Le programme complet - Les Grands Interprètes

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Programme Julia FISCHER & Iouliana AVDEEVA
Jean-Sébastien Bach (1685 – 1750)
Sonate pour violon et piano n° 3 en mi majeur BWV 1016
-
1. Adagio
2. Allegro
3. Adagio ma non tanto
4. Allegro
Sergeï Prokofiev (1891 – 1953)
Sonate pour violon et piano n°1 en fa mineur Op 80
-
1.
2.
3.
4.
Andante assai
Allegro brusco
Andante
Allegrissimo
- - - - - - ENTRACTE - - - - - -
Johannes Brahms (1833 – 1897)
Scherzo en ut mineur de la Sonate F-A-E
Sonate pour violon et piano n° 3 en ré mineur Op 108
-
1.
2.
3.
4.
Allegro alla breve
Adagio
Un poco presto e con sentimento
Presto agitato
Bien que l’orgue et le clavecin fussent les instruments de prédilection de Jean-Sébastien Bach ce
dernier était aussi un remarquable violoniste. S’il a atteint une juste et universelle célébrité grâce à
son corpus des six Sonates et Partitas pour violon seul, il convient de se rappeler qu’à côté de ces
œuvres il a composé aussi six sonates pour violon et clavecin (ou piano) dont la richesse et
l’inventivité ne cèdent en rien aux pièces pour violon seul.
Terminées à Leipzig, ces six sonates ont été composées dans les années 1720 lorsque Bach séjournait
à Köthen où il occupait les fonctions de Maître de Chapelle à la cour du Prince Léopold d’AnhaltKöthen. Ce dernier, passionné par la musique permettra à Bach de délaisser un temps la composition
d’œuvres religieuses pour produire davantage des œuvres instrumentales et concertantes. De cette
époque datent aussi les Concertos Brandebourgeois, les Partitas, les Suites anglaises et Françaises
ainsi que de nombreux concertos. Avec les six Sonates pour violon et clavecin Bach ne cantonne plus
le clavier au rôle de basse continue, comme c’était le cas avec les sonates pour flûte ou pour viole de
gambe (avec clavecin obligé) mais en fait un véritable partenaire dialoguant d’égal à égal avec le
violon. Pour souligner cette importance, ces six sonates portaient à l’origine le titre de « Sonates
pour clavecin et violon ».
Ces sonates, à l’exception de la sixième composée de cinq mouvements adoptent la structure de la
« Sonata da chiesa » en quatre mouvements (lent – vif – lent – vif) comme celles écrites par
Arcangelo Corelli et fort prisées à l’époque de Bach.
Des six sonates, la troisième en mi majeur est d’ailleurs la plus proche de l’esprit de Corelli avec son
caractère italianisant. Elle débute par un Adagio qui semble être a priori d’une grande liberté malgré
une structure en trois parties assez rigoureuse où le clavier se cantonne au rôle d’accompagnateur,
où le violon déploie une longue mélodie très ornementée. Ici, Bach allie de façon idéale rigueur et
inspiration. Dans le second mouvement (allegro) le clavier semble reprendre le dessus sur le violon
puisque c’est lui qui expose cette fois le thème. Bach élabore ici un savant contrepoint à trois voix
dont les deux supérieures sont interchangeables. Avec le troisième mouvement (Adagio ma non
tanto) Bach adopte la tonalité d’ut dièse mineur qui renforce son climat élégiaque. Ici les deux
instruments s’échangent les rôles « d’accompagnateur » et de « soliste » sur la même mélodie, un
peu comme le fera Beethoven quelques décennies plus tard. Tout comme dans le second
mouvement, l’Allegro final se base sur une fugue à trois voix. Il est composé de trois sections où les
deux instruments déploient énergie et virtuosité. Le thème exposé est reproduit à l’identique avant
de faire l’objet d’un développement où un nouveau thème en triolets de croches à la fois vif et
souple est introduit pour apporter au mouvement un climat plus serein.
La vie de Prokofiev est étroitement liée aux vicissitudes de l’histoire de la Russie dans la première
moitié du 20ème siècle. Né en 1891 en Ukraine, il se révèle très tôt comme un pianiste exceptionnel. Il
suit au Conservatoire de Saint-Pétersbourg les cours de Rimski-Korsakov, Liadov et Tcherepnine. Il
juge ses professeurs trop académiques et à l’exception de Ravel, peu de compositeurs trouvent grâce
à ses yeux, qu’ils soient du passé ou contemporains. Ses premières compositions lui valent une
admiration unanime, compte tenu de son style révolutionnaire et symboliste, qui tourne le dos au
romantisme finissant. Son langage musical novateur est très apprécié en ce début de 20 ème siècle qui
fourmille de jeunes compositeurs au style avant-gardiste comme Stravinsky, Bartók ou Szymanowski.
Par sa puissance, sa rudesse harmonique, sa rythmique aussi variée qu’implacable et son caractère
motorique on dirait que Prokofiev pressent déjà ce que deviendra la musique sous l’ère soviétique.
Ses œuvres sont très techniques, d’une grande richesse mélodique et harmonique, où le burlesque et
l’humour le disputent au désespoir exacerbé de l’âme russe. En 1917 Prokofiev est un compositeur
de tout premier plan, devenu célèbre grâce notamment à son opéra « Le Joueur » et à sa
Symphonie Classique. Malheureusement la révolution bolchévique vient bouleverser radicalement sa
vie.
En 1918, comme bon nombre de russes, il fuit la Russie et commence une vie d’émigré, errant entre
la France, l’Allemagne et les Etats Unis. Séduit par les promesses d’un « esprit nouveau », il retourne
en URSS à partir de 1932 avant de s’y fixer définitivement en 1936. Il entretient des rapports plutôt
difficiles avec le régime car sa première femme Lina est déportée en Sibérie et on pratique sur lui un
odieux chantage en l’obligeant ainsi à « collaborer » avec le Parti. Sous la menace il créera donc des
œuvres « patriotiques » comme par exemple « Zdravitsa », une Ode composée pour les 60 ans de
Staline. A partir de 1938 on lui interdit définitivement de quitter le territoire soviétique, le laissant
complètement isolé du monde occidental et sujet aux multiples tracasseries du système stalinien.
Même si en 1947 on lui décerne le titre d’artiste du peuple, sa situation empire et il est
complètement laminé par la politique culturelle stalinienne. En 1948, les cadres du parti, Jdanov
l’âme damnée de Staline en tête, le critiquent publiquement, le calomnient et lui retirent tout
moyen de subsistance (le même sort sera réservé à d’autres grands compositeurs comme Dimitri
Shostakovich ou Aram Khatchaturian). Prokofiev, usé prématurément par ce régime implacable
n’aura même pas la satisfaction d’apprendre la disparition de son bourreau puisqu’il décèdera
cinquante minutes avant Staline le 5 mars 1953. La mort de Staline fera que celle de Prokofiev
passera quasiment inaperçue.
La première sonate pour piano et violon a été esquissée lors du dernier séjour de Prokofiev aux Etats
Unis en 1938 (juste avant qu’on lui interdise tout voyage hors des frontières de l’URSS). Cette sonate
a connu une longue gestation puisqu’elle a été achevée seulement en 1946 (après la seconde
sonate). Cela explique sans doute pourquoi cohabitent dans cette œuvre deux styles distinctifs de
Prokofiev : le style agressif et moderniste du jeune Prokofiev, et la clarté formelle ou la simplicité
prônée par Prokofiev à la fin de sa vie. La sonate en quatre mouvements alterne un mouvement lent
à un mouvement vif, créant deux binômes complémentaires (lent –vif), le dernier mouvement qui
reprend les thèmes des mouvements précédents unifie le tout et donne une parfaite cohérence à la
sonate.
Prokofiev commentait sa sonate de la façon suivante : « Elle est d’ambiance plus grave que la
seconde. Le premier mouvement, andante assai de caractère sévère pourrait servir d’introduction
largement développée au second, un allegro fougueux et bouillonnant, mais qui possède un
deuxième thème longuement élaboré. Le troisième mouvement est lent, doux et tendre. Le Finale
est rapide et, rythmiquement complexe ».
Cette sonate, plus intime et moins brillante que la seconde conserve certaines spécificités de la
sonate classique comme le maintien des quatre mouvements traditionnels ou l’emploi de la forme
sonate à deux thèmes. Prokofiev confia qu’il aurait composé cette sonate après avoir entendu la
sonate en ré majeur de Haendel (cette référence à la musique baroque n’est après tout pas si
étonnante de la part de l’auteur de la Symphonie classique).
La sonate fut créée le 23 octobre 1946 au Conservatoire de Moscou par David Oistrakh (son
dédicataire) et Lev Oborine.
Les compositions pour violon de Brahms ont été marquées par sa rencontre avec trois violonistes
exceptionnels. En 1848, au tout début de sa carrière Brahms rencontre Eduard Renényi, un jeune
violoniste hongrois de trois ans son aîné, avec qui il entame une tournée de concerts. C’est pour lui
que Brahms compose une des trois sonates pour violon et piano aujourd’hui disparues. Brahms et
Reményi s’entendent parfaitement, le violoniste étant surpris de voir avec quelle facilité son jeune
partenaire assimile les rythmes parfois très complexes de la musique hongroise. Brahms rencontre
ensuite le grand violoniste Joseph Joachim, condisciple de Reményi au conservatoire de Vienne.
Joachim devient rapidement l’ami fidèle de Brahms et lui fait découvrir toutes les ressources
expressives du violon en l’initiant notamment au phrasé de l’instrument et au maniement de
l’archet. Le dernier violoniste marquant dans la vie de Brahms est viennois. Il s’agit de Joseph
Hellmesberger à qui Brahms succède à la tête de la Société des amis de la musique au tout nouveau
Musikverein. Hellmesberger deviendra lui aussi un proche de Brahms et ils créeront ensemble les
deux premières sonates pour violon et piano.
Des trois violonistes Joseph Joachim est le plus célèbre et son nom restera lié à celui de Brahms qui
lui dédiera son concerto pour violon que Joachim créera à Leipzig en 1878 sous la direction du
compositeur.
Brahms lui dédiera aussi le Scherzo de la sonate F.A.E. Cette sonate est exceptionnelle car il s’agit
d’une œuvre collective écrite en 1853 en collaboration avec Albert Dietrich (premier mouvement) et
Robert Schumann (deuxième et quatrième mouvements). Le Scherzo écrit par Brahms étant
logiquement le troisième mouvement de la sonate.
Cette œuvre de circonstance marque l’indéfectible amitié qui liait trois compositeurs à un immense
interprète. Toute la sonate est basée sur les notes Fa La Mi (F-A-E dans la notation Allemande)
initiales de l’adage « Frei aber einsam » (libre mais solitaire) typique des idéaux romantiques qui
traversaient alors l’Allemagne. La sonate a été écrite en secret par les trois compères dans une
ambiance enthousiaste. Au cours d’une soirée chez les Schumann fin octobre 1853, les trois
compositeurs offrirent leur œuvre à Joachim qui la déchiffra sur le champ accompagné par Clara
Schumann au piano. Joachim devait deviner le compositeur de chaque mouvement, ce qu’il fît sans
problème, à la grande joie des intéressés. Joachim conserva le manuscrit et la sonate ne fût pas
publiée du vivant des compositeurs. Seul le Scherzo de Brahms (la pièce maîtresse de la sonate) fût
éditée en 1906 et il faudra attendre 1935 pour que l’ensemble de la sonate fasse l’objet d’une
première publication.
Avec sa puissance et son caractère fougueux ce Scherzo se rapproche du style beethovénien encore
renforcé par la tonalité d’ut mineur. Brahms y oppose deux thèmes ; le premier robuste et
véhément, le second beaucoup plus tendre. Dans la partie centrale (Trio) Brahms compose un thème
extrêmement proche de celui écrit par Dietrich dans le premier mouvement, ce qui donne à l’œuvre
un caractère cyclique des plus intéressants.
C’est durant l’été 1888 que Brahms achève sa troisième sonate pour piano et violon, dont les
premières esquisses remontent à l’année 1886. Il s’agit d’une œuvre caractéristique du Brahms de
la dernière période, où la passion se trouve contenue et densifiée, et où la richesse mélodique
captive l’auditeur. Cette sonate se démarque des deux précédentes sonates (opus 78 et opus 100)
par son lyrisme maitrisé, sa liberté de ton, et surtout par l’économie des moyens mis en œuvre. La
partie de piano est beaucoup plus développée et virtuose que dans les sonates précédentes, ce qui
explique certainement pourquoi l’œuvre est dédiée à son ami (le pianiste et chef d’orchestre) Hans
von Bülow. D’une profonde richesse thématique, cette sonate évolue assez librement sans procéder
aux grands développements habituels chez le compositeur (ce qui lui était fortement reproché par
Debussy qui avait déclaré un jour : « Fuyons, il va développer ! »). Contrairement aux deux
précédentes sonates qui ne comportaient que trois mouvements, la sonate en ré mineur en
possède quatre.
Dans le premier mouvement « Allegro alla breve », Brahms semble s’affranchir de l’archétype
traditionnel de la forme sonate : l’exposition (constituée de quatre thèmes) et le développement
(n’en reprenant qu’un seul, mais en le chargeant d’idées aussi nouvelles qu’éphémères) ne
paraissent plus aussi évidents, dans ce mouvement particulièrement libre. Il évolue dans une
parfaite continuité mélodique, qui ne connaît aucune faiblesse ni rupture. Après une longue
introduction, le mouvement s’articule autour de deux thèmes principaux sur lesquels viennent se
greffer deux thèmes secondaires. Le premier thème introduit par le violon est extrêmement ardent,
alors que le second joué par le piano est plus chantant, bien qu’il conserve une tension équivalente.
Un bref développement basé sur un nouveau thème précède la réexposition, qui s’enchaîne à une
longue et énergique coda.
Le second mouvement (Adagio) expose tout d’abord au violon une belle mélodie, à la fois ardente
et chaleureuse. Un second thème plus prononcé est soutenu par le piano à grands renforts
d’arpèges. Brahms reprend ces deux thèmes en les ornant davantage. Le mouvement s’achève de
façon douce et contemplative par une coda inspirée par le premier thème.
Le troisième mouvement (un poco presto e con sentimento) en fa dièse mineur tient le rôle du
Scherzo. La fugace agitation confère au début du mouvement un esprit fougueux et résolu, mais
celui-ci fait place à un motif au caractère à la fois grave et fantomatique. Il s’éloigne franchement du
Scherzo traditionnel par sa structure extrêmement libre. D’une grande richesse mélodique, ce
mouvement est basé lui aussi sur deux thèmes distincts répartis en trois différentes séquences.
La sonate trouve sa conclusion avec un long mouvement (presto agitato) au lyrisme passionné et à
l’esprit à la fois énergique et révolté, proche de l’esprit beethovenien. Ici encore Brahms fait preuve
d’une grande invention mélodique, où plusieurs thèmes souvent brillants et des idées musicales
secondaires en découlant, s’organisent subtilement. Au cours de ce long et trépidant mouvement,
les deux instruments s’affrontent plus qu’ils ne fusionnent, et ce jusqu’à la tempétueuse et
brillantissime conclusion de la sonate.
Jean-Noël REGNIER
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