temporelles qui nous séparent du moment de la création
des textes deviennent insignifiantes et présentent ainsi, à
ses contemporains, leurs univers dans un jeu stimulant de
recognition continuel. N’a-t-il pas retrouvé sa propre place
au sein du théâtre européen à travers leurs infractions ou
grâce à eux ?
En effet, les réalisations de Ivica Buljan donnent toujours
l’impression d’être inspirées par l’autre visage des textes
dramatiques. Ces présentations n’apparaissent pas poli-
tiques mais intimes au premier abord, mais selon le princi-
pe de rupture des liens certaines scènes les plus intimes
peuvent être présentées comme une déclaration politique.
Le monde existant en tant que scène de présence et
d’absence l’attire inhabituellement lorsqu’il met en scène
les textes classiques et contemporains. C’est une passion
qui l’anime autant pour les textes de Bernard-Maria Koltès
que pour les textes de Miroslav Krleža. La modernité du
théâtre de Ivica Buljan provient de la transparence complè-
te et l’ouverture émotionnelle qui détermine
continuellement le destin des personnages,
qu’il s’agisse de la séparation ou de la liaison
des scènes, de l’imposition classique ou
post-dramatique, du rejet des événements
dramatiques superflus ou leur accentuation.
Son théâtre porte toujours la signature
authentique du réalisateur, celle qui dépasse
les contours imposés et les modèles limités
de la terminologie d’interprétation, comme
ceux du théâtre post moderne et post drama-
tique. Évidemment, sa signature provient
naturellement du théâtre post moderne et
post dramatique qu’il abandonne souvent, et
de manière inattendue, en suivant les
constructions scéniques « copiées ≈ d’un
temps passé qu’il superpose alors à des «
nouveautés ≈ créant ainsi des effets surpre-
nants. En effet, ce qui est en périphérie
Il n’existe pas de dénominateur commun pour définir aisé-
ment ou au moins décrire les contours de la poétique du
théâtre de Ivica Buljan. Son activité pourrait aller de pair
avec la génération du théâtre post-dramatique qui a vers la
fin des années 80, rejeté la consistance de la narration, les
grandes théories, les métarécits, les critères de l’ensemble
et de la synthèse, l’intégrité de la composition théâtrale
esthétique et le texte en tant que dominante de l’expression
théâtrale. Néanmoins, dans certaines de ses pièces de
théâtre, la narration se distingue facilement en tant qu’outil
de la transmission de l’histoire dramatique ; les person-
nages construisent par leur justesse au lieu de déconstrui-
re, et la forme classique de la représentation de l’histoire
s’impose. Aujourd’hui certains le considèrent comme un
réalisateur slovène et d’autres comme un réalisateur croa-
te mais tous reconnaissent son affinité incontestable avec
le théâtre français. Il est tour à tour réalisateur, dramatur-
ge, traducteur, directeur artistique des festivals, coproprié-
taire et fondateur de théâtre. Par le passé il était égale-
ment journaliste, critique de théâtre ainsi que responsable
du programme dramatique du Théâtre national croate de
Split (HNK - Split). C’est le seul artiste croate décoré par
le très prestigieux Prix Prešeren (de Slovénie) qui récom-
pense chaque année les réussites les plus marquantes
dans le domaine de la culture.
Lorsqu’en 1996 le Théâtre ITD de Zagreb, théâtre le plus
productif de l’époque, était présentée pour la première fois
son audacieuse lecture théâtrale de
Phédre,
d’après les
tragédies de Jean Racine et Marina Cvetajeva, un change-
ment s’est produit dans l’institution théâtrale croate pour-
tant immuable. Ce changement était perceptible dans la
nouvelle manière de regarder une œuvre sans l’ordre
représentatif, une œuvre inachevée et inachevable qui
reconstruit selon les principes de l’utilisation autoréflexive
du réel un événement littéraire comme un souvenir aléa-
toire. En même temps, tout dans la repré-
sentation de
Phèdre
était réel, tangible, pas-
sionnel et concernait directement chacun des
spectateurs qui assistait à la représentation.
L’année qui précédait cet événement, Ivica
Buljan a réalisé à Ljubljana (Slovénie) sa
première pièce de thé âtre
Le Nom sur le
bout de la langue,
d’après le roman de
l’écrivain français Pascal Quig nard, en
illustrant de cette façon, dès ses débuts,
son domaine de prédilection personnel et
professionnel. Ainsi, Pascal Quignard,
Pier Paolo Pasolini, Arthur Rimbaud, Robert
Walser, Heiner Müller, Elfriede Jelinek,
Botho Strauss, Hervé Guibert et le plus
important pour lui Bernard-Maria Koltès
(dont il a réalisé tout l’opus littéraire sur
les scènes slovènes, croates et françaises)
sont les auteurs dont les œuvres et les
biographies l’intéres saient le plus ces vingt
dernières années. D’un point de vue géogra-
phique, ces auteurs appartiennent à un espa-
ce culturel franco-allemand mais leur
« malédiction ≈ ou plus précisément leur
« exil ≈ les a placés en marge de la société
et de la littérature. Ce sont des « hors la loi ≈
de l’univers littéraire codifié, des différents
parmi les différents, ceux qui traversaient les
frontières sans difficultés, qui s’autorisaient
à s’exprimer malgré les interdictions ce qui
leurs a permis de se prendre l’avantage dans
l’authenticité et l’immortalité littéraire. Sur
scène, Ivica Buljan remplit et réinvente leurs
textes avec le langage théâtral qui s’annule
dans sa réalité. De plus, les distances
Dubravka Vrgoč
L’ŒUVRE THÉÂTRALE DE IVICA BULJAN
AUX FRONTIÈRES DE DIFFÉRENTS UNIVERS
6 _2012 54 THÉÂTRE CROATE
Traduit du croate par Nika Cohen
Ivica Buljan