2C. Marendaz et al.
En 1959, Warren McCulloch et ses collègues du MIT signaient
une publication qui allait révolutionner le point de vue sur la reconnais-
sance visuelle et mobiliser (et continuer de mobiliser) un nombre très im-
portant de chercheurs de toutes disciplines : « What the frog’s eye tells the
frog’s brain » (Lettvin et al., 1959). Les auteurs y montraient que l’œil de
la grenouille transmet l’information visuelle au cerveau de manière déjà
très organisée (voir Werblin & Roska, 2007, pour un approfondissement
et une généralisation de cette idée). Les auteurs avaient choisi le modèle
amphibien pour la relative simplicité du système rétino-cérébral, mais
également pour le fait que l’œil de la grenouille ne bouge quasiment pas.
Or chez le primate, et dans nombre d’espèces animales, les yeux sont en
constant mouvement. Et ces mouvements constituent pour le scientifique
une source d’information précieuse pour mieux saisir non seulement les
mécanismes de la reconnaissance visuelle (déterminer, par exemple, les
zones d’intérêts de la scène perçue), mais également les capacités d’autres
fonctions cognitives comme, par exemple, celles dites exécutives. Cet ar-
ticle se focalise sur ce dernier point. Il ne porte donc pas sur ‘ce que l’œil
dit au cerveau’ mais en quelque sorte sur l’inverse, c’est-à-dire sur ‘ce
que, par ses mouvements, l’oeil nous dit du cerveau’, et ce dans le cadre
de la neuropsychologie et de la neuropsychiatrie.
Nous nous situerons dans le cas simple où l’œil fait des saccades
ou des anti-saccades. Le but est de montrer que les mesures réalisées dans
ces situations constituent un outil psychophysique heuristique pour éva-
luer les fonctions exécutives de base que sont l’activation volontaire et
l’inhibition volontaire. Cet article s’organise en 3 parties. Dans un premier
temps seront décrits les paradigmes expérimentaux opérationnalisant les
tâches de saccade et d’anti-saccade, les paramètres psychophysiques de
ces dernières et les principaux facteurs situationnels les modifiant. Se-
ront ensuite résumés les substrats cérébraux des saccades. La dernière
partie du document illustrera l’apport des tâches de saccades pour une
meilleure appréhension des capacités exécutives d’activation et d’inhibi-
tion dans les troubles neuropsychologiques ou neuropsychiatriques.