IUFM DE BOURGOGNE CONCOURS DE RECRUTEMENT Professeur des Ecoles LA MÉMORISATION DANS LES APPRENTISSAGES « VERS UNE OPTIMISATION DE LA MÉMOIRE À LONG TERME » Anne CLEMENCE Directrice de mémoire Françoise GODINAT Année 2004 – 2005 N° Dossier : 04STA00338 1 TABLE DES MATIÈRES INTRODUCTION 4 PARTIE 1. COMMENT L’ÉLÈVE MÉMORISE-T-IL ? 6 1. Observations et questionnement 1.1. En classe de CE2 (Elémentaire) 6 1.2. En classe de PS –MS (Maternelle) 9 6 1. Enjeux d’une meilleure mémorisation 12 PARTIE 2. COMMENT LA MÉMORISATION FONCTIONNE-T-ELLE ? 13 1. Qu’est-ce que la mémoire ? 1.1. La mémoire est une fonction du cerveau 13 1.2. La mémoire est-elle une forme d' « intelligence » ? 1.3. Mémoriser ou apprendre ? 2. Un ou plusieurs type(s) de mémoire ? 2.1. Différents niveaux de mémoire a) De la mémoire sensorielle à la mémoire à court terme 15 b) Mémoire à court terme ou mémoire « de travail »? 16 c) Vers la mémoire à long terme ou « profonde » 16 d) L’oubli : « C’est grave, docteur !? » 16 e) Le rappel 17 13 14 14 15 15 2 2.2. L’information est de diverses natures a) La mémoire « déclarative » – La mémoire « procédurale » 17 17 b) La mémoire « lexicale » – La mémoire « sémantique » 17 2.3. La mémoire dite « défaillante » 19 a) La maladie d’Alzheimer 19 b) La dyslexie 19 c) L’illettrisme 20 3. Ce qui peut gêner ou favoriser l’acte d’apprendre 3.1. Les facteurs propres à la personne (ou intrinsèques) 20 a) Au niveau du traitement de l’information 20 b) L’âge 20 c) La dominante de stratégie développée par l'apprenant 21 d) La motivation – La pédagogie du projet 23 e) L’attention 24 f) L’anxiété – le stress 24 20 3.2. Les facteurs extérieurs (ou extrinsèques) 25 a) L’environnement 25 b) La tâche c) Les pauses – le sommeil 25 25 PARTIE 3. QUELLES SOLUTIONS PÉDAGOGIQUES POUR PERMETTRE UNE MEILLEURE APPROPRIATION DES SAVOIRS ? 27 3 1. La place de la mémoire dans l'enseignement 27 2. Les méthodes actuelles de mémorisation 27 2.1. Apprendre en répétant (ou par le « par cœur ») 27 2.2Apprendre par l’action 28 a) La manipulation 28 b) Le jeu 28 2.3. Apprendre par les images 2.4. Apprendre par l’imagerie mentale 29 2.5. Apprendre en comprenant, simplement ! 29 30 3. Vers de nouvelles méthodes : l’exemple de la « gestion mentale » 30 3.1. Qu’est-ce que la « gestion mentale » ? 30 3.2. Quelques techniques de gestion mentale 32 a) Les « images mentales » 32 b) Les catégorisations 3.3. Apprendre « en recontextualisant » 33 34 4. L’évaluation de la mémoire ? 35 CONCLUSION 36 BIBLIOGRAPHIE 37 ANNEXES 38 ANNEXE 1.2 ANNEXE 3 ANNEXE 4 ANNEXE 5 ANNEXE 6 ANNEXE 7 ANNEXE 8 L’apprentissage de la lecture – F. HENRIAT Lecture : La reconnaissance globale (jeu) Graphique : La présentation audiovisuelle de l’information Séquence de mathématiques : la multiplication (CE2) La table de Pythagore, outil construit avec les élèves Les cartes numériques (jeux) Exemple de « hiérarchisation catégorielle » 4 ANNEXE 9 Les clés de la mémorisation (dessins humoristiques) Ce sacré Charlemagne qui a eu cette idée folle, un jour, d’inventer l’école… fit venir le théologien anglo-saxon Alcuin afin de bénéficier de ses conseils en matière pédagogique : CHARLEMAGNE. -- Que vas-tu me dire maintenant de la mémoire, que je pense être la partie la plus noble de la rhétorique ? ALCUIN. -- […] La mémoire est la salle au trésor de toutes les choses. 5 Extrait de L’Art de la mémoire, F. YATES, Gallimard. 1975 INTRODUCTION Il y a plusieurs raisons pour lesquelles je porte un intérêt particulier à la mémoire dans les apprentissages. D’abord, de par mon cursus universitaire à l’U.F.R. S.T.A.P.S. (Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives), j’ai été amenée à réfléchir sur la mémoire du geste chez les sportifs, notamment à analyser de nouvelle pratique comme la préparation mentale ou l’imagerie mentale et à quantifier les gains de performances des athlètes. Dans le cadre d’un mémoire de maîtrise, j’ai mené une expérimentation chez les personnes vieillissantes pratiquant une activité physique régulière. J’ai alors constaté que des progrès en matière de mémoire du geste étaient notables à condition qu’elles sollicitent régulièrement leur mémoire. Pourquoi poursuivre alors ? Parce que le sujet me préoccupe toujours. Je continue à m’interroger sur la mémoire et notamment sur sa place et son rôle dans les apprentissages à l’école. J’aimerais comprendre comment l’apprenant s’organise pour mémoriser et retenir, comprendre le fonctionnement du cerveau lors de cette phase de mémorisation, et par la suite envisager quelques pistes de réflexion en matière de réinvestissement possible dans le cadre pédagogique. Ensuite, ayant constaté dans les classes que, à même niveau, certains enfants retiennent mieux que d’autres, il serait intéressant de savoir la cause de tels écarts. Sont-ils dus uniquement à des facteurs sociaux, comme Bourdieu le dit lorsqu’il parle de « déterminisme social » ? En cela, la réussite scolaire ne dépendrait-elle que du milieu social d’origine ? A l’heure actuelle, des progrès dans le domaine du cerveau ont permis de mettre en évidence que les enfants – et les adultes – sont déjà inégaux sur le plan physiologique : nous ne fonctionnons pas de la même façon. Les élèves n’étant pas égaux dans les apprentissages, comment permettre alors la réussite scolaire d’un maximum d’élèves ? De plus, nous connaissons désormais plus le développement de l’enfant en psychologie. Parallèlement, la société elle-même a évolué. Tout cela a forcément eu des répercussions sur le système éducatif, tant au niveau didactique que pédagogique. 6 Pourtant, la mémoire a souvent mauvaise presse et elle reste cantonnée dans la sphère dévalorisante de l’apprentissage par cœur. Ainsi, comme le souligne Marilyne Baumard1 : "Hier jetée hors des classes comme « sciences des ânes », la mémoire prend sa revanche ; elle bénéficie aujourd’hui des apports les plus récents de la recherche (…) Sans mémoire, pas d’apprentissage. Mais sans connaissances, pas de mémoire…" Il est rare qu’on mette en relation l’échec scolaire avec les mécanismes de la mémoire. En effet, il ne semble pas qu’elle soit véritablement prise en compte dans l’éducation : peu d’enseignants connaissent effectivement les fonctions du cerveau et leurs incidences sur les apprentissages. Malgré tout, ceci n’en fait pas pour autant de moins bons éducateurs. Toutefois, prendre en compte les répercussions de la mémorisation dans son enseignement est un gage supplémentaire de réussite pour l’élève. En quoi la mémoire a des incidences sur les apprentissages ? Est-ce qu’il est nécessaire pour l’enseignant de connaître le fonctionnement du cerveau pour transmettre un savoir ? Comment l’enseignant peut-il intervenir au niveau des fonctions mnésiques de l’apprenant pour améliorer son acte d’apprendre ? En quoi les nouvelles formes d’appropriation des savoirs - comme la gestion mentale, proposée par Antoine de LA GARANDERIE, et encore peu utilisée dans les classes - pourraientelles être un plus pour l’institution scolaire, en matière de pédagogie ? Certes, la mémoire reste encore un domaine « flou », difficile à cerner. Cependant, on peut agir sur la mémorisation, en particulier, sur la mémorisation à long terme en améliorant les méthodes propres à chaque élève. Ainsi, quels sont les processus de mémorisation et quelles sont ces méthodes ? Dans un premier temps, nous tenterons de comprendre comment l’élève mémorise et s’organise dans les apprentissages. Puis, par un apport théorique, nous verrons comment la mémorisation fonctionne. Enfin, à partir de ces différents éléments nous définirons les principales méthodes - au sein du système scolaire – qui permettraient d’améliorer l’acte de mémoriser. 1 In « Mémoire et apprentissage : une histoire d’amour contrariée ». Le Monde de l'Education, n°284. Sept 2000 7 PARTIE 1. COMMENT L’ÉLÈVE MÉMORISE-T-IL ? 1. Observations et questionnement Voici ci-dessous des observations réalisées, dans une classe de CE2 ainsi que dans une classe de maternelle, lors des différents stages en responsabilité. Par ces observations et retranscriptions, j’ai tenté de trouver quelques réponses à la question suivante : « Comment les élèves s’organisentils pour apprendre et retenir? ». Selon l’âge des apprenants, les observations n’ont pas porté sur les mêmes contenus. 1.1. En classe de CE2 (Elémentaire) Dans un premier temps, un débat d’une vingtaine de minutes, organisé en classe entière a été proposé aux enfants. Je leur ai expliqué pourquoi cela m’intéressait – en tant qu’enseignante - de comprendre comment ils apprenaient leurs leçons et de pouvoir aider par la suite les enfants en difficultés (séance n°1). Au préalable, les enfants ont été sensibilisés sur le fait que toutes les réponses étaient acceptées - même si elles étaient différentes de celles du voisin (au contraire !) ; l’important étant que chacun puisse dire ce qu’il pense. SÉANCE N°1 : DÉBAT COLLECTIF « Comment fais–tu pour apprendre… ? » 1°) Les tables de multiplication ? ANTOINE : « Je lis dans ma tête. Après, je récite les yeux fermés : d’abord dans l’ordre, puis dans le désordre. A la fin, maman m’interroge. » 8 ROSE : « Moi, je copie plusieurs fois : plus si j’ai des difficultés. Après, je lis plusieurs fois. Et un adulte me fait la dictée. » 2°) Une poésie ? Ex : Anagrammes (Coran) STÉPHANE : « C’est pas pareil ! D’abord, je lis plusieurs fois et après je l’apprends soit par cœur sans chercher à comprendre le sens, soit en essayant de comprendre de quoi ça parle, pour mieux comprendre justement. » CAMILLE : « Moi, comme il n’y a pas d’images, j’invente les images de la poésie. Par exemple, quand l’auteur écrit : « (…) » et ben, j’imagine un chien et une niche. » 3°) Une lecture suivie ? Ex : Le petit Chaperon rouge (Charles Perrault) NASSIM : « Alors déjà, je relis l’histoire. Je repère les personnages, de quoi ça parle... Et puis, après, ma mère me pose des questions pour savoir si j’ai compris. » ANTOINE : « Et puis, moi, je prends le dictionnaire pour les mots que je ne comprends pas. » 4°) Qu’est-ce qu’il faut dans une leçon pour qu’elle te soit facile à apprendre ? LEÏLA : « Du texte ! C’est plus précis.» ROSE : « … Et des images, car il y a plusieurs sens ! Ils se complètent. » STÉPHANE : « Moi, je préfère quand il y a plus de texte car ça m’aide plus pour comprendre. (…) S’il n’y a que des images : tu peux confondre parce qu’elles peuvent dire plusieurs choses, ou même, tu ne comprends pas du tout ce qu’elles disent. » 5°) Que penses-tu de la T.V. qui reste allumée pendant que tu fais tes devoirs ? TOUFIK : « Il faut du calme » SANDY : « Ca déconcentre » ANTOINE : « Ben oui, on ne peut pas faire deux choses en même temps ! » WENDY : « Moi, ça ne me dérange pas ! » Il est intéressant de voir que les enfants n’ont pas tous la même façon d’apprendre, de mémoriser. Par exemple, en ce qui concerne l’apprentissage des tables de multiplication, Antoine sera plus dans le registre auditif alors que Rose dans le registre visuel. De plus, selon les matières, les enfants n’utilisent pas forcément les mêmes stratégies de mémorisation. Ainsi, Stéphane aura recours à la répétition, au « par cœur », en annonant tandis que Camille tentera de développer des images mentales. Certains utiliseront un tiers pour oraliser, 9 d’autres seront dans une démarche plus intérieure. Certains comprendront l’importance du lieu et du contexte d’apprentissage, d’autres pas. N’est-il pas nécessaire de dépister les stratégies de mémorisation de chaque enfant pour lui apporter (ou lui compléter) un éventail plus large de moyens de mémoriser afin de mieux retenir ? Dans un second temps, les enfants ont reçu un questionnaire individuel auquel ils devaient répondre plus précisément sur leurs façons d’apprendre et de retenir. Vingt-trois élèves ont participé. Les réponses ne concernent donc que ce petit échantillon. Toutefois, les résultats ci-après peuvent nous renseigner sur les stratégies développées au moment des apprentissages. SÉANCE N°2 : QUESTIONNAIRE INDIVIDUEL 1°) Comment apprends-tu les tables de multiplication ? Je lis 77 % Je copie 17 % Je lis et je copie 6% 2°) Apprends-tu seul ou aidé d’un adulte ? J’apprends tout seul 17 % Un adulte m’aide 83 % 3°) Tu fais la même chose pour une poésie ? Oui 54 % Non 36 % - Je lis plusieurs fois – strophe par strophe - Je récite dans ma tête 4°) Est-ce que la table de Pythagore est facile à utiliser ? Oui 65 % - C’est bien parce que ça regroupe toutes les tables C’est facile à comprendre Non 35 % - Je préfère les tables normales C’est difficile à comprendre 5°) Tu pourrais mieux apprendre les tables avec la table de Pythagore (outil mathématique)? Oui 64 % - Je l’ai toujours dans la tête Ça donne tout de suite le résultat On a toutes les réponses sous les yeux Non 17 % - Je retiens moins bien 10 On sait déjà les tables (par cœur) 6°) Qu’est-ce qui est le plus facile à apprendre et à retenir ? Une poésie 1 Les tables de multiplication 2 Une leçon d’histoire 3-4 Une leçon de grammaire 3–4 - Pour l’histoire, il faut lire beaucoup de fois, c’est long. Ca ne m’intéresse pas. - Pour la grammaire, il y a beaucoup de choses à retenir. C’est dur à apprendre. 7°) Que faut-il dans une leçon d’histoire, par exemple, pour t’aider à mieux l’apprendre et la retenir ? Pourquoi ? Du texte 23 % Des images 22 % Ecouter la maîtresse raconter 12 % Du texte et des images 18 % Du texte et écouter 18 % - Les images, on les a dans la tête après - Ecouter la maîtresse raconter « comme une histoire », ça aide à comprendre - Quand j’écris le texte, et que je le relis, je retiens mieux. 8°) Est-ce que la T.V peut te gêner pendant que tu es en train de faire tes devoirs ? Oui 53 % - ça déconcentre ! Ça fait trop de bruit ! Non 6 % - On peut quand même travailler Nous pouvons constater que très peu d’enfants utilisent deux stratégies pour mémoriser, c’està-dire que la plupart privilégient une stratégie. Il est intéressant de voir qu’une poésie sera facile à apprendre alors qu’une d’histoire ou de grammaire pose plus de problème à l’élève. Une poésie - de par son aspect concret peut faciliter sa mise en mémoire par l’organisation en strophes, les assonances, les rimes, les images mentales qu’elle peut véhiculer etc. De plus, il est certainement plus évident de comprendre le sens d’une poésie que celui d’une leçon de grammaire où les notions peuvent paraître abstraites. En ce qui concerne les mathématiques, la table de Pythagore n’est pas véritablement une aide à la mémorisation : elle récapitule les résultats des multiplication. C’est un outil avant tout : on y a recours pour aller plus vite, par exemple. Cependant, pour certains enfants elle est aussi un moyen de fixer les tables, de les organiser, de faciliter le rappel des résultats appris, mais aussi de permettre la déduction de résultats encore inconnus à partir de combinaisons comprises antérieurement. L’adulte est présent essentiellement pour interroger sur la leçon qu’il aura apprise seul dans un premier temps. L’adulte peut aussi questionner, expliquer ou proposer des exercices. 11 1.2. En classe de PS –MS (Maternelle) Les observations ont été réalisées lors d’activités proposées en classe entière – motricité ou moment de regroupements – ou bien en petits groupes - ateliers. 1°) Les Comptines sont mieux retenues si elles sont : - mimées - assez courtes (4 à 5 phrases) - accompagnées d’un support musical ou imagé - répétées, récitées de façons variées (vite/lentement, en rigolant/en pleurant…) 2°) Intérêt de la motricité et de la manipulation dans la découverte et l’acquisition de nouvelle notion. Par exemple, en mathématiques, et plus particulièrement en géométrie : je devais aborder « la forme ronde ». Au lieu de me lancer tout de suite dans la notion purement mathématique, j’ai mêlé différentes activités autour de cette notion : - Par des comptines mimées (C’est la baleine qui tourne et qui vire…) - Par de la motricité (appréhension de la forme ronde/carrée) - Par du langage (avec l’album Rond comme un ballon comme support) Cette approche pluri disciplinaire favorise l’acquisition d’une nouvelle notion : chaque enfant puise ce dont il a besoin, à son niveau. A) Motricité : Jeu « Remplir sa maison » - Matériel : cerceaux, lattes assemblées, de formes différentes représentant les maisons des petits écureuils – répartis dans tout l’espace, et des réserves de ballons, de briques, d’anneaux. Les écureuils doivent « déposer les trésors dans les bonnes maisons ». Le jeu est libre, l’enseignant laisse les enfants chercher. A la fin, retour sur la pratique : discussion avec les enfants (réussite ? échec ?) 12 B) Réinvestissement dans un atelier mathématique – notion géométrique - Dans un premier temps, une activité de tri (rond / pas rond) en donnant des exemples vus en motricité « ça roule comme le ballon » / « ça ne roule pas comme la brique ». - Dans un second temps, un jeu de Kim. Les enfants doivent retrouver des objets ronds placés dans un sac – dans lequel ils ne peuvent voir. Ils n’ont comme recours que le toucher. La notion d’attention : Les petits de 3-4 ans ne peuvent pas rester longtemps sur la même activité (10 à 15 min au max) ; au-delà, ils ne restent plus en place. L’enseignant doit donc donner un sens à l’activité, surtout pour les plus jeunes qui n’ont pas encore la capacité d’abstraction – surtout pour capter leur attention. Il doit être attentif aux réactions des enfants et relancer l’activité, proposer des choses variées. Pour les petits, la consigne doit être claire et employer un vocabulaire simple, accessible par les enfants. La mémorisation : Si la notion à acquérir a été vécue par l’enfant, elle sera d’autant plus vite assimilée. L’action permet une meilleure compréhension. L’enfant est « acteur », il ne fait pas qu’écouter ou observer. Le moment du retour sur la pratique avec les enfants est important. Ils verbalisent euxmêmes la solution attendue (exemple, en motricité : « les trésors ronds dans les maisons rondes » / « les trésors carrés dans les maisons carrées ». L’enseignant reformule et aide à la définition de propriétés – données par les enfants et validées par tous - comme « le rond peut rouler » et « le carré ne roule pas ». De plus, il faut toujours vérifier ce qui est proposé par les enfants ou l’enseignant (par exemple, en manipulant : les ballons, les briques etc.). Ceci permet l’adhésion de tous par rapport aux critères avancés. Il me semble que ces différentes activités ont permis à chaque enfant de comprendre ; mais à la vue de leur frimousse, pas au même moment, ni dans les mêmes activités. A partir de ces différentes observations menées sur le terrain, un questionnement émerge. La mémorisation, dès lors, n’est-elle pas intrinsèquement liée à une perception sensorielle ? N’existe-t-il pas des mémoires spécifiques à chacun des sens ? Est-ce que tout apprenant a un mode spécifique de restitution de l’information basé sur ses mémoires sensorielles ? Est-il possible d’améliorer le stockage et le rappel des informations ? 13 Comment expliquer que dans des conditions semblables, à capacité et bonne volonté équivalente, des élèves retiennent et réussissent alors que d’autres amorcent la spirale de l’échec ? Se demande-t-on suffisamment ce que signifie apprendre pour un élève ? S’interroge-t-on assez sur les processus qu’il déclenche lorsqu’il apprend une leçon ? Et si, avant toute démarche pédagogique volontariste, on l’aidait à connaître et à développer son potentiel de mémorisation ? Si on l’aidait à se construire des méthodes de travail adaptées à ce qu’il est réellement ?2 Comment inscrire du savoir dans la mémoire à long terme de l’enfant ? Comment l'amener à se questionner sur : « comment je fais pour mémoriser? » Nous savons, aujourd’hui, que la mémoire s’entraîne et s’éduque. En effet, mémoriser relève de certaines méthodes liées à l’utilisation des possibilités de notre cerveau. Elles varient d’un individu à l’autre. Retenir, mémoriser, mobiliser ses connaissances, tout cela s’apprend. Comment ? En utilisant ces processus qui permettent la meilleure utilisation de nos possibilités mentales et en montrant à chacun comment les adapter à son mode de fonctionnement personnel. 2. Enjeux d’une meilleure mémorisation Au regard des missions de l’école que sont : la démocratisation du savoir et la transmission de l’héritage culturel, la mémoire se trouve ainsi réhabilitée. Tout enseignant - dans sa mission de « transmetteur de savoirs » - vise à amener les enfants vers une base commune - nécessaire pour leur vie de futurs citoyens. Il tente par là même de toucher leur mémoire à plus ou moins long terme. Ainsi, l’un des intérêts de la mémorisation - ou de l’appropriation - à long terme pour l’apprenant serait de « savoir mémoriser pour anticiper». Prenons un exemple : la mémoire des nombres, en mathématiques. L’enfant doit savoir mémoriser « parce qu’il va être confronté aux nombres, en particulier dans la résolution de problèmes ; il va devoir utiliser des procédures qui relèvent du calcul. Pour cela, l’élève reconnaît qu’il peut faire appel à des savoirs numériques anciens, et utilise soit des résultats mémorisés, soit des connaissances sur les nombres et les transformations qu’on peut leur faire subir.»3 Par conséquent, la mémoire des nombres est nécessaire pour la réalisation de tâches y faisant appel. 2 3 VECCHI G. (de), Aider les élèves à apprendre ERMEL. Apprentissages numériques et résolution de problèmes - GS 14 Par ailleurs, l’anticipation entraîne une certaine autonomie de l’apprenant. En reprenant les propos de MONTESSORI : « Aide-moi à faire seul !», l’une des missions de l’enseignant serait d’amener l’élève à mémoriser seul, mais ce, après la découverte et l’appropriation de méthodes. Il apparaît dont important avant d’envisager de se pencher sur ces méthodes pratiques de mémorisation de comprendre comment fonctionne la mémoire et plus particulièrement, comprendre comment fonctionne la mémorisation. PARTIE 2. COMMENT LA MÉMORISATION FONCTIONNE-T-ELLE ? 1. Qu’est-ce que la mémoire ? Les définitions des dictionnaires présentent la mémoire comme « la faculté de conserver des idées antérieurement acquises »4, ou comme « la faculté de conserver et de rappeler des états de conscience passés et ce qui s'y trouve associé. »5 Les physiologistes la définissent comme l’ensemble des systèmes biologiques et psychologiques qui permettent le codage, le stockage et la récupération des informations. La mémoire est subjective – puisque propre à chaque individu - et donc nécessairement sélective mais aussi imparfaite. 4 5 Dictionnaire Larousse Dictionnaire Robert 15 1.1. La mémoire est une fonction du cerveau La mémoire est localisée dans le cerveau au niveau des lobes temporaux, et plus particulièrement au niveau de l’hippocampe : c’est ici qu’à lieu l’activité neuronale principale que constituent les opérations de la mémoire. Cette fonction est sollicitée à chaque fois qu’une information nouvelle ou récurrente arrive au cerveau. Elle coordonne des activités à la fois successives et simultanées, et nous permet de : (1) (2) (3) Acquérir une information La Conserver intacte La Restituer à la demande Le « traitement de l'information » proposé par SCHMIDT & PAILLARD en 1970, est basé sur le principe du Stimulus-réponse. L’acte de mémoriser est ainsi l'enchaînement de ces trois étapes : mettre et garder en mémoire pour restituer à bon escient. Mémoriser, ce n’est nullement remplir le cerveau d’informations comme on remplirait une bouteille avec du liquide.6 Dans le domaine des neurosciences, les chercheurs considèrent que le cerveau fonctionne comme un ordinateur, et que la fonction « mémoire » - qui est une composante - serait régie par cet ordinateur. Dès lors, il est possible d’apprendre à optimiser le stockage et le rappel des informations. 1.2. La mémoire est-elle une forme d' « intelligence » ? La mémoire et l'intelligence sont-elles liées ? Est-ce que l’une prédomine sur l’autre ? L’intelligence est définie comme « la capacité à comprendre, l’aptitude à s’adapter à une situation, à choisir en fonction des circonstances »7. L’intelligence ne concernerait alors pas la mémorisation. Pourtant, selon Alain LIEURY8, il existerait une corrélation positive entre l’empan mnésique et l’intelligence (beaucoup de tests d’intelligence comportent une épreuve de mémoire immédiate). Si l’on considère que mémoriser, c’est utiliser les connaissances apprises pour les réinvestir à bon 6 CHAMPAGNE C., Mémoriser au cycle III : les clés de la mémoire Dictionnaire Petit Larousse en couleur 8 LIEURY A., La réussite : intelligence ou mémoire ? (p.104) 7 16 escient, cela suppose bien une certaine adaptation du sujet. En effet, en fonction du contexte, celui doit faire appel à telle ou telle connaissance emmagasinée, pour proposer une réponse la plus adéquate possible. Etre intelligent, quel que soit le moyen d’évaluation, suppose d’avoir au préalable bien mémoriser et compris les savoirs et les savoir-faire pour les restituer au moment approprié. Claude CHAMPAGNE ajoute qu’ « il ne s'agit pas d’enregistrer et de restituer comme le ferait un magnétophone »9. 1.3. Mémoriser ou apprendre ? Mémoriser est un acte complexe qui suppose une activité – inconsciente - du sujet dans le fait de garder une information reçue en vue de la restituer ultérieurement dans un délai plus ou moins long. Ce n’est pas un mécanisme passif. Selon Armelle GENINET, « mémoriser, c’est être capable de redire les notions, de donner du sens à ce qui a été appris »10. Faut-il mémoriser pour apprendre ? Ou bien, apprendre pour mémoriser ? Bien sûr, il faut les deux. La mémorisation et l’apprentissage sont interdépendants. En effet, le stockage de connaissances à plus ou moins long terme est la base des apprentissages. La mémorisation pourrait être la finalité de tout apprentissage : le fait d’avoir touché la mémoire à long terme. 2. Un ou plusieurs type(s) de mémoire ? 2.1. Différents niveaux de mémoire Il existe plusieurs niveaux de mémoire. Toutefois, pour simplifier l'explication, je me contenterai des principales et ne parlerai pas de la mémoire « immédiate » (intervenant avant la mémoire à court terme), ni de la mémoire « à moyen terme », ni de la mémoire « gustative » (liée au goût) ou « olfactive » (liée aux senteurs), ni de la mémoire du « plaisir » ou du « déplaisir » (en relation avec les travaux de PAVLOV) etc. Nous pouvons représenter le mécanisme d'emmagasinage et de restitution de l"information dans le modèle ci-dessous : 9 CHAMPAGNE C., Mémoriser au cycle III : les clefs de la mémoire GENINET A. La gestion mentale en mathématique 10 17 Information Registre sensoriel Mémoire à court terme Mémoire à long terme Rappel Mémoire de travail Oubli Oubli a) De la mémoire sensorielle à la mémoire à court terme L’information (ou le message) qui arrive en mémoire est de diverses formes. Elle va être stockée provisoirement dans une mémoire sensorielle avant d’être identifiée. Le résultat de cette opération d’encodage est transféré en mémoire à court terme. L’enregistrement de l’information à ce niveau - suscite déjà des différences entre individus. En effet, chaque individu n’interprète pas de la même façon cette information qui arrive ; il y a une part importante de subjectivité. Le sujet met en mémoire ce qu’il a réussi à décoder du message reçu. Ainsi nous n’enregistrons pas une information absolue. b) Mémoire à court terme ou mémoire « de travail »? La mémoire à court terme est « une mémoire consciente, elle permet de se souvenir pendant une courte durée d’un nombre limité d’éléments ».11 Elle permet un stockage temporaire des éléments : au bout de vingt-quatre heures, nous avons oublié 80 % des informations enregistrées. « Il faut apprendre à s’en méfier, car on a toujours l’impression qu’on se souviendra. » 12 La mémoire à court terme et la mémoire de travail sont très proches. La mémoire de travail contient des informations « transitoires », qui vont être maintenues en mémoire pendant quelques minutes voire quelques heures, nécessaires à la réalisation de la tâche en cours. Elle requiert donc de l’attention. Ces informations seront en général oubliées dès la tâche terminée. Selon les chrono biologistes, la mémoire à court terme serait plus efficace le matin. 11 12 BABIN, Programmes, projets, apprentissages pour l'école maternelle CHAMPAGNE C., Mémoriser au cycle III : les clefs de la mémoire 18 c) Vers la mémoire à long terme ou « profonde » La mémoire dite « profonde » est la dernière étape du mécanisme de mémorisation : c’est le domaine de ce qu’on n'oublie pas. C’est ici qu’ont lieu les activités hautement automatisées qui se déroulent par activation directe en mémoire à long terme. Ainsi, si je veux calculer mentalement 3 fois 202, je suis obligé de retenir ces nombres en mémoire à court terme, le temps d’accéder en mémoire à long terme à des sous résultats déjà stockés (ici : 3 fois 2). France MOURET, kinésithérapeute en gériatrie, remarque tous les jours dans les différents services hospitaliers auprès desquels elle intervient que, comme toute fonction, « la mémoire ne s’use que si l’on ne s’en sert pas »13. Une sollicitation régulière de la mémoire est nécessaire pour conserver ses capacités pratiques. Notre mémoire doit sans cesse être entretenue sous peine de laisser se mettre en route le processus de l’oubli. d) L’oubli : « C’est grave, docteur !? » Faut-il mémoriser un grand nombre d’informations pour moins oublier ? Il existe une conception très répandue selon laquelle l’enfant peut tout apprendre parce qu’il est jeune. Ce qui est inexact. L'oubli est indispensable à l'équilibre mental et au processus mnésique, car le cerveau a une capacité limitée de stockage informationnel - au niveau de la mémoire à court terme. La mémoire à long terme a, elle, une capacité extensible. L’oubli est rapide en mémoire de travail, lorsque la répétition mentale est impossible. On a l’occasion d’en faire l’expérience quand on est interrompu dans une tâche qui requiert de l’attention. Par exemple, dans une opération de calcul, on va oublier le résultat du dernier calcul qu’on venait de faire, et bien souvent on va oublier aussi où on en était dans l’opération. L’oubli est donc physiologiquement normal. Seulement, à partir d’un certain âge, ce phénomène apparaît plus souvent. En effet, comme le stock neuronal diminue vers la trentaine, les connexions sont moins importantes, et le transfert de l’information se voit lui-même ralenti. Dans le cas de la maladie d’Alzheimer, l’oubli est pathologique car lié à la dégénérescence brutale des neurones. Le malade ne se souvient plus de ce qu’il a fait les heures ou les jours auparavant, par contre, il se souvient plus précisément des premières décennies de sa vie. Par ailleurs, au cours des apprentissages, l’élève va retenir « son » essentiel et oublier « son » superflu, et l’essentiel pour l’enfant ne sera pas forcément celui de l’enseignant. 13 MOURET F., Conférence « Les bienfaits des activités physiques sur la santé » - Octobre 2000 19 e) Le rappel Certains chercheurs, comme le canadien TULVIN, ont supposé que la mémoire fonctionnait comme un ordinateur ou une bibliothèque. De même que les livres sont associés à une référence qui sert d’adresse dans les rayonnages, nos souvenirs seraient munis d’indices pour les retrouver. Prenons un exemple. Il s’agit de mémoriser et retenir une liste d’une vingtaine de mots. On constate ainsi que le rappel est meilleur pour les premiers et derniers mots que pour les mots intermédiaires. En effet, les sujets ont tendance à répéter mentalement la liste depuis le début, de sorte que les premiers mots sont répétés plus souvent (répétition mentale). Les derniers mots sont mieux rappelés parce qu’ils sont en mémoire immédiate. Retenir ce qu’on apprend ne s’opère pas en une seule fois et n’est jamais totalement définitif. Pour être disponibles et mobilisables, nos connaissances ont besoin d’être périodiquement réactivées14. L’enseignant doit donc insister auprès de tous les élèves sur l’importance de la réactivation de la mémoire : chaque soir, prendre le temps de revoir, de revoir le cours, puis le reprendre après quelques jours. 2.2. L’information est de diverses natures a) La mémoire « déclarative » – La mémoire « procédurale » Les informations sont mémorisées à la fois par la mémoire dite « déclarative » et par la mémoire dite « procédurale ». Tandis que la mémoire déclarative concerne les savoirs théoriques (par exemple, connaître les caractéristiques de l’époque du Paléolithique, en histoire), la mémoire procédurale se rapporte, elle, aux savoirs- faire (par exemple, savoir faire la synthèse de quelque chose). b) La mémoire « lexicale » – La mémoire « sémantique » De la même façon, on distingue, au niveau de la langue orale ou écrite, la mémoire « lexicale » qui se réfère au vocabulaire acquis et la mémoire « sémantique », qui elle fait référence au sens véhiculé dans l’information. 14 CHAMPAGNE C., Mémoriser au cycle III 20 Voici ci-dessous, la présentation du T.A.P. de Français, réalisé dans une classe de C.P. avec leur enseignante, F. HENRIAT, I.M.F. à l’école des Rosoirs, pourra illustrer ces termes. (Cf. ANNEXES 1, 2, 3). OBJECTIF : « Mémorisation et Ecriture » Comment fait-on pour mémoriser ? Et pour écrire ? Les séances observées et menées, s’appuient sur l’album de Philippe CORENTIN, Plouf ! Les textes travaillés par les enfants comportent une quarantaine de mots. « Il existe un lien entre l’acte de mémoriser et celui d’écrire ». En effet, pour F. HENRIAT, c’est par les répétitions, par des manipulations de mots étiquettes – quotidiennes - que l’imprégnation des mots va se faire. C’est un entraînement auquel l’élève doit être confronté le plus possible. Lors du rituel de la date, par exemple, l’enseignante peut choisir de faire écrire à la classe – sous la dictée de l’adulte ou non – le nouveau mois. Le rituel est en cela une véritable situation d’apprentissage. La découverte de texte se fait par l’élève et requiert des stratégies différentes : soit par reconnaissance globale, dans le cas où les mots sont déjà connus, soit par décodage ou « déchiffrage », pour les mots inconnus. Par ailleurs, la reconnaissance de la graphie d’un mot se fait par la reconnaissance de la « silhouette » de ce mot, mais aussi par sa mise en contexte (sa place dans la chronologie de l’histoire, par exemple). Ainsi l’acquisition de la lecture passe à la fois par l’acquisition du code mais aussi celle du sens. Pour F. HENRIAT, « la phrase est une unité de sens – elle véhicule une idée, et est également codée – par la ponctuation ». On remarque ainsi que lors de l’apprentissage de la lecture, au Cours Préparatoire, l’enseignant vise principalement à développer la mémoire dite « lexicale » en augmentant le bagage de mots reconnus, ainsi que la mémoire dite « sémantique » qui est portée sur le sens des mots, leur(s) signification(s). 21 2.3. La mémoire dite « défaillante » a) La maladie d’Alzheimer C’est une pathologie de la mémoire. Elle correspond à une dégénérescence des neurones. « Le malade est alors incapable d’apprentissages requérant la conservation d’informations : il ne se souvient plus de ce qui a été fait auparavant et il faut continuellement reprendre les choses au début »15. Pour LIEURY, la maladie d’Alzheimer montre que nos capacités mentales peuvent être réduites de façon catastrophique si la mémoire est détruite. Le traitement médical atténue les effets de la maladie mais n’aide en rien à recouvrer la mémoire : il est préventif. Ce qui est perdu est perdu. Il existe par ailleurs de nombreuses autres maladies neurobiologiques qui peuvent altérer, souvent de façon irrémédiable, les fonctions de la mémoire et du coup, les mécanismes de mémorisation. b) La dyslexie Pour LEUCAT, Professeur à l'Université de Bourgogne, et spécialiste de l’A.I.S. (Aide à l’Intégration Scolaire), « la dyslexie est une absence d’automatisation cérébrale ». En effet, l’enfant comprend ce qu’il lit (physiquement) mais lit effectivement des synonymes des mots ; pourtant dans sa tête, il entend le bon mot. Ainsi, les enfants dyslexiques mémorisent bien mais restituent mal. c) L’illettrisme Actuellement, en France, l'illettrisme pourrait représenter plus de 20% de la population. Un des critères relevés : la maîtrise d’un texte de 180 mots simples. Pourtant, la plupart ont suivi une scolarisation "normale" dans la durée - de 6 à 16 ans. S’agit-il d’une mauvaise mémorisation ? Ou bien, ne pas être assez confronté à l’écrit au quotidien entraîne son oubli ? Toutes les études autour de l’illettrisme montrent qu’une des causes de l‘oubli des apprentissages liés à l’écrit (règles orthographes et grammaticales, construction syntaxique…) résulte du manque de réinvestissement régulier de l’écrit. 15 C.N.E.D. Cours de Psychologie : Origines et bases 22 3. Ce qui peut gêner ou favoriser l’acte d’apprendre 3.1. Les facteurs propres à la personne (ou intrinsèques) a) Au niveau du traitement de l’information Il peut y avoir dysfonctionnement de la mémoire à chacune des étapes du traitement de l’information (Cf. Partie 1/1.1) : (1) * Le message à retenir n'est pas clair, ne présente pas d'intérêt * L'individu a une déficience au niveau de ses capteurs sensoriels (mauvaise vue, mauvaise ouïe…) (2) * Le cerveau n'est pas éveillé * Il existe des troubles de santé (physiques, psychologiques) (3) * Le désir de se rappeler n'est pas assez vif (pas de projet) * La sollicitation extérieure n'est pas assez forte L’enseignant se doit d’être vigilant dans sa pratique et tenir compte de ces dysfonctionnements possibles et non exhaustifs. b) L’âge Les élèves n’apprennent pas les mêmes choses selon leur âge. D’ailleurs, les objectifs et les contenus d’enseignement sont adaptés à l’âge. Par exemple, la multiplication est abordée en CE1 sous forme de problèmes simples et c’est seulement en classe de CE2 et CM1 que la technique est introduite. De même, à la maternelle, un enfant pourra stocker des informations concrètes. Selon PIAGET, le stade de développement de l’individu a une incidence sur sa capacité à raisonner. C’est seulement vers l’âge de 12 ou 13 ans qu’un enfant développe la capacité d’avoir un « raisonnement hypothético déductif »16 : il émet des hypothèses pour tenter de répondre à un problème posé (si …alors …). Autrement dit, on ne peut espérer qu’au Cours Moyen, l’enfant soit véritablement capable de raisonner sur l’abstrait, c’est-à-dire sur des choses non visibles, non concrètes. L’enseignant propose certes des exercices relevant du raisonnement et de la logique, mais ceux-ci sont pensés de manière à ce que l’enfant développe ses capacités cognitives progressivement. 23 Car, toujours selon PIAGET, le développement de la pensée et du langage serait défini par des stades liés à la capacité neuronale. En effet, au fur et à mesure que l’enfant grandit, son stock de connexions neuronales s’agrandit, ainsi il développe sa capacité de raisonnement. c) La dominante de stratégie développée par l'apprenant Linda WILLIAMS déclare qu’il y a « plusieurs cerveaux dans une seule tête ».17 Notre cerveau n’est pas un organe homogène. En plus d’être composé en couches superposées correspondant aux grands stades de l’évolution des êtres vivants, il est également séparé en deux parties : l’hémisphère droit et l’hémisphère gauche. Les récentes recherches en neurologie ont révolutionné nos conceptions des mécanismes mentaux. Nous savons maintenant que les deux hémisphères du cerveau fonctionnent de façon radicalement différente : Le cerveau GAUCHE Le cerveau DROIT - Est le siège de l’imagination, de la création - Gère la parole, l’abstraction - Synthétise, il peut traiter plusieurs - Est analytique et logique informations en même temps - Est sollicité dans les activités de langage - Orienté vers une perception globale, il privilégie les images, les schémas Le cerveau gauche fonctionne donc beaucoup Le cerveau droit quant à lui opère surtout à en utilisant l’auditif. partir du visuel. La mémoire est « auditive » (ou verbale) La mémoire est « visuelle » (ou imagée) D’une manière générale, nous nous répartissons ainsi, à peu près par moitié, entre ceux à dominante visuelle et ceux qui sont à dominante auditive. L’enseignant se doit d’être vigilant sur le fait que pour comprendre et mémoriser, certains enfants seront plutôt « auditifs » alors que d’autres plutôt « visuels ». Chaque élève – mais également chaque enseignant – a des habitudes mentales pour être attentif, pour apprendre, pour comprendre, pour réfléchir, pour mémoriser ou pour imaginer. « Nous avons tous un mode privilégié d’utilisation des possibilités de notre cerveau ».18 17 18 Linda WILLIALS. Deux cerveaux pour apprendre : le gauche et le droit Claude CHAMPAGNE. Mémoriser au cycle III 24 LIEURY insiste sur l’intérêt de donner des mots sous la forme la plus riche possible, c’est-àdire « audiovisuelle », pour que l’enfant connaisse à la fois la prononciation (grâce à l’utilisation de sa mémoire auditive) et l’orthographe (sa mémoire visuelle). Cf. ANNEXE 4 Cependant, il existe un autre mode d’enregistrement. CHARCOT, éminent neurologue des années quatre-vingt, évoque les « moteurs », terme qui sera repris par la suite par le pédagogue Antoine de LA GARANDERIE. Ceux-ci font appel à la mémoire du geste (ou kinesthésique). Cette mémoire joue également un rôle important dans les apprentissages, notamment au travers de la mise en action ou par la manipulation de matériel. Elle intervient, par exemple, lors de séances d’écriture, pendant lesquelles l’enfant s’exerce à écrire afin d’acquérir des automatismes – tout en respectant un certain code d’écriture. Ainsi, pour dessiner les petites lettres rondes, comme le a ou le o, il faut se rappeler que le crayon est posé sur le premier interligne (d’un cahier SEYES) et qu’ensuite, je dois tourner dans le sens contraire des aiguilles d’une montre pour fermer la boucle. Mais attention ! A trop privilégier tel ou tel mode d’enregistrement, l’individu se retrouve parfois bloqué dans la résolution d’un problème qui requiert la composante qu’il n’a pas développée. Je m’explique dans l’exemple ci-après tiré de ma pratique personnelle. L’apprentissage du piano est un exemple concret d’activité relevant à la fois des trois modes de reconnaissance. LEÇON DE PIANO J’ai appris à jouer du piano étant petite et pratiqué pendant une dizaine d’années. Et je me rends compte à l’heure actuelle que, si je veux à nouveau jouer un morceau que je connaissais sur le bout des doigts – comme La sonate de Beethoven, par exemple - et bien je rencontre quelques difficultés. Je suis capable de jouer le début du morceau, par le souvenir de la gestuelle et de la mélodie, mais une fois bloquée, sans recours à la partition, je suis perdue. Me voilà, dix ans plus tard, à redécouvrir la partition, et notamment, le déchiffrage des notes, en clé de fa et clé de sol… Pendant longtemps, j’ai privilégié la dominante gestuelle et auditive essentiellement. Depuis toute petite déjà, j’avais des difficultés en matière de reconnaissance des notes écrites sur la partition, non pas pour celles de la clé de sol (pour la main droite) mais pour celles écrites en clé 25 de fa (pour la main gauche). Du coup, n’ayant jamais véritablement fait l’effort d’un apprentissage assidu, je me suis adaptée et reposée sur les autres stratégies d’apprentissage. De même, un pianiste qui privilégierait la dominante visuelle, en s’appuyant sur la lecture de la partition, doit également développer les autres types de mémoires auditives (ex : être sensible à la justesse des notes, à l’harmonie) et kinesthésique (ex : « les mains » ont enregistré leurs déplacements sur le piano) au risque de voir apparaître des défaillances. Ainsi, le bon pianiste est celui qui développe simultanément les trois dominantes d’apprentissage, utilise et coordonne les deux hémisphères. Il connaît son morceau de musique « sur le bout des doigts » : la lecture de sa partition, la mélodie et la gestuelle. Par conséquent, il faut aussi travailler la stratégie pour laquelle on est le moins performant, et non pas se reposer uniquement sur celle qui nous convient le mieux – car à un moment donné, elle nous fera défaut. Linda WILLIAMS ajoute que « le cerveau a deux hémisphères [mais constate que, malheureusement] trop souvent, le système éducatif fonctionne comme s’il n’avait qu’un seul hémisphère ». d) La motivation – La pédagogie du projet Certaines informations sont emmagasinées « passivement » alors que d’autres vont nécessiter un investissement de l’individu, selon son projet personnel. « On ne retient que ce qui est utile, intéressant pour soi et objet d’un projet en réutilisation »19. L’enseignant doit tenter d’amener l’enfant à avoir un projet d’apprentissage à long terme : Je ne sais pas Je sais Je m’approprie J’expérimente Je sais pour longtemps J’ai un projet Ça me semble important Antoine de LA GARANDERIE parle de projet ou d’« imaginaire d’avenir » dans les gestes mentaux. Il distingue cependant le projet de l’objectif. L’objectif – donné par l’enseignant - est extérieur à l’élève et commun à la classe. C’est le but à atteindre, évaluable, vérifiable objectivement. Tandis que le projet est complètement personnel et fait appel à des stratégies mentales préalables pour atteindre l’objectif fixé. Pour un même objectif, « effectuer une multiplication », par exemple, un enfant aura comme projet de 19 « faire une BABIN. Programmes, projets, apprentissages pour l’école maternelle 26 opération » ou de « faire un dessin »…La notion de projet – dans ce cas - se rapproche de la notion de stratégie de résolution (terme réservé aux mathématiques). Néanmoins, pour un élève de l’école primaire, il est encore difficile de se projeter dans l’avenir. En effet, nous savons que la motivation première de l’enfant sera d’abord de faire plaisir à l’adulte, à son enseignant et surtout à ses parents. e) L’attention La notion d’attention intervient au niveau de la mémoire de travail. Elle est le maillon central d'une chaîne : BESOIN INTERET MOTIVATION ATTENTION CONCENTRATION ORGANISATION La notion est la condition préalable à l'enregistrement : sans attention, il n'y a pas de mémoire. Le plus souvent, nous ne manquons pas de mémoire mais d'attention. Les enfants, et surtout les plus jeunes, ont une capacité d'attention limitée (variable entre 10 à 15 minutes pour les plus jeunes, et parfois jusqu’à 25 minutes pour leurs aînés). Contrôler son attention implique que l'on passe d'une situation d'automatismes à une situation d'intervention consciente et volontaire. f) L’anxiété – le stress La mémoire à long terme est gênée par l’anxiété, le stress ou un environnement perçu comme menaçant. Toutefois, il faut distinguer deux niveaux de stress : on parle de « stress positif » quand celuici motive, et de « stress négatif » quand, au contraire, il empêche de réaliser l’action souhaitée (par exemple, la feuille blanche à l’examen). Dès lors, si l’état d’anxiété du sujet apprenant est trop élevé, il ne sera pas dans de bonnes conditions pour apprendre et restituer. 3.2. Les facteurs extérieurs (ou extrinsèques) a) L’environnement Peut-on apprendre ses leçons en écoutant de la musique ou en regardant la télévision ? 27 Les enfants le disent eux-mêmes (Cf. Partie 1) : « il est important que l’environnement soit calme pour rester concentrer » et pour que la mémorisation ne soit pas parasité par des éléments extérieurs qui n’auraient pas à être enregistrés. Comme la catastrophe du Journal de 20h qui viendrait s’intercaler entre deux tables de multiplication, par exemple ! b) La tâche Dans la réalisation d’une tâche, la mémorisation dépend de façon primordiale des objectifs. L’élève doit savoir pourquoi il fait telle chose. La tâche doit donc avoir du sens. De même qu’elle doit être raisonnable en terme de quantité. En effet, la surcharge nuit à la mémoire et ralentit l’apprentissage. Au niveau temporel, si la même tâche est trop souvent répétée ou trop longue, elle va vite manquer d’intérêt pour l’apprenant. L’enseignant doit varier la présentation de la tâche. La première condition pour que nos élèves retiennent ce que nous leur enseignons, c’est que le contenu de la séquence de présentation soit clair et qu’elle soit conduite de façon active et vivante. c) Les pauses – le sommeil Les phases de repos entre l’apprentissage d’une notion et le rappel sont bénéfiques à la mémorisation. En effet, c’est l’observation que l’on peut faire dans la vie quotidienne : on se souvient mieux le matin d’un texte appris la veille au soir avant de s’endormir qu’on ne se souvient le soir qu’un texte appris le matin. Ce sont les activités de la journée, plus que le temps en lui-même qui est responsable de la détérioration de la rétention. L’enseignant, dans sa pratique, doit être vigilant par rapport à la motivation de l’élève et à sa capacité à recevoir l’information. L’élève, de son côté, doit s’investir au maximum pour garantir une véritable appropriation des savoirs. « C’est la combinaison des deux paramètres qui expliquerait le fait qu’il existe des inégalités face aux apprentissages, notamment dans le fait que certaines retiennent mieux que d’autres »20. 20 BABIN, Programmes – Projets – Apprentissages… 28 L’enseignant, dans le cadre d’une pédagogie active, doit donc sans cesse s’interroger sur les différentes composantes de la mémorisation pour savoir s’il ne peut proposer pas des solutions adaptées à chaque élève. PARTIE 3. QUELLES SOLUTIONS PÉDAGOGIQUES POUR PERMETTRE UNE MEILLEURE APPROPRIATION DES SAVOIRS ? 29 1. La place de la mémoire dans l'enseignement Au début du XXè siècle, on ne connaissait peu de chose du cerveau et de son fonctionnement. Pourtant, il y avait des résultats sur le plan scolaire. Les enfants apprenaient et retenaient. Mes parents, par exemple, élèves dans les années soixante, se souviennent encore des différentes préfectures ou chefs-lieux de tel ou tel département ! Nous savons que la pédagogie a évolué, notamment par rapport au statut de l’apprentissage « par cœur » qui trouve ses limites dans son absence de sens. Elle a évolué également par les différentes politiques du gouvernement. Ainsi, la Loi d’Orientation de 1989 – promue par Lionel JOSPIN, Ministre de l’Education Nationale à l’époque, a tenté des réformes, notamment dans la démocratisation de l’enseignement. Cependant, la guerre du « par cœur » contre les pédagogies dites « innovantes » est plus que jamais d’actualité quand, sans cesse, l’échec dans la scolarité d’un élève est systématiquement expliqué par un problème de pédagogie ou d’autorité de l’enseignant… 2. Les méthodes actuelles de mémorisation 2.1. Apprendre en répétant (ou par le « par cœur ») Pour MONTAIGNE, « Savoir par cœur n’est pas savoir : c’est tenir ce qu’on a donné en garde à sa mémoire » (extrait des Essais). L’apprentissage par cœur est souvent dévalorisé, car il est vu comme un apprentissage passif et bête comme dans la répétition du perroquet. Parfois la répétition se fait sans compréhension, or de multiples expériences ont démontré que, le plus souvent, la répétition était l’occasion d’une organisation de l’information. Pour LIEURY, il faut revaloriser l’apprentissage par cœur, car celui-ci comprend plusieurs composantes, une organisation et un rappel à court terme. La répétition a toujours été considérée comme un facteur majeur de la mémorisation. Les méthodes d’apprentissage témoignent du fait que cette idée est fort répandue dans le public. Cette idée a un support scientifique incontestable ; la répétition joue un rôle important, on ne peut le nier. Ainsi, l’auteur évoque le rôle de la vocalisation dans la mémoire. En effet, « si on supprime la vocalisation [répétition à voix basse ou intériorisée], on constate une diminution importante de la mémorisation »21. Cependant, l’erreur serait de croire que c’est le facteur majeur, voire le seul facteur de mémorisation. 21 LIEURY. Mémoire et réussite scolaire (p.21) 30 2.2. Apprendre par l’action a) La manipulation Comme dit DEWEY, « C’est en faisant qu’on apprend ». C’est à force d’expérimentation, de pratique, d’entraînement, que l’on atteint une certaine automatisation. La pratique, la manipulation ainsi que le retour sur l’action ont une incidence importance sur l’appropriation d’un savoir, comme nous l’avons observé dans la Partie 1. Le matériel disponible tient une place essentielle : il facilite la concrétisation de la notion souvent abstraite. Par exemple, dans le cadre des mathématiques, les abaques ou les cubes de couleur, sont utilisés pour la découverte de la quantité (ex : la dizaine, la centaine…) b) Le jeu Le jeu joue un rôle important dans les apprentissages, notamment par le plaisir que celui-ci procure à l’élève. A la maternelle, l’essentiel des apprentissages passe par le jeu, mais bien souvent, cet aspect ludique est délaissé au primaire. Ci-dessous, l’exploitation de « cartes numériques » montre l’intérêt du jeu dans une phase de réinvestissement de l’apprentissage des tables de multiplication (Cf. ANNEXES 5, 6 et 7) Les tables de multiplication : JEUX DE CARTES Dans le cadre de mon deuxième stage en responsabilité, en classe de CE2, j’ai utilisé des « cartes ludiques », à partir desquelles les élèves ont pu réinvestir de façon plus sympathique, leurs tables de multiplication qu’ils avaient appris pour le coup « par cœur ». Ceci a fait fureur ! Lorsque les enfants avaient terminé leur travail – et en attendant que le reste de la classe ait fini- ils se précipitaient sur les jeux de cartes. Ils ont même inventé même de nouvelles façons de les utiliser. Avec les cartes, les enfants ont pu ainsi jouer à différents types de « Batailles », « Mémory » … Chaque élève a dû retrouver mentalement le résultat des différents produits inscrits sur les cartes, et en déduire si, par rapport aux adversaires, il avait un résultat inférieur ou supérieur. 31 Finalement, ce jeu a permis le réinvestissement de plusieurs compétences : calculer un produit, comparer par rapport à d’autres produits, retrouver les différents écritures des produits correspondant à un même résultat. Il semble donc primordial de ne pas abandonner l’aspect ludique au primaire, et même audelà. Il est motivant pour les enfants d’apprendre en jouant. Pourquoi alors ne pas utiliser et s’appuyer sur qui ce marche pour les plus petits (de la maternelle) dans les classes supérieures ? 2.3. Apprendre par les images Pour LIEURY, les images (ou dessins) sont plus efficaces en mémoire que les mots. Mais la mémorisation des images n’est pas une simple visualisation dans une mémoire photographique, comme beaucoup le pensent ; elle est le résultat de nombreux mécanismes, notamment d’interprétation de l’image et de mise en correspondance avec un mot. Néanmoins, pour une meilleure efficacité, l’image doit être complétée par le texte. 2.4. Apprendre par l’imagerie mentale En E.P.S., surtout dans le milieu des sportifs de haut niveau, les psychomotriciens parlent de « préparation mentale ». Les athlètes apprennent à mémoriser leur enchaînement d’actions motrices. Ils sollicitent alors la mémoire du geste. Ceci entraîne des gains de performances notoires. Quel réinvestissement au niveau de l’enseignement ? En écriture, par exemple, l’élève qui fait des lignes d’écriture s’entraîne en fait à réaliser telle ou telle lettre. Il visualise son geste – de façon inconsciente. Cependant, en rendant cette visualisation mentale consciente – comme pour un athlète – ne peut-on pas garantir des progrès au niveau de la calligraphie, de la graphie d’un mot ? 2.5. Apprendre en comprenant, simplement ! 32 La compréhension est une démarche personnelle, extérieure au champ d’action de l’enseignant. Cependant, faut-il apprendre pour comprendre ? Ou bien, comprendre pour apprendre ? Personne ne doute que pour retenir et utiliser ce qu’on a appris, il faut d’abord le comprendre et en percevoir le sens. En effet, la meilleure façon de mémoriser un texte, c’est d’essayer de bien le comprendre. Le « par cœur » a fait ses preuves, mais retenir est-ce seulement cela ? Parce que la mémorisation est acte complexe, l’apprentissage par répétition ne peut suffire. Il revient donc à l’enseignant de mettre en œuvre des techniques simples de mémorisation qui rendront beaucoup plus efficaces l’enseignement qu’il dispense. 3. Vers de nouvelles méthodes : l’exemple de la « gestion mentale » 3.1 Qu’est-ce que la « gestion mentale » ? Il est possible d’intégrer la gestion mentale complètement à la pratique pédagogique - et pas uniquement comme outil de remédiation pour l’élève en difficulté – si on a le souci de donner leur chance à un plus grand nombre d’élèves, quel que soit leur âge. (Antoine de LA GARANDERIE) LA GARANDERIE a posé les bases théoriques de la gestion mentale, ouvrant ainsi des portes à la pédagogie. Il la définit comme étant « une proposition de pratique pédagogique visant à gommer de nombreuses difficultés, en particulier de compréhension ». Ainsi, les activités relevant de la gestion mentale seraient « des outils pour mieux réfléchir, pour mieux comprendre et pour mieux retenir ».22 Voici ci-après différentes stratégies des élèves observées lors de la recherche d’un problème de mathématiques. Approche de la multiplication (CE2) 22 GENINET A. La gestion mentale en mathématiques 33 Problème : à partir d’un quadrillage, trouver le nombre total de carreaux. Stratégie 1 : addition réitérées Un élève compte le nombre de carreaux contenus dans une colonne et additionne tant de fois pour chaque colonne du quadrillage, il obtient l’opération suivante : 4+4+4+4+4+4+4=? = (((((4 + 4) + 4) + 4) + 4) + 4) + 4 = ((((8 + 4) + 4) + 4) + 4) + 4 = (((12 + 4) + 4) + 4) + 4 7 étapes = ((16 + 4) + 4) +4 = (20 + 4) + 4 = 24 + 4 = 28 Stratégie 2 : réinvestissement d’un résultat acquis antérieurement Un autre élève compte le nombre de carreaux contenus dans une colonne et fait des regroupements à partir de résultats connus ; ici : 4 + 4 = 8 = (4 + 4) + (4 + 4) + (4 + 4) + 4 = (8 + 8) + (8 + 4) = 16 + 12 4 étapes = 28 Stratégie 3 : experte – résolution par multiplication 7 X 4 = 4 X 7 = 28 1 étape Il est important que l’élève perçoive la nécessité de l’acquisition de résultats mémorisés antérieurement pour gagner en efficacité. Même s’il n’en voit pas immédiatement l’utilité, l’élève peut comprendre qu’apprendre a un intérêt. En effet, lors de la résolution d’un autre problème, il pourra faire appel aux notions déjà mémorisées. 34 3.2. Quelques techniques de gestion mentale a) Les « images mentales » ¤ Les comptines numériques - jeux de doigts Les comptines sont essentiellement utilisées en maternelle. Elles sont un excellent moyen de faire travailler la mémoire chez les petits. Le plus souvent, la mémorisation repose sur des critères phonologiques comme les assonances, les rimes… Elles visent différents objectifs : _ Pour le plaisir des mots ou des rimes _ Pour le plaisir de dire sans se tromper _ Pour désigner quelqu’un directement _ Pour aborder les nombres et s’approprier l’aspect ordinal (les suites de nombres énumérés dans l’ordre, les suites fractionnées de 1 en 1, de 2 en 2…) _ Pour jouer avec les nombres et les mots (les nombres sont séparés par mots ou groupes de mots) _ Pour aborder les quantités et s’approprier l’aspect cardinal du nombre (par les collections : jeux de doigts, constellations…). Voici deux exemples réalisés en maternelle, dans une classe de PS-MS, liés à différents objectifs mathématiques. L’objectif est ici la mémoire des QUANTITES. Attention… (Une main dans le dos) Dans ma main, j’ai cinq doigts (La main sort, doigts écartés) En voici… 2 ! (Montrer les doigts) En voici… 3 ! L’objectif est la mémoire des NOMBRES. C’est la baleine qui tourne et vire Autour de cinq petits navires (Les deux mains en l’air) (La main G doigts écartés) Petit navire, prends garde à toi Ou la baleine te mangera ! 5, puis 4, puis 3… (Un à un, les doigts se replient) 35 ¤ Les moyens mnémotechniques Le premier qui ait ébauché la mnémotechnique est, dit-on, SIMONIDE (un poète lyrique grec du Vè siècle avant notre ère). Il a en effet observé que la mémoire est aidée par des « cases bien marquées dans l’esprit ». Les moyens mnémotechniques sont des « procédés capables d’aider la mise en mémoire par des associations mentales ».23 Par exemple, en Sciences, et plus particulièrement en Astronomie, on donne généralement aux enfants des petites phrases pour retenir la position des planètes par rapport au Soleil. Mercredi, Viendras-Tu Manger, Jean, Sur Une Nappe Propre ? En reprenant l’initiale de chaque mot composant la phrase, l’élève retrouve l’initiale de la planète correspondante. Il existe évidemment d’autres phrases permettant de retrouver l’ordre des planètes. Ainsi, les neuf planètes gravitant autour du Soleil, de la plus proche à la plus éloignée sont : Mercure – Vénus – Terre – Mars – Jupiter – Saturne – Uranus – Neptune - Pluton Toutefois, il est nécessaire que nos astrophysiciens n’ajoutent pas des planètes supplémentaires à notre système solaire (comme SEDNA, KORE, VARUNA ou la planète X…), auquel cas, les « petites astuces » actuelles ne marcheraient plus ! b) Les catégorisations La catégorisation des éléments joue un rôle important dans la fixation en mémoire ; les éléments sont accessibles par les catégories auxquelles ils appartiennent. Pour MANDLER (1967), la mémorisation se fait par construction d’un réseau hiérarchique et intégration des éléments à apprendre dans ce réseau. Exemple : les situations d’apprentissages de listes mettent en évidence une activité d’organisation des connaissances à apprendre consistant essentiellement en activités de catégorisation, en fonction de critères de type sémantique, phonétique ou grammatical. 23 Dictionnaire. Petit Larousse en couleur. 1990 36 Si j’apprends les mots suivants : merle – canari – aigle – pie, je vais faire appel à ma mémoire sémantique et catégoriser sous le nom « oiseau », ce qui fait une unité à mémoriser au lieu de quatre. Une des règles pour « mieux » mémoriser ne serait-elle pas d’amener chaque apprenant à « décortiquer » l’information qu’il porte à sa mémoire pour qu’elle soit stockée avec le plus de chemins possibles ? La mémorisation sera d'autant meilleure que l'arborescence est développée. (Cf. ANNEXE 8) « On pourrait comparer le cerveau à une bibliothèque dont les potentialités sont l’espace de rayonnage : la mémoire, l’acte de mémoriser serait la capacité à organiser, à ranger les livres, les connaissances que l’on choisit pour alimenter ces rayons »24. Exemple : Mémoriser ma leçon d’histoire Je dois retenir la leçon intitulée : « La bataille de Vercingétorix à Alésia en -52 » De quelle façon vais-je enregistrer les différentes informations ? - dans la catégorie « événement » ? - dans la catégorie « personnage » ? - dans la catégorie « lieu » ? - dans la catégorie « date » ? J’ai tout intérêt à enregistrer sous diverses formes possibles afin de garantir un meilleur rappel : plus le nombre de chemins est important et plus j’ai de chance de retrouver l’information. L’organisation est le moteur de l’apprentissage. Sur le plan pédagogique, il est très efficace d’apprendre une leçon en parties et sous-parties bien organisées selon un plan « sémantique ». L’élève doit construire ses stratégies d’organisation. 3.3 Apprendre « en recontextualisant » Le contexte dans lequel on apprend peut aider à se souvenir (lieu, horaire, circonstances…). En effet, pour en avoir fait l’expérience aux différents examens passés au cours de ma scolarité, le 24 LIEURY. Mémoire et réussite scolaire 37 fait d’apprendre telle matière en tel endroit peut aider à fixer en mémoire. C’est en se souvenant d’abord du lieu que l’on retrouve les informations apprises en ce lieu. A l’inverse, il est possible de créer un contexte imaginaire : l'élève décide de placer telle information dans tel lieu visuel représentant un lieu commun (la cuisine, la salle à manger…). Par exemple, pour la mémorisation d'une poésie, je visualise ma maison. Celle-ci représenterait la poésie. Je placerais la première strophe dans la cuisine, la seconde dans la salle à manger, etc. Ainsi au moment du rappel, la « déambulation mentale » dans les diverses pièces rappellerait l'information stockée. 4. L’évaluation de la mémoire ? Est-il possible d’évaluer la mémoire ? Il serait plus approprié de parler de « détection » de la mémoire. Nous avons pu constaté qu’il est possible de savoir comment l’élève mémorise et donc, par là même, de mettre en évidence ses stratégies de mémorisation. Cette évaluation « diagnostique » va permettre ensuite à l’enseignant d’organiser sa pédagogie et de proposer des solutions adaptées aux élèves en vue d’améliorer l’acquisition des savoirs. A la fin des apprentissages, ce sont généralement les progrès qui sont évalués en terme de savoirs « acquis » donc mémorisés, ou de savoirs « non acquis ». La non-acquisition résulte cependant de deux causes : l’oubli ou le non enregistrement de l’information. Dans le premier cas, l’enfant a effectivement mémorisé mais pas en mémoire à long terme ; il a arrêté son apprentissage trop tôt. Dans le second cas, l’enfant est passé à côté de l’information, il n’a pas du tout mis en mémoire. A ce moment là, l’enseignant doit s’interroger sur sa pratique mais également sur les processus de mémorisation de l’élève afin de lui proposer une remédiation, une aide adaptée. 38 CONCLUSION L’école, lieu de mémoire Cécile DELANNOY Le processus de mémorisation est très impliqué dans la réussite scolaire, contrairement aux conceptions dévalorisantes d’une « mémoire par cœur ». Elle doit retrouver son statut de faculté précieuse et noble qu’on lui attribuait de l’Antiquité jusqu’à la Renaissance. Toutefois, on ne doit pas penser la notion mémoire comme unique et homogène. Parce qu’il s’agit d’une notion complexe et très diversifiée, le terme « les mémoires » est plus approprié. Il existe effectivement différentes mémoires liées aux modes d’enregistrement sensoriel (visuel, auditif et kinesthésique principalement). Chaque élève développe des capacités de mémorisation et utilise certains types de mémoires sensorielles plutôt que d’autres. Néanmoins, c’est l’utilisation de toutes les mémoires qui garantit une mise en mémoire efficiente. Dès lors qu’il est conscient des stratégies qu’il met en œuvre, l’élève peut augmenter son potentiel de mémorisation et les optimiser. Seulement, en primaire, il est encore trop jeune pour développer seul sa capacité de mémorisation car il a besoin de concret pour comprendre et donc apprendre. C’est pourquoi l’enseignant doit être vigilant à « l’acte de mémoriser », étape primordiale dans l’acquisition du savoir. Il peut alors aider l’élève à trouver ses stratégies par le biais, notamment, de techniques – en particulier, les techniques de gestion mentales – et lui permettre de s’approprier une méthode optimale de mémorisation à long terme. L’une des finalités de l’enseignement est l’acquisition de notions dans les différentes matières. Pour autant, n’est-ce pas en permettant à l’apprenant d’avoir un regard et une maîtrise de ses processus cognitifs, et plus particulièrement mnésiques, qu’il pourra réinvestir ce savoir ? Ne pourra-t-il pas dès lors être autonome par rapport à ses apprentissages ? Comme, l’élève doit avoir un projet d’avenir pour emmagasiner correctement les connaissances, l’enseignant doit également en avoir un. En portant une attention particulière à la mémorisation de l’élève, l’enseignant participe de façon active à sa future citoyenneté. 39 BIBLIOGRAPHIE Dictionnaire encyclopédique. ROBERT Dictionnaire de la Langue Française. LAROUSSE – Lexis. 1993 Dictionnaire. Petit LAROUSSE en couleur. 1990 BABIN N., TERRIEUX J., PIERRE R., Programmes, projets, apprentissages pour l’école maternelle. Hachette Education. 2002 BAUMARD M., « Mémoire et apprentissage, une histoire d’amour contrariée ». Le Monde de l’Education. n°284. Septembre 2000 CHAMPAGNE C., HUVIER B., ROUMIEUX S., Mémoriser au cycle III : les clefs de la mémoire. Les Pratiques de l’éducation. Nathan. 1995 C.N.E.D. sous la direction de GHIGLIONE R. et RICHARD J.-F., Cours de psychologie : Origines et bases. 2003 DELANNOY C., Une mémoire pour apprendre. Hachette. 1994 ERMEL. Apprentissages numériques et résolution de problèmes - GS. Hatier GARANDERIE A. (de LA), Pédagogie des moyens d’apprentissages. GENINET A., La gestion mentale en mathématiques : Application de la 6° à 2de. Retz. 1993 LE PONCIN M., Gym Cerveau. Stock. 1987 LIEURY A., Mémoire et réussite scolaire. Dunod 40 M.E.N. Qu’apprend-on à l’école maternelle ?à l’école élémentaire ? CNDP. 2002 MOURET F., Conférence « Les bienfaits des activités physiques sur la santé ». Octobre 2001 PIAGET J., Psychologie du développement VECCHI G. (de), Aider les élèves à apprendre. Hachette. 1992 WILLIAMS L., Deux cerveaux pour apprendre : le gauche et le droit. Les éditions d’organisation. 1986 ANNEXES ANNEXE 1. 2 L’apprentissage de la lecture – F. HENRIAT ANNEXE 3 Lecture : La reconnaissance globale du mot (jeu) ANNEXE 4 La présentation audiovisuelle de l’information ANNEXE 5 Séquence de mathématique : La multiplication (CE2) ANNEXE 6 La table de Pythagore, outil construit avec les élèves ANNEXE 7 Les cartes numériques (jeu) 41 ANNEXE 8 Exemple de « hiérarchisation catégorielle » ANNEXE 9 Le processus de mémorisation (dessins humoristiques) 42