Livre des com.indb

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DÉSORGANISATION DU BLOC OPÉRATOIRE :
LE RÔLE DES FACTEURS HUMAINS
E. Ramain, M. Carlès, K. Brigato, M. Raucoules-Aimé et le groupe IQAR
Département d’Anesthésie-Réanimation «Ouest», Hôpital l’Archet 2, 151 route de Saint
Antoine de Ginestière, 06202 Nice Cedex.
[email protected]
IQAR = Indicateurs Qualité en Anesthésie Réanimation : Jean-Louis Blache, Bertrand
Dureuil, Pierre Léna, Jean-Jacques Lehot, Pierre Maurette, Dirk Steiner.
INTRODUCTION
Ces dernières années de nombreux textes réglementaires, des recommandations de
bonnes pratiques et des référentiels ont été élaborés concernant l’organisation du secteur
opératoire. Pourtant le fonctionnement du bloc opératoire reste problématique et est
considéré comme le maillon faible de la chaîne des soins du patient opéré. Les dysfonctionnements observés à ce niveau sont la cause de retards, de reports ou de rajouts sur le
programme opératoire et peuvent être une source d’insécurité et d’insatisfaction pour le
patient. Les perturbations du programme opératoire retentissent sur le bon fonctionnement
des structures d’aval comme la salle de soins postinterventionnels (SSPI), le service de
radiologie ou les laboratoires de biologie ou d’anatomopathologie.
Constatant que les erreurs humaines, dans la grande majorité des cas, ne sont pas
des causes mais des conséquences, il est désormais nécessaire de maîtriser nos pratiques
et nos organisations [1-5]. Maîtriser le fonctionnement du bloc opératoire c’est mettre
en place des stratégies analysant non seulement les dysfonctionnements, mais aussi et
surtout le comportement d’un individu dans un système. A ce titre le fonctionnement du
bloc opératoire est un bon exemple de coordination inter et multidisciplinaire. Il a été
montré que les établissements les plus performants en terme de morbidité et de mortalité
péri-opératoires sont ceux qui présentent le nombre et la diversité de méthodes de coordination interprofessionnelle les plus élevés [6]. Cette approche n’a fait l’objet que de
rares expériences dans le domaine de la santé où le facteur humain paraît globalement
sous-estimé contrairement à l’aviation, pourtant souvent prise comme exemple.
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1. COMMENT S’EXPRIMENT LES DYSFONCTIONNEMENTS DU BLOC
OPÉRATOIRE ?
La désorganisation interne du bloc opératoire, la baisse de la qualité des prestations
et de la qualité de vie au travail, traduisent un mauvais fonctionnement du bloc opératoire [7].
1.1. DÉSORGANISATION DU BLOC OPÉRÉRATOIRE
La désorganisation du bloc opératoire va être repérable par:
• L’agitation et le désordre (locaux encombrés, le «sale» fréquente le «propre», …),
• La désorganisation des services en amont ou en aval du bloc opératoire,
• L’absence de règles de fonctionnement clairement énoncées,
• Les glissements de fonction et les arrangements à l’amiable,
• Les dysfonctionnements des réunions de service en particulier l’absentéisme.
1.2. BAISSE DE LA QUALITÉ DES PRESTATIONS DU BLOC OPÉRATOIRE,
Elle s’illustre par :
• Des retards et des durées prolongées de séjour au bloc opératoire,
• L’augmentation des risques d’infection et des erreurs,
• L’attention portée aux malades qui diminue,
• La mauvaise gestion des personnels et du matériel qui entraîne gaspillage et surcoûts
(les stocks sont insuffisants ou inadéquats, la formation interne ne suit pas les acquisitions de matériel, la gestion des lits est incohérente, les délais s’allongent).
1.3. BAISSE DE LA QUALITÉ DE VIE AU TRAVAIL
Quant à la baisse de la qualité de vie au travail, elle se perçoit à travers :
• Les plaintes concernant la charge de travail et les conditions de travail,
• Les comportements de fuite de la situation de travail : absentéisme, demandes de
formations, de mutations, de départs.
• Le «burnout» ou syndrome d’épuisement professionnel qui apparaît après l’accumulation d’événements professionnels auxquels l’individu ne peut faire face [8]. Les
manifestations sont multiples : problèmes physiques, intellectuels ou relationnels,
épuisement du système émotionnel, perte du système de valeur personnelle, désinvestissement.
2. QUELS SONT LES FACTEURS HUMAINS POTENTIELLEMENT À L’ORIGINE DE DYSFONCTIONNEMENTS ?
2.1. LES DIFFICULTÉS LIÉES À L’ABSENCE DE COORDINATION DU BLOC
OPÉRATOIRE
La coordination peut se définir comme une activité délibérée qui consiste à réunir
et à synchroniser les divers efforts de travail afin d’atteindre les objectifs fixés par les
organisations [9]. Diverses typologies ont été développées pour évaluer la coordination et
certaines ont déjà été appliquées aux organisations sanitaires [6]. Young et collaborateurs
dans le programme de recherche lancé par la «Veterans administration» sur les risques et
l’amélioration de la qualité dans la prise en charge des opérés ont utilisé deux approches
des mécanismes de coordination [6].
La première est centrée sur la programmation et consiste à établir clairement les
responsabilités et les activités avant l’exécution du travail tout en précisant les résultats
attendus et les compétences requises pour atteindre ce résultat. Cette démarche est efficace lorsque les besoins sont correctement compris et peuvent être anticipés et elle n’est
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applicable que dans le cadre d’un travail routinier. Elle nécessite la standardisation du
travail et des compétences. La standardisation du travail consiste à utiliser des règles, des
règlements, une programmation horaire, des procédures, des politiques et des protocoles
qui définissent les activités à exécuter. La standardisation des compétences définit les
compétences requises dans l’exécution du travail, à travers notamment différents types de
formation, les diplômes qui garantissent un minimum de qualification et l’expérience du
terrain. La deuxième démarche est fondée sur les méthodes de rétroaction entre individus,
méthodes qui demandent plus de temps et d’efforts que les pratiques de programmation,
mais sont indispensables dans les situations de grande incertitude. Dans la mesure où le
personnel du bloc opératoire exécute des taches dont le degré d’incertitude varie, il est
nécessaire d’employer les deux types d’approche.
Young et collaborateurs ont analysé les modes de coordination dans 20 services
chirurgicaux qui, référencés aux taux de morbidité et de mortalité ajustés, avaient des
résultats de soins très contrastés [6]. Plus précisément, la moitié des 20 services visités
avaient des taux de morbidité et mortalité plus bas que prévus et les 10 autres des taux
plus élevés que ceux prévus. L’analyse des pratiques de coordination était évaluée pour
les activités administratives, les soins et l’enseignement.
2.1.1. ACTIVITÉ ADMINISTRATIVE
En ce qui concerne l’activité administrative, les résultats les meilleurs ont été observés
dans les services où :
• Se développent des mécanismes multiples de coordination entre anesthésistes, chirurgiens, infirmières pour traiter les charges administratives qu’elles soient routinières
ou non.
• Il existe des réunions fréquentes, multidisciplinaires, axées sur les besoins de recrutement, de matériel et d’espace et l’organisation du travail. Le personnel médical
participe au recrutement des infirmières. Les cadres et les infirmières participent à
l’évaluation des internes en chirurgie et en anesthésie.
• Les responsables diffusent largement les résultats en terme de morbidité et de mortalité
et fournissent aux acteurs du bloc opératoire des commentaires réguliers sur leur travail
et les possibilités d’amélioration.
• La communication se fait sans agressivité et suffisamment souvent afin que les réunions
ne se résument pas à la simple expression de griefs.
2.1.2. ACTIVITÉ DE SOINS
En ce qui concerne les soins il n’existait pas de différence entre les services en terme
de compétences techniques ou de conscience professionnelle [6]. Par contre les services
performants assuraient une coordination efficace des activités cliniques développées par
les différents professionnels. Dans ces services :
• Les infirmières et les médecins rendent visite aux patients ensemble, permettant des
échanges d’informations cliniques plus complètes.
• Chaque infirmière de salle d’opération ne travaille qu’avec un chirurgien et n’est
assignée qu’à une tâche particulière. Le fait de travailler régulièrement avec les mêmes
infirmières est souligné comme un élément positif par les chirurgiens et développe la
confiance et l’efficacité.
• Il existe un véritable travail d’équipe entre infirmières et médecins anesthésistes.
Ceux-ci accompagnent leurs patients jusqu’à l’unité de soins intensifs et remettent à
l’infirmière une fiche de suivi du patient.
• Une coordinatrice des activités du bloc (généralement une infirmière spécialisée dotée
d’un diplôme supérieur en gestion administrative) gère les problèmes d’horaires entre
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chirurgiens, anesthésistes et infirmières. Cette personne est reconnue et sa fonction
admise par l’ensemble des acteurs du bloc opératoire.
Il a été mis en place une standardisation et une supervision des activités cliniques par
le développement et l’application d’instructions et de protocoles cliniques.
Il existe des programmes de formation continue des personnels soignants.
A contrario, dans les services où la mortalité et la morbidité étaient les plus élevées [6] :
Il n’existe aucune hostilité vis-à-vis de l’idée d’une collaboration dans les soins mais les
mécanismes permettant d’encourager ou de renforcer cette attitude sont déficients.
Il est évoqué l’absence de temps pour se réunir régulièrement et les réunions prennent
vite un caractère houleux.
Les réunions ne sont organisées que lorsque survient un problème important.
Les responsables agissent de façon indépendante en évoquant « l’importance de respecter l’autonomie et l’indépendance de chaque groupe professionnel».
Il est observé un manque d’engagement de la part des équipes de direction et des leaders
professionnels dans le développement et la mise en place des protocoles.
La rotation du personnel infirmier est importante et les services ont fréquemment
recours à des intérimaires ou des infirmières ayant suivi une formation moins poussée.
Globalement il est observé qu’un personnel infirmier peu stable et peu formé freine
toute coordination efficace. A l’inverse une coordination médiocre incite fortement les
infirmières à chercher ailleurs [10].
2.2. DIFFICULTÉS LIÉES À L’EXERCICE DE L’AUTORITÉ [7]
Les dysfonctionnements au bloc opératoire peuvent être liés aux difficultés de l’exercice de l’autorité. Classiquement, on distingue des causes structurelles et des causes
individuelles.
2.2.1. DIFFICULTÉS D’ORDRE STRUCTUREL
Les difficultés d'autre structurel relèvent :
• Des faiblesses du management de la hiérarchie : le ou les supérieurs ne savent pas
définir une stratégie ou en changent au gré des influences ne sachant pas résister
aux groupes de pression. Le rôle du chef est de coordonner les efforts en organisant
les moyens nécessaires pour atteindre des objectifs, en veillant au consensus et à la
motivation de tous. L’organisation du travail relève de la fonction d’encadrement et
nécessite la connaissance de deux paramètres qui sont les objectifs de production et les
ressources disponibles pour assurer la production, dont la principale repose la plupart
du temps sur les compétences du personnel (chapitre 3.1). Les incompétences trouvent
souvent leur racine dans la faiblesse de la formation et les déficiences des procédures
de recrutement et de sélection des cadres [7].
• De conflits de pouvoir.
• De défaillances du système de gestion des ressources humaines : absence de promotions,
mauvais ou absence de recrutements, mauvais aménagement du temps de travail…
• Des incompétences dans l’environnement humain au travail : subordonnés incompétents, sabotage actif, collègues incompétents et paralysant le système...
2.2.2. DIFFICULTÉS INDIVIDUELLES
Les difficultés individuelles dans l’exercice de l’autorité sont liées à :
• La faiblesse des aptitudes au commandement.
• L’absence de compétence en terme d’organisation, génératrice de comportements
individualistes.
• L’incapacité à déléguer et à organiser la délégation des tâches.
• La méconnaissance des procédures de «management par projet».
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• L’incapacité de définir des prestations en termes de qualité. En l’absence de normes ou
de référentiels sur la qualité des soins, les individus ne disposent pas de repères leur
permettant de savoir ce que l’on exige d’eux.
• L’absence de compétences en animation et en communication.
• La faiblesse de la maîtrise de l’environnement (gestion du matériel, des locaux,
information, gestion de la situation d’interface avec les autres services).
2.3. AUTRES FACTEURS HUMAINS
La performance du bloc opératoire et du travail en équipe peut être affectée par
d’autres facteurs tels que la fatigue, les conditions et la surcharge de travail, le stress, le
style de vie [11-23].
2.3.1. LA FATIGUE
Elle est la première cause d’erreur humaine [11]. En anesthésie, sa fréquence
serait estimée à environ 65 % et ce pourcentage est constant pour tous les intervenants
médecins, hommes et femmes [19]. Dans une enquête portant sur 3 000 médecins et
infirmières anesthésistes, la durée maximale de pratique de l’anesthésie estimée sans
risque est de l’ordre de 4,7 heures consécutives et de 12 heures avec une période de
repos [19]. Ceci est rarement réalisable en pratique. Pourtant, il est bien démontré que
la fatigue est génératrice de stress, d’inattention et d’erreurs [12] et elle diminue les
capacités de production [11].
2.3.2. PROFIL PSYCHOLOGIQUE ET LE STRESS [8, 12, 14-18, 20, 23]
Reeve, du Département de Psychologie appliquée de l’Université de Cardiff, a montré
qu’il existait une relation entre le profil de personnalité et les performances professionnelles [23]. Ce facteur est à prendre en compte car une organisation du travail déficiente
peut conduire certains praticiens vers un dépassement de leurs capacités d’adaptation,
gêner le travail en équipe, favoriser la survenue d’accidents et conduire de manière
insidieuse vers le syndrome d’épuisement professionnel [8, 16, 17]. Par ailleurs, un
niveau de stress élevé et permanent est à l’origine d’une baisse des performances [11].
Dans l’enquête de Kam, les principales causes de stress chez les médecins anesthésistes
sont par ordre décroissant, le manque de contrôle de leur temps et de leur organisation,
les conflits entre la vie professionnelle et la vie privée, les relations professionnelles et
la surcharge de travail [17, 18]. Les mesures préventives, pour minimiser l’impact de
l’accumulation du stress et éviter la survenue d’un syndrome d’épuisement professionnel,
bien que clairement identifiées [14] sont rarement mises en œuvre.
2.3.3. CONDITIONS DE TRAVAIL
L’ambiance de travail conditionne chaque membre qui compose l'équipe : les
tensions, le laxisme, la crainte des sanctions, le style de management sont sources de
dysfonctionnements, d’erreurs humaines et d’insatisfaction [16]. Le type d’organisation,
l’inadéquation entre les ressources humaines et matérielles allouées et les conditions de
travail sont aussi à l’origine d’erreurs (charge de travail trop lourde, horaires trop longs,
matériel en mauvais état, …).
3. QUELLES SOLUTIONS PEUT ON PROPOSER ?
L’amélioration du fonctionnement du bloc opératoire passe par l’optimisation de la
gestion des ressources comme dans l’industrie mais aussi par une approche psychosociale
de l’organisation du travail.
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3.1. OPTIMISATION DES RESSOURCES HUMAINES ET MATÉRIELLES AU
BLOC OPÉRATOIRE
La gestion des ressources humaines et matérielles impose de maîtriser quatre processus
qui sont : l’évaluation de l’activité ; la programmation et la planification des besoins, le
calcul des besoins en ressources, le pilotage des activités de production [24-32].
3.1.1. ÉVALUATION DE L’ACTIVITÉ
Une gestion prévisionnelle des activités permet d’associer qualité et maîtrise des coûts.
Elle repose sur une logique d’évaluation dont l’objectif est double : connaître l’activité du
service tant du point de vue quantitatif que qualitatif et rechercher une meilleure qualité
de soins en réduisant les dysfonctionnements. Pour y parvenir, il faut analyser l’activité
en continu afin de mettre en évidence les pics d’activité et les dysfonctionnements.
L’analyse de l’activité par discipline et par praticien, permet une redistribution efficace
de l’outil de production. Cette redistribution implique des arbitrages et la mise au point
de stratégies collectives. L’adoption d’un système de vacations réparties selon une grille
établie en fonction des jours de la semaine et de l’activité réelle des services semble le
moyen le plus efficace. Ce mode de fonctionnement est largement développé dans les
pays anglo-saxons. Il permet de gérer des vacations et non des salles particulières [33].
L’évaluation suppose l’utilisation d’outils de mesure permettant de mettre en évidence les résultats intermédiaires et finaux de l’activité et d’optimiser progressivement
la gestion du bloc opératoire. Pour identifier les dysfonctionnements éventuels et définir
les priorités d’action par rapport à un processus, il faut se référer à des indicateurs dont la
construction repose sur la collecte de données fiables quant à l’activité du bloc opératoire
(données sources). L’analyse des informations saisies doit déboucher sur une modification
du comportement dans le sens d’une amélioration de la qualité des prestations [6].
La gestion des blocs opératoires touchant des centres de responsabilité différents, il faut
choisir les indicateurs différents selon le niveau de responsabilité. A titre d’exemple :
• La direction a besoin d’indicateurs stratégiques. L’information doit refléter les grandes
tendances de l’activité et permettre de se faire très rapidement une idée précise de l’évolution, des points forts et des points faibles (par exemple : nombre de cas opératoires
et temps d’occupation du bloc opératoire, évolution des dépenses du bloc opératoire,
répartition de l’activité par discipline, taux d’occupation par salle du bloc).
• Le responsable du bloc à besoin d’indicateurs de résultats immédiats qui portent sur
les notions de performance, de productivité, d’efficacité et de coûts. Ces indicateurs
mesurent une situation à un moment donné et doivent déboucher sur un plan d’action
à court terme.
Si l’on veut intéresser et motiver sur du long terme les participants au développement
de la gestion de leur unité, il faut restituer l’information à tous les acteurs. Ces informations permettent par ailleurs à chacun de se positionner par rapport à son système de
référence.
3.1.2. PROGRAMMATION ET PLANIFICATION DES BESOINS [24, 25, 28, 31]
La qualité de la programmation constitue un facteur clef de succès pour la gestion
du bloc opératoire. Elle conditionne la qualité et la sécurité des soins prodigués aux
patients, la répartition efficiente des effectifs, ainsi que l’optimisation des moyens
matériels coûteux.
La programmation du bloc opératoire reste toutefois un exercice difficile. En effet,
des perturbations telles qu’ajouts, annulations, urgences ou complications en cours
d’intervention viennent très souvent modifier la planification initiale. Les causes et les
conséquences des perturbations de la programmation opératoire sont diverses tant dans
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leur importance que dans leur fréquence. Ces perturbations peuvent être considérées
comme des dysfonctionnements ou comme des aléas non maîtrisables (obligation
d’assurer les urgences sans structure spécifique dédiée par exemple). Dans le premier
cas, on cherchera à identifier et à anticiper les dysfonctionnements et l’on essaiera de
maîtriser l’activité par une planification plus rigoureuse. Dans le second cas, il faudra
se contenter d’une planification minimale, pas ou peu respectée.
3.1.3. CALCUL DES BESOINS EN RESSOURCES ET LE PILOTAGE DES ACTIVITÉS DE
PRODUCTION
Différents outils sont proposés afin d’optimiser le fonctionnement d’un bloc opératoire [25-32].
• Le MRP (Material Requirement Planning) est une méthode de calcul des besoins nets
en composants à partir de la connaissance que l’on a de l’échéancier des besoins en
produits finis. Le calcul des besoins nets est basé sur la distinction entre besoins indépendants et dépendants. La demande d’un acte chirurgical est un besoin indépendant.
La prévision de l’activité chirurgicale influencera l’organisation du bloc et la répartition
des plages horaires. Si l’on connaît de manière prévisionnelle les interventions à réaliser
le jour J, on peut en déduire quelles seront les ressources nécessaires. Le besoin en
ressources associées à une intervention est un besoin dépendant. Il ne se prévoit pas
mais se calcule.
• Le plan d’activité (PDA), est l’élément de base de la planification. Il est élaboré grâce
à un dialogue constructif entre tous les acteurs clés intervenant au bloc : chirurgiens,
anesthésistes, cadres infirmiers, infirmiers, techniciens, etc. Son objectif est de permettre
un cadrage global de l’activité qui facilite l’orientation de l’allocation des ressources.
Ce plan doit permettre d’obtenir l’adéquation entre capacité du bloc opératoire et charge
induite par le programme prévisionnel.
• Le plan directeur de production (PDP), définit l’échéancier des interventions. Il peut
être réparti en trois zones :
1) Une zone à l’intérieur de laquelle on n’accepte plus de modification. Cette zone peut
être égale à J-24 heures (ou à J-48 h) où J est le jour de réalisation des interventions
programmées.
2) Une zone susceptible de modifications acceptées dans le cadre d’un consensus entre
les acteurs (entre J-1 et J-7 par exemple).
3) Enfin la zone susceptible de modifications éventuelles (> J-7).
• Le manque de standardisation dans la nomenclature des actes chirurgicaux est une
difficulté qu’il faut surmonter. Une nomenclature est une liste hiérarchisée et quantifiée
des articles (composants) entrant dans la composition d’un article parent (composé).
Appliqué au bloc opératoire, l’article parent est l’intervention chirurgicale, les composants sont les ressources à préparer par intervention chirurgicale. Lorsque plusieurs
composants sont communs à plusieurs interventions, il est possible de grouper les éléments communs en modules. Chaque module pourra être matérialisé par un kit, identifié
par un code barres, ce qui garantira une meilleure performance de la logistique.
• Le pilotage des activités de production ou PAP, doit optimiser la relation entre les hommes, le matériel et les matières, de manière à exécuter le plan directeur de production,
contrôler les priorités et améliorer l’efficacité. Le PAP comprend les actions à mener
pour lancer les activités le jour J. Au bloc opératoire cela concerne : l’affectation des
salles du bloc aux interventions et l’ordonnancement des interventions dans chaque
salle. Pour l’affectation des salles aux interventions, le problème revient à allouer, de
la manière la plus efficiente possible, les salles du bloc aux activités à réaliser sachant
que les salles sont en nombre limité et que les activités sont concurrentes entre-elles
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pour l’emploi des dites salles. Cette allocation doit, de plus, être faite de manière à
optimiser la qualité et la sécurité. On est en présence d’un problème classique d’optimisation sous contraintes que l’on peut aborder par des programmes mathématiques.
En ce qui concerne l’ordonnancement des interventions dans les salles, le problème
revient à établir la séquence des interventions. La recherche d’un ordre le plus adéquat
suppose la définition des règles de priorité comme par exemple: «le premier est le plus
long» ou «priorité aux interventions de chirurgie ambulatoire» ou encore «minimisation
des temps d’attente entre interventions», «les interventions potentiellement infectées
passent en dernier».
Le suivi de production enfin, a pour objectif de déterminer le niveau d’avancement
des interventions lancées. Dans le cas particulier du bloc opératoire, on notera le besoin
de flexibilité qui implique de réagir en temps réel aux événements comme par exemple
les urgences, la prolongation d’une intervention, etc.
3.2. APPROCHE PSYCHOSOCIALE
Différentes approches qualitatives ont été publiées. La comparaison entre l’organisation des services les plus performants et l’organisation des services les moins performants
est une première approche qui permet de générer des hypothèses, ou tout au moins de
définir le profil type du bloc opératoire bien organisé [6]. Mais d’autres modèles ont
été développés en particulier à partir des études réalisées dans l’aviation et adaptés aux
blocs opératoires [34].
3.2.1. UTILISATION DE QUESTIONNAIRES CENTRÉS SUR LE TRAVAIL EN ÉQUIPE ET
LA SÉCURITÉ
Helmreich et collaborateurs ont adapté au bloc opératoire le Cockpit and Flight Management Attitudes Questionnaire (CFMAQ) centré sur le travail en équipe
dans l’aviation et produit l’Operating Room Management Attitudes Questionnaire
(ORMAQ) [35-39]. Ce questionnaire permet d’évaluer l’attitude des équipes travaillant
au bloc opératoire face au stress, à la hiérarchie, au travail en équipe, à la perception de
ses propres limites et aux erreurs [36, 38]. Les items sont centrés sur la compréhension
des mécanismes de l’erreur, la prédiction de la performance et doivent être accessibles à la
formation et à l’entraînement [40]. Ces études ont montré par exemple que les médecins
et les infirmières de bloc opératoire sont conscients de l’importance d’une coordination
et de la communication au sein des équipes [34]. Par contre les médecins, comme les
pilotes, sous-estiment l’impact de la fatigue et du stress sur leurs performances [38, 40].
Ils ont souvent une impression d’invulnérabilité et 40 % d’entre eux pensent que leurs
problèmes personnels n’influent pas sur la qualité du travail qu’ils fournissent. Il existe
des approches différences entre chirurgiens et anesthésistes : les anesthésistes acceptent
plus volontiers l’idée que la concertation améliore l’efficacité du bloc opératoire; ils ont
une vision participative de l’organisation alors que les chirurgiens ont une vision plus
autocratique (cependant aucune étude n’a démontré que l’une ou l’autre des attitudes soit
supérieure à l’autre en terme de performance du bloc opératoire). Les anesthésistes ont
l’impression d’un travail en équipe de mauvaise qualité avec les chirurgiens alors que les
chirurgiens ont l’impression d’un bon travail en équipe avec les anesthésistes [34].
Ces enquêtes soulignent l’importance du travail en équipe, des facteurs humains
et des attitudes individuelles dans le fonctionnement du bloc opératoire. Elles permettent de mettre en place des mesures correctives comme la rédaction de procédures, la
généralisation de la déclaration des incidents, l’analyse des accidents ou incidents, la
participation à des formations. Elles permettent enfin une prise de conscience de ses
propres limites, du rôle néfaste du stress et de la fatigue… Ces études ont permis également
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de mettre en place des méthodes de management des équipes en terme de performance
comme cela existe déjà dans l’aviation (CMR : Crew Resource Management), ou les
industries à risque comme le nucléaire ou le contrôle aérien. Ces méthodes reposent en
partie sur l’apprentissage (au sens large) et la reproduction des tâches que les acteurs du
bloc opératoire mettent en pratique quotidiennement dans leur activité professionnelle,
consciemment ou non. Le fonctionnement du bloc opératoire implique l’intégration de
normes, de règles, de procédures à respecter. C’est l’appréhension de ces règles et leur
apprentissage, dans le sens de l’établissement d’une connexion entre un stimulus et une
réponse qui permet l’adaptation du comportement d’une personne à son environnement,
qui codifie de façon informelle le fonctionnement humain et technique du bloc opératoire.
Dans les blocs opératoires, comme dans l’aviation, le non respect ou la méconnaissance
d’une procédure peut conduire à des incidents. Par exemple, la méconnaissance de
certaines instrumentations ou de certains matériels en salle opératoire va provoquer des
retards d’actes chirurgicaux ; le non respect de certaines normes d’hygiène va exposer
le patient à un risque infectieux.
3.2.2. PERCEPTION DES ACTEURS SUR LEUR TRAVAIL ET LEUR ORGANISATION
3.2.2.1. Concept de perception
Les apports de la psychologie expérimentale et de la philosophie ont permis de définir
le concept de perception en terme de «détection, de localisation, de discrimination et
d’identification» d’un objet ou d’une situation [41]. Il n’y aurait pas de modèle idéal de
bonne organisation car une organisation est un système artificiel et non pas naturel [42].
Ce système, ce sont les acteurs eux même ou leurs prédécesseurs qui l’ont mis en place.
A ce titre, les problèmes et leurs solutions, ne peuvent être définis que par les acteurs
eux même mis en situation d’experts.
3.2.2.2. Concept de perception adapté au fonctionnement du bloc opératoire
L’objectif est de faire identifier par les différents acteurs les dysfonctionnements au
sein du bloc opératoire au travers du comportement des individus. La méthodologie repose
sur la constitution d’une base de données par le biais d’entretiens individuels auprès de
l’ensemble du personnel du bloc opératoire selon la technique des incidents critiques de
Flanagan [43]. Cette méthode permet le recueil de données «objectives» afin de déterminer les facteurs de contribution aux incidents dans l’exercice d’une activité (incidents
critiques). Elle permet aussi d’obtenir une description fonctionnelle de l’activité en terme
de comportements spécifiques. Elle est utilisée dans le recrutement pour l’évaluation des
compétences et plus généralement pour d’améliorer les performances. En pratique, il est
demandé aux différents acteurs intervenant au bloc opératoire de penser à un évènement
précis de bon fonctionnement (puis d’un mauvais fonctionnement). Chacun doit ensuite
identifier les facteurs et les comportements qui ont contribué à ce bon (ou mauvais) fonctionnement, ainsi que les facteurs qui permettent de reconnaître qu’il s’agit d’un bon (ou
mauvais) fonctionnement. A partir des incidents critiques évoqués lors des entretiens, une
grille d’analyse est construite. Pour faciliter le classement des différents comportements,
les incidents critiques sont regroupés en catégories (Tableau 1).
La synthèse des analyses est présentée aux différents acteurs du bloc opératoire pour
les critiquer. Le but est d’arriver à un consensus sur les solutions à appliquer (développement organisationnel). Ces réunions de groupe sont considérées comme la situation
la plus propice à l’engagement des participants. Le retour aux individus, ou à un groupe
d’individus, d’un feed-back sur leurs comportements les confronte aux points de vue des
autres acteurs [44]. Cette technique leur permet d’acquérir et d’intégrer des connaissances
indispensables sur leur mode de fonctionnement [45]. Ces techniques permettent aussi
d’appréhender la perception que les acteurs ont de la pratique de leurs tâches journalières,
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du fonctionnement du bloc opératoire, des normes de sécurité et d’hygiène et du système
de relations interpersonnelles existant.
Tableau I
Classement des incidents critiques par catégories
1. Communication
Interpersonnelle
Circulation de l’information
2. Effectifs ou gestion des
Manque de personnel
resources humaines
Absentéisme
3. Matériel
4. Locaux
5
Organisation
6.
7.
9.
10.
Conditions de travail
Management
Comportements
Prise en charge du patient
Manque de matériel
Manque de formation sur le matériel
Défaut technique du matériel
Bonne gestion informatisée du matériel
Vétusté des locaux
Exiguïté des salles
Organisation du programme opératoire
Organisation du travail
Organisation de la structure
La charte de bloc
Le conseil de bloc
La perception satisfaisante d’une situation ou d’un objet, crée une motivation positive
et favorise la construction d’un schéma de perception positive. Une perception négative
des acteurs de la situation de travail en bloc opératoire, accompagnée d’une motivation
très faible (par exemple l’absence de reconnaissance dans l’activité professionnelle
et de valorisation des résultats) par rapport à une stimulation externe (la gestion et le
management des ressources humaines), est par contre à l’origine d’erreurs humaines ou
de défaillances [46, 47]. Ces défaillances sont classées en défaillances « actives » (par
exemple une erreur ou une infraction aux normes, aux règles) qui ont un effet néfaste
immédiat et en défaillances « latentes » qui existent de longue date à l’intérieur des blocs
opératoires [5, 47]. Il peut s’agir, par exemple, de conditions ergonomiques inappropriées,
d’inadéquation entre les possibilités physiques ou psychologiques d’un acteur et celles
requises par le poste qu’il occupe, …
Nous avons appliqué cette technique à 6 hôpitaux publics et privés.
Cent vingt cinq interviews ont été réalisés auprès d’un échantillon représentatif de
l’ensemble des personnes intervenant au bloc opératoire. L’analyse et la synthèse des
interviews ont permis de mettre en évidence que :
• Les sources de dysfonctionnements au bloc opératoire sont identiques quels que soient
les structures et le statut juridique des hôpitaux. Cela tient probablement au fait que le
milieu hospitalier, et en particulier le bloc opératoire, est organisé selon des procédures
pré-établies ou relevant du législatif. Cet encadrement des pratiques donne une base
de travail commune aux hôpitaux.
• Cependant l’organisation est propre à chacune des structures et dépend de la stratégie
mise en place par la direction. Lorsque cette stratégie n’est pas claire, l’organisation
est laissée aux mains de tout à chacun et peut être à la source de dysfonctionnements.
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Cela crée de grandes zones d’incertitudes pour les acteurs qui peuvent en profiter pour
exercer leur pouvoir et servir leurs propres intérêts. Les incertitudes font alors partie
du jeu des acteurs dont elles renforcent ou diminuent l’autonomie et le pouvoir [48].
Différentes spécialités coexistent au sein du bloc, sans véritablement se mêler. Le
processus de prise en charge du patient s’assimile à une « chaîne » de production ou à
un ensemble d’interdépendances séquentielles [49]. Se posent alors des problèmes de
coordination entre les spécialités, entre les équipes et entre les individus. Ces problèmes
de coordination semblent relever essentiellement de la qualité de la communication
entre les acteurs. Cette communication est véhiculée par des moyens techniques et par
l’humain. Toutefois, il semble que ce soient les comportements humains qui représentent un frein à la communication et à la circulation de l’information. Les raisons sont
multiples. Dans certains cas, les acteurs, en particulier ceux fortement exposés à des
situations de stress, ne trouvent d’exutoire que dans une expression verbale agressive.
Si les programmes sont lourds et chargés, chaque intervenant enchaîne ses actions avec
la pression constante du temps. Or ce temps manque pour transmettre dans un langage
approprié les informations qui sont alors données de façon autoritaire et sans recherche
d’échange professionnel.
L’absence de véritable leader au sein du bloc opératoire. Trois notions sont nécessaires
à l’exercice du leadership : la vision (le leader est le seul qui sait où il veut et où il
faut aller), la confiance et l’adhésion du groupe. Le leader étant à la fois produit de la
culture d’entreprise et producteur de culture, le personnel a besoin de se reconnaître
en lui [50]. Son comportement doit donc être exemplaire, car porteur de sens pour le
groupe. En pratique dans certains blocs opératoires qui ont été audités, les abus de
pouvoir et l’absence de considération du personnel, ne permettent pas de légitimer
cette place de leader.
Les rivalités entre spécialistes sont clairement identifiées comme étant à l’origine de
dysfonctionnements et de conflits car c’est la délimitation du territoire de chacun qui
se joue. Dans les blocs opératoires où la qualification des personnels est le critère
essentiel de contrôle sur le travail, les conflits se cristallisent autour des compétences
et de la reconnaissance de ces dernières [51].
La gestion du personnel est globalement inadaptée car gestion du personnel et gestion
des individus au sein des équipes ne sont pas clarifiées et distinguées. La politique
actuelle de polyvalence du personnel paramédical peut parfois compliquer la situation.
Si cette polyvalence permet un enrichissement des compétences pour l’individu, en
revanche, le corps médical se plaint de devoir sans cesse former du personnel et de
ne jamais avoir du personnel véritablement spécialisé dans sa discipline. Par ailleurs,
se pose le problème de la supervision multiple. Une infirmière peut être à la fois sous
le contrôle du cadre de santé, de l’anesthésiste ou encore du chirurgien et ceci de façon officielle ou officieuse. L’absence de prise de responsabilités et le glissement de
certaines fonctions en particulier au niveau de l’encadrement trouvent leur source dans
le fait que les rôles, les fonctions, les tâches et les responsabilités ne sont pas clarifiés
et bien déterminés. La flexibilité et l’autonomie peuvent présenter des aspects positifs
dans l’organisation du travail, mais cela peut s’avérer très vite anarchique lorsque les
règles, codes et procédures n’ont pas été définies dès le départ. Enfin, il manque un
accompagnement du personnel au cours de son intégration, ne serait-ce que par le
simple fait de présenter la personne à l’ensemble de l’équipe. Souvent, les principes
de la communication sont oubliés en faveur du souci de production.
Les conditions de travail constituent des facteurs de satisfaction et de motivation du
personnel [15]. Il est donc important de les prendre en compte. Mais il semble que
cet aspect soit minimisé par l’encadrement. Même dans les structures où le personnel
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reconnaît travailler avec du bon matériel et dans des locaux adéquats, l’insatisfaction
et l’absentéisme demeurent.
La satisfaction est la réalisation d’attentes conscientes ou inconscientes. Elle ne
s’analyse qu’en prenant en compte les attentes individuelles spécifiques et les données
socio-organisationnelles. Il n’existe pas de facteurs déclenchants de la satisfaction au
travail ni de relation claire entre satisfaction et productivité. Des salariés satisfaits peuvent
stagner dans une faible productivité.
Pour Maslow, la motivation des individus passe par la réalisation de besoins [52].
Il en a défini cinq et par paliers successifs, c’est-à-dire que la réalisation de l’un passe
nécessairement par l’obtention du précédent (principe de la pyramide de Maslow). Le
premier palier est celui de la couverture des besoins physiologiques, puis les besoins de
sécurité, les besoins sociaux d’appartenance, l’estime et la réalisation de soi. Herzberg
rajoute deux autres facteurs, les facteurs d’hygiène et les facteurs moteurs [52]. Les
facteurs d’hygiène sont sources de démotivation quand ils ne sont pas pris en compte.
A l’inverse, les facteurs moteurs génèrent de la motivation quand on joue sur eux. Les
relations avec les supérieurs ou les subordonnés, les conditions de travail, les avantages
sociaux et les salaires, les modes de contrôle exercés sont des facteurs d’hygiène. Les
possibilités de carrière, les responsabilités, la reconnaissance, l’appréciation des performances, le contenu de la tâche sont des facteurs moteurs. Dans le milieu hospitalier, et
tout particulièrement dans les blocs opératoires, il est le plus souvent observé un manque
de reconnaissance, des relations « difficiles » entre les individus, un manque de temps
pour apprécier les performances, et des responsabilités non clairement définies.
• La réduction du temps de travail a eu pour effet de réduire la capacité de production de
soins. Les heures perdues n’ont pas été totalement compensées par des recrutements.
Cette situation est source de tension et de dysfonctionnements. Les accords locaux de
réduction du temps de travail ont été négociés pour une grande part en 2001. Leur mise
en œuvre, début 2002, a largement contribué à l’augmentation des heures supplémentaires, au recours aux contrats de travail temporaires et à la sous-traitance. Ainsi, dans
certains établissements, entre 2000 et 2002, les heures supplémentaires ont augmenté
de 40 % en moyenne, le travail temporaire a été multiplié par 4, et le recours à la
sous-traitance non spécialisée a doublé.
Le manque de personnel est aussi en partie lié à une absence d’optimisation des plannings, à une mauvaise répartition des interventions chirurgicale sur la journée et dans la
semaine. L’existence de périodes de travail creuses à différents moments de la journée
et de la semaine a été soulignée dans la plupart des blocs opératoires.
• La notion de justice organisationnelle [53-55]. Les dysfonctionnements liés aux comportements des individus relèvent de la justice organisationnelle. Sa prise en compte
est importante car elle peut générer des comportements de coopération, d’initiative et
de soutien organisationnel (participer à la diffusion d’une bonne image de l’hôpital ou
du bloc opératoire). Les injustices vont au contraire générer des émotions négatives
menant au stress et à des comportements tels que l’agressivité, le détachement, la non
implication.
Il existe plusieurs types de justice organisationnelle. A titre d’exemple :
• Le fait que l’encadrement ne soit pas sujet à sanction ou contrôle, ou qu’au niveau du
personnel soignant il y ait des distinctions de statut avec ou sans distinction de salaire,
relève de la justice distributive. Certains individus vont percevoir la situation comme
injuste et ne vont pas fournir les efforts nécessaires car ils s’estiment lésés. C’est la
théorie d’équité d’Adams qui repose sur le fait que la répartition de biens doit être
effectuée en fonction des contributions de l’individu. En d’autres termes, les individus
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qui sont le plus qualifiés, qui travaillent le plus devraient recevoir la plus grosse part
des rétributions [55].
Lorsque les programmes opératoires sont modifiés au dernier moment, ou que les décisions sont prises sans avis, ou bien que certains praticiens mentent pour faire passer
comme urgences de «fausses» urgences, ou qu’ils arrivent systématiquement en retard
sans justification pertinente, relève de la justice procédurale [56-58]. Celle-ci repose sur
le postulat que les perceptions de la justice des procédures utilisées dans les décisions
influencent aussi sur les sentiments. Pour Thibaut et Walker une procédure est perçue
comme juste à partir du moment où l’individu a le sentiment d’avoir participé à la
prise de décision [58]. Or souvent dans les blocs opératoires le personnel n’a pas de
possibilité de s’exprimer et se développe un sentiment de frustration et d’insatisfaction
qui n’est pas favorable au fonctionnement.
Le manque de reconnaissance et de considération du personnel entre dans le cadre de
la justice des interactions, qui est l’aspect social de la justice [59].
L’absence de langage commun avec des objectifs clairs et partagés par tous.
Le corps médical est surtout axé sur la productivité et ceci dans une logique d’efficience.
Les infirmières sont souvent dans une logique d’efficacité axée sur les soins et les
bonnes pratiques. Cette dichotomie a pour conséquence l’absence de projet commun
et l’apparition de conflits. Cela rejoint la théorie selon laquelle il y a conflit entre les
groupes lorsque ceux-ci ont conscience qu’un objectif identique ne peut être atteint
que par un seul d’entre eux. Le moyen le plus efficace de réconcilier les groupes est
de leur attribuer un objectif «supra groupes» (objectifs qui ne peuvent être atteints que
par la coopération des différents groupes). Ainsi, dans le cadre du milieu hospitalier
et des blocs opératoires, ce projet commun fédérateur pourrait être l’amélioration du
processus de prise en charge du patient.
La résistance aux changements. Toute nouvelle contrainte entraîne une résistance
aux changements que l’on peut définir aussi comme : «toute modification apportée à
l’équilibre d’un système entraîne, au sein de celui-ci, l’apparition de phénomènes qui
tendent à s’opposer à cette modification et à en annuler les effets». Pour Lewin, et la
théorie de la dynamique des groupes, la force d’un groupe réside dans le fonctionnement
d’interdépendance entre les membres qui le composent (affinités, rôles) et les éléments
externes (les buts, les normes, la culture, la perception de l’externe) [44]. Cette définition est appropriée aux blocs opératoires dans lesquels les acteurs sont confrontés à
un changement organisationnel externe (la démarche d’accréditation par exemple) qui
influe sur leurs pratiques quotidiennes en les modifiant ou en les réglementant, et à des
dynamiques de groupes très fortes telles que les clivages existants entre anesthésistes
réanimateurs et chirurgiens, entre chirurgiens et infirmières. Pour K Lewin, il existe
un état d’équilibre entre des forces égales mais de directions opposées (théorie des
équilibres quasi stationnaires) [44]. Cet état subit des fluctuations autour d’un niveau
moyen qui n’altère pas la structure des champs de forces en présence. Aussi, pour
modifier la structure, il sera nécessaire d’augmenter l’une des forces et de diminuer
l’autre. Ainsi la résistance peut être surmontée par la mise en place de groupes projets,
par la valorisation des initiatives individuelles ou de groupes ayant un rapport avec
l’objectif de changement. Ceci permet de réduire les forces d’oppositions ou les freins,
et de les transformer en forces créatrices ou de développement. Enfin, il est important
de mettre en relief les liens existants entre changement et pouvoir, entre résistance au
changement et luttes de pouvoir. En effet, une transformation n’est possible qu’à partir
d’une connaissance des systèmes et mécanismes qui régissent une organisation et en
orientent les mutations.
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CONCLUSION
Le fonctionnement du bloc opératoire est une chaîne de processus d’activité continue
dans laquelle la gestion des risques et des dysfonctionnements est fondamentale pour
assurer la sécurité et la satisfaction du patient. La standardisation des pratiques permet
de réduire les dysfonctionnements d’origine humaine mais le bloc opératoire est aussi
un outil de production où les outils de gestion des processus liés à l’organisation du
bloc opératoire peuvent être utilisés. Cependant, travailler ensemble, par équipes, entre
services, n’est pas «naturel» et suggère la mise en place de processus de coordination et
d’apprentissage de la communication. Il faut au préalable clairement définir pour chaque
acteur son rôle, ses tâches et ses responsabilités.
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