DÉSORGANISATION DU BLOC OPÉRATOIRE :
LE RÔLE DES FACTEURS HUMAINS
E. Ramain, M. Carlès, K. Brigato, M. Raucoules-Aimé et le groupe IQAR
Département d’Anesthésie-Réanimation «Ouest», Hôpital l’Archet 2, 151 route de Saint
Antoine de Ginestière, 06202 Nice Cedex.
IQAR = Indicateurs Qualité en Anesthésie Réanimation : Jean-Louis Blache, Bertrand
Dureuil, Pierre Léna, Jean-Jacques Lehot, Pierre Maurette, Dirk Steiner.
INTRODUCTION
Ces dernières années de nombreux textes réglementaires, des recommandations de
bonnes pratiques et des référentiels ont été élaborés concernant l’organisation du secteur
opératoire. Pourtant le fonctionnement du bloc opératoire reste problématique et est
considéré comme le maillon faible de la chaîne des soins du patient opéré. Les dysfonc-
tionnements observés à ce niveau sont la cause de retards, de reports ou de rajouts sur le
programme opératoire et peuvent être une source d’insécurité et d’insatisfaction pour le
patient. Les perturbations du programme opératoire retentissent sur le bon fonctionnement
des structures d’aval comme la salle de soins postinterventionnels (SSPI), le service de
radiologie ou les laboratoires de biologie ou d’anatomopathologie.
Constatant que les erreurs humaines, dans la grande majorité des cas, ne sont pas
des causes mais des conséquences, il est désormais nécessaire de maîtriser nos pratiques
et nos organisations [1-5]. Maîtriser le fonctionnement du bloc opératoire c’est mettre
en place des stratégies analysant non seulement les dysfonctionnements, mais aussi et
surtout le comportement d’un individu dans un système. A ce titre le fonctionnement du
bloc opératoire est un bon exemple de coordination inter et multidisciplinaire. Il a été
montré que les établissements les plus performants en terme de morbidité et de mortalité
péri-opératoires sont ceux qui présentent le nombre et la diversité de méthodes de coor-
dination interprofessionnelle les plus élevés [6]. Cette approche n’a fait l’objet que de
rares expériences dans le domaine de la santé le facteur humain paraît globalement
sous-estimé contrairement à l’aviation, pourtant souvent prise comme exemple.
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1. COMMENT S’EXPRIMENT LES DYSFONCTIONNEMENTS DU BLOC
OPÉRATOIRE ?
La désorganisation interne du bloc opératoire, la baisse de la qualité des prestations
et de la qualité de vie au travail, traduisent un mauvais fonctionnement du bloc opéra-
toire [7].
1.1. DÉSORGANISATION DU BLOC OPÉRÉRATOIRE
La désorganisation du bloc opératoire va être repérable par:
• L’agitation et le désordre (locaux encombrés, le «sale» fréquente le «propre», …),
• La désorganisation des services en amont ou en aval du bloc opératoire,
• L’absence de règles de fonctionnement clairement énoncées,
• Les glissements de fonction et les arrangements à l’amiable,
• Les dysfonctionnements des réunions de service en particulier l’absentéisme.
1.2. BAISSE DE LA QUALITÉ DES PRESTATIONS DU BLOC OPÉRATOIRE,
Elle s’illustre par :
• Des retards et des durées prolongées de séjour au bloc opératoire,
• L’augmentation des risques d’infection et des erreurs,
• L’attention portée aux malades qui diminue,
• La mauvaise gestion des personnels et du matériel qui entraîne gaspillage et surcoûts
(les stocks sont insuffisants ou inadéquats, la formation interne ne suit pas les acqui-
sitions de matériel, la gestion des lits est incohérente, les délais s’allongent).
1.3. BAISSE DE LA QUALITÉ DE VIE AU TRAVAIL
Quant à la baisse de la qualité de vie au travail, elle se perçoit à travers :
• Les plaintes concernant la charge de travail et les conditions de travail,
• Les comportements de fuite de la situation de travail : absentéisme, demandes de
formations, de mutations, de départs.
• Le «burnout» ou syndrome d’épuisement professionnel qui apparaît après l’accumu-
lation d’événements professionnels auxquels l’individu ne peut faire face [8]. Les
manifestations sont multiples : problèmes physiques, intellectuels ou relationnels,
épuisement du système émotionnel, perte du système de valeur personnelle, désinves-
tissement.
2. QUELS SONT LES FACTEURS HUMAINS POTENTIELLEMENT À L’ORI-
GINE DE DYSFONCTIONNEMENTS ?
2.1. LES DIFFICULTÉS LIÉES À L’ABSENCE DE COORDINATION DU BLOC
OPÉRATOIRE
La coordination peut se définir comme une activité délibérée qui consiste à réunir
et à synchroniser les divers efforts de travail afin d’atteindre les objectifs fixés par les
organisations [9]. Diverses typologies ont été développées pour évaluer la coordination et
certaines ont déjà été appliquées aux organisations sanitaires [6]. Young et collaborateurs
dans le programme de recherche lancé par la «Veterans administration» sur les risques et
l’amélioration de la qualité dans la prise en charge des opérés ont utilisé deux approches
des mécanismes de coordination [6].
La première est centrée sur la programmation et consiste à établir clairement les
responsabilités et les activités avant l’exécution du travail tout en précisant les résultats
attendus et les compétences requises pour atteindre ce résultat. Cette démarche est effi-
cace lorsque les besoins sont correctement compris et peuvent être anticipés et elle n’est
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applicable que dans le cadre d’un travail routinier. Elle nécessite la standardisation du
travail et des compétences. La standardisation du travail consiste à utiliser des règles, des
règlements, une programmation horaire, des procédures, des politiques et des protocoles
qui définissent les activités à exécuter. La standardisation des compétences définit les
compétences requises dans l’exécution du travail, à travers notamment différents types de
formation, les diplômes qui garantissent un minimum de qualification et l’expérience du
terrain. La deuxième démarche est fondée sur les méthodes de rétroaction entre individus,
méthodes qui demandent plus de temps et d’efforts que les pratiques de programmation,
mais sont indispensables dans les situations de grande incertitude. Dans la mesure où le
personnel du bloc opératoire exécute des taches dont le degré d’incertitude varie, il est
nécessaire d’employer les deux types d’approche.
Young et collaborateurs ont analysé les modes de coordination dans 20 services
chirurgicaux qui, référencés aux taux de morbidité et de mortalité ajustés, avaient des
résultats de soins très contrastés [6]. Plus précisément, la moitié des 20 services visités
avaient des taux de morbidité et mortalité plus bas que prévus et les 10 autres des taux
plus élevés que ceux prévus. L’analyse des pratiques de coordination était évaluée pour
les activités administratives, les soins et l’enseignement.
2.1.1. ACTIVITÉ ADMINISTRATIVE
En ce qui concerne l’activité administrative, les résultats les meilleurs ont été observés
dans les services où :
• Se développent des mécanismes multiples de coordination entre anesthésistes, chirur-
giens, infirmières pour traiter les charges administratives qu’elles soient routinières
ou non.
• Il existe des réunions fréquentes, multidisciplinaires, axées sur les besoins de recru-
tement, de matériel et d’espace et l’organisation du travail. Le personnel médical
participe au recrutement des infirmières. Les cadres et les infirmières participent à
l’évaluation des internes en chirurgie et en anesthésie.
Les responsables diffusent largement les résultats en terme de morbidité et de mortalité
et fournissent aux acteurs du bloc opératoire des commentaires réguliers sur leur travail
et les possibilités d’amélioration.
• La communication se fait sans agressivité et suffisamment souvent afin que les réunions
ne se résument pas à la simple expression de griefs.
2.1.2. ACTIVITÉ DE SOINS
En ce qui concerne les soins il n’existait pas de différence entre les services en terme
de compétences techniques ou de conscience professionnelle [6]. Par contre les services
performants assuraient une coordination efficace des activités cliniques développées par
les différents professionnels. Dans ces services :
Les infirmières et les médecins rendent visite aux patients ensemble, permettant des
échanges d’informations cliniques plus complètes.
• Chaque infirmière de salle d’opération ne travaille qu’avec un chirurgien et n’est
assignée qu’à une tâche particulière. Le fait de travailler régulièrement avec les mêmes
infirmières est souligné comme un élément positif par les chirurgiens et développe la
confiance et l’efficacité.
• Il existe un véritable travail d’équipe entre infirmières et médecins anesthésistes.
Ceux-ci accompagnent leurs patients jusqu’à l’unité de soins intensifs et remettent à
l’infirmière une fiche de suivi du patient.
• Une coordinatrice des activités du bloc (généralement une infirmière spécialisée dotée
d’un diplôme supérieur en gestion administrative) gère les problèmes d’horaires entre
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chirurgiens, anesthésistes et infirmières. Cette personne est reconnue et sa fonction
admise par l’ensemble des acteurs du bloc opératoire.
• Il a été mis en place une standardisation et une supervision des activités cliniques par
le développement et l’application d’instructions et de protocoles cliniques.
• Il existe des programmes de formation continue des personnels soignants.
A contrario, dans les services où la mortalité et la morbidité étaient les plus élevées [6] :
• Il n’existe aucune hostilité vis-à-vis de l’idée d’une collaboration dans les soins mais les
mécanismes permettant d’encourager ou de renforcer cette attitude sont déficients.
• Il est évoqué l’absence de temps pour se réunir régulièrement et les réunions prennent
vite un caractère houleux.
• Les réunions ne sont organisées que lorsque survient un problème important.
• Les responsables agissent de façon indépendante en évoquant « l’importance de res-
pecter l’autonomie et l’indépendance de chaque groupe professionnel».
• Il est obserun manque d’engagement de la part des équipes de direction et des leaders
professionnels dans le développement et la mise en place des protocoles.
• La rotation du personnel infirmier est importante et les services ont fréquemment
recours à des intérimaires ou des infirmières ayant suivi une formation moins poussée.
Globalement il est observé qu’un personnel infirmier peu stable et peu formé freine
toute coordination efficace. A l’inverse une coordination médiocre incite fortement les
infirmières à chercher ailleurs [10].
2.2. DIFFICULTÉS LIÉES À L’EXERCICE DE L’AUTORITÉ [7]
Les dysfonctionnements au bloc opératoire peuvent être liés aux difficultés de l’exer-
cice de l’autorité. Classiquement, on distingue des causes structurelles et des causes
individuelles.
2.2.1. DIFFICULTÉS DORDRE STRUCTUREL
Les difficultés d'autre structurel relèvent :
• Des faiblesses du management de la hiérarchie : le ou les supérieurs ne savent pas
définir une stratégie ou en changent au gré des influences ne sachant pas résister
aux groupes de pression. Le rôle du chef est de coordonner les efforts en organisant
les moyens nécessaires pour atteindre des objectifs, en veillant au consensus et à la
motivation de tous. L’organisation du travail relève de la fonction d’encadrement et
nécessite la connaissance de deux paramètres qui sont les objectifs de production et les
ressources disponibles pour assurer la production, dont la principale repose la plupart
du temps sur les compétences du personnel (chapitre 3.1). Les incompétences trouvent
souvent leur racine dans la faiblesse de la formation et les déficiences des procédures
de recrutement et de sélection des cadres [7].
• De conflits de pouvoir.
• De défaillances du système de gestion des ressources humaines : absence de promotions
,
mauvais ou absence de recrutements, mauvais aménagement du temps de travail…
• Des incompétences dans l’environnement humain au travail : subordonnés incompé-
tents, sabotage actif, collègues incompétents et paralysant le système...
2.2.2. DIFFICULTÉS INDIVIDUELLES
Les difficultés individuelles dans l’exercice de l’autorité sont liées à :
• La faiblesse des aptitudes au commandement.
• L’absence de compétence en terme d’organisation, génératrice de comportements
individualistes.
• L’incapacité à déléguer et à organiser la délégation des tâches.
• La méconnaissance des procédures de «management par projet».
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• L’incapacité de définir des prestations en termes de qualité. En l’absence de normes ou
de référentiels sur la qualité des soins, les individus ne disposent pas de repères leur
permettant de savoir ce que l’on exige d’eux.
• L’absence de compétences en animation et en communication.
• La faiblesse de la maîtrise de l’environnement (gestion du matériel, des locaux,
information, gestion de la situation d’interface avec les autres services).
2.3. AUTRES FACTEURS HUMAINS
La performance du bloc opératoire et du travail en équipe peut être affectée par
d’autres facteurs tels que la fatigue, les conditions et la surcharge de travail, le stress, le
style de vie [11-23].
2.3.1. LA FATIGUE
Elle est la première cause d’erreur humaine [11]. En anesthésie, sa fréquence
serait estimée à environ 65 % et ce pourcentage est constant pour tous les intervenants
médecins, hommes et femmes [19]. Dans une enquête portant sur 3 000 médecins et
infirmières anesthésistes, la durée maximale de pratique de l’anesthésie estimée sans
risque est de l’ordre de 4,7 heures consécutives et de 12 heures avec une période de
repos [19]. Ceci est rarement réalisable en pratique. Pourtant, il est bien démontré que
la fatigue est génératrice de stress, d’inattention et d’erreurs [12] et elle diminue les
capacités de production [11].
2.3.2. PROFIL PSYCHOLOGIQUE ET LE STRESS [8, 12, 14-18, 20, 23]
Reeve, du Département de Psychologie appliquée de l’Université de Cardiff, a montré
qu’il existait une relation entre le profil de personnalité et les performances profession-
nelles [23]. Ce facteur est à prendre en compte car une organisation du travail déficiente
peut conduire certains praticiens vers un dépassement de leurs capacités d’adaptation,
gêner le travail en équipe, favoriser la survenue d’accidents et conduire de manière
insidieuse vers le syndrome d’épuisement professionnel [8, 16, 17]. Par ailleurs, un
niveau de stress élevé et permanent est à l’origine d’une baisse des performances [11].
Dans l’enquête de Kam, les principales causes de stress chez les médecins anesthésistes
sont par ordre décroissant, le manque de contrôle de leur temps et de leur organisation,
les conflits entre la vie professionnelle et la vie privée, les relations professionnelles et
la surcharge de travail [17, 18]. Les mesures préventives, pour minimiser l’impact de
l’accumulation du stress et éviter la survenue d’un syndrome d’épuisement professionnel,
bien que clairement identifiées [14] sont rarement mises en œuvre.
2.3.3. CONDITIONS DE TRAVAIL
L’ambiance de travail conditionne chaque membre qui compose l'équipe : les
tensions, le laxisme, la crainte des sanctions, le style de management sont sources de
dysfonctionnements, d’erreurs humaines et d’insatisfaction [16]. Le type d’organisation,
l’inadéquation entre les ressources humaines et matérielles allouées et les conditions de
travail sont aussi à l’origine d’erreurs (charge de travail trop lourde, horaires trop longs,
matériel en mauvais état, …).
3. QUELLES SOLUTIONS PEUT ON PROPOSER ?
L’amélioration du fonctionnement du bloc opératoire passe par l’optimisation de la
gestion des ressources comme dans l’industrie mais aussi par une approche psychosociale
de l’organisation du travail.
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