Le trouble de personnalité limite de l`adolescence - chu

Neuropsychiatrie
de
l’enfance
et
de
l’adolescence
(2014)
62,
3—9
Disponible
en
ligne
sur
ScienceDirect
www.sciencedirect.com
ARTICLE
ORIGINAL
Le
trouble
de
personnalité
limite
de
l’adolescence
à
l’âge
adulte
:
quelle
stabilité
diagnostique
?
Borderline
personality
disorder
from
adolescence
to
adulthood:
What
about
diagnostic
stability?
A.
Knafoa,,
B.
Greenfieldb,c,
J.-M.
Guiléd
aService
de
psychopathologie
de
l’enfant
et
de
l’adolescent,
université
Denis-Diderot
Paris
7,
CHU
Bichat-Claude-Bernard,
124,
boulevard
Ney,
75018
Paris,
France
bFaculté
de
médecine,
université
Mc-Gill,
Montréal,
Canada
cMental
Health
Emergency
Team,
Montreal
Children’s
Hospital,
Montréal,
Canada
dService
de
psychiatrie
de
l’enfant
et
de
l’adolescent,
université
de
Picardie,
CHU
d’Amiens,
80054
Amiens
cedex
1,
France
MOTS
CLÉS
Trouble
de
personnalité
limite
;
Adolescence
;
Âge
adulte
;
Stabilité
diagnostique
;
Diagnostic
catégoriel
;
Diagnostic
dimensionnel
Résumé
Si
la
pertinence
du
diagnostic
de
trouble
de
personnalité
limite
à
l’adolescence
est
étayée
par
les
données
récentes
de
la
littérature,
la
question
de
la
stabilité
diagnos-
tique
du
trouble
de
personnalité
limite
entre
l’adolescence
et
l’âge
adulte
reste
au
centre
du
débat
actuel.
Au
regard
de
cette
problématique,
cet
article
interroge
l’intérêt
d’une
approche
dimensionnelle
versus
catégorielle
du
trouble
de
personnalité
limite
à
travers
une
revue
de
la
littérature
et
l’étude
d’un
cas
clinique.
L’approche
dimensionnelle
du
trouble
de
personnalité
limite
à
l’adolescence
permet
une
meilleure
stabilité
diagnostique
entre
l’adolescence
et
l’âge
adulte
en
prenant
davantage
en
compte
l’hétérogénéité
propre
à
cet
âge
de
la
vie.
En
outre,
cette
approche
permet
aussi
une
compréhension
plus
fine
de
la
psychopathologie
en
définissant
divers
sous-types
du
trouble
de
personnalité
limite.
Enfin,
au-delà
du
seul
trouble
de
person-
nalité
limite,
l’approche
dimensionnelle
de
l’ensemble
des
troubles
de
la
personnalité
est
l’un
des
principaux
axes
de
refonte
de
la
nouvelle
classification
américaine
(manuel
diagnostique
et
statistique
des
troubles
mentaux,
5eédition).
©
2013
Publié
par
Elsevier
Masson
SAS.
Auteur
correspondant.
Adresse
e-mail
:
(A.
Knafo).
0222-9617/$
see
front
matter
©
2013
Publié
par
Elsevier
Masson
SAS.
http://dx.doi.org/10.1016/j.neurenf.2013.11.007
4
A.
Knafo
et
al.
KEYWORDS
Borderline
personality
disorder;
Adolescence;
Adulthood;
Diagnostic
stability;
Categorical
diagnosis;
Dimensional
diagnosis
Summary
Whereas
the
relevance
of
borderline
personality
disorder
diagnosis
during
adoles-
cence
is
supported
by
recent
literature
data,
the
diagnostic
stability
of
borderline
personality
disorder
between
adolescence
and
adulthood
constitutes
a
contemporary
debate.
In
this
con-
text,
the
present
article
questions
the
interest
of
a
dimensional
versus
categorical
approach
of
borderline
personality
disorder
both
through
a
literature
review
and
the
study
of
a
clinical
case.
The
dimensional
approach
of
borderline
personality
disorder
during
adolescence
entails
a
higher
diagnostic
stability
from
adolescence
through
adulthood
by
better
accounting
for
the
heterogeneity
that
characterizes
this
age
group.
In
addition,
this
approach
also
yields
a
more
precise
understanding
of
psychopathology
by
defining
multiple
sub-types
of
borderline
perso-
nality
disorder.
Finally,
beyond
borderline
personality
disorder,
the
dimensional
approach
of
all
personality
disorders
is
one
of
the
main
trends
in
the
new
American
classification
(diagnostic
and
statistical
manual
of
mental
disorders,
5th
edition).
©
2013
Published
by
Elsevier
Masson
SAS.
Introduction
Si
le
diagnostic
de
trouble
de
personnalité
limite
(TPL)
à
l’adolescence
est
moins
controversé
à
l’heure
actuelle,
la
pertinence
d’une
approche
catégorielle
fait
débat.
L’approche
catégorielle
conc¸oit
un
trouble
en
termes
de
pré-
sence
ou
d’absence
selon
le
nombre
de
critères
atteints.
Ainsi,
dans
la
précédente
classification
américaine
(manuel
diagnostique
et
statistique
des
troubles
mentaux,
DSM-IV-
R)
[1],
le
TPL
était
diagnostiqué
à
l’adolescence
lorsque
le
sujet
présentait
depuis
au
moins
un
an
cinq
des
neuf
critères
suivants
:
efforts
effrénés
pour
éviter
les
abandons
réels
ou
imagi-
nés
;
relations
interpersonnelles
instables
et
intenses
carac-
térisées
par
l’alternance
entre
des
positions
extrêmes
d’idéalisation
excessive
et
de
dévalorisation
;
perturbation
de
l’identité
:
instabilité
marquée
et
persis-
tante
de
l’image
de
soi
ou
de
la
notion
de
soi
;
impulsivité
dans
au
moins
deux
domaines
potentiellement
dommageables
pour
le
sujet
(par
exemple
:
dépenses,
sexualité,
conduite
automobile
dangereuse)
;
répétition
de
gestes
ou
de
menaces
suicidaires
ou
d’automutilations
;
instabilité
affective
due
à
une
réactivité
marquée
de
l’humeur
;
sentiment
chronique
de
vide
;
colère
intense
et
inappropriée
ou
difficulté
à
contrôler
sa
colère
;
survenue
transitoire
dans
des
situations
de
stress
d’une
idéation
persécutoire
ou
de
symptômes
dissociatifs
sévères.
Or
le
diagnostic
catégoriel
du
TPL
à
l’adolescence
a
une
validité
discriminante
et
convergente
satisfaisante
[2—4]
mais
une
validité
prédictive
(i.e.
stabilité
temporelle)
faible.
De
fait,
la
différence
de
prévalence
du
TPL
entre
l’adolescence
et
l’âge
adulte
en
population
générale
(3,3
%
[5]
versus
2
%
[1])
questionne
la
stabilité
catégorielle
du
TPL.
Plusieurs
études
longitudinales
objectivent
une
sta-
bilité
faible
en
population
adolescente
[4,6,7].
Chabrol
et
al.
[8]
soulignent
que
la
stabilité
du
diagnostic
catégo-
riel
du
TPL
est
moindre
chez
l’adolescent,
allant
de
23
%
à
33
%,
que
chez
l’adulte
elle
estimée
à
60
%.
Dans
ce
contexte,
l’approche
dimensionnelle
du
TPL
permet-elle
une
meilleure
stabilité
diagnostique
entre
l’adolescence
et
l’âge
adulte
?
De
plus,
quelles
dimensions
sémiologiques
per-
durent
?
À
travers
les
données
récentes
de
la
littérature
et
l’étude
d’un
cas
clinique,
cet
article
apporte
des
éléments
de
réponse
à
cette
problématique.
Approche
dimensionnelle
du
trouble
de
personnalité
limite
Définition
L’approche
dimensionnelle
conc¸oit
le
diagnostic
psychia-
trique
non
plus
comme
la
présence
ou
non
d’un
trouble
mais
comme
une
échelle
progressive
susceptible
de
nom-
breux
paliers
intermédiaires
[9].
L’approche
dimensionnelle
procure
donc
la
différence
quantitative
d’un
même
type
de
substrat
en
nuanc¸ant
des
symptômes
par
différents
degrés
d’intensité
[10].
Cependant,
comme
le
soulignent
certains
auteurs
[10],
l’opposition
dichotomique
entre
les
approches
catégorielle
et
dimensionnelle
doit
être
nuancée.
En
effet,
toute
approche
dimensionnelle
devient
catégorielle
à
la
suite
d’un
cut-off
particulier,
définissant
ainsi
des
sous-
types
catégoriels
au
sein
des
dimensions.
C’est
d’ailleurs
selon
ce
modèle
qu’est
décrit
le
TPL
dans
la
classification
américaine
actuelle
(DSM
V)
[11].
Dans
l’approche
dimen-
sionnelle,
un
trouble
de
personnalité
est
donc
défini
comme
l’expression
de
perturbations
d’intensité
variable
selon
un
continuum
entre
le
normal
et
le
pathologique
et
ce,
sur
plusieurs
dimensions.
Du
fait
de
la
pluralité
des
dimensions,
il
existe
de
mul-
tiples
modèles
dimensionnels
du
TPL.
Historiquement,
le
modèle
de
référence
est
celui
de
Kernberg
[12].
Notons
que
la
description
du
TPL
dans
le
DSM
V
[11]
est
d’ailleurs
inspirée
en
autres
des
travaux
de
Kernberg
qui
écrivait
déjà
en
1989
[12]
que
«
pour
avoir
le
maximum
d’efficacité
dans
l’état
actuel
des
connaissances,
une
classification
des
troubles
de
la
personnalité
devrait
inclure
à
la
fois
une
approche
catégorielle
des
différentes
constellations
de
personnalité,
et
une
approche
dimensionnelle
pre-
nant
en
compte
le
degré
de
gravité
de
ces
troubles
et
Le
trouble
de
personnalité
limite
de
l’adolescence
à
l’âge
adulte
5
les
relations
internes
entre
les
sous-groupes
».
Kernberg
décrit
l’organisation
de
personnalité
limite
(organisation
psychique
sous-tendant
les
symptômes
observables
du
TPL)
selon
trois
dimensions
du
fonctionnement
du
Moi
:
identité,
épreuve
de
réalité
et
mécanismes
de
défense.
Chez
les
sujets
ayant
un
TPL,
l’identité
est
diffuse,
floue,
changeante
en
ce
sens
qu’il
y
a
défaut
d’intégration
du
concept
du
Soi
et
des
autres.
L’épreuve
de
réalité
est
fragile
car
la
dif-
férenciation
Soi-objet
parvient
à
s’effectuer
mais
de
brefs
épisodes
dissociatifs
peuvent
survenir
dans
des
moments
émotionnellement
chargés.
Enfin,
le
mécanisme
de
défense
princeps
est
le
clivage.
Le
clivage
protège
le
Moi
du
conflit
en
dissociant
les
expériences
contradictoires
du
Soi
et
des
autres.
Sur
une
échelle
verticale
prenant
en
compte
ces
trois
dimensions
selon
un
continuum
de
sévérité,
Kernberg
situe
l’organisation
de
personnalité
limite
entre
l’échelon
inférieur
et
l’échelon
moyen.
Actuellement,
la
plupart
des
modèles
dimensionnels
décrivent
le
TPL
selon
quatre
dimensions
[13]
:
la
dimension
cognitive
(trouble
de
l’identité,
trouble
de
l’image
de
soi,
symptômes
dissociatifs
transitoires)
;
la
dimension
impulsive
(dont
les
automutilations
et
les
tentatives
de
suicide)
;
la
dimension
affective
(fluctuation
de
l’humeur,
senti-
ment
de
vide,
colère)
;
la
dimension
relationnelle
(relations
interpersonnelles
instables,
efforts
pour
éviter
l’abandon).
Stabilité
dimensionnelle
du
TPL
de
l’adolescence
à
l’âge
adulte
L’approche
dimensionnelle
du
TPL
serait
particulièrement
pertinente
à
l’adolescence
dans
la
mesure
elle
pren-
drait
davantage
en
compte
la
variabilité
développementale
et
l’hétérogénéité
observées
à
cette
période
de
la
vie
[14].
En
premier
lieu,
la
plupart
des
études
ayant
recours
à
une
conceptualisation
dimensionnelle
du
TPL
objectivent
une
stabilité
modérée
de
ce
diagnostic
à
l’adolescence.
À
titre
d’exemple,
sur
un
échantillon
communautaire
suivi
sur
huit
ans
de
407
adolescents
[4],
la
stabilité
d’une
personna-
lité
de
cluster
B
(dont
le
TPL)
est
de
0,63
pour
les
garc¸ons
et
de
0,69
pour
les
filles.
Dans
le
même
sens,
sur
un
échan-
tillon
clinique
suivi
sur
deux
ans
de
12
patients
présentant
un
TPL
(sur
les
101
recrutés),
Chanen
et
al.
[15]
retrouvent
une
stabilité
de
0,54.
D’autres
études
objectivent
cependant
une
stabilité
plus
faible
malgré
le
diagnostic
dimensionnel
de
TPL
:
0,16
sur
un
échantillon
clinique
de
60
patients
[16]
et
0,18
sur
un
échantillon
clinique
suivi
sur
deux
ans
de
21
patients
ayant
un
TPL
[17].
Ainsi,
si
l’approche
dimen-
sionnelle
versus
catégorielle
du
TPL
permet
une
meilleure
stabilité
diagnostique,
il
n’en
reste
pas
moins
que,
pour
la
majorité
des
individus,
le
TPL
décline
de
fac¸on
signifi-
cative
entre
l’adolescence
et
l’âge
adulte.
Rappelons
tout
de
même
que
la
plupart
des
études
sur
la
validité
prédic-
tive
du
TPL
concernent
des
individus
suivis
bénéficiant
donc
d’une
prise
en
charge.
Cet
élément
nuance
les
conclusions
concernant
la
stabilité
temporelle
de
ce
diagnostic
puisque
les
traitements
sont
décrits
comme
efficaces
[18].
Cepen-
dant,
des
études
longitudinales
incluant
des
individus
non
traités
poseraient
bien
évidemment
des
questions
éthiques
[14].
Quoi
qu’il
en
soit,
nombre
d’auteurs
s’accordent
à
dire
que
la
stabilité
de
rang
(rank
order
stability),
i.e.
la
posi-
tion
relative
des
individus
les
uns
par
rapport
aux
autres
dans
les
échantillons,
reste
élevée
[19,20].
Par
conséquent,
les
adolescents
ayant
un
TPL
sévère
en
terme
d’intensité
des
symptômes
sont
ceux
les
plus
à
risque
de
présenter
ce
trouble
de
personnalité
à
l’âge
adulte.
Ainsi,
Miller
et
al.
[14]
soulignent
l’émergence
de
deux
sous-groupes
d’adolescents
:
les
adolescents
sévèrement
atteints
dont
le
diagnostic
est
stable
et
ceux
moins
atteints
dont
le
dia-
gnostic
à
travers
le
temps
reste
incertain.
En
second
lieu,
un
petit
nombre
de
symptômes
émergent
comme
symptômes
prédictifs
significatifs
de
la
persistance
du
TPL
dans
des
échantillons
adolescents
comme
adultes.
Soulignons
le
fait
que
ce
sont
les
«
symptômes
»
prédic-
tifs
(i.e.
dimensions
sémiologiques)
et
non
les
«
facteurs
»
prédictifs
(i.e.
facteurs
de
risque
et
de
protection)
de
la
persistance
ou
de
la
rémission
du
TPL
entre
l’adolescence
et
l’âge
adulte
qui
font
l’objet
de
cet
article.
Garnet
et
al.
[17]
trouvent
que
les
symptômes
dont
le
pouvoir
pré-
dictif
est
le
plus
important
(i.e.
les
symptômes
les
plus
stables)
pour
les
adolescents
sont
le
sentiment
chronique
de
vide
et
l’ennui.
Dans
d’autres
études
[6,21],
le
trouble
de
l’identité,
l’instabilité
affective
et
la
colère
extrême
voire
démesurée
sont
identifiés
comme
les
symptômes
ayant
le
pouvoir
prédictif
le
plus
important
pour
le
TPL
chez
les
ado-
lescents.
Le
pouvoir
prédictif
de
ces
trois
symptômes
est
aussi
relevé
dans
la
littérature
concernant
le
TPL
à
l’âge
adulte,
suggérant
que
la
validité
prédictive
de
ces
symp-
tômes
clefs
est
élevée
quel
que
soit
le
groupe
d’âge.
Cas
clinique
:
Pauline,
18
ans
Présentation
du
cas
clinique
Rencontre
avec
Pauline,
alors
âgée
de
16
ans
En
août
2010,
Pauline
est
adressée
aux
urgences
pédia-
triques
du
centre
hospitalier
universitaire
(CHU)
par
un
éducateur
du
centre
de
jour
pour
évaluation
psychiatrique
dans
le
cadre
d’une
recrudescence
anxieuse
et
de
la
pré-
sence
d’idéations
suicidaires
actives.
Pauline
a
spontanément
fait
part
à
l’éducateur
du
centre
de
jour
de
son
mal-être
qu’elle
relie
à
l’incertitude
portant
sur
son
projet
scolaire
à
quelques
jours
de
la
rentrée.
En
effet,
elle
a
été
exclue
en
fin
d’année
de
son
collège
au
décours
d’une
tentative
de
suicide
sur
le
lieu
scolaire
selon
ses
dires.
Elle
est
toujours
dans
l’attente
(qui
lui
est
into-
lérable)
de
leur
décision
quant
à
sa
réinscription
pour
cette
nouvelle
année
scolaire.
Lors
de
ce
premier
entretien,
l’anxiété
est
effecti-
vement
massive
et
envahissante.
Il
n’y
a
pas
d’élément
évocateur
d’un
syndrome
dépressif
structuré.
Le
risque
de
passage
à
l’acte
est
mis
à
distance
;
on
ne
retrouve
pas
d’intentionnalité
suicidaire
mais
plutôt
une
idéation
passive
de
mort.
Pauline
est
accessible
à
la
réassurance.
Dans
ce
contexte,
nous
proposons
à
Pauline
(ainsi
qu’à
sa
mère
par
téléphone)
une
deuxième
consultation
dans
48
heures.
Au
second
entretien,
l’indication
de
l’hospitalisation
se
pose
d’emblée.
En
effet,
au
cours
des
dernières
48
heures,
les
difficultés
relationnelles
avec
sa
mère
notamment
se
sont
exacerbées.
Pauline
l’a
menacée
avec
un
couteau.
Elle
6
A.
Knafo
et
al.
exprime
des
idéations
suicidaires
et
dit
se
sentir
vulné-
rable
quant
à
un
passage
à
l’acte
lorsqu’elle
est
envahie
par
l’angoisse.
Devant
les
troubles
du
comportement,
les
difficultés
rela-
tionnelles
au
domicile
et
le
risque
de
passage
à
l’acte
auto-
et
hétéroagressif,
la
nécessité
d’une
hospitalisation
s’impose
pour
prévention
d’un
passage
à
l’acte
et
mise
à
distance
du
milieu
anxiogène.
Anamnèse
Antécédents
Antécédents
psychiatriques
et
neuropsychologiques.
Suivis
ambulatoires.
Depuis
la
primaire,
suivi
psychia-
trique
ambulatoire
motivé
par
des
difficultés
relationnelles
avec
ses
pairs
à
l’école.
De
2002
à
2010,
suivi
psychiatrique
ambulatoire,
psycho-
motricité,
groupes
thérapeutiques.
De
2010
à
aujourd’hui,
suivi
psychiatrique
ambulatoire
(dispositif
thérapeutique
actuel
détaillé
ci-dessous).
Depuis
2000,
suivi
orthophonique
hebdomadaire
en
libé-
ral.
En
2010,
tentative
de
remédiation
cognitive.
Hospitalisations.
En
mai
2009,
première
hospitalisa-
tion
dans
le
service
de
médecine
de
l’adolescent
au
CHU
pour
idéations
suicidaires
et
scarifications.
En
août
2010
(lors
de
notre
rencontre
avec
Pauline),
deuxième
hospitalisation
dans
le
service
de
médecine
de
l’adolescent
au
CHU
pour
idéations
suicidaires.
En
novembre
2010,
troisième
hospitalisation
dans
le
service
de
médecine
de
l’adolescent
au
CHU
pour
scarifi-
cations.
Après
48
heures,
Pauline
est
transférée
en
unité
d’hospitalisation
fermée
devant
l’importance
des
troubles
du
comportement
et
la
nécessité
d’un
cadre
plus
contenant
et
rassurant.
Bilans.
En
2008,
un
bilan
orthophonique
réalisé
en
libéral
met
en
évidence
des
troubles
spécifiques
du
langage
écrit
de
type
dyslexie-dysorthographie.
Ce
diagnostic
est
confirmé
par
un
nouveau
bilan
réalisé
en
2009
au
centre
de
référence
des
troubles
du
langage
et
des
apprentissages.
En
2009,
un
bilan
neuropsychologique
réalisé
au
centre
de
référence
des
troubles
du
langage
et
des
apprentissages
objective
un
niveau
d’efficience
intellectuelle
se
situant
parfaitement
dans
la
moyenne
des
enfants
de
son
âge.
En
2010,
un
bilan
neuropsychologique
réalisé
au
CHU
met
en
évidence
un
déficit
attentionnel
en
modalités
visuelle
et
auditive.
Antécédents
médico-chirurgicaux.
En
2009,
Pauline
subit
une
intervention
chirurgicale
pour
ablation
d’une
bride
au
niveau
de
la
cuisse
droite,
diagnostiquée
comme
la
séquelle
d’une
attache
permanente
au
berceau.
Elle
ne
consomme
pas
de
toxiques
(ni
alcool
ni
drogue
entre
autres).
Il
n’y
a
pas
de
notion
d’allergie.
Traitement
médicamenteux
Depuis
deux
ans,
le
traitement
médicamenteux
est
stable
avec
de
petites
doses
de
neuroleptique
à
visée
anxiolytique
et
inhibitrice
:
aripiprazole
à
5
mg
par
jour.
Pour
infor-
mation,
un
autre
psychotrope
(olanzapine)
est
prescrit
en
2011
dans
une
indication
similaire
mais
interrompu
rapide-
ment
en
raison
de
la
prise
de
poids.
En
2010,
au
décours
du
bilan
objectivant
un
trouble
attentionnel,
est
prescrit
pendant
quelques
mois
du
méthyl-
phénidate
arrêté
en
raison
des
effets
secondaires
(troubles
du
sommeil
et
perte
d’appétit).
Mode
de
vie
Pauline
vit
avec
ses
deux
parents.
Elle
est
la
benjamine
d’une
fratrie
de
deux
enfants.
Son
frère,
âgé
de
20
ans,
souffre
d’un
autisme
sévère.
Sa
mère
ne
travaille
pas,
son
père
est
fonctionnaire.
Pauline
a
été
adoptée
à
l’âge
de
trois
ans
et
demi
(avec
son
frère).
Elle
a
vécu
en
orphelinat
en
Roumanie
elle
a
très
probablement
été
victime
de
négli-
gence
voire
de
maltraitance.
Le
contexte
familial,
stable,
regroupant
les
deux
enfants
avec
leurs
deux
parents,
est
marqué
par
l’inépuisable
anxiété
maternelle
et
le
position-
nement
du
père
tentant
sans
s’imposer
de
rester
attentif
aux
besoins
de
sa
femme
et
de
ses
enfants.
De
tout
temps,
la
mère
de
Pauline
s’est
montrée
déterminée,
n’hésitant
pas
à
faire
appel
aux
procédures
judiciaires
pour
influer
sur
les
dispositifs
de
soin
et
d’éducation
mis
en
place
pour
sa
fille.
Scolarité
Pauline
suit
une
scolarité
adaptée
depuis
l’école
primaire
du
fait
de
ses
difficultés
tant
au
niveau
des
apprentissages
scolaires
qu’au
niveau
relationnel
avec
ses
pairs
comme
avec
les
adultes.
En
primaire,
elle
bénéficie
d’un
accompagnement
par
le
réseau
d’aides
spécialisées
aux
élèves
en
difficulté
(RASED).
Dans
un
second
temps,
elle
est
scolarisée
dans
un
établisse-
ment
privé.
Au
collège,
les
années
ne
sont
jamais
complètes
et
Pau-
line
change
d’établissement
chaque
année
du
fait
de
ses
difficultés
relationnelles
et
de
la
transgression
permanente
du
cadre
:
année
2007—2008
(Pauline
a
12
ans)
:
entrée
en
sixième
dans
un
collège
privé
;
année
2008—2009
(Pauline
a
13
ans)
:
entrée
en
sixième
en
unité
pédagogique
d’intégration
(UPI)
;
année
2009—2010
(Pauline
a
14
ans)
:
entrée
en
cinquième
UPI
(deux
établissements
dans
la
même
année
scolaire)
;
année
2010—2011
(Pauline
a
15
ans)
:
entrée
en
quatrième
en
unité
localisée
pour
l’inclusion
scolaire
(ULIS)
;
année
2011—2012
(Pauline
a
16
ans)
:
Pauline
n’est
pas
scolarisée
à
la
rentrée.
Elle
bénéficie
de
temps
de
classe
sur
l’unité
d’hospitalisation.
Rapidement,
elle
est
accueillie
une
demi-journée
en
institut
médico-éducatif
(IME)
puis
deux
journées
et
demi
à
partir
du
printemps
2012
;
année
2012—2013
(Pauline
a
17
ans)
:
poursuite
de
la
sco-
larité
à
temps
partiel
en
IME.
Dispositif
thérapeutique
actuel
Le
dispositif
de
soins
associe
:
deux
journées
et
une
nuit
en
hospitalisation
complète
sur
l’unité
d’hospitalisation
pour
adolescents
avec
la
possibi-
lité
de
revenir
de
permission
le
dimanche
si
la
situation
est
conflictuelle
au
domicile
;
la
consultation
thérapeutique
conduite
sous
forme
d’entretiens
individuels
hebdomadaires
associés
à
des
entretiens
parentaux
;
un
temps
de
soins
hebdomadaire
en
structure
de
jour
(équithérapie)
;
le
suivi
orthophonique
hebdomadaire
en
libéral.
Le
trouble
de
personnalité
limite
de
l’adolescence
à
l’âge
adulte
7
Tableau
psychopathologique
Tableau
à
17
ans
Manifeste
depuis
plusieurs
années,
le
tableau
clinique
évoque
un
trouble
de
personnalité
limite
touchant
les
quatre
dimensions
(i.e.
cognitive,
impulsive,
affective
et
relation-
nelle).
Concernant
la
dimension
cognitive,
on
retrouve
de
nombreux
micro-moments
dissociatifs
avec
en
situation
plus
stressante,
un
vécu
bref
de
dépersonnalisation
ou
des
alté-
rations
perceptuelles,
notamment
vespérales.
Concernant
la
dimension
impulsive,
s’associent
des
conduites
auto-
et
hétéroagressives
puis
l’émergence
de
remords
suite
aux
conduits
hétéroagressives,
des
idéations
suicidaires
actives
et
passives
et
un
antécédent
de
tentative
de
suicide.
Notons
que
chez
les
adolescents
ayant
un
TPL,
la
dimen-
sion
impulsive
domine
souvent
le
tableau
clinique.
De
fait,
le
TPL
paraît
être
un
facteur
de
risque
indépendant
des
conduites
suicidaires
(suicides
complétés
et
tentatives
de
suicide)
à
l’adolescence
(odds
ratio
=
2,4
;
p
=
0,052
sur
une
cohorte
suivie
sur
six
mois
de
263
adolescents
suici-
dants)
[2].
La
dimension
affective
est
marquée
par
une
instabilité
émotionnelle
constante
dominent
l’hostilité
et
des
conduites
d’opposition
et
par
la
lutte
contre
des
affects
dépressifs
intolérables.
Enfin,
concernant
la
dimen-
sion
relationnelle,
des
symptômes
d’anxiété
de
séparation
ainsi
que
l’évitement
des
situations
d’abandon
sont
très
présents
aussi
bien
à
la
maison
que
lors
des
séjours
en
internat.
La
solitude
est
peu
tolérée
et
l’appétence
rela-
tionnelle
est
intense,
mais
les
ancrages
auprès
des
adultes
et
des
pairs
sont
instables,
notamment
en
raison
du
change-
ment
d’établissement
scolaire
chaque
année.
La
relation
à
l’autre
est
fréquemment
vécue
comme
persécutoire
et
est
à
l’origine
d’une
souffrance
psychique
importante.
Seuls
les
soignants
demeurent
des
figures
stables
ainsi
qu’une
rela-
tion,
souvent
rêvée
mais
plus
difficile
à
actualiser,
avec
un
garc¸on
en
situation
de
handicap.
Par
ailleurs,
sur
le
plan
diagnostique,
aucun
syndrome
dépressif
majeur
ou
maniaque
n’est
observé.
Il
n’y
a
pas
de
consommation
de
toxiques
ou
d’alcool.
Le
tableau
clinique
est
associé
à
une
dyslexie-dysorthographie
et
à
un
trouble
déficitaire
de
l’attention
qui
ont
tous
deux
fait
l’objet
d’investigations
conduisant
à
la
mise
en
place
d’une
rééducation
orthopho-
nique,
et
plus
récemment
d’une
amorce
de
remédiation
cognitive.
Le
bilan
neurologique
est
négatif.
Sur
le
plan
psychique,
l’angoisse
de
perte
d’objet
est
déterminante
avec
des
capacités
de
contenance
des
objets
internes,
très
faibles
en
début
de
prise
en
charge,
qui
se
sont
construites
progressivement.
La
représentation
de
soi
est
peu
investie
et
très
dévaluée.
L’épreuve
de
réalité
demeure
fragile.
Le
jugement
de
réalité
s’améliore
avec
le
recadrage
apporté
par
ses
interlocuteurs,
notamment
les
soignants
qui
offrent
un
support
d’étayage
très
investi.
Sur
le
plan
des
mécanismes
de
défense,
l’identification
projec-
tive
et
le
clivage
des
imagos
sont
fréquemment
mobilisés.
L’ambivalence
adolescente
vis-à-vis
des
figures
parentales
est
exacerbée.
Tout
se
passe
comme
si
le
fonctionne-
ment
psychique
laissait
coexister
plusieurs
représentations
contradictoires.
La
relation
idéalisée
mère
aimante-bébé
constitue
un
axe
fondateur
de
la
construction
psychique
comme
peuvent
en
témoigner,
par
exemple,
le
désarroi
et
la
colère
que
manifeste
Pauline
quand
on
«
critique
sa
mère
».
Cette
relation
coexiste
avec
une
autre
image
maternelle,
celle
d’une
figure
toute
puissante,
tyrannique,
persécu-
tante,
dont
elle
cherche
à
se
déprendre
sans
succès.
L’image
paternelle,
lieu
de
condensation
des
motions
oedipiennes
et
pré-œdipiennes,
est
présente
mais
son
activation
est
sou-
vent
occultée
par
le
lien
très
investi
aux
figures
de
la
mère.
Les
phénomènes
d’identification
projective
distribuent
ces
représentations
sur
l’éventail
des
relations
thérapeutiques,
amenant
les
soignants
à
occuper
des
places
contrastées.
Le
dispositif
psychothérapeutique
inclut
alors
la
consul-
tation,
des
temps
de
soins
de
jour
en
unité
de
jour
et
une
scansion
du
rythme
hebdomadaire
par
une
nuit
en
hos-
pitalisation.
Des
entretiens
parentaux
ou
parents-enfant
sont
tenus
dans
chacun
des
trois
lieux
de
soins
:
consulta-
tion,
unité
de
jour,
hospitalisation,
sans
toutefois
amener
l’instauration
d’une
thérapie
familiale.
La
consultation
offre
un
espace
stable
et
sécurisant
pour
élaborer
les
pertes
vécues
et
anticipées.
Leur
évocation
spontanée
au
fil
du
discours
lors
des
entretiens
individuels
est
progressivement
mieux
tolérée,
en
abaissant
les
explosions
agressives,
en
abandonnant
les
tentatives
de
maîtriser
le
cadre
et
la
relation
thérapeutiques
puis
en
éprouvant
sans
détours
la
palette
des
vécus
douloureux
de
deuil.
Un
autre
temps
du
travail
porte
sur
le
détail
des
interactions
vécues
comme
persécutantes
avec
les
parents,
les
soignants
ou
bien
de
simples
inconnus
croisés
sur
le
campus
hospitalier.
Il
s’agit
d’un
travail
de
clarification
sur
les
processus
tant
cogni-
tifs
que
psychiques
mis
en
jeu
par
le
regard
de
l’autre.
Depuis
peu,
Pauline
s’engage
dans
une
exploration
du
juge-
ment
qu’elle
porte
sur
ses
conduites
et
ses
interactions
;
elle
confronte
ses
propres
perceptions
à
celles
de
ses
parents
et
des
soignants,
cherchant
à
mieux
situer
ce
qui
relève
d’elle-même
ou
des
autres.
Le
traitement
médicamenteux,
avec
de
petites
doses
de
neuroleptique
à
visée
anxiolytique
et
inhibitrice,
est
stable.
Tableau
à
18
ans
Au
cours
de
cette
dernière
année,
l’évolution
cli-
nique
concerne
essentiellement
les
dimensions
liées
à
l’impulsivité
et
aux
affects.
Concernant
la
dimension
impul-
sive,
est
observée
une
réduction
de
l’hostilité
et
des
conduites
auto-agressives.
Pauline
peut
maintenant
ver-
baliser
des
idées
suicidaires
sans
toutefois
menacer
de
passer
à
l’acte.
Il
n’y
a
pas
de
nouvelle
tentative
de
suicide.
En
revanche,
concernant
la
dimension
affective,
l’instabilité
émotionnelle
est
toujours
très
présente
et
le
tableau
dépressif
s’approfondit
depuis
plusieurs
mois
à
la
faveur
d’une
meilleure
capacité
de
contenance
des
affects
tristes.
Sur
le
plan
thymique,
l’humeur
dépressive
est
pré-
sente
quotidiennement
et
dans
les
différents
lieux
de
soins
(hospitalisation,
consultation
et
unité
de
jour).
On
retrouve
une
irritabilité
majeure
s’exprimant
par
un
retrait
social
important
et
des
comportements
explosifs
immédiatement
suivis
par
des
remords
et
une
auto-culpabilisation.
De
plus,
Pauline
présente
un
ralentissement
psychomoteur
essen-
tiellement
marqué
par
un
sous-fonctionnement
cognitif.
Enfin,
s’associe
au
tableau
clinique
un
retentissement
soma-
tique
marqué
par
des
troubles
du
sommeil,
une
asthénie
et
une
anorexie.
Notons
que
toute
introduction
d’un
nouveau
traitement
psychotrope
est
impossible
devant
l’opposition
formelle
de
sa
mère
alors
que
Pauline
est
certes
à
l’approche
de
ses
18
ans
mais
encore
mineure.
Sur
le
plan
psychique,
s’opère
progressivement
un
réaménagement
de
ses
images
internes.
Les
représentations
1 / 7 100%

Le trouble de personnalité limite de l`adolescence - chu

La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !