Traitements médicamenteux de la maladie d’Alzheimer Anticholinestérasiques Antagoniste des récepteurs NMDA (Mémantine) L’attitude dans le service de gériatrie dans lequel je fais mon stage est de ne pas prescrire d’anticholinestérasique, mais aussi d’arrêter la prescription de façon systématique pour les patients qui arrivent dans le service. De très nombreuses articles, de Prescrire en particulier (je viens de m’abonner !!) montrent qu’ils ont évidemment raison. Depuis que je suis en D1 (mes premiers cours de pharmacologie), je sais qu’ils ne servent à rien. Et pourtant, pour les familles des patients atteints de la maladie d’Alzheimer à qui un neurologue ou un gériatre a prescrit un anticholinestérasique en même temps qu’il annonçait ce si terrible diagnostic, ce n’est pas facile d’entendre « Bon ça on arrête, parce que ça ne sert à rien ». Ils demandent à juste titre des explications voire des justifications, que j’étais bien en mal de leur donner au début de stage. Dans ce document, après une brève présentation des médicaments, j’aborderai le retrait de la recommandation professionnelle de l’HAS sur la maladie d’Alzheimer puis à travers un article d’Olivier Saint Jean dans la presse médicale, les problèmes méthodologiques des essais cliniques ayant abouti à la mise sur le marché de ces médicaments. I. Qui sont-ils ?1 Médicament Coût de traitement journalier (CTJ) au 1/12/08 Aricept® DONEZEPIL 2,88 € 28 cp pelliculés (5 ou 10 mg par jour) Reminyl® GALANTAMINE 2,72 ou 3,22 € 56 cp pelliculés (16 ou 24 mg/j) Reminyl® LP GALMANTAMINE 28 gél 2,72 ou 3,22 € Exelon® RIVASTIGMINE 56 gélules 1,49 ou 2,99 € Exelon® dispositif transdermique RIVASTIGMINE 30 DTD Ebixa® MEMANTINE 56 cp pelliculés (16 ou 24 mg/j) (6 ou 12 mg/j) 2,97 € 4,6 ou 9,5 mg/j 1,59 ou 3,17 € 10 ou 20 mg/j Coût mensuel (dose mini) Date d’AMM 87,60€ 3 sept 1997 82,70€ 6 Oct 2000 82,70€ 7 janv 2005 45,30€ 12 Mai 1998 90,30€ 17 Sept 2007 48,40€ 15 Nov 2005 Stade de la maladie Léger à modérément sévère Modéré à sévère Le 1er anticholinestérasique, la TACRINE a été progressivement retirée du marché en 2000 pour impact clinique incertain et hépato-toxicité importante. Ces données sont tirées d’une fiche du Bon Usage des Médicaments sur les médicaments de la maladie d’Alzheimer à visée symptomatique en pratique quotidienne éditée par l’HAS en janvier 2009 dont les conclusions sont un modèle de langue de bois… 1 Fiche Bon Usage des Médicaments. HAS. Les médicaments de la maladie d’Alzheimer à visée symptomatique en pratique quotidienne. Janvier 2009. En résumé 3 « idées forces » de cette fiche 1. La consultation de prescription des médicaments est un prétexte pour organiser la prise en charge globale du patient. Cette idée là est même encadrée. Plus loin on parle du « le rôle structurant du médicament dans la prise en charge globale de la maladie ». 2. Certes le rapport efficacité/effets indésirables est modeste mais le SMR (Service médical rendu) est considéré comme important étant donnée la gravité de la maladie (et je rajouterais le nombre de patients), par conséquent le taux de remboursement de ces médicaments chers et inutiles est tout de même de 65%... En langue de bois ça donne « La prise en charge par la collectivité reste justifiée » 3. ASMR IV… Cela n’est pas donné comme coût mensuel de traitement pour une amélioration du service médical rendu à IV… ON Du côté de Prescrire La dernière référence date de juillet 20112. Dans le choix des traitements, les auteurs estiment qu’il y a peu de place pour les anticholinestérasiques et peu de place pour la MEMANTINE. Pour les anticholinestérasiques o Efficacité modeste : 10% des patients sont améliorés au delà de l’effet placebo. o Effet transitoire : la détérioration des fonctions cognitives est retardée de 6 mois en moyenne o Pas d’effet sur les critères de jugement importants : retarder l’entrée en institution ou la perte d’autonomie, améliorer la qualité de vie. o Effets indésirables parfois graves Pour la MEMANTINE : « son évaluation clinique est médiocre et son efficacité incertaine dans la maladie d’Alzheimer ». Déjà en 2003, un article3 sur « Les anticholinestérasiques dans la maladie d’Alzheimer » constate « un effet modeste, limité aux formes modérément sévères ». Les auteurs résument l’article en 3 points : 1. L’Aricept® constitue la référence parmi les 4 anticholinestérasiques (faute de mieux) 2. Son effet est modeste : 10% environ des patients ont, grâce au traitement, une amélioration clinique qui est de courte durée. 3. Les synthèses méthodiques de 2 organismes indépendants, réseau Cochrane et NICE (National Institute for Health and Clinical Excellence) confirment l’effet modeste des anticholinestérasiques. 2 Maladie d'Alzheimer : traitement médicamenteux Idées-Forces Prescrire - juillet 2011. 3 Les anticholinestérasiques dans la maladie d'Alzheimer. Rev Prescrire 2003 ; 23 (241) : 534-536. En 2009, Prescrire s’insurge4 contre le guide de pratique clinique sur « le diagnostic et la prise en charge de la maladie d’Alzheimer et des maladies apparentées », publié en Mars 2008 par la HAS (Haute Autorité de Santé). Ils estiment que la méthodologie pour établir cette recommandation est peu rigoureuse, en particulier en ce qui concerne le choix des textes et des études sur lesquels les experts se sont basés pour la rédiger. Ils regrettent la composition de groupe de travail constitué majoritairement de neurologues (pas d’infirmiers, pas de pharmaciens, pas de médecins généralistes, pas de représentants des familles). La conclusion est assez directe : « Dans ces conditions, mieux vaut ne pas lire ce guide de pratique clinique, et ne pas tenir compte de la recommandation de la HAS ». Dans ce même article les auteurs constatent également que 6 mois après la mise en ligne du guide, les membres du comité d’organisation et du groupe de travail n’ont pas tous communiqué leurs déclarations d’intérêt et c’est ce qui les perdra, ou plutôt perdra le guide… 4 Maladie d'Alzheimer et autres démences : un guide HAS biaisé, des affirmations hasardeuses. Rev Prescrire 2009 ; 29 (304) : 150 II. Le retrait du Guide de Pratique Clinique sur la maladie d’Alzheimer : rôle du FORMINDEP Le FORMINDEP, qu’est-ce que c’est ? Le collectif Formindep « pour une formation et une information médicale indépendantes de tout autre intérêt que celui de la santé des personnes » a été lancé en mars 2004 à l’initiative de Philippe FOUCRAS, à l’époque médecin généraliste dans le Nord et formateur en médecine générale, pour soutenir l’appel lancé aux Conseils nationaux de formation médicale continue de déclarer leurs conflits d’intérêts. (Appel du Formindep). Il regroupe des professionnels de santé et des patients soucieux de favoriser une formation professionnelle indépendante, dégagée de toute influence d’organismes pouvant avoir d’autres finalités que l’intérêt seul des patients. (www.formindep.org). J’avais déjà parlé du FORMINDEP dans mon premier RSCA, au sujet du diabète de type II. En effet, c’est suite au recours du FORMINDEP que le conseil d’état a décidé le 27 Avril 2011 d’abroger de la recommandation HAS sur le traitement du diabète de type II, pour non respect des règles de conflit d’intérêt des experts (absence de 4 déclarations publiques d’intérêt sur 27). Le FORMINDEP s’est intéressé de la même façon au guide de pratique clinique sur la maladie d’Alzheimer. C’est au cours de l’émission de radio « Le téléphone sonne » sur France Inter le 18 Mai 2011 que le Pr HAROUSSEAU président de la HAS annonçait au Dr FOUCRAS et aux auditeurs, le retrait « spontané » du Guide de Pratique Clinique sur « le diagnostic et la prise en charge de la maladie d’Alzheimer et des maladies apparentées ». Il ajoute que toutes les recommandations de la HAS depuis 2005 seront réexaminées. C’est donc sur un problème de forme plutôt que de fond que cette recommandation a été retirée. Le Pr HAROUSSEAU a d’ailleurs au cours de la même émission reproché au Dr FOUCRAS d’avoir demandé le retrait de l’ensemble de la recommandation et non pas seulement de la partie sur les traitements, pour lesquels les conflits d’intérêt peuvent être un biais majeur (cf. affaire MEDIATOR et Laboratoires SERVIER). III. Les essais sur les anticholinestérasiques : problèmes méthodologiques5 L’équipe du service de gériatrie de l’hôpital Européen Gorges Pompidou a écrit en 2008 un article en français publié dans la Presse Médicale qui s’intéresse aux problèmes méthodologiques des essais sur les médicaments de la maladie d’Alzheimer et à la pertinence clinique de ces essais dans la vraie population des patients. Cet article ne leur a apparemment pas attiré que des amis… La lecture de cet article m’a été recommandée par le Dr MARTIN, gériatre à l’hôpital Béclère, mon maître de stage. Pour l’ancienne férue de statistiques que je suis, il y a quelques passages délicieusement… statistiques… Cet article poursuit 2 objectifs qui sont (i) d’interroger les critères de jugement habituellement utilisés dans les essais ainsi que la notion de pertinence clinique de ces mêmes critères de jugement et (ii) de passer en revue la qualité des essais cliniques ayant abouti à l’AMM pour les anticholinestérasiques et l’antagoniste des récepteurs du NMDA. Les outils de mesure de l’évolution de la maladie d’Alzheimer. Plusieurs points sont à prendre en compte dans le choix des échelles et des méthodes d’essais thérapeutiques. D’une part la maladie d’Alzheimer est une maladie chronique qui évolue sur plus de 10 ans. D’autre part les symptômes sont multiples et multidimensionnels, à la fois cognitifs et socio-comportementaux : perte d’autonomie, altération de la relation à autrui et de la capacité à vivre dans la communauté. La prise en charge de ces patients est extrêmement lourde pour l’entourage et les institutionnalisations sont fréquentes. Pour toutes ces dimensions de la maladie d’Alzheimer : performances cognitives, troubles du comportement, autonomie fonctionnelle et fardeau familial, il existe des échelles de mesure. Les échelles les plus utilisées en pratique clinique sont : o le MMS (Mini Mental Status) pour la mesure des performances cognitives. Aucun patient ne sort du service sans avoir passé ce test. o Les échelles qui évaluent l’autonomie fonctionnelle : échelle de Katz (Activites of Daily Living) et échelle de Lawton (Instrumental Activities of Daily Living). Ce ne sont évidemment pas forcément les échelles les plus utilisées en pratique qui sont les plus utilisée dans les essais cliniques. St Jean O, Somme D, Lahjibi-Paulet H, Lazarovici C. Traitements médicamenteux symptomatiques dans le déclin cognitif : problèmes méthodologiques et pertinence clinique en population. Presse Med. 2008 ; 37 : 1261-1267. 5 Les auteurs regrettent l’absence de validation des qualités métrologiques de ces échelles : fiabilité = reproductibilité + justesse (Biais et précision), sensibilité… En particulier il est très rare que la pertinence clinique d’une variation de points sur une échelle soit évaluée. Le plus souvent dans les essais thérapeutiques, toute variation significative de score, quelle que soit la valeur absolue de cette variation, est perçue comme ayant un sens clinique. Mais une variation de 1 point sur le MMS change-t-elle la qualité de vie d’un patient et de son entourage ??? L’échelle la plus étudiée du point de vue de ses qualités métrologiques est l’Adas-cog (Alzheimer’s Disease Assessement Scale – Cognitive) dont le score varie de 0 à 70. Pour cette échelle l’évolution du score à 6 mois serait liée à la sévérité de l’atteinte initiale, et ne serait pas linéaire. De plus, plusieurs sous-scores apparaissent fortement corrélés, il n’existe donc pas une indépendance des items comme cela doit être le cas dans ce type d’échelles. Enfin, pour cette échelle, une variation de score de 4 points a été fixée comme cliniquement pertinente et rendant détectable l’effet pharmacologique, par un consensus d’experts de la FDA en 1989. Malheureusement ce consensus n’est pas évoqué dans les essais cliniques. Les défauts méthodologiques des essais publiés 1. stats dans les lignes qui suivent. Multiplicité des tests statistiques sur des critères de jugement secondaires, sans correction du seuil de significativité. 2. Les patients inclus ne sont pas représentatifs de la population des patients atteints de la maladie d’Alzheimer. En particulier, les « vrais » patients ont un âge moyen de plus de 10 ans supérieurs à celui des patients des essais. Les patients plus âgés sont plus polypathologiques et plus polymédiqués : quid de la tolérance et du rapport bénéfice/risque chez les « vrais » patients ?? 3. La durée des essais est en général de 6 mois, alors que la durée de la maladie excède 10 ans le plus souvent. Il apparaît donc difficile de tirer des conclusions d’une variation symptomatique observée pendant 6 mois quand à l’évolution globale de la maladie et la qualité des vie des patients et de leur entourage. Les principales conclusions des essais sur les anticholinestérasiques (IACE=Inhibiteurs de l’acétylcholinestérase), d’après les résultats des méta-analyses de la base de données Cochrane. o Les IACE ont un effet très modeste sur la cognition à 6 mois de traitement, cet effet n’atteint pas le seuil de pertinence clinique. o Il ne semble pas exister de supériorité d’un médicament. Si effet thérapeutique il y a, il s’agit donc d’un effet de classe. o La tolérance à court terme (à part pour « l’ancêtre » qu’est la TACRINE et dont nous avons déjà parlé) est plutôt bonne. On note quelques troubles digestifs rapidement régressifs et dose dépendants. Il existe trop peu de données sur la tolérance à long terme. o Prudence sur la tolérance au long cours. En effet, il existe une étude menée sur 2 ans sur les effets de la Galantamine sur des patients atteints de MCI (Mild Cognitive Impairment, facteur de risque de maladie d’Alzheimer), qui montre une surmortalité par Accident vasculaire Cérébral. Pour étudier la tolérance à long terme il faudrait donc des études à très long terme sur un très grand nombre de patients. Or maintenant que ces médicaments ont obtenu l’AMM, de telles études pourraient paraître non éthiques. La question de la tolérance à long terme risque de rester sans réponse… Alors prudence… o Il existe un groupe de patients considérés comme « bons répondeurs » (réponse cognitive supérieure à 4 points à l’Adas-cog). Malheureusement, aucun critère d’identification a priori des bons répondeurs n’a pu être mis en évidence (caractéristiques cliniques ou biologiques). Cette identification réduirait forcément la quantité des prescriptions, il est donc fort peu probable que les firmes pharmaceutiques investissent dans cet aspect de la recherche… Certains (NICE et pratique canadienne) proposent donc de débuter le traitement par IACE (car on n’est jamais à l’abri d’une bonne surprise) après évaluation du risque cardio-vasculaire et d’arrêter le traitement au bout de 6 mois en cas de non réponse. Cela paraît en effet une attitude raisonnable. En conclusion de cet article est précisé : « Conflits d’intérêt : aucun » Conclusion Quand je serai médecin généraliste, je n’aurai pas à initier la prescription des médicaments de la maladie d’Alzheimer puisque cette prescription initiale est réservée aux neurologues, aux gériatres et aux psychiatres (!!). En revanche, j’aurai éventuellement la possibilité de ne pas poursuivre cette prescription initiale. En l’état actuel de mes connaissances, je crois que je suivrai les recommandations de la NICE et la pratique des canadiens, à savoir, j’arrêterai la prescription en cas de non réponse sur les fonctions cognitives au bout de 6 mois de traitement. Le plus difficile sera sans doute d’évaluer cette non réponse. Je pense que je m’appuierai pour cela sur l’avis de la famille, sur l’avis du patient (en début de maladie) et sur le test du MMS (Mini Mental Status), cela me rappellera mon stage d’interne en gériatrie !! Cela dit, je ne suis pas sûre que dans 2 ans les anticholinestérasiques seront encore prescrits…