Possibilités et limites d`une Ethique Evolutionniste (EE

CLAVIEN, Christine, (2004) « Possibilités et limites d’une Ethique Evolutionniste ».
http://www2.unil.ch/determinismes/ 1
Possibilités et limites d’une Ethique Evolutionniste (EE) ; Quelques
thèses générales
L’éthique évolutionniste cherche
à replacer l’homme dans la nature :
On pense souvent que les hommes sont des
êtres de raison et de culture, capables de
s’affranchir de toute dépendance à l’égard
de la nature. Et la manière la plus éclatante
de se libérer de l’ordre naturel réside
évidemment dans l’exercice des facultés
morales, proprement humaines. Sous-
jacent à cette conviction, on trouve l’idée
que la morale ne peut en aucun cas être
réduite, justifiée, voire expliquée par les
faits. Elle relèverait plutôt de la toute-
puissante raison humaine ou d’un certain
don dont seul l’homme possède le secret…
L’homme étant le seul être capable
d’attribuer une valeur aux choses, il est à
l’origine de toute moralité.
L’EE s’oppose à ce genre de convictions.
C’est un courant qui aborde les questions
d’éthique à partir du point de vue de
l’évolution et cherche à replacer l’homme
dans la nature en montrant que son
comportement dépend en bonne partie
d’elle.
Darwin est le premier défenseur
d’une éthique évolutionniste :
Dans The Descent of Man, Darwin tire les
conclusions de sa théorie évolutionniste
dans le domaine de la morale : ce qui
distingue l’homme de l’animal, est une
affaire de degré et non de nature. Cela
suppose qu’il n’est pas exclu que les singes
deviennent un jour des êtres moraux.
L’éthique évolutionniste est un
paradis pour l’interdisciplinarité :
De nos jours, l’EE compte un très grand
nombre d’adeptes qui s’inspirent non
seulement des idées de Darwin, mais
étalement des données de tout un ensemble
de sciences contemporaines telles que la
sociobiologie, la théorie des jeux, la
psychologie, la neurobiologie ou l’anthro-
pologie. Ainsi, l’EE est devenue un petit
paradis de l’interdisciplinarité où les
chercheurs de tous bords mettent en
commun leurs idées et leurs connaissances.
L’éthique évolutionniste n’est pas réductionniste :
Il serait faux de penser qu’une approche évolutionniste des phénomènes liés à la moralité se
réduit à la recherche des fondements génétiques des comportements qui y sont liés. Personne
ne conteste le fait que le comportement des êtres humains n’est pas entièrement
génétiquement déterminé ; dans une large mesure, il est influencé par le milieu culturel.
D’autre part, l’exercice de la raison donne aux hommes les moyens d’agir à la fois contre
leurs inclinations naturelles et contre les pressions culturelles. Or, ces deux aspects (raison et
culture) ne peuvent être correctement expliqués par le recours aux gènes. Pour ces raisons, de
nos jours, les théoriciens évolutionnistes s’efforcent de nuancer leurs analyses des
comportements sociaux; ils n’ont certes pas renoncé à leurs explications par les gènes, mais
ils cherchent également à tenir compte du pouvoir de décision des individus ainsi que des
caractéristiques du milieu dans lequel ils évoluent.
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Les sciences évolutionnistes sont de
bonnes candidates pour répondre
à la question de la genèse du
comportement moral :
Un des grands projets de l’EE est
d’expliquer comment les hommes en sont
venus à élaborer des concepts et des
principes moraux, à porter des jugements
et à adopter des comportements moraux.
Les tenants de l’EE s’accordent sur le fait
que la moralité est un produit de
l’évolution. Ainsi, si l’on veut en donner
une explication convaincante, il faudra
recourir à des schèmes d’explications
propres aux théories évolutionnistes, telles
que « sélection naturelle » et « adapta-
tion ». Ils pensent également que la
moralité a pour fonction de servir les êtres
humains. Plus précisément, elle répond à
un besoin, apparu au cours de l’évolution
humaine, de régler les interactions entre les
hommes.
L’éthique évolutionniste ne se
pose pas en concurrente de la
philosophie morale :
De nos jours, les défenseurs de l’EE ne
considèrent pas leur approche comme une
alternative aux philosophies morales
traditionnelles. Ils cherchent plutôt à
introduire le point de vue évolutionniste
dans la philosophie morale.
L’explication de la genèse du
comportement moral ne nous
dit rien sur le contenu des
normes morales :
Les explications évolutionnistes de la
genèse du comportement moral sont
d’ordre strictement descriptif. Rien n’est
dit au niveau normatif ou prescriptif, c’est-
à-dire au sujet de ce qu’il faut faire ou ne
pas faire.
L’approche évolutionniste mène au rejet de
la valeur universelle des normes morales :
Si on admet que la morale est un produit de l’évolution et que l’évolution ne se dirige pas vers
un but particulier (tous les biologistes reconnus s’accordent sur le fait que l’évolution n’a pas
de dessein), il s’ensuit que les valeurs et les normes prônées par les hommes auraient pu être
toutes autres si l’évolution avait pris une direction différente ; elles ne possèdent donc pas de
caractère de validité universelle.
L’approche évolutionniste, à
elle seule, ne peut pas fonder
des normes morales :
Une bonne éthique évolutionniste ne
commet pas de passage fallacieux entre
l’« être » et le « devoir être » ; elle ne
prétend pas déduire des conclusions
normatives à partir de prémisses
descriptives. Il faut être conscient du fait
que les explications évolutionnistes,
quelles qu’elles soient, sont insuffisantes
pour fonder, à elles seules, de nouveaux
principes et normes morales.
L’approche évolutionniste peut remettre
en question certains choix de normes
morales :
Une approche évolutionniste peut servir à
jeter un doute sur des normes et principes
moraux élaborés dans un cadre strictement
philosophique. On pourrait par exemple
stipuler qu’une norme morale est sujette à
caution car elle impose un comportement
qui contredit des caractéristiques humaines
évolutionnairement adaptées. C’est l’idée
de soumettre la réflexion éthique à la
critique des données évolutionnistes.
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L’approche évolutionniste
peut soutenir la création
des normes morales :
Une approche évolutionniste peut jouer
un rôle dans le cadre de l’élaboration des
normes et principes moraux. On pourrait
par exemple soutenir un choix
philosophique en faveur d’une certaine
norme en montrant qu’elle aura très
probablement des effets favorables du
point de vue de l’adaptation des êtres
humains à leur environnement. C’est l’idée
d’une EE qui vient soutenir l’entreprise
philosophique, dans le sens où elle fournit
des ingrédients théoriques supplémentaires
(mais non suffisants) pour l’élaboration des
normes et principes moraux.
L’approche évolutionniste
peut inspirer la création
des normes morales :
Une approche évolutionniste peut jouer
un rôle d’inspirateur dans le cadre de
l’élaboration des normes et principes
moraux. On pourrait par exemple, sur la
base de considérations empiriques relatives
à la fonction biologique de certains « désirs
naturels », être amené à penser que toute
norme morale devrait favoriser (ou du
moins ne pas empêcher) la réalisation de
ces désirs. Cette inspiration doit ensuite
être étayée par des arguments de nature
philosophique.
L’approche évolutionniste n’apporte pas de solution
miracle mais elle fait avancer la réflexion éthique :
Non seulement, l’EE propose un champ de théories extrêmement variées et
parfois inconciliables entre elles, mais en plus, elle ne peut se passer de la
réflexion philosophique. Elle permet par contre de stimuler la réflexion éthique
et comporte l’indéniable avantage de tenir compte des limites et possibilités
propres à la nature humaine. C’est en travaillant main dans la main que les
théories évolutionnistes et philosophiques pourront développer des systèmes
moraux à la fois crédibles, solides et flexibles, bref, adaptés aux gens qui sont
sensés les mettre en pratique.
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