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Je pense que les économistes hétérodoxes se reconnaîtront facilement dans la
caractéristique du constructivisme présentée par Salin. Donc, à mon avis, le principal critère
d’inclusion des économistes dans le camp des économistes « mainstream » ou hétérodoxes est
leur relation avec le concept de constructivisme introduit par Hayek. Les hétérodoxes suivant
la terminologie de Hayek sont constructivistes, et les économistes « mainstream » voient dans
le constructivisme défini de cette façon l’objet de leurs attaques les plus acharnées. L’ouvrage
de Hayek, « The Errors of Constructivism », était publié initialement en 1970, c’est-à-dire
quatre ans après la publication du livre de Peter Berger et Thomas Luckmann, « La
construction sociale de la réalité » (Berger et Luckmann, 1996)
. Nous pouvons supposer que
Hayek n'était pas familier avec ce livre, malgré le fait que bon nombre des idées de l'article
«The Errors of Constructivism» étaient en accord avec les idées du livre «La construction
sociale de la réalité. Si nous appelons le constructivisme de Hayek constructivisme politique,
alors le constructivisme social lancé par Berger et Luckmann, qui a reçu un développement
significatif dans les œuvres de nombreux autres auteurs, envisage la possibilité de la
construction de la réalité socio-économique ; pourtant cette construction doit être non
seulement politique, mais surtout sociale.
La notion de constructivisme introduit par Hayek, à laquelle nous nous référons en
tant que constructivisme politique, était orientée contre les idées de Marx et Keynes, et il est
difficile de ne pas être en accord avec beaucoup de ses arguments. Néanmoins, dans son
ouvrage The Errors of Constructivism, il commet lui-même au moins quatre erreurs. Tout
d'abord, il considère le processus de changement des règles du comportement comme
exclusivement le processus d'imitations de règles efficaces, plus performantes.
Deuxièmement, on peut deviner que les seules règles qu'il avait à l'esprit sont les règles
enracinées dans la civilisation occidentale. Troisièmement, dans sa notion de constructivisme,
l'acteur était individuel, et la possibilité de la volonté collective n'a pas été prise en
considération. Enfin, quatrièmement, il n'était pas au courant du fait que les règles sont
toujours exprimées et transmises avec l'aide de la langue. Toutes ces quatre erreurs de Hayek
continuent à être reproduites par les économistes « mainstream ». Toutes ces quatre erreurs
sont corrigées dans le cadre du constructivisme social.
La majorités des économistes orthodoxes d’aujourd’hui sont poppériens (Blaug,
1994), ou autrement dit post-positivistes. La plupart des économistes hétérodoxes sont
partisans du réalisme critique (Lee, 2009 ; 2012 ; Fleetwood, 2004). Le constructivisme social
(Berger et Luckmann, 1996 ; Kukla, 2000 ; Gergen, 2001 ; Burr, 2003), qui est l’alternative
au post-positivisme et au réalisme critique, est ignoré par la profession actuelle des
économistes dans leurs pratiques de recherche
. Les rares méthodologues économiques
(Hands, 2001 ; Mouchot, 2003) et les historiens de la pensée économique (Weintraub, 1999)
qui considèrent le constructivisme dans leurs ouvrages, le traitent de façon assez limitée. Pour
eux le constructivisme n’est qu’exclusivement une philosophie des sciences basée sur l’idée
de la construction sociale des connaissances. Pourtant le constructivisme en sciences sociales
souligne également la construction sociale de la réalité sociale, et considère comment cette
construction se réalise. De cette façon, le constructivisme n’est pas seulement une
Initialement publié en 1966.
Une comparaison des post-positivisme, réalisme critique et social constructivisme est fait dans (Alvesson and
Skölder, 2009, ch. 2 ).