traverse, amateurs ou professionnels, et brouille les jeux de la fiction et du réel, du faux et du vrai, au gré des métamorphoses. 4 Hôtel Métamorphoses Hôtel Métamorphoses est une réécriture aujourd'hui de cinq métamorphoses d 'Ovide dans les traces de Shakespeare. En effet dans Le Songe d'une nuit d'été, une troupe d'artisans se réunit pour répéter Pyrame et Thisbé, métamorphose qu'ils joueront lors du mariage du Duc d'Athènes. Les répétitions soulèvent des questions sur le théâtre, et Bottom, l'un des acteurs, rappellera au public que les morts sont « pour de faux », et que les personnages sur scène sont des acteurs. Leur représentation ne contiendra donc ni malentendu ni illusion ... À l'inverse, Hôtel Métamorphoses joue à fond des ambivalences, de la bascule imperceptible entre représentation et répétition, entre personnages et personnes, entre fiction et réel. Hôtel Métamorphoses s'organise comme Les Mille et une nuits, scènes enchâssées où l'on suit des acteurs en train de travailler. Le lien entre ces différentes histoires, c'est le théâtre bien sûr, mais c'est aussi les métamorphoses, soit parce que les personnages travaillent sur Les Métamorphoses (comme les artisans du Songe), soit parce qu'ils deviennent malgré eux des personnages qui vont se transformer et subir une métamorphose. 5 , SONGES ET METAMORPHOSES Narcisse Un jeune homme dont la beauté semble être faite pour inspirer l'amour tombe amoureux à en mourir de son propre reflet... De jeunes élèves caennais ont répété pour jouer cette métamorphose. Nous sommes dans une école, les enfants ont travaillé sous la houlette de Monsieur Gaillard, une mère parle mythologie avec lui, la conversation s'envenime, une jeune femme enceinte les rejoint... Hermaphrodite Une jeune nymphe tombe amoureuse corps et âme d'un jeune homme, elle le rejoint et l'enlace ; homme et femme, ils deviennent indiscernables l'un de l'autre... Myrrha Une jeune femme amoureuse de son père met tout en œuvre pour assouvir ses phantasmes ... Nous sommes toujours avec M. Gaillard, dans un lycée maintenant, la discussion devient houleuse au sein de cet atelier théâtre.Malgré lui, il se retrouve à jouer le rôle du père dont la fille Myrrha est amoureuse... Pygmalion Un homme tombe amoureux de la femme qu'il a sculptée à l'image de son désir ; la statue s'anime sous le souffle de ses baisers... Cette fois, nous sommes avec une troupe de comédiens professionnels. La présentation à laquelle on assise a été inspirée par un détenu et son mannequin au réalisme troublant Le comédien qui vient de se mettre en scène se voit renvoyé à « l'emploi de célibataire éternel, les règles du jeu et de l'exercice se redéfinissent, on interroge la vraisemblance... Procné Une femme découvre que son mari a abusé de sa sœur et lui a tranché la langue pour qu'elle ne puisse témoigner de l'infamie. Procné est prête à tous les crimes de la vengeance... Le débat sur le réalisme se poursuit ; l'une des comédiennes, refusant de partir d'un de ses proches pour aborder Les Métamorphoses, propose d'aller interroger la femme de ménage du théâtre. Elle nous restitue cet entretien à la première personne jusqu'à ce que le théâtre documentaire soit dynamité et que la femme mise en scène à travers son histoire même, devienne Procné... Dans Hôtel Métamorphoses, on croise acteurs amateurs et professionnels qui chacun à leur manière répètent ou représentent une métamorphose d'Ovide. C'est donc une sorte de prologue hypertrophié, un lever de rideau trop long pour être véritablement un lever de rideau ; en fait c'est une première par tie qui nous mène au Songe. 6 Guillaume Vincent , SONGES ET METAMORPHOSES Le Songe d'une nuit d'été Aborder Le Songe d'une nuit d'été de Shakespeare, c'est presque envisager de monter trois pièces différentes. L'une aurait pour personnages principaux l'orgueilleuse Titania et le jaloux Obéron, maîtres de la forêt, leur royaume féérique ; la seconde évoquerait un jeune quatuor amoureux pris au piège des jeux de l'amour et du hasard ; enfin la troisième verrait des artisans essayant bon an mal an de répéter Pyrame et Thisbé, métamorphose d'Ovide préfigurant le tragique Roméo et Juliette. Shakespeare réunit cependant les trois pièces durant le spectacle proposé par les artisans pour les noces de Thésée et Hippolyta, duc et duchesse d'Athènes ; aux trois premières s'ajoute donc une quatrième pièce au dernier acte... En tant que metteur en scène, comment aborder ces hybridations hasardeuses ? Que faire de " l'accord de ce désaccord » ? Peut-il s'agir de lisser les différences pour essayer d'arracher une unité volontairement mise à mal ? Pourquoi ne pas s'amuser plutôt à exalter ces différences en les abordant avec une telle schizophrénie qu'on pourrait donner l'illusion qu'il s'agit de trois pièces mises en scène par trois metteurs en scène différents ? C'est le pari que je fais ici. Titania et Obéron sont ainsi deux chanteuses. On revisite Shakespeare avec Britten. Ainsi que Purcell et Mendelssohn, qui ont tous trois écrit leur propre Songe à partir de Shakespeare. Mini-opéra ou théâtre musical , les interprètes, comédiennes et chanteuses, font résonner le lyrisme de Shakespeare chez ces esprits de la forêt, aussi inspirés de la mythologie gréco-latine que du folklore médiéval saxon qui s'invente alors. Les mélodies de Britten sont réarrangées el réorchestrées, et cette nouvelle composition s'écrit et se génère avec les outils informatiques de la musique contemporaine et de l'Institut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique (IRCAM). Ici, tout peut toujours se mettre à dissoner. La nature elle-même est déréglée par la querelle jalouse du roi et de la reine des fées, et les fêtes de mai qui peuplent 7 , SONGES ET METAMORPHOSES leur forêt chaotique deviennent le siège de toutes les expériences et mises à l'épreuve de l'amour, de la foi donnée et des paroles trahies... Et comment pourrait-il en aller autrement, si l'amour est métamorphose ? Pour le quatuor amoureux égaré dans cette forêt après avoir fui la loi et l'ordre de la cour, j'avais envie, en choisissant de très jeunes gens, tout juste devenus « professionnels » de jouer avec l'enthousiasme et la vitalité de ce qu'on appelle « les spectacles de sortie d'école ».Visant, à travers la fragilité parfois, les moments d'une rare intensité, celle des premières fois peut-être, celle d'un engagement sans reste, où l'on en voit certains comme touchés par la grâce... la grâce fragile des commencements. Enfin, pour les artisans, nous nous sommes amusés à jouer avec les codes d'un théâtre d'improvisation comme le faisaient les acteurs italiens de jadis, ou comme un collectif d'aujourd'hui. Une écriture de plateau, à partir d'un canevas, celui des artisans du Songe. A partir des questions de Shakespeare donc, sur les jeux du vrai et du faux, sur le pouvoir de l'illusion et de l'imagination. Sur la façon dont on peut croire au théâtre aussi. Les codes et les esthétiques du Songe sont volontairement multiples, et cet improbable patchwork ne veut sans doute pas qu'on efface ses coutures. Maison peut aussi évoquer ce qui unit ces intrigues distinctes, à commencer par l'insolent Puck au service d'Obéron ; fou du roi des fées, farceur, il est le seul personnage à passer d'une histoire à l'autre. Et à brouiller les cartes. Puck donc, et avec lui le fantastique et les métamorphoses. Celles d'Ovide sont un formidable bestiaire à fantasmes... En plaçant sa pièce sous le patronage d'Ovide, Shakespeare nous met en garde : ici tout peut arriver. Bottom n'est-il pas changé en âne et Titania ne tombe-t-elle pas amoureuse de cet âne ? Et de fait si Shakespeare déploie son génie comique dans cette pièce, on peut aussi être effrayé par l'inouïe violence des rapports qui se déploient ici. Il ne faudrait pas que la féérie, les philtres d'amour et le merveilleux éclipsent le chaos amoureux tel qu'il le donne à voir. il faudrait pouvoir entendre la violence de ce qu'on nous dit des rapports amoureux. Thésée a conquis l'amour·d'Hippolyta en lui faisant violence, « je t'ai courtisée à la force de mon épée » ; et alors que leurs noces approchent, il lui propose comme musique, la musique confuse faite d'aboiements 8 . SONGES et METAMORPHOSES et de cors de chasse. On est loin de l'engageante et joyeuse marche nuptiale composée par Mendelssohn dans sa version du Songe. Mais peut-être cette musique de meute doit-elle résonner comme une mise en garde à l'Amazone rebelle qu'a pu être Hippolyta ? En cas de fuite, les limiers se tiennent prêts. Que réserve-t-on à Hermia si elle s'obstine à refuser celui qu'on lui destine ? La mort ou le couvent « Oh ! alors quel enchantement réside en mon amour, Pour qu'il ait changé un ciel en enfer !» Que dit Héléna à Démétrius qui la rejette ? « Plus vous me battez, plus je me couche à vos pieds. - Traitez-moi seulement comme votre épagneul : repoussez-moi, frappez-moi, - Méprisezmoi, abandonnez- moi... » « Je te suivrai et ferai un ciel de l'enfer, En mourant de la main que j'aime tant. » Quant à Obéron et Titania, le spectacle s'ouvre sur leur engueulade : ils se soupçonnent mutuellement d'amours infidèles, lui avec Hippolyta, elle avec Thésée. Jalousie exacerbée. Leur querelle provoque des désordres climatiques : la rivière sort de son lit, le blé pourrit, les saisons n'ont plus cours... étrange écho du monde tel qu'on le connaît. .. Mais le principal objet sur lequel se fixe la brouille, c'est ce « changelling boy » que Titania ne veut pas céder à Obéron, qui voudrait lui, enrôler dans son armée ce jeune garçon qu'elle aime plus que tout et chevaucher avec lui à travers les forêts sauvages... Sans oublier l'histoire que nous donnent à entendre les artisans au travers de « La très lamentable comédie, et la très cruelle mort de Pyrame et Thisbé » : deux amants séparés par un mur et une terrible méprise qui, comme dans Roméo et Juliette plus tard, va provoquer la mort des deux amants. Pourtant au dernier acte, tout est bien qui finit bien et tout rentre dans l'ordre - mais quel ordre ? On voudrait croire au «happy end» : Titania et Obéron se réconcilient ; Thésée épouse Hippolyta, et deux couples d'amoureux comblés se forment. Chacun retrouve sa chacune. Trois mariages sont célébrés en même temps. Mais certains ne doivent-ils pas leur apaisement à l'artifice d'un philtre d'amour ? Et, plus troublant, l'amour « vrai » n'est-il pas mis sur le même plan que le sentiment amoureux provoqué par le philtre ? Titania et Obéron bénissent bien les lits nuptiaux et les couples fidèles, mais à quand leur prochaine dispute ? « Pardon, nous ferons mieux la prochaine fois. » Dans ce monde instable, c'est d'ailleurs à Puck, joueur impénitent qui sans cesse rebat les cartes, esprit malin à qui nul ne saurait se fier, à l'imprévisible donc, que reviennent les derniers mots de la pièce... Guillaume Vincent 9 , SONGES ET METAMORPHOSES 1 0 Si parmi vous quelqu'un ignore l'art d'aimer, qu'il lise les vers ; qu'il s'instruise en lisant, et qu'il aime. OVIDE, l'Art d 'aimer Chez Shakespeare, il y a toujours cette merveilleuse soudaineté de l'amour. La fascination existe dès le premier regard ; l'asphyxie ; dès le premier toucher des mains. L'amour s'abat comme un épervier, le monde a cessé d'exister, les amants ne voient rien qui ne soit eux. L'amour, chez Shakespeare, emplit tout l'être, il est enchantement et désir de possession. Dans Le Songe, de ces passions amoureuses seules subsiste la nudité du désir. Le Songe est la plus érotique de toutes les pièces de Shakespeare. JAN KOTT, Shakespeare, notre comtemporain 12 Vénus et Adonis « Oh, où suis-je ? dit-elle. Sur la terre, ou au ciel ? Suis-je plongée dans la mer ou dans le feu ? Quelle heure est-il ? Est-ce le matin ou le soir plein de lassitude ? Suis-je ravie de mourir ou désireuse de vivre ? il n'y a qu'un instant, je vivais, et cette vie connaissait toutes les angoisses de la mort. Il n'y a qu'un instant, j'étais morte, et cette mort était une vie emplie de délices. " 0 toi qui m'as tuée, tue-moi une fois encore ! Ce cœur dur que tu as, tuteur sévère de tes regards, leur a enseigné des manières si méprisantes et tant de dédain qu'ils ont assassiné mon pauvre cœur. Et mes yeux, guides fidèles de leur reine, eussent cessé à jamais de voir sans la pitié de tes lèvres. Elle court, et les buissons du chemin, soit la prennent par le cou, soit l'embrassent au visage, et quelques-uns s'en lacent à sa cuisse pour l'arrêter. Elle, farouchement, s'arrache à leur étroite caresse comme la femelle du daim, laitière, qui souffre de ses mamelles gonflées et se hâte d'aller nourir son petit caché dans quelque fourré. Soudain, elle comprend que la meute est sur la défensive. Et à cela elle tressaille, comme quelqu'un qui sur son chemin enroulée en anneaux fatals, aperçoit une vipère et en tremble et frémit d'effroi. C'est le jappement apeuré des limiers qui épouvante ses sens et qui confond ses esprits. Sinistrement ce sombre cri retentit aux oreilles de Vénus. WILLIAM SHAK ESPEARE, les Poèmes 13 . SONGES ET METAMORPHOSES La passion amoureuse Expliquons-nous d'abord sur les termes. Lorsqu'il s'agit d'amour, le français est imprécis. La langue désigne du même mot l'intérêt passager, l'attachement tempéré et l'emportement amoureux, la passion, cette véritable folie, sentiment auquel je m'intéresse ici en priorité. La passion amoureuse se caractérise par la fixation de tous les intérêts sur une même personne, jusqu'à l'obnubilation. Attraction incoercible, pulsion peut-être, impulsion à coup sûr, compulsion quelquefois, force obscure en tout cas, l'amourpassion survient comme déferlante. Il s'empare du moi, qui n'est alors plus moi ; du je, qui s'enfle à l'infini... Il se saisit des deux, les agrippant de l'intérieur jusqu'à les confondre. Je veux dire que la volonté est alors médusée. L'amoureux ne sait ce qui l'agit, une puissance dans les tréfonds, qu'il perçoit étrange, extérieure à luimême. Passion Cette force qui s'empare de l'amoureux balaie d'un coup les nécessités vitales et les obligations sociales qui organisaient sa vie jusqu'alors. Il court. Il suit aveuglément qui le conforte dans son attirance. Il rejette qui tente de le raisonner, le repousse, allant jusqu'à rompre avec des amis de toujours. On ne le reconnaît pas ; il ne se reconnaît plus, aliéné, au sens propre, devenu autre. C'est alors qu'il ne se pense plus au présent mais au futur, propulsé dans un devenir ininterrompu. D'un coup, d'un seul, il est en train... en train de changer, d'advenir, de se réaliser. L'amour est métamorphose. La passion amoureuse est une émotion, un sentiment et un état état paradoxal, à la fois irréfléchi, proche de la folie et pourtant le plus conséquent, puisqu'il conduit l'amoureux à transformer son monde. On dit qu'il isole, qu'il écarte les semblables, et pourtant c'est le plus social, car ne se contentant pas de l'instant, emporté à la poursuite de l'événement. Passionné de mouvement, de tous les états dans lesquels peut se trouver une personne, il est le plus téméraire. [...] L'amoureux prend tous les risques. TOBIE NATHAN, Philtre d'amour ethnopsychiatre, psychologue et écrivain français 14 . SONGES ET METAMORPHOSES La possession De la nature des esprits Les zars sont des esprits, des êtres invisibles. [...] Ils sont à la fois concepts (l'«étranger», le «visiteur», le «voisin», le «propriétaire») et êtres du quotidien. On les croise chaque jour, à chaque moment Ils dessinent l'envers, cette autre face du monde des humains. [...] J'aimerais les décrire, mais est-ce seulement possible ? Le seul fait d'exprimer leur réalité dans le cadre de ma pensée dissout jusqu'à leur existence. Les modernes n'ont pas d'étrangers, au sens propre. Ils ne connaissent que des semblables qui habitent ailleurs. A l'inverse, le zar, l'«autre» de la pensée éthiopienne, intervient dans la vie des hommes à son initiative. Ils assaillent un humain sans crier gare. Ils me sont pas pensée, mais événement ! Ils ne sont pas fantasme, mais action. Altérité radicale des humains, ils sont donc à la fois explications et mystères. Je les pressens à la douleur que j'éprouve ; je chante et danse pour les convoquer ; leur présence est une solennité qui me jette à terre... précisément ce que l'on nomme «tomber en transe»... -car ce sont avant tout des «êtres-là». TOBIE NATHAN, Philtre d'amour 15 . SONGES ET METAMORPHOSES L'Âne d'or ou Les Métamorphoses d'Apulée, écrivain et philosophe du IIè siècle [ ...] Je pris le coffret à deux mains, je lui donnai des baisers et la priai de bien vouloir m'accorder la faveur d'un vol heureux. Puis, retirant à la hâte tous mes vêtements, j'y plongeai avidement les mains et, puisant une bonne quantité d'onguent, je me frictionnai toutes les parties du corps. Et déjà je m'efforçais d'imiter les mouvements d'un oiseau en agitant alternativement les bras, mais pas le moindre duvet, pas la plus petite plume nulle part, au lieu de cela, mes poils s'épaississent et deviennent des crins, ma peau, si tendre, se durcit et devient un cuir, aux extrémités de mes mains je ne sais plus combien j'ai de doigts, tous se ramassent en un seul sabot, et, au bas de mon dos pousse une immense queue. Déjà mon visage est difforme, ma bouche s'allonge, mes narines sont béantes, mes lèvres pendantes, et mes oreilles, de la même façon, grandissent démesurément et se hérissent de poils. Je ne vois à ma triste métamorphose qu'une seule consolation, c'est que, bien qu'il me soit désormais impossible de prendre Photis dans mes bras, mon sexe s'accroît. Et tandis que, incapable de rien faire pour me sauver, j'aperçois en regardant mon corps, non pas un oiseau mais un âne ; [...] 16 , SONGES ET METAMORPHOSES Entre les actes de Virginia Woolf « Les cloches ont cessé de sonner ; l'auditoire s'est dispersé ; les acteurs sont partis. Elle peut se redresser. Elle peut ouvrir les bras. Elle peut dire au monde : Vous avez reçu de moi un don ! Elle a connu la gloire - un moment. Mais qu'a-t-elle donné ? Un nuage qui s'est confondu avec les autres nuages à l'horizon. Son triomphe, c'est d'avoir donné. Et le triomphe s'envole. Son don ne signifie rien. S'ils avaient compris ce qu'elle avait voulu dire ; s'ils avaient su leurs rôles ; si les perles avaient été véritables et les fonds illimités, le don aurait eu plus de valeur. Maintenant, il va rejoindre les autres. «C'est un insuccès», gémit-elle... » 17 . SONGES ET METAMORPHOSES 18 . SONGES ET METAMORPHO SES Guillaume Vincent Guillaume Vincent intègre en 2001 l'école du Théâtre National de Strasbourg (alors dirigée par Stéphane Braunschweig) dans la section Mise en scène. Avec la dramaturge Marion Stoufflet, il y fonde la Compagnie MidiMinuit en 2003, et conclut sa formation au TNS avec La Fausse suivante de Marivaux. Les années suivantes, qui attestent son goût pour l'expérimentation foisonnante et sa culture de cinéphile, sont marquées par des mises en scène de Lagarce, des performances, un travail d'artiste associé (2009-2011) au CDN de Besançon, où il crée L'Eveil du printemps de Wedekind. Il fait également partie du collectif artistique de la Comédie de Reims, où il monte Le Bouc et Preparadise Sorry Now de Fassbinder (2010). Depuis 2012, il écrit aussi ses propres textes : La nuit tombe... (une rêverie hantée, créée pour la 66è édition du Festival d'Avignon), Rendez-vous gare de l'Est (un monologue élaboré à partir d'entretiens avec une jeune femme maniaco-dépressive) , Forêt intérieure (La Mousson d'été, 2014) ... Guillaume Vincent poursuit par ailleurs une activité de formateur et de pédagogue un peu partout en France. A l'opéra, il a créé deux œuvres contemporaines (The Second Woman et Mimi) au Théâtre des Bouffes du Nord. Guillaume Vincent a créé Curlew River de Benjamin Britten à l'Opéra de Dijon en avril 2016, et créera Le Timbre d'argent de Camille SaintSaëns à l'Opéra-Comique en juin 2017. William Shakespeare William Shakespeare, né en 1564 à Stratford-upon -Avon et mort en 1616 dans la même ville, est considéré comme l'un des plus grands poètes, dramaturges et écrivains de la culture anglaise. Il est réputé pour sa maîtrise des formes poétiques et littéraires, ainsi que sa capacité à représenter les aspects de la nature humaine. Figure éminente de la culture occidentale, Shakespeare continue d'influencer les artistes d'aujourd'hui. Il est traduit dans un grand nombre de langues et ses pièces sont régulièrement jouées partout dans le monde. Ovide Ovide est né en - 43 à Sulmone, dans les Abruzzes (Italie centrale). Ovide est très tôt intéressé par la poésie, mais il étudie le droit à Rome et exerce le métier d'avocat pour contenter son père, après avoir voyagé en Grèce et en Sicile. Ovide publie en 15 av. J.-C. Les Amours, un recueil poèmes, et Les Héroïdes, un recueil de lettres écrites en vers par des héroïnes de la mythologie et destinées à leurs amants. Ovide écrit ensuite Les Métamorphoses, un poème de 230 fables qui racontent les transformations d'êtres humains en plantes, minéraux ou animaux. En 8ap.J.-C., il est contraint à l'exil, à Tomes (en Roumanie), par Auguste pour des raisons mystérieuses. 19 . SONGES ET METAMORPHOSES «Tu es sûr que nous sommes bien réveillés ? moi il me semble que nous, nous dormons. Et que quelque chose d'autre est éveillé ... Et que personne personne ne nous réveille parce que ce sommeil nous a emportés loin et qu'il n'y a pas de réveil, rien qu'une métamorphose infinie, infinie. » BOTHO STRAUSS,le Pat Créationgraphique : Gérard Ségard et Pierre Kandel Illust ration couverture :Gg Photo :Marie Clauzade 20