70 DOCT-US, an III, nr. 1, 2011 La voix d’Aïcha dans le roman djebarien Loin De Médine Briana Belciug Université Ştefan cel Mare Suceava, Roumanie [email protected] Abstract: The novel Loin de Médine by Assia Djebar does not have to be read or analyzed as a simple historical novel. The author`s purpose is to narrate the birth of Islam and the reconstruction of a Muslim town, Médine, but the strongest and the most sharpened message is that of the creation, the foundation of a society, a civilization that will influence the destinies of many women. To better understand the condition and the role of the Muslim woman at that time, we will present the special case of an extraordinary woman, very important for Mohammed, but also for the history of Islam: Aïcha, the beloved of the Prophete and one of the “voices” from the djebarien novel. Keywords: Assia Djebar, Islam, Muslim woman, Aïcha, voice. Par le roman Loin de Médine1, Assia Djebar jette de la lumière sur l’Islam naissant, sur les premières musulmanes, tout en mélangeant les informations historiques et la fiction, la réalité et le rêve, le silence et le cri. Dans le chapitre « La préservée » du roman mentionné une petite fille fait son apparition qui, sans être appelée par son nom, est présentée par l’auteure à un moment très lumineux de sa vie : l’enfance. Sous la forme d’une question, Assia Djebar dévoile celle qui allait devenir l’épouse bien-aimée : Quelle est cette fillette, de sept ou huit ans, les mains encombrées de jouets en bois et en chiffons, les pieds nus traînant sur le sol de la courette, les cheveux en désordre (boucles rousses et teint clair), les yeux rieurs, une lueur verte dans leur prunelle, oui, quelle est cette fillette qui s’esclaffe à demi, tandis que ses parents, l’indulgence attendrie, la font rentrer lentement du dehors ensoleillé vers la chambre ombreuse ?2 Le fil narratif continue par un entretien du Prophète Mohammed et de son ami, Abou Bekr, au sujet de la fille du dernier que le Prophète veut épouser : l’ange Gabriel lui avait demandé de le faire dans l’un de ses messages. Par voie de conséquence, le nom de la fillette est introduit : « Elle s’appelle Aïcha. Aïcha bent Abou Bekr. Aïcha-la-vie. »3 La première rawiyate4 est la plus jeune des épouses de Mohammed, son épouse préférée, Aïcha, appelée aussi « Mère des Croyants », dont le nom signifie « vivante, plein de vitalité ». Aïcha est née la même nuit et à l’instant où Mohammed a vu l’archange Gabriel pour la première fois. C’est Khadidja, la première épouse du Prophète, qui aide Oum Roumane, femme d’Abu Bekr, à accoucher de sa fille. Sans le savoir, Khadidja aide la venue au monde de celle que le Prophète épousera dès qu’l sera veuf. À la naissance d’Aïcha, sa mère joue le rôle d’une femme qui décide la destinée de l’enfant et, tout en remerciant son époux de ne pas prendre la vie de sa petite fille, elle déclare : « Tu es sage, ô mon maître bien-aimé. Cette enfant sera notre lumière et le miel de notre vie. Regarde comme elle est jolie. Un grand destin sera le sien. J’en ai le pressentiment. »5 Suivant le fil de l’histoire réelle, la romancière continue par d’autres épisodes aussi importants. Quelques années après la naissance d’Aïcha, Khadidja trouve sa fin et une période difficile commence pour Mohammed. Il 3 4 1 Assia Djebar, Loin de Médine, Paris, Éditions Albin Michel, 1991. 2 Assia Djebar, Loin de Médine, Paris, Éditions Albin Michel, 1991, p. 265. Idem, p. 267. Rawiyate est le féminin du terme rawiy qui signifie « conteur » dans la religion musulmane, une personne qui raconte des histoires de la vie du Prophète ou de ses compagnons. 5 Geneviève Chauvel, Aïcha, la bien-aimée du Prophète, Paris, Éditions Télémaque, 2007, p. 23. Ştiinţe socio-umane demande aide à l’ange Gabriel qui, pendant un rêve, parle à Mohammed lui sollicitant d’épouser la petite fille d’Abou Bekr, Aïcha. Troublé par cette exigence de l’ange, Mohammed rend visite à son ami et lui raconte son rêve. Abou Bekr est effrayé par ce message, mais, en même temps, il se sent fier que sa fille ait été choisie comme épouse par le messager de Dieu. Dans Loin de Médine, Assia Djebar souligne ce moment d’une grande importance, à savoir l’entrée d’Aïcha dans l’histoire de l’Islam : Ainsi la petite rousse entre dans la chronique de La Mecque. Ses poupées dans la main, légère, plus légère encore de l’amour palpitant de son père, de sa mère. Elle, leur dernière, la plus belle, la plus vive. Et elle est née musulmane dans la maison de son père, devenue le seul havre pour Celui qui, privé soudain de l’oncle protecteur ainsi que de l’épouse maternelle également décédée, est davantage persécuté par les Mecquois, ses compatriotes.1 À l’âge de six ans, Aïcha devient la fiancée du Prophète, mais l’acte du mariage va se consommer quand la petite fille atteint ses quatorze ans. Quand même, dès l’âge de huit ans, Aïcha, sur un ton d’autorité, parle avec ses poupées de son destin : « Quand mon mari, Muhammad, sera le roi, leur confie-t-elle à mivoix, mois aussi, je serai reine. La reine d’Arabie. »2 Mohammed eut neuf épouses, mais Aïcha est restée sa préférée, sa bien-aimée pour l’éternité, car elle était très intelligente, extrêmement belle et, le plus important, la seule vierge au moment du mariage avec Mohammed. Consciente de ses « pouvoirs », Aïcha s’impose dès le début parmi toutes les autres épouses du Prophète. Réfléchissant à ce personnage djebarien qui se fonde sur une personne réelle, mais aussi sur des éléments imaginaires, Geneviève Chauvel la considère comme « femme jusqu’au bout des ongles, elle domine les autres par son intelligence, sa mémoire sans faille et son esprit de répartie, plus redoutable qu’une lame. »3 71 Quand même, Aïcha avait un point faible dans son caractère : elle était jalouse où, comme le déclare elle-même : « J’en suis malade de jalousie ».4 Son âge, à côté de sa jalousie, la font « mijoter quelques pièges ».5 Voilà ce que Beïda Chikhi déclare à propos du caractère d’Aïcha : Diffamation, jalousie, enjeux de pouvoir, tout se mêle autour de la figure de Aïcha. "La préférée", "la préservée", bénéficie de privilèges divins et occupe une place qui ne peut, par tradition, lui revenir … Aïcha détient de surcroît un certain sens caché, mystique, des dits prophétiques ; elle le transmet dans l’enveloppe secrète de ses récits.6 Mais d’où vient cette jalousie et qu’est-ce que l’a déclenchée ? C’est la polygamie de Mohammed qui la dérange et qui devient pour Aïcha, « la blessure la plus vive ».7 La douleur provoquée par les autres mariages du Prophète est de plus en plus insupportable car, jusqu’alors, Aïcha était sur le premier plan dans la vie de ses proches, elle était la préférée de son époux, de ses parents. La « concurrence » ne lui plaît pas et lorsqu’elle dort toute seule dans son lit, elle se sent une « femme momentanément oubliée ». 8 La jalousie d’Aïcha, mentionnée aussi par les chroniques anciennes, est évoquée par Assia Djebar dans des fragments qui focalisent sur la douleur ressentie par la jeune épouse et le combat donné dans son cœur entre ce qu’elle ressent pour le Prophète et les sentiments de son époux pour autres femmes. Assia Djebar remarque cette blessure qui « mord » à cause des autres mariages du Prophète et raconte : En relatant plusieurs de ces unions, les chroniqueurs notent invariablement l’acrimonie jalouse de Aïcha : tel trait acerbe sur telle mariée, qu’elle décoche même devant le Messager. Parfois, la présence de Aïcha est signalée en voyeuse furtive : cachée ou non cachée, elle vient vérifier elle-même la beauté et les charmes de la nouvelle épouse. […] La jalousie mord, au cours des mariages qui 4 1 Assia Djebar, Loin de Médine, Éditions Albin Michel, Paris, 1991, p. 266. 2 Geneviève Chauvel, Aïcha, la bien-aimée du Prophète, Éditions Télémaque, Paris, 2007, p. 65. 3 Idem, p. 294. 5 6 Idem, p. 201. Idem, p. 231. Beïda Chikhi, Assia Djebar, histoires et fantaisies, Paris, Éditions PUPS, 2007, p. 98. 7 Assia Djebar, Loin de Médine, Paris, Éditions Albin Michel, 1991, p. 280. 8 Idem, p. 279. 72 DOCT-US, an III, nr. 1, 2011 suivront encore ; plus de cinq fois ensuite, elle verra son époux amoureux d’une autre.1 Le rôle d’Aïcha commence après la mort du Prophète et celle de son père, Abou Bekr, tout les deux enterrés dans un lieu spécial de sa chambre. C’est alors qu’Aïcha remémore les aspects importants de la vie de son époux et elle devient la première rawiyate, celle qui fait renaître la mémoire de l’Islam. Assia Djebar choisit ce moment capital décrivant le trouble intérieur d’Aïcha et sa détermination à devenir la principale gardienne de la tradition : Son rôle commence ; sa vie de femme est éteinte depuis deux ans ; son cœur de fille frémit puis refroidit tandis que Abou Bekr est enterré chez elle. Déchirement au cours duquel, Aïcha, âgée de vingt ans juste, se durcit, puis se dresse. Elle est consciente. Elle remercie Dieu et son Messager. Le dos tourné aux deux tombes qui lui seront familières, elle voit son destin se dessiner : oui, nourrir la mémoire des Croyants, entreprendre cette longue patience, cet inlassable travail, distiller ce lait goutte à goutte. Préserver, pour toutes les filles d’Ismaël, parole vive. Vivre ainsi ancrée en soimême, tous les jours de sa vie à venir, immobile certes, mais gonflée d’une parole à jaillir. Retourner au passé vivant – les neuf années de son histoire conjugale, de son seul amour – pour que toutes, pour que chacune s’élance, à son tour, dans l’avenir.2 Dorénavant Aïcha aura l’habitude de débattre des problèmes concernant le message laissé par son époux avec les adeptes du Prophète. De grands hommes de l’entourage de Mohammed, reconnaissant son intelligence et son érudition, l’interrogeront souvent sur des questions religieuses. À cause de la fitna, rupture entre les Sunnites et les Chiites, l’attitude envers elle sera polarisée : alors que les premiers sont fiers d’elle, les derniers la détestent. À cet égard, l’exégète Annemarie Schimmel, dans son ouvrage L’Islam au féminin, la femme dans la spiritualité musulmane3, remarque : « Son nom (Aïcha), si 1 2 Idem, pp. 279-280. Assia Djebar, Loin de Médine, Éditions Albin Michel, Paris, 1991, pp. 297-298. Annemarie Schimmel, L’Islam au féminin, la femme dans la spiritualité musulmane, Éditions Albin Michel, Paris, 2000. 3 fréquent chez les femmes sunnites, ne se rencontre jamais chez les Shiites. »4 Veuve à l’âge de dix-huit ans et condamnée au célibat, Aïcha fera preuve d’une vraie maturité de la pensée et jouera un rôle important dans la naissance de l’Islam, restant dans la civilisation et la culture arabes comme l’une des grandes transmettrices. Elle est considérée l’un des plus grands juristes de l’Islam naissant. Dans la reconstruction de ce personnage capital de Loin de Médine, Assia Djebar ne manque pas d’appuyer sur la douleur qui a toujours pesé sur l’âme d’Aïcha : son impossibilité d’être mère. Elle ressent cette angoisse au moment où Fatima, la fille du Prophète, accouche de deux enfants beaux et sains auxquels Mohammed accorde beaucoup de son temps. Comme les historiens de l’Islam l’ont remarqué, Mohammed n’a laissé pas de descendant masculin, car tous ses fils meurent en bas âge. Le statut des mères dans ces premiers temps de l’Islam a une importance majeure. Comme les enfants ne quittent pas la maison jusqu’à sept ans, les mères deviennent responsables de leur éducation et formation. Annemarie Schimmel attire l’attention sur cet aspect de la vie musulmane et note : « Il ne faut pas non plus perdre de vue que l’idéal de la société musulmane était la femme mariée et, davantage encore, la mère. »5 Le chapitre réservé à Aïcha se clôt par un autre épisode capital dans l’évolution de l’Islam : « la Bataille du Chameau », qui est livrée entre Aïcha et Ali, le gendre du Prophète, combat soldé par la défaite d’Aïcha. Ce moment de grande importance inspire aussi Assia Djebar dans le choix du titre du roman, comme elle le déclare dans un entretien de 2005 : Le « loin de » est également une façon de faire référence à la fin de la période qu’on appelle « la grande Fitna » (La Grande Discorde). C’est le moment où Aïcha, veuve du Prophète, décide de quitter Médine pour rejoindre les adversaires de Ali. Rappelons que la guerre entre Ali et Aïcha culmine lors de la Bataille du Chameau où Aïcha, étant sur le chameau au milieu des cavaliers, est vaincue. Ali, vainqueur, lui pardonne et lui permet de rejoindre Médine. Voici mon interrogation qui sous-tendrait la fin de ma trilogie : 4 5 Idem, p. 32. Idem, p. 16. Ştiinţe socio-umane N’est-ce pas à partir de la défaite de Aïcha face à Ali que les femmes sont presque définitivement exclues de la politique ? Ecartées des questions de succession, déchues de toute position d’autorité publique ou de direction de partis. Le « loin de » rappelle cette grande fracture entre le rôle des femmes et le rôle des hommes dans la société de l’Islam. Aïcha retournant à Médine va jouer dorénavant un rôle de transmission des hadiths, de transmission de la mémoire autour du Prophète.1 « La grande fitna2 » dont parle Assia Djebar représente la guerre civile entre les Musulmans. Mohammed lui –même a parlé du moment de la fitna, c’est-à-dire, une période où les hommes ne sauront pas différencier le bien du mal. Aïcha, qui apprend un jour que le calife « en fonction », Uthman, est assassiné, accuse Ali de cet assassinat et déclenche la lutte contre lui. Cet événement est connu dans l’Histoire comme la « Bataille du Chameau » et les historiens le considèrent la première fitna. Geneviève Chauvel donne des informations claires et précises à ce sujet, dans son ouvrage Aïcha, la bien-aimée du Prophète : Au soir de ce jour, 20 joumada II de l’an 366 (le 20 décembre 658), quinze mille musulmans ont été tués de part et d’autre des deux camps. L’Histoire arabe retiendra cette douloureuse tragédie en lui donnant le nom de « Bataille du Chameau ». Elle a été en réalité la bataille d’Aïcha qui croyait sincèrement défendre une noble cause : venger la mort d’un Prince des Croyants.3 Cette bataille décisive n’est pas seulement une rupture entre les Musulmans, mais entre hommes et femmes aussi. Le caractère enthousiaste d’Aïcha l’a fait échouer dans un problème qui, peut-être, dépassait son rôle. Comme Assia Djebar fait voir, le rôle d’Aïcha était celui de transmettrice des coutumes, traditions, idées et faits de l’Islam naissant, et pas celui d’une femme guerrière, d’une amazone. Beïda Chikhi considère que le destin 1 Assia Djebar, « Le “loin de” dans Loin de Médine » in Assia Djebar, nomade entre les murs … (coord. Mireille Calle- Gruber), Éditions Maisonneuve et Larose, Paris, 2005, pp. 133-134. 2 Geneviève Chauvel, Aïcha, la bien-aimée du Prophète, Éditions Télémaque, Paris, 2007, p. 383. 3 Idem, p. 384. 73 d’Aïcha est d’ « instaurer le récit et veiller à la transmission de témoin ».4 Dominique et Janine Sourdel notent euxaussi cet épisode de l’histoire, mais, dans leur intervention l’accent est mis sur le fait que la participation d’Aïcha dans la vie politique, comme la bataille du Chameau, est un cas exceptionnel et que la jeune femme n’est plus intervenue dans une telle dispute, ne profitant jamais de son statut. Les conclusions de ces chercheurs vont dans le même sens que la vision d’Assia Djebar : Rien n’atteste qu’elle utilisa cet attachement pour mener, dans l’entourage de son époux, des intrigues qui auraient eu un caractère politique. De nombreux détails relatifs à la vie de Muhammad sont en tous cas attribués à ses souvenirs conservés dans les recueils de hadiths. Ils auraient été dictés pendant la longue période de veuvage que ‘Â’icha passa principalement à Médine où elle finit sa vie, portant le titre de “mère des croyants” et n’étant intervenue politiquement qu’à une seule occasion, lorsqu’elle avait pris parti ouvertement, en 656, contre les assassins du troisième calife ‘Uthmân ibn ‘Affân : elle participa alors contre ‘Ali, dans un palanquin, à la bataille dite du Chameau, ce que les chiites ne lui pardonnèrent pas.5 Aïcha a accompli son rôle de transmettrice des événements de la vie du Prophète et de ses Compagnons. Le monde musulman doit beaucoup à cette femme pour l’héritage qu’elle a laissé. Même si elle a créé des controverses, même si elle a commis des fautes, elle n’a jamais renoncé à son destin, celui d’une rawiyate. Les histoires qu’elle a racontées pour les générations suivantes sont sous le signe de son souci de ne rien perdre. Jusqu’à sa mort, Aïcha reste près des tombes de son bien-aimé et de son père ; là, elle évoque et rappelle l’Islam naissant et son histoire. Dans l’Epilogue du roman Loin de Médine, Assia Djebar invoque le passé et s’interroge sur le choix d’Aïcha de rester fidèle à la mémoire de Mohammed et de son peuple : Doucement, devant les enfants, filles et garçons sous le charme, elle raconte. Elle conte. Elle n’invente jamais : elle recrée. 4 Beïda Chikhi, Assia Djebar-histoires et fantaisies, Éditions PUPS, Paris, 2007, p. 98. 5 Dominique et Janine Sourdel, Dictionnaire historique de l’islam, Éditions PUF, Paris, 1996, p. 50. 74 DOCT-US, an III, nr. 1, 2011 Et si un jour une telle transmission allait rencontrer le feu de l’autre parole, celle de la véhémence rimée en colère ? Si la voix douce, si le flux continu du timbre de Aïcha faisait confluent avec l’éloquence en crue, celle de l’effervescence qui brave ? Si un jour, à force de nourrir la mémoire, Aïcha, cette fois d’âge mûr, Aïcha, âgée de plus de quarante ans – exactement vingt-trois ans plus tard – se levait ? Parole double éperonnant le corps debout … Si Aïcha, un jour, décidait de quitter Médine ? Ah, loin de Médine, retrouver alors le vent, le vertige, l’incorruptible jeunesse de la révolte !1 Tout au long du roman, Assia Djebar donne la parole principalement à Aïcha, pour raconter sa vie, la vie du Prophète et, souvent, des événements majeurs qui se passent à Médine. Nous remarquons un aspect très intéressant en ce qui concerne la possibilité de la jeune fille de raconter, de dire, de transmettre des informations : il s’agit d’une préoccupation constante de la romancière qui choisit les moments où son personnage parle. Ce procédé d’Assia Djebar qui entremêle la voix narrative à celle de la protagoniste montre une vigilance vis-à-vis du caractère impulsif d’Aïcha. Narrateur omniscient pour la plupart du roman, Assia Djebar renonce, par moments, à ce statut pour observer d’un coin d’ombre l’essor du caractère d’Aïcha. La formation d’historienne d’Assia Djebar l’a aidée à reproduire la figure de cette rawiyate des premiers temps de l’Islam et à réaliser un portrait moral d’une force extraordinaire. Pour créer ce personnage, Assia Djebar a consulté les textes de trois historiens très importants pour l’Islam : Ibn Hicham, Ibn Saad et Tabari. La romancière ne fournit pas une biographie romancée de l’héroïne ; elle veut seulement ressusciter cette fille. L’auteur présente des épisodes importants de la vie d’Aïcha, mais, dans le sentiment de la faire plus réelle et plus palpable, elle insiste aussi sur le contexte historique et géographique où la jeune fille a vécu. 1 Assia Djebar, Loin de Médine, Éditions Albin Michel, Paris, 1991, p. 303. Bibliographie Chauvel, Geneviève, Aïcha, la bien-aimée du Prophète, Éditions Télémaque, Paris, 2007. Chikhi, Beïda, Assia Djebar, histoires et fantaisies, Éditions PUPS, Paris, 2007. Djebar, Assia, « Le “loin de” dans Loin de Médine » in Assia Djebar, nomade entre les murs (coord. Mireille Calle-Gruber), Éditions Maisonneuve et Larose, Paris, 2005. Djebar, Assia, Loin de Médine, Éditions Albin Michel, Paris, 1991. Schimmel, Annemarie, L’Islam au féminin, la femme dans la spiritualité musulmane, Éditions Albin Michel, Paris, 2000. Sourdel, Dominique et Janine, Éditions Dictionnaire historique de l’islam, PUF, Paris, 1996. Briana Belciug Doctorante à l’Université Ştefan cel Mare de Suceava, Faculté de Lettres, Titre de la thèse de doctorat : Le statut de la femme musulmane dans les écrits d’Assia Djebar, Coordinateur scientifique: prof. univ. dr. ElenaBrânduşa Steiciuc.