[Seul le texte prononcé fait foi] Henri MALOSSE – Président du CESE Discours Journée de l'Europe 2015 (FR) Indéniablement, en moins d'un siècle, le visage de l'Europe s'est métamorphosé. Difficile aujourd'hui d'imaginer qu'un homme comme Konrad Adenauer ait été, en 1933, démis de ses fonctions de maire de Cologne et emprisonné en raison de son engagement jugé antipatriotique. Adenauer modifia plus que quiconque le visage de l'Allemagne d'après-guerre et le cours de l'histoire de l'Union européenne. Une construction qui peut apparaître «miraculeuse» si on se remémore toutes les péripéties du parcours d'obstacles qu'il a dû traverser. On doit à Adenauer: - la réunification tant de l'Allemagne que du continent – dont il avait rêvé et qu'il avait préparée dans un contexte pourtant foncièrement hostile, la suppression des frontières, qu'Adenauer avait su engager avec Schuman, l'union monétaire, si redevable à Adenauer de l’entente franco-allemande dont l’euro aura été in fine un véritable couronnement. Lors de la signature des premiers traités, bien peu auraient parié sur ces trois authentiques «révolutions», au sens plein du terme, dont les acquis restent aujourd’hui aussi précieux qu’irremplaçables pour la construction européenne. 1- la réunification Grâce à ses talents politiques, sa détermination, son pragmatisme, Adenauer a su inscrire la paix et la stabilité dans la durée. Il a œuvré sans relâche à la réconciliation de l'Allemagne avec ses anciens ennemis. Réconciliation scellée en 1963 par le traité d'amitié avec son ennemi héréditaire: la France. Adenauer a su voir dans la réunification non seulement le moyen de mettre fin à des siècles de rivalités en Europe, mais également le moyen de réintégrer l'Allemagne post-nazie dans la EESC-2015-02562-00-00-DISC-EDI (FR) 1/5 FR vie internationale en permettant l'adhésion du pays au Conseil de l'Europe en 1951, à la CECA en 1952 puis l'entrée de l'Allemagne dans l'OTAN en 1955. L'œuvre de réunification s'est trouvée parachevée avec les élargissements de l'Union en 2004 et en 2007. Qui aurait dit que la Lettonie, partie intégrante de l'URSS il y a 30 ans, présiderait aujourd'hui aux destinées de l'Europe? Mais aussi bien dans les Balkans que sur notre frontière de l'Est, ni la paix, ni la sécurité ne sont assurées. L'œuvre de réunification n'est donc pas achevée. 2- la suppression des frontières La suppression des frontières en Europe a donné toute sa portée au projet de réunification d'Adenauer. La libre circulation des citoyens, des biens et des capitaux dans un espace de liberté, de sécurité et de justice est la réussite ultime de ce projet. En 1961, déjà, Adenauer affirmait devant le Bundestag, dans sa déclaration sur la construction du mur de Berlin, que «la fermeture des frontières est une déclaration d’impuissance sans précédent.» Et concluait son discours par cette formule prémonitoire: «un jour, croyez-moi, vous serez unis à nous dans la liberté!» … Unis dans la liberté, «et dans la diversité» pourrions-nous aujourd'hui ajouter. C'est à moins de 100 km de Bonn, dans la petite ville frontalière symbolique de Schengen, qu'a été établi en juin 1985 – il y a 30 ans – un véritable espace européen sans frontières. Celui-ci ne concerne pas tous les États européens, et l'exclusion de la Roumanie et de la Bulgarie demeure aujourd'hui une discrimination infondée. On le voit tous les jours, Schengen, bien que plébiscité par les Européens, suscite encore des doutes en matière de contrôle et de lutte contre le terrorisme. 3- l'union monétaire L'union monétaire, et plus concrètement l'euro, symbolisent cette réconciliation et cette unification européennes. Les pièces de monnaie qui s'échangent et circulent aujourd'hui à travers la zone euro sont l'illustration la plus simple et la plus concrète du chemin parcouru depuis l'époque du mur, de l'éloignement et de l'exclusion. Qui aurait imaginé que l'Allemagne renonce au deutsche Mark? Que les banques centrales nationales ne décident plus seules de leurs politiques monétaires? Nos économies sont liées en même temps que nos destins. Alors que tout avait commencé par une insupportable dette de guerre, nous nous retrouvons aujourd'hui solidaires «de fait». EESC-2015-02562-00-00-DISC-EDI (FR) 2/5 Tâchons de ne pas oublier l'histoire, à une période où la solidarité est la seule garante de notre unité. La Grèce ne doit pas se retrouver dans la situation de l'Allemagne d'hier. Or, ce pays illustre aujourd'hui l'inachèvement de l'intégration économique de l'Europe. Une véritable Union économique suppose le respect par tous de ses disciplines mais également la mutualisation des efforts – c’est-à-dire la mutualisation des dettes – et donc suppose d'emprunter ensemble avec des Eurobonds, de réaliser la convergence de nos systèmes sociaux et fiscaux, etc. Je disais, en introduction, qu'un long chemin a été parcouru en moins d'un siècle. Et pourtant, nous ne devons pas nous voiler la face. Si l'on peut se féliciter des succès de la construction européenne, nous avons aussi à déplorer ses échecs: - le surplace, et donc le recul, dans la réalisation d’une vraie union économique, solidaire et performante, le déficit persistant de l’affirmation de l’Europe sur la scène internationale, la perte de confiance de plus en plus sensible de l’opinion dans le projet européen. Pour une union économique solidaire et performante Ce qu'il faudrait faire, nous le savons tous: renforcer l'union économique et monétaire. Comment? En complétant la gouvernance monétaire, financière et fiscale de l'Union européenne par un véritable gouvernement économique, en complétant le mandat de la BCE, en réalisant l'Union budgétaire, via un budget commun de la zone euro, en instaurant une Union politique, pour que la zone euro parle enfin d'une seule voix dans un cadre décisionnel plus démocratique et transparent et en donnant à l'Union un rôle plus représentatif dans les organismes internationaux! Ce qui nous manque: le courage. Avons-nous le courage d'éviter que l'Europe n'implose? Pour une affirmation internationale L'inaction de l'Union européenne face aux drames en Méditerranée est le symbole éclatant de notre manque de vision et de courage. Il aura fallu l'horrible tragédie d'il y a quelques jours pour que le Conseil européen se décide à mettre en œuvre des actions communes de sauvetage qui avaient été décidées en octobre 2013 et scandaleusement arrêtées à la fin de l'année dernière. L'illusion que chacun peut encore jouer un rôle individuel sur la scène internationale conduit nécessairement à l'affaiblissement de tous ! Des gestes forts et symboliques doivent être lancés. Je n'ai pas peur, en tant que Français, de proposer que nous EESC-2015-02562-00-00-DISC-EDI (FR) 3/5 confiions à l'Union européenne – selon des modalités à déterminer – notre siège permanent aux Nations unies. De même que l'Allemagne a renoncé en son temps au deutsche Mark, ce geste fondateur redonnerait un sens à la volonté de mon pays d'assumer une part du moteur de l'Europe. Pour une plus grande confiance L'Union européenne a perdue aujourd'hui sa dimension protectrice. Au contraire, l'Union européenne inquiète par sa tendance à la règlementation effrénée et par le poids de son administration. Nous devons rendre à la construction européenne ses lettres de noblesse. Nous devons faire de l'UE un «facilitateur» de projet. L'Union ne doit pas être un frein, une limite, mais bien au contraire doit rendre possible des projets d'une dimension nouvelle ! L'Europe ne doit pas être un problème mais bel et bien une solution. Elle doit fédérer les forces productives, les potentiels de recherche et d'innovation, et permettre ainsi une reprise accélérée de la croissance en Europe. Ce qu'a fait Adenauer en son temps, rêver à une Europe meilleure, c'est à nous qu'il revient aujourd'hui de le faire. Voilà pourquoi l’heure paraît venue, en ce 9 mai 2015, de lancer un appel pour réveiller la fibre citoyenne des Européens, afin de: - - - valoriser et multiplier les initiatives européennes de terrain, notamment associatives et liées à l'euro-entrepreneuriat - c'est le sens de l'Initiative Challenge Entreprise Europe de mes amis ici présents, revendiquer, dans les domaines d’intérêt commun pour tous les citoyens (c'est-à-dire notamment la sécurité, les douanes, la fiscalité) une mutualisation ciblée des services d’intérêt général permettant autant d’économies d’échelle que de gains d’efficacité, obtenir en particulier un véritable encadrement fiscal européen assurant une meilleure équité de traitement des résidents nationaux et des PME, relancer l’ambition légitime d’une union économique et sociale à la hauteur de l’union monétaire, en partenariat direct et permanent avec tous les acteurs concernés. À la fin de mon mandat, je veux prendre l'initiative de rassembler des personnalités d'horizon divers, Femmes et Hommes du monde politique, de la culture, des entreprises, des syndicats et de la Société civile autour d'un «Comité d’action pour l'Europe des citoyens». EESC-2015-02562-00-00-DISC-EDI (FR) 4/5 Ce n’est qu’ainsi qu’on pourra relancer la construction européenne: en s’appuyant sur les attentes et les initiatives des citoyens européens eux-mêmes pour relancer la construction européenne et la réconcilier enfin avec ses propres citoyens! Nous avons suffisamment laissé nos États contempler les étoiles… Aujourd’hui, et tous ensemble, décrochons-les! _____________ EESC-2015-02562-00-00-DISC-EDI (FR) 5/5