La voix d`Aïcha dans le roman djebarien Loin De Médine - DOCT-US

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DOCT-US, an III, nr. 1, 2011
La voix d’Aïcha dans le roman djebarien Loin De Médine
Briana Belciug
Université Ştefan cel Mare
Suceava, Roumanie
[email protected]
Abstract: The novel Loin de Médine by Assia Djebar does not have to be read or analyzed as a simple
historical novel. The author`s purpose is to narrate the birth of Islam and the reconstruction of a Muslim town,
Médine, but the strongest and the most sharpened message is that of the creation, the foundation of a society,
a civilization that will influence the destinies of many women. To better understand the condition and the role
of the Muslim woman at that time, we will present the special case of an extraordinary woman, very important
for Mohammed, but also for the history of Islam: Aïcha, the beloved of the Prophete and one of the “voices”
from the djebarien novel.
Keywords: Assia Djebar, Islam, Muslim woman, Aïcha, voice.
Par le roman Loin de Médine1, Assia Djebar
jette de la lumière sur l’Islam naissant, sur les
premières musulmanes, tout en mélangeant les
informations historiques et la fiction, la réalité
et le rêve, le silence et le cri.
Dans le chapitre « La préservée » du roman
mentionné une petite fille fait son apparition
qui, sans être appelée par son nom, est
présentée par l’auteure à un moment très
lumineux de sa vie : l’enfance. Sous la forme
d’une question, Assia Djebar dévoile celle qui
allait devenir l’épouse bien-aimée :
Quelle est cette fillette, de sept ou huit ans,
les mains encombrées de jouets en bois et en
chiffons, les pieds nus traînant sur le sol de la
courette, les cheveux en désordre (boucles
rousses et teint clair), les yeux rieurs, une lueur
verte dans leur prunelle, oui, quelle est cette
fillette qui s’esclaffe à demi, tandis que ses
parents, l’indulgence attendrie, la font rentrer
lentement du dehors ensoleillé vers la chambre
ombreuse ?2
Le fil narratif continue par un entretien du
Prophète Mohammed et de son ami, Abou Bekr,
au sujet de la fille du dernier que le Prophète
veut épouser : l’ange Gabriel lui avait demandé
de le faire dans l’un de ses messages. Par voie
de conséquence, le nom de la fillette est
introduit : « Elle s’appelle Aïcha. Aïcha bent
Abou Bekr. Aïcha-la-vie. »3
La première rawiyate4 est la plus jeune des
épouses de Mohammed, son épouse préférée,
Aïcha, appelée aussi « Mère des Croyants »,
dont le nom signifie « vivante, plein de
vitalité ».
Aïcha est née la même nuit et à l’instant où
Mohammed a vu l’archange Gabriel pour la
première fois. C’est Khadidja, la première
épouse du Prophète, qui aide Oum Roumane,
femme d’Abu Bekr, à accoucher de sa fille. Sans
le savoir, Khadidja aide la venue au monde de
celle que le Prophète épousera dès qu’l sera
veuf.
À la naissance d’Aïcha, sa mère joue le rôle
d’une femme qui décide la destinée de l’enfant
et, tout en remerciant son époux de ne pas
prendre la vie de sa petite fille, elle déclare :
« Tu es sage, ô mon maître bien-aimé. Cette
enfant sera notre lumière et le miel de notre
vie. Regarde comme elle est jolie. Un grand
destin sera le sien. J’en ai le pressentiment. »5
Suivant le fil de l’histoire réelle, la
romancière continue par d’autres épisodes aussi
importants. Quelques années après la naissance
d’Aïcha, Khadidja trouve sa fin et une période
difficile commence pour Mohammed. Il
3
4
1
Assia Djebar, Loin de Médine, Paris, Éditions Albin Michel,
1991.
2
Assia Djebar, Loin de Médine, Paris, Éditions Albin Michel,
1991, p. 265.
Idem, p. 267.
Rawiyate est le féminin du terme rawiy qui signifie
« conteur » dans la religion musulmane, une personne qui
raconte des histoires de la vie du Prophète ou de ses
compagnons.
5
Geneviève Chauvel, Aïcha, la bien-aimée du Prophète, Paris,
Éditions Télémaque, 2007, p. 23.
Ştiinţe socio-umane
demande aide à l’ange Gabriel qui, pendant un
rêve, parle à Mohammed lui sollicitant
d’épouser la petite fille d’Abou Bekr, Aïcha.
Troublé par cette exigence de l’ange,
Mohammed rend visite à son ami et lui raconte
son rêve. Abou Bekr est effrayé par ce
message, mais, en même temps, il se sent fier
que sa fille ait été choisie comme épouse par le
messager de Dieu. Dans Loin de Médine, Assia
Djebar souligne ce moment d’une grande
importance, à savoir l’entrée d’Aïcha dans
l’histoire de l’Islam :
Ainsi la petite rousse entre dans la
chronique de La Mecque. Ses poupées dans la
main, légère, plus légère encore de l’amour
palpitant de son père, de sa mère. Elle, leur
dernière, la plus belle, la plus vive.
Et elle est née musulmane dans la maison de
son père, devenue le seul havre pour Celui qui,
privé soudain de l’oncle protecteur ainsi que de
l’épouse maternelle également décédée, est
davantage persécuté par les Mecquois, ses
compatriotes.1
À l’âge de six ans, Aïcha devient la fiancée
du Prophète, mais l’acte du mariage va se
consommer quand la petite fille atteint ses
quatorze ans. Quand même, dès l’âge de huit
ans, Aïcha, sur un ton d’autorité, parle avec ses
poupées de son destin : « Quand mon mari,
Muhammad, sera le roi, leur confie-t-elle à mivoix, mois aussi, je serai reine. La reine
d’Arabie. »2
Mohammed eut neuf épouses, mais Aïcha
est restée sa préférée, sa bien-aimée pour
l’éternité, car elle était très intelligente,
extrêmement belle et, le plus important, la
seule vierge au moment du mariage avec
Mohammed.
Consciente de ses « pouvoirs », Aïcha
s’impose dès le début parmi toutes les autres
épouses du Prophète. Réfléchissant à ce
personnage djebarien qui se fonde sur une
personne réelle, mais aussi sur des éléments
imaginaires, Geneviève Chauvel la considère
comme « femme jusqu’au bout des ongles, elle
domine les autres par son intelligence, sa
mémoire sans faille et son esprit de répartie,
plus redoutable qu’une lame. »3
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Quand même, Aïcha avait un point faible
dans son caractère : elle était jalouse où,
comme le déclare elle-même : « J’en suis
malade de jalousie ».4 Son âge, à côté de sa
jalousie, la font « mijoter quelques pièges ».5
Voilà ce que Beïda Chikhi déclare à propos
du caractère d’Aïcha :
Diffamation, jalousie, enjeux de pouvoir,
tout se mêle autour de la figure de Aïcha. "La
préférée", "la préservée", bénéficie de
privilèges divins et occupe une place qui ne
peut, par tradition, lui revenir … Aïcha détient
de surcroît un certain sens caché, mystique,
des dits prophétiques ; elle le transmet dans
l’enveloppe secrète de ses récits.6
Mais d’où vient cette jalousie et qu’est-ce
que l’a déclenchée ? C’est la polygamie de
Mohammed qui la dérange et qui devient pour
Aïcha, « la blessure la plus vive ».7 La douleur
provoquée par les autres mariages du Prophète
est de plus en plus insupportable car,
jusqu’alors, Aïcha était sur le premier plan dans
la vie de ses proches, elle était la préférée de
son époux, de ses parents. La « concurrence »
ne lui plaît pas et lorsqu’elle dort toute seule
dans son lit, elle se sent une « femme
momentanément oubliée ». 8
La jalousie d’Aïcha, mentionnée aussi par les
chroniques anciennes, est évoquée par Assia
Djebar dans des fragments qui focalisent sur la
douleur ressentie par la jeune épouse et le
combat donné dans son cœur entre ce qu’elle
ressent pour le Prophète et les sentiments de
son époux pour autres femmes. Assia Djebar
remarque cette blessure qui « mord » à cause
des autres mariages du Prophète et raconte :
En relatant plusieurs de ces unions, les
chroniqueurs notent invariablement l’acrimonie
jalouse de Aïcha : tel trait acerbe sur telle
mariée, qu’elle décoche même devant le
Messager. Parfois, la présence de Aïcha est
signalée en voyeuse furtive : cachée ou non
cachée, elle vient vérifier elle-même la beauté
et les charmes de la nouvelle épouse. […] La
jalousie mord, au cours des mariages qui
4
1
Assia Djebar, Loin de Médine, Éditions Albin Michel, Paris,
1991, p. 266.
2
Geneviève Chauvel, Aïcha, la bien-aimée du Prophète,
Éditions Télémaque, Paris, 2007, p. 65.
3
Idem, p. 294.
5
6
Idem, p. 201.
Idem, p. 231.
Beïda Chikhi, Assia Djebar, histoires et fantaisies, Paris,
Éditions PUPS, 2007, p. 98.
7
Assia Djebar, Loin de Médine, Paris, Éditions Albin Michel,
1991, p. 280.
8
Idem, p. 279.
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suivront encore ; plus de cinq fois ensuite, elle
verra son époux amoureux d’une autre.1
Le rôle d’Aïcha commence après la mort du
Prophète et celle de son père, Abou Bekr, tout
les deux enterrés dans un lieu spécial de sa
chambre. C’est alors qu’Aïcha remémore les
aspects importants de la vie de son époux et
elle devient la première rawiyate, celle qui fait
renaître la mémoire de l’Islam. Assia Djebar
choisit ce moment capital décrivant le trouble
intérieur d’Aïcha et sa détermination à devenir
la principale gardienne de la tradition :
Son rôle commence ; sa vie de femme est
éteinte depuis deux ans ; son cœur de fille
frémit puis refroidit tandis que Abou Bekr est
enterré chez elle. Déchirement
au cours
duquel, Aïcha, âgée de vingt ans juste, se
durcit, puis se dresse.
Elle est consciente. Elle remercie Dieu et son
Messager. Le dos tourné aux deux tombes qui
lui seront familières, elle voit son destin se
dessiner : oui, nourrir la mémoire des Croyants,
entreprendre cette longue patience, cet
inlassable travail, distiller ce lait goutte à
goutte. Préserver, pour toutes les filles
d’Ismaël, parole vive. Vivre ainsi ancrée en soimême, tous les jours de sa vie à venir,
immobile certes, mais gonflée d’une parole à
jaillir.
Retourner au passé vivant – les neuf années de
son histoire conjugale, de son seul amour –
pour que toutes, pour que chacune s’élance, à
son tour, dans l’avenir.2
Dorénavant Aïcha aura l’habitude de
débattre des problèmes concernant le message
laissé par son époux avec les adeptes du
Prophète. De grands hommes de l’entourage de
Mohammed, reconnaissant son intelligence et
son érudition, l’interrogeront souvent sur des
questions religieuses. À cause de la fitna,
rupture entre les Sunnites et les Chiites,
l’attitude envers elle sera polarisée : alors que
les premiers sont fiers d’elle, les derniers la
détestent. À cet égard, l’exégète Annemarie
Schimmel, dans son ouvrage L’Islam au
féminin, la femme dans la spiritualité
musulmane3, remarque : « Son nom (Aïcha), si
1
2
Idem, pp. 279-280.
Assia Djebar, Loin de Médine, Éditions Albin Michel, Paris,
1991, pp. 297-298.
Annemarie Schimmel, L’Islam au féminin, la femme dans la
spiritualité musulmane, Éditions Albin Michel, Paris, 2000.
3
fréquent chez les femmes sunnites, ne se
rencontre jamais chez les Shiites. »4
Veuve à l’âge de dix-huit ans et condamnée
au célibat, Aïcha fera preuve d’une vraie
maturité de la pensée et jouera un rôle
important dans la naissance de l’Islam, restant
dans la civilisation et la culture arabes comme
l’une des grandes transmettrices. Elle est
considérée l’un des plus grands juristes de
l’Islam naissant.
Dans la reconstruction de ce personnage
capital de Loin de Médine, Assia Djebar ne
manque pas d’appuyer sur la douleur qui a
toujours pesé sur l’âme d’Aïcha : son
impossibilité d’être mère. Elle ressent cette
angoisse au moment où Fatima, la fille du
Prophète, accouche de deux enfants beaux et
sains auxquels Mohammed accorde beaucoup de
son temps. Comme les historiens de l’Islam l’ont
remarqué, Mohammed n’a laissé pas de
descendant masculin, car tous ses fils meurent
en bas âge.
Le statut des mères dans ces premiers temps
de l’Islam a une importance majeure. Comme
les enfants ne quittent pas la maison jusqu’à
sept ans, les mères deviennent responsables de
leur éducation et formation. Annemarie
Schimmel attire l’attention sur cet aspect de la
vie musulmane et note : « Il ne faut pas non
plus perdre de vue que l’idéal de la société
musulmane était la femme mariée et, davantage
encore, la mère. »5
Le chapitre réservé à Aïcha se clôt par un
autre épisode capital dans l’évolution de l’Islam :
« la Bataille du Chameau », qui est livrée entre
Aïcha et Ali, le gendre du Prophète, combat
soldé par la défaite d’Aïcha. Ce moment de
grande importance inspire aussi Assia Djebar
dans le choix du titre du roman, comme elle le
déclare dans un entretien de 2005 :
Le « loin de » est également une façon de
faire référence à la fin de la période qu’on
appelle « la grande Fitna » (La Grande
Discorde). C’est le moment où Aïcha, veuve du
Prophète, décide de quitter Médine pour
rejoindre les adversaires de Ali. Rappelons que
la guerre entre Ali et Aïcha culmine lors de la
Bataille du Chameau où Aïcha, étant sur le
chameau au milieu des cavaliers, est vaincue.
Ali, vainqueur, lui pardonne et lui permet de
rejoindre Médine. Voici mon interrogation qui
sous-tendrait la fin de ma trilogie :
4
5
Idem, p. 32.
Idem, p. 16.
Ştiinţe socio-umane
N’est-ce pas à partir de la défaite de Aïcha
face à Ali que les femmes sont presque
définitivement exclues de la politique ? Ecartées
des questions de succession, déchues de toute
position d’autorité publique ou de direction de
partis. Le « loin de » rappelle cette grande
fracture entre le rôle des femmes et le rôle des
hommes dans la société de l’Islam. Aïcha
retournant à Médine va jouer dorénavant un
rôle de transmission des hadiths, de
transmission de la mémoire autour du
Prophète.1
« La grande fitna2 » dont parle Assia Djebar
représente la guerre civile entre les Musulmans.
Mohammed lui –même a parlé du moment de la
fitna, c’est-à-dire, une période où les hommes
ne sauront pas différencier le bien du mal.
Aïcha, qui apprend un jour que le calife « en
fonction », Uthman, est assassiné, accuse Ali de
cet assassinat et déclenche la lutte contre lui.
Cet événement est connu dans l’Histoire comme
la « Bataille du Chameau » et les historiens le
considèrent la première fitna.
Geneviève Chauvel donne des informations
claires et précises à ce sujet, dans son ouvrage
Aïcha, la bien-aimée du Prophète :
Au soir de ce jour, 20 joumada II de l’an 366
(le 20 décembre 658), quinze mille musulmans
ont été tués de part et d’autre des deux camps.
L’Histoire arabe retiendra cette douloureuse
tragédie en lui donnant le nom de « Bataille du
Chameau ». Elle a été en réalité la bataille
d’Aïcha qui croyait sincèrement défendre une
noble cause : venger la mort d’un Prince des
Croyants.3
Cette bataille décisive n’est pas seulement
une rupture entre les Musulmans, mais entre
hommes et femmes aussi. Le caractère
enthousiaste d’Aïcha l’a fait échouer dans un
problème qui, peut-être, dépassait son rôle.
Comme Assia Djebar fait voir, le rôle d’Aïcha
était celui de transmettrice des coutumes,
traditions, idées et faits de l’Islam naissant, et
pas celui d’une femme guerrière, d’une
amazone. Beïda Chikhi considère que le destin
1
Assia Djebar, « Le “loin de” dans Loin de Médine » in Assia
Djebar, nomade entre les murs … (coord. Mireille Calle-
Gruber), Éditions Maisonneuve et Larose, Paris, 2005, pp.
133-134.
2
Geneviève Chauvel, Aïcha, la bien-aimée du Prophète,
Éditions Télémaque, Paris, 2007, p. 383.
3
Idem, p. 384.
73
d’Aïcha est d’ « instaurer le récit et veiller à la
transmission de témoin ».4
Dominique et Janine Sourdel notent euxaussi cet épisode de l’histoire, mais, dans leur
intervention l’accent est mis sur le fait que la
participation d’Aïcha dans la vie politique,
comme la bataille du Chameau, est un cas
exceptionnel et que la jeune femme n’est plus
intervenue dans une telle dispute, ne profitant
jamais de son statut. Les conclusions de ces
chercheurs vont dans le même sens que la
vision d’Assia Djebar :
Rien n’atteste qu’elle utilisa cet attachement
pour mener, dans l’entourage de son époux,
des intrigues qui auraient eu un caractère
politique. De nombreux détails relatifs à la vie
de Muhammad sont en tous cas attribués à ses
souvenirs conservés dans les recueils de
hadiths. Ils auraient été dictés pendant la
longue période de veuvage que ‘Â’icha passa
principalement à Médine où elle finit sa vie,
portant le titre de “mère des croyants” et
n’étant intervenue politiquement qu’à une seule
occasion,
lorsqu’elle
avait
pris
parti
ouvertement, en 656, contre les assassins du
troisième calife ‘Uthmân ibn ‘Affân : elle
participa alors contre ‘Ali, dans un palanquin, à
la bataille dite du Chameau, ce que les chiites
ne lui pardonnèrent pas.5
Aïcha a accompli son rôle de transmettrice
des événements de la vie du Prophète et de ses
Compagnons. Le monde musulman doit
beaucoup à cette femme pour l’héritage qu’elle
a laissé. Même si elle a créé des controverses,
même si elle a commis des fautes, elle n’a
jamais renoncé à son destin, celui d’une
rawiyate. Les histoires qu’elle a racontées pour
les générations suivantes sont sous le signe de
son souci de ne rien perdre. Jusqu’à sa mort,
Aïcha reste près des tombes de son bien-aimé
et de son père ; là, elle évoque et rappelle
l’Islam naissant et son histoire.
Dans l’Epilogue du roman Loin de Médine,
Assia Djebar invoque le passé et s’interroge sur
le choix d’Aïcha de rester fidèle à la mémoire de
Mohammed et de son peuple :
Doucement, devant les enfants, filles et
garçons sous le charme, elle raconte. Elle
conte. Elle n’invente jamais : elle recrée.
4
Beïda Chikhi, Assia Djebar-histoires et fantaisies, Éditions
PUPS, Paris, 2007, p. 98.
5
Dominique et Janine Sourdel, Dictionnaire historique de
l’islam, Éditions PUF, Paris, 1996, p. 50.
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Et si un jour une telle transmission allait
rencontrer le feu de l’autre parole, celle de la
véhémence rimée en colère ? Si la voix douce,
si le flux continu du timbre de Aïcha faisait
confluent avec l’éloquence en crue, celle de
l’effervescence qui brave ?
Si un jour, à force de nourrir la mémoire,
Aïcha, cette fois d’âge mûr, Aïcha, âgée de plus
de quarante ans – exactement vingt-trois ans
plus tard – se levait ?
Parole double éperonnant le corps debout …
Si Aïcha, un jour, décidait de quitter Médine ?
Ah, loin de Médine, retrouver alors le vent, le
vertige, l’incorruptible jeunesse de la révolte !1
Tout au long du roman, Assia Djebar donne
la parole principalement à Aïcha, pour raconter
sa vie, la vie du Prophète et, souvent, des
événements majeurs qui se passent à Médine.
Nous remarquons un aspect très intéressant en
ce qui concerne la possibilité de la jeune fille de
raconter, de dire, de transmettre des
informations : il s’agit d’une préoccupation
constante de la romancière qui choisit les
moments où son personnage parle. Ce procédé
d’Assia Djebar qui entremêle la voix narrative à
celle de la protagoniste montre une vigilance
vis-à-vis du caractère impulsif d’Aïcha.
Narrateur omniscient pour la plupart du roman,
Assia Djebar renonce, par moments, à ce statut
pour observer d’un coin d’ombre l’essor du
caractère d’Aïcha. La formation d’historienne
d’Assia Djebar l’a aidée à reproduire la figure de
cette rawiyate des premiers temps de l’Islam et
à réaliser un portrait moral d’une force
extraordinaire.
Pour créer ce personnage, Assia Djebar a
consulté les textes de trois historiens très
importants pour l’Islam : Ibn Hicham, Ibn Saad
et Tabari. La romancière ne fournit pas une
biographie romancée de l’héroïne ; elle veut
seulement ressusciter cette fille. L’auteur
présente des épisodes importants de la vie
d’Aïcha, mais, dans le sentiment de la faire plus
réelle et plus palpable, elle insiste aussi sur le
contexte historique et géographique où la jeune
fille a vécu.
1
Assia Djebar, Loin de Médine, Éditions Albin Michel, Paris,
1991, p. 303.
Bibliographie
Chauvel, Geneviève, Aïcha, la bien-aimée du
Prophète, Éditions Télémaque, Paris, 2007.
Chikhi, Beïda, Assia Djebar, histoires et fantaisies,
Éditions PUPS, Paris, 2007.
Djebar, Assia, « Le “loin de” dans Loin de Médine »
in Assia Djebar, nomade entre les murs (coord.
Mireille Calle-Gruber), Éditions Maisonneuve et Larose,
Paris, 2005.
Djebar, Assia, Loin de Médine, Éditions Albin Michel,
Paris, 1991.
Schimmel, Annemarie, L’Islam au féminin, la
femme dans la spiritualité musulmane, Éditions Albin
Michel, Paris, 2000.
Sourdel,
Dominique
et
Janine,
Éditions
Dictionnaire historique de l’islam, PUF, Paris, 1996.
Briana Belciug
Doctorante
à
l’Université
Ştefan cel Mare de Suceava,
Faculté de Lettres, Titre de la
thèse de doctorat : Le statut
de la femme musulmane
dans les écrits d’Assia Djebar,
Coordinateur
scientifique:
prof.
univ.
dr.
ElenaBrânduşa Steiciuc.
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