Vers une nouvelle approche clinique de l`anorexie - chu

Neuropsychiatrie
de
l’enfance
et
de
l’adolescence
(2012)
60,
120—125
Disponible
en
ligne
sur
www.sciencedirect.com
CAS
CLINIQUE
Vers
une
nouvelle
approche
clinique
de
l’anorexie
mentale
Through
a
new
clinical
way
of
anorexia
nervosa
F.
Askenazya,,
M.
Beaumontb,
A.
Serpa-Rouedea,
E.
Dor-Nedonsela,
S.
Serreta
aService
universitaire
de
psychiatrie
de
l’enfant
et
de
l’adolescent,
hôpitaux
pédiatriques
de
Nice,
CHU
de
Lenval,
57,
avenue
de
la
Californie,
06200
Nice,
France
bService
de
psychopathologie
de
l’enfant
et
de
l’adolescent,
CMP
d’Antibes,
centre
hospitalier
d’Antibes,
RN
7
La
Fontonne,
06600
Antibes,
France
MOTS
CLÉS
Anorexie
;
Adolescence
;
Clinique
;
Psychodynamique
;
Perception
Résumé
Le
modèle
de
compréhension
de
l’anorexie
mentale
s’enrichit
d’une
réflexion
sur
une
forme
d’organisation
perceptive
particulière.
De
nos
jours,
les
neurosciences
apportent
une
explication
aux
mécanismes
qui
intègrent
le
système
perceptif.
D’un
autre
côté,
les
théories
psychodynamiques
en
proposent
une
tentative
de
compréhension.
Ces
modèles
peuvent
être
une
aide
pour
le
clinicien
dans
la
prise
en
compte
d’une
nouvelle
clinique.
Cet
article
est
une
étape
préliminaire
qui
rend
compte
d’observations
cliniques
réalisées
avec
une
écoute
associa-
tive
auprès
d’adolescents
anorexiques.
Il
permet
de
décrire
une
clinique
qui
semble
spécifique
à
l’anorexie
:
clinique
des
fonctions
physiologiques,
clinique
des
fonctions
perceptives,
plus
particulièrement
olfactives
et
gustatives.
On
observe
ainsi
une
palette
sémiologique
qui
va
du
dérèglement
à
la
distorsion
jusqu’à
la
disparition.
Elle
permet
une
nouvelle
compréhension
des
comportements
anorectiques.
©
2011
Elsevier
Masson
SAS.
Tous
droits
réservés.
KEYWORDS
Anorexia;
Adolescence;
Clinical;
Psychodynamic;
Perception
Summary
The
model
of
comprehension
in
anorexia
improves
with
this
of
a
particular
percep-
tive
organisation.
Neuroscience
carries
out
an
explanation
to
the
mechanisms,
which
integrate
the
perceptive
system.
In
another
hand,
psychodynamic
theories
propose
an
attempt
of
com-
prehension.
These
models
could
be
helpful
for
clinician
to
use
a
new
form
of
clinic.
This
paper
is
a
first
step
carrying
clinical
observations
realised
with
anorectic
adolescents
with
a
specific
associative
listening.
Then
become
possible
to
describe
a
new
clinic,
which
seems
specific
to
Auteur
correspondant.
Adresse
e-mail
:
(F.
Askenazy).
0222-9617/$
see
front
matter
©
2011
Elsevier
Masson
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droits
réservés.
doi:10.1016/j.neurenf.2011.10.007
Vers
une
nouvelle
approche
clinique
de
l’anorexie
mentale
121
anorexia:
clinic
of
physiologic
functions,
clinic
of
perceptive
functions,
more
particularly
olfac-
tive
and
gustative.
Then
we
observe
different
forms
going
from
disordered
state,
to
distortion
until
disappearance.
It
creates
a
new
comprehension
of
anorectic
mechanisms.
©
2011
Elsevier
Masson
SAS.
All
rights
reserved.
Introduction
Avec
les
patients
anorexiques,
l’écoute
associative
fon-
dée
sur
l’interprétation
œdipienne
et
l’attente
d’un
retour
du
refoulé
qui
s’ensuit
est
souvent
trompeuse.
Notre
expérience
nous
a
appris
comment
l’écoute
des
signes
pré-
verbaux
conduit
à
la
connaissance
d’une
clinique
moins
visible
du
vécu
des
fonctions
physiologiques
primordiales
et
du
monde
perceptif.
Sa
découverte
autorise
le
clinicien
à
aborder
la
relation
avec
son
patient
sous
un
nouvel
angle
de
vue
dès
les
premières
rencontres.
Il
aide
la
patiente
dans
la
connaissance
de
sa
douleur
en
contournant
les
affres
du
déni
et
les
défenses
manipulatrices
qui
lui
sont
contingentes.
Il
met
en
lumière
un
pan
nouveau
de
possibles
thérapeutiques.
Dans
la
suite
d’articles
déjà
publiés
[1,2],
il
sera
décrit
comment,
à
partir
des
travaux
psychanalytiques
sur
les
pathologies
de
la
représentation,
dans
la
continuité
de
Win-
nicott,
le
clinicien
peut
utiliser
ces
concepts
pour
réorienter
son
écoute
vers
la
découverte
d’une
clinique
qui
n’est
pas
encore
décrite
classiquement.
Cet
article
présente
les
premières
observations
d’une
cli-
nique
des
fonctions
primordiales
et
de
la
perception
dans
l’anorexie
mentale
restrictive.
Elle
a
été
réalisée
à
partir
de
l’expérience
clinique
conduite
dans
un
cadre
hospitalier
pédopsychiatrique
auprès
de
patients
âgés
de
dix
à
18
ans
et
pour
lesquels
une
écoute
associative
est
toujours
propo-
sée.
Son
but
est
de
rendre
compte
d’une
expérience
clinique
d’équipe
et
d’ouvrir
des
voies
de
réflexions
cliniques
et
thé-
rapeutiques
pour
les
praticiens
engagés
dans
le
traitement
de
l’anorexie
restrictive
de
l’adolescent.
Perceptions
et
sensations
une
nouvelle
voie
d’approche
:
apport
des
neurosciences
et
hypothèses
psychodynamiques
Récemment,
Antonio
Damasio
[3]
a
développé
«
l’hypothèse
des
marqueurs
somatiques
».
Ils
seraient
comme
des
signaux
d’alarme
de
l’état
somatique
émis
par
le
corps
sous
forme
d’une
perception
(le
mal
de
ventre
en
est
un
exemple
de
base)
avant
même
que
les
processus
de
pen-
sée
n’interviennent.
Ces
marqueurs,
selon
leur
effet
négatif
ou
positif,
seraient
utiles
pour
nos
prises
de
décision.
Leur
formation
serait
une
savante
alchimie
entre
inné
et
acquis.
Inné
selon
la
proposition
de
Damasio
[3]
par
«
la
base
neurale
d’un
système
d’homéostasie
interne
dont
la
finalité
est
d’assurer
la
survie
de
l’organisme
»;
acquis
par
le
biais
de
l’expérience
individuelle,
sous
l’égide
d’un
système
d’homéostasie
interne
et
sous
l’influence
d’un
ensemble
de
circonstances
externes
qui
comprennent
les
entités
et
les
événements
avec
lesquels
l’organisme
interagit
nécessairement.
De
plus,
les
techniques
de
neuro-imagerie
ont
permis
de
décrire
et
localiser
les
représentations
d’un
«
soi
viscéral
»
[4,5]
intégrées
par
l’intermédiaire
du
complexe
insula-cortex
orbito-frontal
cortex
cingulaire
antérieur
qui
seraient
impliqués
dans
la
conscience
du
soi
et
la
conscience
des
émotions.
Pendant
que
les
neurosciences
recherchent
des
modèles
explicatifs
et
visibles
à
l’aide
des
techniques
de
neuro-
imagerie
cérébrale,
les
théories
psychanalytiques
mettent
l’accent
sur
les
limites
de
l’appareil
psychique
dans
ses
capacités
de
représentation,
les
limites
du
figurable,
l’irreprésentable
[6,7].
Dans
l’anorexie,
tout
se
passe
comme
si
le
«
soi
vis-
céral
»
subissait
une
distorsion,
comme
si
les
perceptions
dirigées
vers
le
monde
extérieur,
comme
celles
du
monde
interne
ne
pouvaient
être
représentées.
Selon
Winnicott
[8]
et
ses
successeurs,
c’est
un
défaut
dans
l’environnement
précoce
qui
conduirait
à
ce
défaut
de
représentation.
Dans
son
ouvrage
«
la
crainte
de
l’effondrement
»,
Winnicott
nous
dit
:
«
des
expériences
qui
n’ont
pu
être
véritablement
inté-
grées
psychiquement,
parce
que
leur
puissance
d’effraction
était
telle
qu’elles
se
sont
révélées
impossibles
à
accueillir
à
l’intérieur
du
moi
»[8].
Ces
expériences
inadmissibles
ont
toujours,
précise
Winnicott,
un
lien
avec
des
défaillances
de
l’environnement,
défaillances
perc¸ues,
mais
non
reconnues.
Winnicott
proposait
dès
1936
une
origine
précoce
à
l’anorexie
de
l’adolescent
dans
un
article
récemment
traduit
dans
la
Revue
franc¸aise
de
psychanalyse.
Il
les
comprend
comme
liés
à
l’inhibition
de
l’avidité,
défense
contre
une
angoisse
primitive
:
«Depuis
maintenant
quelques
années,
j’ai
enseigné
que
l’anamnèse
révèle
qu’il
n’y
a
pas
de
ligne
de
division
franche
entre
les
troubles
suivants
:
l’anorexie
mentale
de
l’adolescence,
l’inhibition
alimentaire
de
l’enfance,
les
troubles
de
l’appétit
dans
l’enfance
liés
à
certaines
périodes
critiques,
et
l’inhibition
alimentaire
de
la
petite
enfance,
même
dans
ses
temps
les
plus
précoces.
C’est
cette
élaboration
sans
limites
qui
constitue
un
‘‘monde
interne’’.
Le
mot
‘‘interne’’
s’applique
dans
ce
sens
en
premier
lieu
au
ventre,
et
secon-
dairement
à
la
tête
et
aux
membres
et
à
n’importe
quelle
partie
du
corps.
L’individu
tend
à
placer
les
occurrences
de
fantasmes
à
l’intérieur
et
à
les
identifier
avec
les
choses
qui
se
passent
à
l’intérieur
du
corps.
».
Normalement,
ce
monde
interne
est
un
monde
vivant
de
mouvements
et
de
sentiments.
Il
peut
être
gardé
inactif
quand
il
est
craint,
il
peut
être
sur-contrôlé
dans
la
maladie,
ou
certains
de
ces
éléments
peuvent
prendre
le
contrôle
sur
l’individu.
Aucun
cas
de
maux
de
ventre
chez
un
enfant,
de
vomis-
sements,
de
diarrhées,
d’anorexie
ou
de
constipation
ne
peut
être
totalement
expliqué
sans
faire
référence
aux
fan-
tasmes
conscients
et
inconscients
de
l’enfant
sur
l’intérieur
du
corps
»
[9].
122
F.
Askenazy
et
al.
Intérêt
de
certaines
données
des
neurosciences
pour
développer
la
clinique
:
la
piste
de
l’olfaction
Le
cerveau
combine
simultanément
olfaction,
gustation,
somesthésie
(toucher,
thermoperception,
nociception),
vision
et
audition,
pour
donner
une
perception
unique,
alors
que
ces
sens
proviennent
de
voies
nerveuses
totalement
dif-
férentes.
«
Par
exemple,
la
sensation
de
menthe,
due
au
L-Menthol,
résulte
de
la
fixation
indépendante
de
ce
composé
sur
des
récepteurs
qui
activent
des
neurones
olfactifs,
produisant
la
sensation
odorante,
et
parallèlement
sur
des
récepteurs
très
différents,
activés
normalement
par
le
froid
et
portés
par
des
neurones
trigéminaux.
Odeur
et
fraîcheur
forment
ainsi
une
seule
perception
combinée
de
nature
multimo-
dale
»[10].
À
la
lueur
de
notre
expérience
clinique,
le
codage
olfac-
tif,
comme
le
montre
cet
exemple,
nous
a
paru
le
canal
perceptif
le
plus
approprié
pour
faire
état
de
cette
multi-
modalité.
L’étude
clinique
de
la
perception
des
odeurs
dans
l’anorexie
est
d’autant
plus
pertinente
que
les
neurones
olfactifs
sont
les
seuls
neurones
à
être
en
contact
direct
avec
l’extérieur
de
l’organisme,
ce
qui
les
conduit
à
se
renouveler
tous
les
deux
mois
environ.
La
reconnaissance
des
odeurs
repose
sur
des
capacités
à
mémoriser
des
cartes
odotopiques
correspondant
à
des
mélanges
très
complexes
et
à
les
reconnaître,
vraisembla-
blement
par
un
système
analogue
à
la
gnosie
des
visages
qui
forme
un
processus
de
reconnaissance
globale.
Des
travaux
effectués
sur
des
nouveau-nés
de
quelques
jours
ont
montré
l’importance
de
la
valence
affective
précoce
probable
de
l’olfaction.
L’analyse
des
réactions
faciales
et
du
système
autonome
souligne
des
réactions
significatives
basse
concentration)
aux
stimuli
olfactifs
jugés
plaisants
ou
déplaisants
par
les
adultes
suggérant
des
capacités
de
discrimination
très
précoces
chez
l’humain
[11].
La
même
équipe
plus
récemment
a
testé
les
réactions
électromyographiques
faciales
aux
repères
olfactifs
dans
une
population
d’anorexiques,
suggérant
une
altération
des
processus
de
plaisirs
sensoriels
altérés
[11].
Dans
un
autre
domaine,
un
article
récent
a
montré,
grâce
à
l’imagerie
fonctionnelle,
une
réorganisation
fonctionnelle
cérébrale
chez
les
parfumeurs
experts
en
olfaction,
ainsi
des
régions
semblables
s’activent
pendant
la
perception
et
l’imagination
d’odeurs,
plus
intéressant
encore
cette
acti-
vation
semble
liée
au
degré
d’expertise
[12].
Ces
résultats
ouvrent
de
très
importantes
pistes
thérapeutiques
pour
le
soin
de
l’anorexie
dans
le
domaine
de
l’olfaction
et
de
la
gustation.
Intérêt
des
hypothèses
pychodynamiques
pour
développer
la
clinique
Pour
Catherine
Chabert
[13],
«
la
place
et
la
fonction
des
perceptions
dans
l’anorexie
appellent
particulièrement
l’attention
[.
.
.]
autant
d’investissements
périphériques
qui
tentent
d’oblitérer
les
impératifs
des
contraintes
inté-
rieures.
L’illusion
est
ouverte
du
côté
du
contrôle,
de
la
maitrise,
du
pouvoir
sur
les
mouvements
pulsionnels
qui
doivent
à
tout
prix
être
muselés
parce
qu’ils
dénoncent
l’existence
vivante
et
troublante
d’un
mouvement
interne
risquent
sans
cesse
de
déborder
et
d’envahir,
en
mettant
à
mal
les
capacités
de
contenance.
».
Dans
l’anorexie,
le
psychisme
et
la
pulsion
qui
lui
est
attachée
sont
mis
à
l’écart.
L’anorexie
est
un
refus
de
la
source
interne
de
la
pulsion
qui
entache
dès
les
pre-
miers
instants
de
vie
l’objectalisation
précoce
à
l’objet
primaire.
La
source
pulsionnelle
ne
peut
alors
se
lier
à
sa
trace
mnésique,
ce
défaut
conduit
les
patients
à
chercher
désespérément
à
effacer
tout
ce
qui
rappelle
la
vie
pulsion-
nelle
:
l’adolescence
dans
son
expression
corporelle,
mais
aussi
tout
ce
qui
rappelle
le
corps
dans
ces
besoins
primor-
diaux,
dans
ses
sensations
et
ses
perceptions.
Dans
la
pratique
clinique,
nous
faisons
l’hypothèse
qu’une
écoute
de
l’anorexie
comme
consécutive
à
un
défi-
cit
précoce
du
système
affect-représentation-perception
ouvre
de
nouvelles
voies
de
recherche
clinique
et
théra-
peutique.
Cette
hypothèse
permet
de
déployer
la
clinique
d’une
distorsion
des
besoins
primordiaux
et
de
la
perception
(traitement
de
ce
qui
vient
de
l’extérieur
ou
de
l’intérieur)
ce
qui
saisit
tout
un
nouveau
champ
de
possibles
thérapeu-
tiques
à
l’interface
du
traitement
de
ce
qui
est
psychique
et
somatique,
de
ce
qui
est
symptomatique
et
incons-
cient.
À
l’interface
du
psychique
et
du
somatique,
c’est
dans
l’anorexie
l’ensemble
des
besoins
physiologiques
qui
sont
comme
remodelés
pour
la
construction
d’une
nouvelle
physiologie
aberrante
qui
découle
de
la
construction
anorec-
tique
et
conc¸oit
les
besoins
primaires
(faim,
soif,
sommeil,
ingérats,
excrétats)
selon
une
nouvelle
organisation
dont
on
peut
faire
l’hypothèse
qu’elle
reproduit
une
distorsion
ou
une
défaillance
de
l’environnement
précoce
et
donc
de
la
relation
au
premier
objet.
À
l’interface
de
ce
qui
est
symp-
tomatique
et
inconscient,
l’anorexie
a
construit
un
trouble
de
la
perception
des
sensations
du
corps
et
de
son
image,
du
goût,
de
l’olfaction
face
à
un
psychisme
ou
chaque
tentative
de
représentation
échoue.
Vers
une
nouvelle
clinique
de
l’anorexie
À
partir
de
ces
avancées
neuroscientifiques
et
psycho-
dynamiques,
à
la
lueur
de
notre
expérience
clinique
et
psychodynamique
comme
praticien
ou
comme
analyste
auprès
des
anorexiques,
nous
avons
élaboré
une
hypothèse
qui
tente
de
comprendre
l’anorexie
comme
une
difficulté
précoce
d’intégration
du
système
perceptif
et
de
ses
repré-
sentations.
La
clinique
des
fonctions
sensorielles
primordiales
:
«
ingestions,
excrétions,
menstruations,
sommeil
»
Dans
l’anorexie,
le
contrôle
des
pulsions
peut
conduire
jusqu’à
l’abolition
de
la
perception
de
la
vie
physiologique
et
du
rappel
de
l’existence
du
corps
qui
semble
contraint
dans
un
processus
d’immuabilité.
Dans
un
premier
temps
de
l’évolution,
entrées
et
sorties
sont
d’abord
sous
contrôle,
lorsque
le
processus
se
poursuit,
puis
s’enlise,
tout
se
passe
comme
si
les
processus
physiologiques
de
transformation
étaient
petit
à
petit
abolis.
Vers
une
nouvelle
approche
clinique
de
l’anorexie
mentale
123
L’anorexique
lutte
à
l’aide
d’une
restriction
forcenée
jusqu’à
l’abolition
de
la
sensation
de
faim
et
de
tous
les
«marqueurs
somatiques
»qui
lui
sont
attachés
qui
fonc-
tionnent
de
manière
aberrante
jusqu’à
leur
disparition.
La
sensation
de
faim
est
une
sensation
déplaisante
qui
commence
dans
l’estomac.
Cette
sensation,
qui
paraît
recherchée
par
les
patients,
semble
aussi
vécue
comme
une
agression
extérieure
angoissante,
ce
qui
n’est
pas
sans
rappeler
ce
que
décrivent
Kreisler
et
al.
[14]
à
propos
de
l’anorexie
mentale
du
deuxième
semestre.
Trois
temps
évolutifs
semblent
refléter
l’expression
du
système
aberrant
anorectique
dans
son
organisation
face
aux
besoins
primordiaux.
«Dans
une
première
période
»,
ils
paraissent
faire
l’objet
d’un
contrôle
conduisant
à
des
attitudes
de
restriction
(pour
les
ingérats)
et
de
rétention
(pour
les
excrétats).
«
Dans
un
deuxième
temps
»,
lorsque
ces
mécanismes
de
maîtrise
sont
débordés,
surgit
l’angoisse
de
tonalité
persécutive.
Les
aliments,
l’hydratation,
les
excrétats
peuvent
être
vécus
comme
des
corps
étrangers
potentiellement
persécuteurs.
Enfin
«dans
un
troisième
temps
»,
l’anorexique
va
déve-
lopper
une
ultime
défense
pour
tenter
d’endiguer
le
flux
de
l’angoisse
:
l’effacement
progressif,
puis
l’abolition
des
perceptions
et
des
sensations
qui
leur
sont
afférentes.
Ainsi,
par
exemple,
les
perceptions
abdominales
qui
signent
l’existence
des
organes
digestifs
profonds,
la
plé-
nitude
ou
le
malaise
de
la
digestion,
peuvent
être
abolis
et
toute
perception
interne
liée
au
fonctionnement
des
organes
digestifs
annulée.
Le
patient
lutte
aussi
contre
la
soif
jusqu’à
la
disparition
de
ce
signal
que
ce
soit
par
une
res-
triction,
des
prises
de
grandes
quantités
de
sel,
ou
encore
un
remplissage
sans
limite
de
type
potomaniaque.
Les
patients
expliquent
qu’une
fois
le
processus
enclenché,
ils
perdent
tous
repères,
certains
boivent
de
grandes
quantités
d’eau
pour
«
laver
»
ou
purifier
le
corps,
le
vider
complètement.
Boire
ne
répond
plus
à
sa
mission
d’hydratation.
Les
excrétas
sont
contrôlés
pour
que
leur
existence
et
toutes
les
sensations
qui
leur
sont
attachées
(sensations
abdominales,
plaisir
et
déplaisir
à
l’excrétion,
odeurs.
.
.)
soient
abolies.
Les
vomissements,
lorsqu’ils
échappent
au
contrôle
sont
toujours
déniés
par
le
patient.
Tant
qu’ils
sont
une
mesure
d’excrétion
contrôlée
pour
éviter
le
pas-
sage
dans
le
tube
digestif
des
aliments
pris
par
contrainte
de
soin
ils
sont
intégrés
dans
un
processus
manipulatoire
satisfaisant.
Cependant,
au
moment
de
l’évolution
ils
échappent
au
contrôle
et
deviennent
réflexe
par
mise
en
place
d’un
reflexe
aberrant,
ils
sont
source
de
symptômes
anxieux
et
d’une
telle
violence
dépressive
que
seuls
le
cli-
vage
et
le
déni
sont
capables
d’organiser
une
défense
pour
protéger
un
moi
déjà
fragile.
Cliniquement,
pour
le
patient,
tout
se
passe
comme
si
les
vomissements
ne
se
produisaient
plus.
Il
est
important
de
tenir
compte
de
cette
notion
à
ce
stade
de
l’évolution
qui
modifie
l’abord
thérapeutique
de
ce
symptôme.
De
même,
pour
les
jeunes
filles,
les
règles,
excré-
tion
incontrôlable,
qui
signent
le
saut
de
l’enfance
dans
la
féminité
ont
disparu,
ainsi
que
toutes
les
manifesta-
tions
du
syndrome
prémenstruel
très
fécondes
dans
la
période
prépubertaire
et
toutes
les
perceptions
corporelles
qui
l’accompagne.
L’adolescence
reste
un
non
événe-
ment
psychique
et
somatique.
L’absence
de
règles
n’est
pas
recherchée
consciemment
et
activement
comme
la
restriction
alimentaire.
La
puberté
n’existe
pas
et
son
absence
le
plus
souvent
ni
ne
les
inquiète,
ni
les
satisfait,
ainsi
elles
nous
disent
souvent
«
c’est
plus
commode
comme
cela
».
Il
est
bien
connu
que
l’anorexie
s’accompagne
de
troubles
du
sommeil.
Ils
sembleraient
très
fréquents
et
pourraient
affecter
jusqu’à
50,3
%
des
cas
et
tout
par-
ticulièrement
les
formes
boulimiques
[15].
Le
sommeil
n’assure
plus
ses
fonctions
usuelles,
le
rythme
nycthémé-
ral
est
totalement
perturbé.
Colette
Combe
[16]
suggère
que
l’insomnie
vient
rappeler
l’organisation
orale
des
tout
premiers
temps
de
vie
la
faim
réveille
le
nourrisson,
elle
cède
le
pas
à
l’organisation
de
pensées
obsédantes
autour
de
la
nourriture.
Le
rêve
n’est
plus
le
fameux
«
gardien
du
sommeil
».
S’il
advient
il
ne
semble
plus
être
au
service
de
la
vie
psychique,
mais
fait
office
de
«
majordome
»
de
l’anorexie
et
on
observe
souvent
des
rêves
qui
rappellent
les
symptômes
dont
souffre
le
patient.
Les
patients
décrivent
des
rêves
qui
rappellent
les
sensations
abolies
comme
celle
de
la
faim
par
exemple.
La
lecture
des
études
confirme
notre
expérience
clinique.
Elles
ont
montré
que
les
anorexiques
se
représentaient
fré-
quemment
au
cours
de
leur
rêve
avec
une
distorsion
claire
de
leur
image
corporelle
[17],
ou
encore
qu’elles
pouvaient
revivre
des
sensations
de
faim
ou
de
nourriture
(odeur,
saveur)
[18].
La
clinique
des
distorsions
perceptives
La
perception
corporelle
dans
l’anorexie
Depuis
les
travaux
de
Bruch
qui
considéraient
le
trouble
de
l’image
du
corps
comme
le
fondement
de
l’anorexie,
il
est
reconnu
qu’il
est
classique
d’observer
un
trouble
de
l’image
corporelle
et
on
sait
que
les
anorexiques
au
plus
fort
de
leur
maigreur
continuent
à
se
voir
obèses.
Une
étude
récente
en
IRM
fonctionnelle
montre
des
dif-
férences
dans
les
patterns
d’activation
cérébrale,
au
cours
de
la
perception
de
sa
propre
image
dans
des
groupes
de
patients
présentant
une
anorexie
restrictive
ou
boulimique,
un
groupe
de
patients
boulimiques
et
un
groupe
de
volon-
taires
sains
[19].
Ces
données
renforcent
des
différences
de
fonctionnement
cognitif
dans
la
perception
de
l’image
corporelle.
De
même,
dans
notre
expérience
clinique,
nous
avons
pu
observer
qu’elles
perc¸oivent
les
autres,
comme
les
objets,
à
travers
un
miroir
déformant
qu’elles
voient
trop
gros
comme
dans
une
perception
quasi-hallucinatoire.
Cette
distorsion
perceptive
traduit
aussi
le
surinvestissement
de
la
fonction
sensorielle
de
la
vue
et
du
regard,
elle
peut
expliquer
cette
impression
d’exhibitionnisme
que
donnent
les
anorexiques
très
maigres
comme
si
elles
nécessitaient
d’être
vues
par
l’autre
pour
se
ressentir
exister.
Dans
la
plupart
des
cas,
elle
est
liée
à
la
perte
de
poids
et
disparaît
quelque
temps
après
la
fin
de
l’amaigrissement.
Le
corps
de
l’anorexique
est
enserré,
verrouillé
par
la
force
de
la
restriction
qui
tend
à
le
rendre
immuable
(rien
ne
doit
sortir,
rien
ne
doit
ren-
trer)
et
pour
ces
patients,
tout
se
passe
comme
s’il
avait
la
même
apparence
qu’avant
l’anorexie
et
au-delà
du
clivage
c’est
l’organisation
somatopsychique
qui
n’est
pas
représen-
tée
et
ne
peut
être
ressentie.
124
F.
Askenazy
et
al.
Ces
jeunes
filles
n’ont
aucune
représentation
consciente
de
leur
monde
interne
corporel,
qui
apparaît
comme
informe,
un
sac,
une
poche,
une
«
bouillie
»,
appareils
de
la
digestion,
génital
ou
respiratoire
confondus,
ce
qui
signe
la
distorsion
des
perceptions
proprioceptives.
La
perception
du
goût
et
des
odeurs
dans
l’anorexie
Le
lien
entre
le
langage
et
le
traitement
de
l’information
olfactive
est
ténu
et
l’identification
verbale
d’une
odeur
est
d’une
tâche
très
difficile
[20].
Alors
que
le
lien
entre
les
souvenirs,
les
affects
et
les
odeurs
sont
puissants
[21].
Des
chercheurs
ont
montré
que
les
souvenirs
évoqués
par
la
perception
d’odeur
ont
une
teneur
émotionnelle
forte
et
souvent
plus
forte
émotionnellement
que
les
souvenirs
associés
au
tact
ou
à
la
vision
[20].
L’étude
de
la
littérature
fait
état
de
quelques
travaux
qui
ont
montré
une
diminution
de
la
sensation
perceptive
du
goût
et
des
odeurs
dans
l’anorexie.
Les
résultats
sont
assez
concordants
quels
que
soient
les
modes
d’évaluations
utilisés
(échelles
psychométriques,
marqueurs
perceptifs)
et
montrent
une
diminution
dans
l’anorexie
restrictive
qui
ne
se
retrouve
pas
dans
la
forme
boulimique
[22].
Deux
études
ont
montré
que
les
fonctions
olfactives
étaient
clairement
corrélées
à
l’indice
de
masse
corporelle
[22,23].
D’autres
travaux
ont
montré
l’existence
d’une
diminution
du
plai-
sir
olfactif
au
cours
de
l’état
préprandial
chez
17
adultes
anorexiques
(de
sexe
féminin)
comparés
à
29
témoins
avec
une
amélioration
corrélée
à
l’augmentation
de
l’indice
de
masse
corporelle
[24].
Les
liens
avec
la
composante
alexi-
thymie
ont
été
aussi
évalués,
montrant
chez
les
anorexies
restrictives,
une
corrélation
entre
l’alexithymie
et
une
sur-
évaluation
de
l’intensité
des
odeurs
[25].
Nous
avons
montré
à
partir
d’un
questionnaire
qui
a
porté
sur
15
patients
adolescents
présentant
une
anorexie
de
type
restrictif
une
nette
diminution
de
la
perception
du
goût.
Chez
14
patients,
une
diminution
du
goût
des
ali-
ments
consommés
était
présente.
De
plus,
chez
sept
de
ces
patients,
nous
avons
retrouvé
la
notion
de
perceptions
olfac-
tives
ou
gustatives
sans
objet.
Des
goûts
qui
apparaissent
à
l’évocation
ou
à
la
vue
d’aliments.
Pour
certains,
les
sen-
sations
alimentaires
peuvent
même
s’accompagner
d’une
perception
de
satiété.
La
sensation
d’hypoagueusie
est
ren-
forcée
par
la
ritualisation
de
la
consommation
alimentaire
liée
à
la
contrainte
restrictive.
Mais,
contrairement
à
la
res-
triction,
ce
symptôme
n’est
pas
recherché
activement
par
le
patient
et
la
perte
de
cette
fonction
hédonique
est
sou-
vent
regrettée
et
dans
certaines
formes
sa
perte
fait
retour
sous
forme
hallucinatoire.
Une
patiente
évoque
par
exemple
l’odeur
du
poulet
rôti
qu’elle
peut
sentir
à
l’école
ou
n’importe
où.
Pour
une
autre,
le
retour
hallucinatoire
du
goût
des
aliments
aide
à
la
lutte
contre
la
faim
et
la
conduit
à
la
satiété.
Les
patientes
anorexiques
sont
à
la
recherche
du
goût
et
de
l’odeur
perdus,
alors
qu’elles
s’accrochent
désespé-
rément
à
la
restriction
alimentaire
et
à
l’abolition
de
la
sensation
de
faim.
Un
abord
thérapeutique
par
cette
voie
aide
à
la
levée
du
refus
de
soin
diminue
le
risque
de
réponse
thérapeutique
négative,
et
permet
de
tenter
de
réorgani-
ser
le
soin
sous
l’angle
de
l’alliance
thérapeutique
et
d’une
relation
de
confiance.
Conclusion
L’écoute
psychodynamique
associative
permet
au
clinicien
à
la
lumière
des
théories
psychanalytiques
post
freudiennes
de
mieux
comprendre
la
clinique
des
pathologies
contem-
poraines
comme
l’anorexie
mentale.
Elle
reste
une
source
vivante
d’apports
cliniques
nouveaux
pour
le
praticien.
Cet
article
en
est
un
exemple.
Il
ouvre
des
pistes
de
travail
et
ne
se
veut
pas
exhaustif.
L’abord
de
l’anorexie
par
l’écoute
des
signes
préverbaux,
de
la
surface
de
la
percep-
tion,
des
sensations
et
des
besoins
primordiaux
qui
s’appuie
sur
l’anamnèse
de
la
qualité
de
la
relation
précoce
devrait
permettre
d’autres
processus
thérapeutiques
qui
peuvent
s’associer
à
ceux
qui
découlent
des
hypothèses
sur
la
dépen-
dance
et
la
contrainte.
Le
but
de
ce
travail
est
de
conduire
ainsi
le
clinicien
à
contourner
les
difficultés
liées
au
contrôle
et
à
la
maîtrise
qui
grèvent
l’alliance
thérapeutique
avec
les
anorexiques
pour
proposer
des
réponses
thérapeutiques
qui
tiennent
compte
de
cette
clinique
à
côté
du
classique
contrat
de
poids.
Déclaration
d’intérêts
Les
auteurs
n’ont
pas
transmis
de
déclaration
de
conflits
d’intérêts.
Références
[1] Askenazy
F.
Prise
en
charge
de
l’anorexie
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l’adolescent
quand
le
pronostic
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Plailly
J,
Delon-Martin
C,
Royet
JP.
Experience
induces
functional
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brain
regions
involved
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odor
imagery
in
perfumers.
Human
Brain
Mapping
2011,
doi:10.1002/hbm.21207
[Epub
ahead
of
print].
[13] Birot
E,
Chabert
C,
Jeammet
P.
Perceptions
intérieures
dans
soigner
l’anorexie
et
la
boulimie,
des
psychanalystes
à
l’hôpital.
Paris:
PUF,
«le
fil
rouge
»;
2006.
p.
23—51.
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