Chapitre 9
Développer
le capital marque
La stratégie de marque constitue l’une des priorités actuelles
des politiques marketing et même financières. Les entrepri-
ses cherchent à créer, développer et protéger leurs marques.
Des marques telles que Coca-Cola, Microsoft, IBM, Nokia,
Sony ou Nike permettent aux entreprises d’adopter des prix
plus élevés pour leurs produits, de favoriser la fidélité des
clients et de se différencier des concurrents.
La construction de marques fortes exige une planification
marketing soignée, associée à des investissements sur le long
terme. Au cœur d’une stratégie réussie, on trouve un excel-
lent produit ou service, accompagné d’un marketing créatif.
GOOGLE. Fondé en 1998 par deux étudiants en doctorat de Stan-
ford, ce moteur de recherche représente aujourd’hui 56 % des
requêtes sur Internet et 200 millions de recherches quotidiennes. En
2004, il a doublé son chiffre d’affaires pour atteindre 3,2 milliards
de dollars, et quadruplé ses bénéfices pour parvenir à 342 millions
de dollars. Résultat : un an seulement après son introduction en
bourse, son cours avait déjà triplé et sa capitalisation boursière
représentait près de 80 milliards de dollars. La politique marketing
de l’entreprise s’appuie sur un moteur de recherche fondé sur le
texte lui-même et un algorithme sophistiqué, sur un service rapide
et fiable, ainsi que sur l’absence de publicité sur le site. Les bénéfi-
ces de Google reposent sur la vente de listings utilisables pour une
recherche, et sur celle de la licence de sa technologie à des entrepri-
ses comme AOL et le Washington Post. Google a également diversi-
fié ses logiciels en permettant désormais d’identifier un itinéraire
avec Google Maps, d’afficher la photo satellite de n’importe quelle
région du monde avec Google Earth, de comparer les prix avec
Froogle… L’entreprise n’a jamais dépensé d’argent en communica-
tion et s’est développée grâce au bouche-à-oreille. En 2005, Google
a été classée 38e marque mondiale par Interbrand, avec une valori-
sation de 8,5 milliards de dollars pour la marque. Elle est l’une des
marques les plus récentes parmi les cent premières mondiales1.
Dans ce chapitre,
nous examinerons
les questions suivantes :
Qu’est-ce qu’une marque ?
Qu’est-ce que le capital
marque ?
Comment peut-on le
construire, le mesurer et le
gérer ?
Quelles décisions doit-on
prendre lorsque l’on
définit une stratégie de
marque ?
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314 QUATRIÈME PARTIE Construire des marques fortes
La prise de conscience de la valeur des marques par les responsables d’entre-
prise date des années 1980 sous l’effet conjugué de plusieurs phénomènes :
l’arrivée à maturité de nombreux marchés de grande consommation, provo-
quant une intensification de la concurrence ; le nombre très élevé de marques
encombrant les linéaires et l’esprit des consommateurs ; l’augmentation des
coûts de publicité et donc des dépenses nécessaires pour construire la notoriété
et l’image des marques2.
En réaction, les entreprises ont été amenées à investir fortement dans leurs
marques, quitte à en limiter le nombre. Cette volonté s’est traduite par de nom-
breuses fusions-acquisitions dans l’objectif d’acquérir des marques leaders. Ainsi,
Pernod Ricard a acheté les marques Chivas, Martell et Glen Grant, tandis que
Unilever a acquis Slim Fast, Tetley, Amora et Maille. En parallèle, certaines entre-
prises (Danone, Nestlé, Philip Morris, par exemple) se sont séparées de nombreu-
ses marques afin de concentrer leurs budgets marketing sur celles qui leur
paraissaient avoir le plus fort potentiel. Procter & Gamble a ainsi réduit son por-
tefeuille à 300 marques et concentre ses efforts sur 16 d’entre elles, qui valent plus
d’un milliard de dollars.
Aujourd’hui, toutes les entreprises analysent avec soin leur portefeuille de
marques afin de déterminer sur lesquelles investir et lesquelles supprimer. Elles
considèrent leurs marques comme un actif immatériel, valorisé comme tel par les
marchés financiers et à développer en conséquence.
Pour étudier cette composante essentielle de la politique marketing, nous ana-
lysons le rôle de la marque et le contenu du capital marque, avant d’étudier com-
ment le construire et le développer. Puis, nous nous intéressons à la gestion des
marques existantes et à la conception des stratégies de marque.
1. Qu’est-ce que la marque
et le capital marque ?
Avant d’examiner les différents problèmes liés à la marque, une définition
s’impose :
Une marque est « un nom, un terme, un signe, un symbole, un dessin ou toute combinaison
de ces éléments servant à identifier les biens ou services d’un vendeur ou d’un groupe de
vendeurs et à les différencier des concurrents »3.
La marque est un élément-clé de la stratégie d’une entreprise. Elle ajoute des
dimensions au bien ou au service, et le différencie des autres offres répondant au
même besoin. Les différences peuvent être fonctionnelles et rationnelles, c’est-à-
dire liées à la performance du produit, ou encore symboliques et émotionnelles,
c’est-à-dire fondées sur ce que la marque représente.
1.1. Le rôle de la marque
La marque joue un rôle essentiel auprès des clients et des entreprises : pour les
premiers, elle sert de repère et d’identificateur ; pour les entreprises, elle consti-
tue un outil stratégique.
a)
Le rôle de la marque auprès des clients
La marque permet aux consommateurs d’identifier le fournisseur d’un produit
ou d’un service. Elle est une garantie, une source de confiance, car elle représente
un engagement public de qualité associé à un certain niveau de performance.
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CHAPITRE 9 Développer le capital marque 315
La marque influence également la manière dont le produit est perçu parce
qu’elle permet aux clients d’identifier l’entreprise qui le commercialise, de faire le
lien avec les opérations marketing dont elle fait l’objet et avec des expériences de
consommation antérieures avec d’autres produits signés de la même marque.
Lorsqu’elle est associée à des valeurs et à un imaginaire, la présence de la mar-
que peut également influer sur la manière dont les clients perçoivent la perfor-
mance des produits. La marque peut alors conduire les clients à mieux évaluer
les caractéristiques intrinsèques du produit (la voiture est jugée plus puissante,
plus rapide, mieux aménagée) et à lui associer une valeur symbolique liée à
l’identité de la marque et non au produit lui-même (cette voiture apparaît
comme un signe de réussite sociale ou semble mieux adaptée au mode de vie
du client).
Les consommateurs déterminent quelles marques sont susceptibles de répon-
dre à leurs besoins, et celles qui sont moins pertinentes pour eux. La marque leur
permet de simplifier leur processus d’achat et de réduire le risque perçu4.
Enfin, la marque joue un rôle d’identification pour ses clients, qui expriment ce
qu’ils sont à travers les marques qu’ils achètent. Les femmes qui achètent du Dior
se reconnaissent comme à la pointe de la mode, tandis que les jeunes qui appré-
cient Quicksilver se trouvent « cools » et décontractés. De même, les possesseurs
d’équipements hi-fi Bose se considèrent comme de véritables amateurs férus de
technologie.
BOSE. Cette entreprise, créée par le Dr Amar Bose, alors professeur en génie électrique au
MIT, exprime ses valeurs, et donc celles de ses clients, dans sa communication : « Bose a
forgé sa réputation grâce à la très haute qualité de ses systèmes audio, tant dans l'univers
de la maison, avec ses systèmes hi-fi et home cinéma, que dans les domaines profession-
nels. Partout où le son revêt une importance majeure, Bose est là. […] La recherche nourrit
la technologie. Or une technologie supérieure entraîne des performances supérieures.
Chez Bose, nous finançons la recherche en réinvestissant 100 % de nos bénéfices dans notre
entreprise5. »
Source illustration : www.bose.co.uk.
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316 QUATRIÈME PARTIE Construire des marques fortes
b)
Le rôle de la marque pour les entreprises
Pour les entreprises, la marque présente de nombreux avantages6. D’abord, elle
facilite le suivi du produit et les opérations logistiques. Ensuite, elle offre une
protection légale pour éviter la copie du produit et de certaines de ses caractéris-
tiques techniques ou perceptuelles7. Ainsi, les noms des marques sont déposés
par zones géographiques et catégories de produits, empêchant d’autres entrepri-
ses du même secteur de réutiliser des noms existants. Les logos et les emballages
sont également protégés. Les processus de fabrication peuvent faire l’objet de
brevets. Ces différents éléments relèvent du droit de la propriété intellectuelle et
permettent à l’entreprise d’investir dans sa marque et d’en faire un actif sans
craindre la copie par les concurrents.
En outre, les marques constituent un signal de qualité à l’attention des
consommateurs8. La fidélité à la marque varie considérablement selon les sec-
teurs, mais dans la plupart des catégories de produits, elle garantit un certain
niveau de demande et constitue une barrière à l’entrée pour les nouvelles entre-
prises susceptibles de commercialiser des produits de la même catégorie.
CÔTE D’OR. Née en Belgique en 1883, la marque appartient depuis 1987 au groupe Kraft
Foods, numéro deux mondial de l’agroalimentaire qui détient également les marques
Milka, Toblerone et Suchard. Mais l’identité de Côte d’Or est spécifique. Elle évoque un
chocolat au goût intense, une grande qualité fondée sur un savoir-faire plus que centenaire
et un cacao soigneusement sélectionné. Même si la gamme est large et couvre l’ensemble
de la catégorie, depuis les tablettes familiales jusqu’aux carrés de chocolat, du chocolat au
lait aux chocolats noirs et parfumés, l’identité s’inscrit d’abord dans l’univers de la dégus-
tation avec des plaquettes fines et des mignonnettes aux parfums originaux comme noir
orange, noir framboise ou truffé intense10.
La fidélité à la marque permet également de proposer des prix supérieurs aux
concurrents, parfois de l’ordre de 20 à 25 %9. Même si ces derniers peuvent copier
les processus de fabrication et imiter le design des produits, il leur est difficile de
récupérer à leur compte les perceptions des clients et leur expérience antérieure,
accumulée au cours des années, avec les produits de la marque. En ce sens, les
stratégies de marque contribuent à la constitution d’un avantage concurrentiel,
qui se renforce avec le temps.
Aujourd’hui, la notion de marque recouvre des activités extrêmement hétéro-
gènes, depuis les biens tangibles (shampooings Mixa, voitures Renault, yoghourts
Danone), les services (Air France, Société Générale), les magasins (Carrefour, Réso-
nance), jusqu’aux lieux (le Gers, l’Australie) ou encore les organisations (l’Unicef
ou Médecins sans Frontières). Même les magazines sont aujourd’hui des marques
(voir encadré 9.1). Pour analyser leur portée auprès du marché, on peut se poser
une série de questions à rassembler dans un tableau de bord des marques (voir
encadré 9.2).
1.2. La marque, outil essentiel de différenciation
Parce qu’elle permet l’identification du produit, la marque constitue un outil fon-
damental de différenciation. La stratégie de marque vise à conférer une identité
particulière aux produits qu’elle porte. Toute entreprise doit donc élaborer une
promesse de marque, qui correspond à ce qu’elle doit être et à ce qu’elle doit per-
mettre à ses clients. La réussite de la stratégie repose ensuite sur la capacité de
l’entreprise à faire percevoir cette promesse aux clients, puis à la tenir. Au final, la
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CHAPITRE 9 Développer le capital marque 317
valeur de la marque dépend de ce que les clients perçoi-
vent et croient à propos de la marque, en fonction de sa
politique marketing et de leur expérience avec les pro-
duits.
La marque repose sur un nom, des attributs et des valeurs
qui seront transférés aux produits. Il s’agit de créer des
associations mentales afin d’aider les clients à organiser
leurs connaissances et leurs perceptions des produits. On
peut, en fait, articuler le concept de marque autour de six
pôles :
1. Un ensemble d’attributs. Une marque évoque des
caractéristiques qui lui sont attachées. Mercedes, c’est
solide, cher, durable, etc.
2. Un ensemble d’avantages ou bénéfices clients. Au-delà des attributs, une marque
communique les avantages, fonctionnels ou émotionnels, qui lui sont associés.
Ainsi, la durabilité signifie : « Je n’aurai pas besoin d’acheter une autre voiture
avant des années » ; la solidité : « Je suis en sécurité en cas d’accident ».
3. Un ensemble de valeurs. La marque exprime la culture de l’entreprise qui en est
à l’origine. Mercedes, c’est aussi la performance, le prestige, la tradition.
4. Une culture. La marque traduit en même temps une affiliation culturelle. Mer-
cedes est allemande tout comme Fiat est italienne et Renault française.
5. Une personnalité. La marque projette une certaine personnalité11. Que serait-elle
si elle était une personne ? un animal ? un objet ? Mercedes serait peut-être un
patron, un lion ou un palais austère. Certains chercheurs ont appliqué aux mar-
ques des échelles de personnalité humaine. Par exemple, Jean-Marc Ferrandi et
Pierre Valette-Florence ont appliqué l’échelle de Saucier centrée sur cinq dimen-
sions : introverti, aimable, consciencieux, neurotique et ouvert12. Ils ont ainsi
observé que, dans l’esprit des consommateurs, la marque Nescafé était conscien-
cieuse et aimable, tandis que Perrier était ouverte et extravertie, BMW introver-
tie et non ouverte. Les deux chercheurs considèrent que les marques attirent des
consommateurs ayant des personnalités proches des leurs.
Source illustration : Australian Tourist Commission.
Source illustration : Unicef.
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