L`ordinateur quantique : un défi pour les expérimentateurs

Les machines de traitement automatique de l’informa-
tion représentent un ensemble de transformations
logiques par un processus physique. Les ordinateurs
habituels manipulent des éléments d’information élémen-
taires, les bits, qui peuvent avoir les valeurs 0 ou 1, vrai ou
faux. Ces bits sont représentés par une quantité électrique,
courant ou tension. Des « portes », fondées sur des transis-
tors, réalisent entre eux les fonctions élémentaires de la
logique classique (et, ou, ou exclusif…). Avec un réseau de
portes, on peut réaliser toutes les transformations de l’état
logique des bits et, finalement, n’importe quel calcul.
Nous avons tous été les témoins des progrès fantastiques
des ordinateurs classiques. Ils ont atteint un niveau de per-
formance et de compacité remarquable et continuent de pro-
gresser sur le rythme exponentiel de la loi de Moore, sans
symptômes d’essoufflement. Aussi puissantes que soient
ces machines, il existe pourtant des problèmes « difficiles »
qu’elles ne peuvent pas traiter efficacement.
Calculer un produit, par exemple, est un problème facile.
Le temps de calcul ne varie que comme le carré du nombre
nde bits utilisés. Si on sait calculer 2×2, on saura calculer
tout produit de nombres utiles. Le temps d’exécution d’un
calcul facile varie, en fonction du nombre de bits, comme un
polynôme. La factorisation est, en revanche, difficile. Le
temps de calcul du meilleur algorithme classique connu
augmente très rapidement (en exp n1/3) avec le nombre de
bits. Factoriser le nombre « RSA155 », un nombre à
155 chiffres décimaux, produit de deux entiers de 78 et
77 chiffres, proposé à la sagacité des informaticiens dans
une compétition internationale, fut un calcul monstrueux
utilisant des milliers de machines connectées sur le réseau.
La multiplication est donc considérée comme une opération
idéale pour « cacher » un message. La plupart des codes
cryptographiques utilisés aujourd’hui tirent leur sécurité de
la complexité de la factorisation ou d’opérations mathéma-
tiques équivalentes.
La difficulté d’un problème n’est pas liée à l’organisation
de la machine mais simplement à la structure de l’algo-
rithme utilisé pour le résoudre. De ce point de vue, toutes les
machines classiques sont équivalentes, de la calculette au
super-ordinateur. Traiter efficacement les problèmes diffi-
ciles impose donc de changer fondamentalement les prin-
cipes de la représentation du calcul. C’est le défi de l’infor-
matique quantique, qui veut utiliser l’étrangeté de la
mécanique quantique pour calculer d’une façon différente et
plus efficace.
Le rêve de l’ordinateur quantique
Un ordinateur quantique manipulerait, au lieu de bits
classiques, des bits quantiques, appelés « qubits ». Ce sont
les systèmes quantiques les plus simples, des systèmes à
deux niveaux. Un qubit peut se trouver soit dans l’état |0,
soit dans l’état |1. La mécanique quantique est linéaire (les
états, les kets, |dans les notations de Dirac, sont des vec-
teurs dans un espace de Hilbert). Si |0et |1sont des états
possibles pour le « qubit », (|0+|1)/2est aussi un état
possible. Un qubit peut donc être suspendu dans une super-
position quantique entre les deux états logiques.
111
L’ordinateur quantique :
un défi pour
les expérimentateurs
Fonder un système de traitement de l’information sur la logique quantique plutôt que sur la logique classique
permettrait de résoudre infiniment plus efficacement certains problèmes difficiles, comme la factorisation de
grands nombres. La puissance du calcul quantique trouve son origine dans la faculté d’un système quantique
de se trouver dans une superposition d’un nombre gigantesque d’états : un nombre exponentiel en fonction
du nombre de bits quantiques manipulés. Les contraintes sur les constituants élémentaires d’un calculateur
quantique (qubits et portes quantiques) sont très sévères et quelques systèmes seulement ont pu les satisfaire,
au moins en partie. Nous les présentons ici, en discutant de façon réaliste leurs possibilités.
Article proposé par :
Michel Brune, brune@lkb.ens.fr
Jean-Michel Raimond, jmr@lkb.ens.fr
Laboratoire Kastler-Brossel, CNRS/ENS
Quanta et photons
De même, le registre d’entrée à nqubits d’un ordinateur
quantique peut-être préparé dans une superposition quan-
tique des 2nétats possibles, correspondant aux 2nnombres
codés sur nbits. Une machine traitant de façon cohérente un
registre d’entrée quantique pourrait donc être finalement
dans une superposition de tous les résultats possibles du cal-
cul effectué par la machine. Ce « parallélisme massif » la
rendrait exponentiellement plus efficace que tout ordinateur
classique. On peut, par exemple, obtenir une superposition
de toutes les valeurs d’une fonction favec un nombre d’opé-
rations du même ordre que pour obtenir une seule de ces
valeurs sur une machine classique.
Il n’est pas évident, cependant, de tirer parti de cette fan-
tastique puissance en raison des propriétés très spécifiques
de la mesure quantique. Mesurer un qubit fournit, de façon
fondamentalement aléatoire, une des valeurs possibles
représentées dans la superposition. On obtient finalement,
en « lisant » le registre de sortie, un ensemble de bits qui
représente une valeur de la fonction fpour un argument aléa-
toire.
On peut, en revanche, rendre la mesure de qubits efficace
en utilisant une autre propriété quantique essentielle : l’exis-
tence, pour un système composite, d’états non-séparables
appelés états intriqués. Ces états ne se mettent pas sous la
forme d’un état produit d’états individuels de chaque qubit.
Les interactions des qubits entre eux pendant le calcul pré-
parent en général un état non-factorisable qui généralise
celui de la fameuse paire Einstein-Podolsky-Rosen (EPR),
utilisée dès 1935 pour illustrer la non-localité de la méca-
nique quantique. Toute mesure réalisée sur une particule de
la paire réagit sur l’état de l’autre. La mesure d’un qubit
« réduit » donc nécessairement l’état de l’ensemble du
registre. Tout l’art dans la conception des algorithmes quan-
tiques est de n’utiliser la mesure qu’à bon escient.
On ne connaît aujourd’hui que peu d’algorithmes utiles
qui tirent parti de la logique quantique. Les principaux
concernent la factorisation des nombres, la recherche dans
une base de données non triées et la simulation de dyna-
miques quantiques. L’algorithme de factorisation de Shor
est sans doute le plus frappant. Il permet de factoriser les
nombres aussi efficacement qu’on les multiplie. Le réaliser
permettrait donc d’attaquer tous les protocoles cryptogra-
phiques courants, avec des conséquence incalculables.
Les capacités des ordinateurs classiques placent cepen-
dant très haut la barre au delà de laquelle ces algorithmes
sont utiles. Factoriser RSA155 requiert un registre quan-
tique d’environ 2500 qubits et des millions d’opérations élé-
mentaires entre eux (portes quantiques). Comme nous le
verrons, les réalisations expérimentales sont encore loin de
ces objectifs.
De manière moins ambitieuse, la manipulation cohérente
de quelques qubits ouvre déjà des perspectives intéressantes.
La logique quantique permet aussi de réaliser de nouvelles
fonctions de transmission d’information. Cryptographie
(voir l’article de G. Messin dans ce numéro) et téléportation
quantiques, déjà réalisées, sont fondées sur des échanges de
paires de qubits intriqués. La fiabilité de ces échanges serait
bien meilleure si on pouvait réaliser quelques opérations de
logique élémentaire sur quelques paires de qubits. On pour-
rait, par exemple, réaliser des répéteurs quantiques pour des
transmissions de clés cryptographiques à grande distance.
Structure d’un ordinateur quantique
Ces perspectives fascinantes ont déclenché une recherche
très active. On s’est d’abord attaché à déterminer l’architec-
ture d’un ordinateur quantique. Tout calcul quantique peut se
ramener à une série de manipulations d’un ou deux qubits
dans des « portes logiques quantiques ». Tout comme en
logique classique, il suffit de réaliser un petit nombre de
portes élémentaires pour pouvoir ensuite réaliser un calcul
quantique arbitraire en construisant un réseau complexe de
portes.
112
a) c)
b)
H
Figure 1 - Représentation symbolique usuelle d’opération quantiques élé-
mentaires : (a) porte de Hadamard, (b) porte CNot (c) mesure de l’état
logique.
La porte de Hadamard (figure 1(a)) est une porte agissant
sur un qubit et réalisant la transformation :
|0→(|0+|1)/2
|1→(|0−|1)/2
A partir dun qubit dans l’état |0, on prépare ainsi une
superposition à poids égaux des états |0et |1. Un exemple
dapplication au calcul parallèle de toutes les valeurs dune
fonction fest présenté dans lencadré 1. Dans le cas où le
qubit est un spin 1/2, la transformation de Hadamard est
obtenue par une combinaison de rotations.
Les portes à deux qubits réalisent en général une dyna-
mique conditionnelle : une transformation dun des deux
qubits déterminée par l’état initial de lautre. Il existe un
grand nombre de telles portes. Nous présentons ici la porte
«Non Contrôlé», CNOT (figure 1(b)), qui est sans doute la
plus populaire. Elle échange les état |0et |1du qubit
«cible » seulement si le qubit «contrôle » est dans l’état
|1:
|0,0→|0,0
|0,1→|0,1
|1,0→|1,1
|1,1→|1,0
En associant cette porte aux rotations individuelles de
qubits et à lopération de mesure quantique de l’état logique
Quanta et photons
(0ou 1) dun qubit (figure 1(c)), on obtient un jeu de portes
universel, suffisant pour réaliser nimporte quel calcul quan-
tique.
Le réseau de portes nécessaires à la réalisation dun calcul
quantique utile est très vite extrêmement complexe. Il existe
cependant un exemple élémentaire de calcul quantique, le
problème de Deutsch-Josza, qui, bien que sans intérêt pra-
tique, permet de saisir la puissance du parallélisme quan-
tique. Lencadré 2 présente ce problème ainsi que le circuit
de portes quantiques qui permet de le résoudre.
Réalisation pratique : les contraintes
Le problème de la réalisation pratique est beaucoup plus
ardu. Les systèmes physiques utilisés pour représenter les
qubits doivent satisfaire des conditions sévères. Idéalement,
ils doivent être manipulables individuellement, mais en
grand nombre. Ils doivent aussi pouvoir être initialisés dans
un état quantique précis. On doit pouvoir mesurer leur état
final pour «lire » le résultat du calcul. Ils doivent interagir
fortement entre eux, pour réaliser la dynamique condition-
nelle des portes logiques quantiques.
Finalement, ils doivent être formidablement bien isolés
du milieu extérieur. L’état intriqué dune multitude de qubits
est un cousin du fameux «chat de Schrödinger », préparé
dans une superposition quantique des états «mort » et
«vivant ». De telles superpositions d’états sont si manifes-
tement absurdes quelles étaient utilisées par les pères de la
physique quantique comme des exemples de limpossible
transposition des concepts quantiques à un domaine qui leur
échappe : le monde classique.
On comprend mieux maintenant la difficulté de cette
transposition. Les cohérences quantiques macroscopiques
(entre les états «mort » et «vivant » par exemple) sont
extraordinairement sensibles au couplage du système à son
environnement. Très rapidement, la superposition quantique
devient une simple alternative probabiliste classique (mort
ou vivant plutôt que mort et vivant). Cette «décohérence »,
même si elle reste faible à l’échelle dun qubit individuel,
devient très rapide lorsquelle sattaque à la superposition
dun grand nombre de qubits. Elle ramène lordinateur
quantique dans le monde, plus habituel, du calcul classique.
Il est donc essentiel que la durée de vie des qubits soit
beaucoup plus longue que le temps nécessaire pour réaliser
une porte. Les performances dun qubit peuvent se mesurer
par un «facteur de qualité logique », Q, qui est le nombre
de portes réalisables dans la durée de vie. Lisolation des
qubits vis-à-vis de lextérieur et le fort couplage mutuel sont
des impératifs contradictoires. Il est en effet difficile d’évi-
ter que le couplage entre qubits ne contribue aussi à la dis-
sipation.
Comme nous le verrons, les facteurs de qualité logique
réalisés jusquici sont très insuffisants pour contourner
lobstacle de la décohérence de façon «passive ». Pour la
transmission classique dinformation, on corrige «active-
ment » les erreurs en utilisant la redondance. Un ensemble
de bits logiques est codé dans un ensemble plus grand de
bits physiques. Après transmission et décodage, les bits sup-
plémentaires sont lus. Leur état donne une indication sur la
présence dune erreur et sur les moyens de la corriger. On
améliore ainsi considérablement la fiabilité de la transmis-
sion, pour un faible coût en bits additionnels. La téléphonie
mobile, sensible au bruit radioélectrique, est très friande de
ces codes correcteurs.
113
Le parallélisme quantique
Le circuit à deux qubit présenté sur la figure représente symbo-
liquement le circuit qui calcule en parallèle toutes les valeurs
possibles d’une fonction f(x) dans le cas le plus simple d’une
fonction binaire d’une variable binaire x. La boite Ufest la
transformation unitaire à deux qubits définie par :
|x,y→|x,yf(x)(1)
désigne l’addition modulo 2. En tenant compte de la
porte de Hadamard appliquée au qubit |x, le circuit représenté
sur la figure réalise la transformation :
|0,0|0,f(0)+|1,f(1)
2(2)
L’état final du registre quantique contient virtuellement une
information sur la fonction f évaluée pour toutes le valeurs pos-
sibles de la variable x. On a ici « calculé » en parallèle deux
valeurs de f(x)en une seule opération de Uf. Ce circuit se
généralise à toute fonction logique f(x) d’une variable xà n
bits à valeurs dans un espace à pbits. On obtient ainsi en une
seule action de Ufun état quantique contenant virtuellement
toutes les valeurs de f(x)correspondant aux 2nvaleurs pos-
sibles de x. Classiquement, on doit évaluer f2nfois pour obte-
nir cette information. C’est là l’origine de l’accélération expo-
nentielle d’un calcul quantique pour la résolution de certains
problèmes.
Encadré 1
HUf
xx
y y f(x)
Figure - Circuit calculant en parallèle toutes les valeurs possibles dune
fonction f.
La même stratégie peut sappliquer dans le cas quan-
tique. Les codes correcteurs quantiques compensent les
effets de la décohérence en associant redondance, intrica-
tion et mesure. Les qubits à protéger sont intriqués avec des
qubits additionnels (codage). Après traitement, lintrication
est levée (décodage) et l’état des qubits additionnels
mesuré. Ce «syndrome » derreur est utilisé pour corriger
les effets de la relaxation.
Au moins en principe, ces codes lèvent lobstacle de la
décohérence. Pour tout calcul, quelle que soit sa taille, il
existe un code qui le protège efficacement, à condition que
le taux derreur par opération soit plus petit quune valeur
seuil. Il reste cependant deux problèmes. Le taux maximum
derreurs admissibles par opération est très faible, beaucoup
plus faible que ce qui est facilement réalisable. De plus, la
redondance est beaucoup plus forte que dans le cas clas-
sique. Chaque qubit logique doit être codé sur quelques
dizaines de qubits physiques si on veut compenser toutes les
erreurs, y compris celles commises pendant la correction
elle-même.
Comme cest souvent le cas, les réalisations expérimen-
tales sont très en retard par rapport aux propositions théo-
riques. On ne connaît que quelques systèmes qui réalisent
des qubits. Un des premiers dans ce domaine est simple-
ment constitué par la polarisation dun photon (voir article
de G. Messin). On ne connaît toutefois pas encore de porte
quantique efficace couplant les états de deux photons. Il est
donc très difficile de manipuler directement leur intrication.
Nous décrivons ici les trois premiers systèmes qui ont réa-
lisé une porte logique quantique et des manipulations élé-
mentaires dinformation : résonance magnétique nucléaire,
ions piégés et électrodynamique quantique en cavité.
114
Un exemple de calcul quantique : le problème de Deutsch-Josza
Le problème de Deutsch-Josza est un problème de logique élé-
mentaire qui peut être formulé en faisant intervenir les person-
nages fétiches de linformation quantique : Alice et Bob. Une
pièce de monnaie est préparée par Alice et Bob doit distinguer
si cette pièce est vraie (avec un côté pile et un côté face) ou
fausse (avec deux côtés face ou deux cotés pile).
Classiquement, Bob doit regarder les deux cotés pour décider.
Quantiquement, il peut, en ne «regardant » quune seule fois,
comparer les deux cotés de la pièce. Ce problème est logique-
ment équivalent à déterminer si une fonction binaire f(x)de la
variable binaire xest une fonction constante (pièce fausse,
faces identiques) ou non (pièce vraie). Il existe quatre telles
fonctions fidéfinies par la donnée de {fi(0), fi(1)}qui peuvent
prendre les valeurs : {0,0}, {1,1)}, {0,1}ou {1,0}pour i=1
à 4.
La première étape est la «fabrication » dune des pièces pos-
sibles. Elle consiste à construire à partir dune des fonctions fi
le réseau de porte qui réalise la transformation unitaire Ufi
«évaluant » fitelle que définie dans lencadré 1. Les réseaux
de portes correspondant à chacune des fonctions fisont pré-
sentés figure 1.
Par exemple, la transformation correspondant à f3est :
|0,0→|0,0f3(0)→|0,0
|0,1→|0,1f3(0)→|0,1
|1,0→|1,0f3(1)→|1,1
|1,1→|1,1f3(1)→|1,0
qui correspond bien à une opération CNot.
Encadré 2
Uf1Uf2Uf3Uf4
Figure 1 - Circuits réalisant les quatre transformations unitaires Ufipos-
sibles. Toute ces transformations sont obtenues en combinant la porte
CNot et la porte NON à un bit, représentée par le symbole .
HUf
xx
yy f
i(x)
H
H
i
|0>
|1>
Figure 2 - Circuit de portes quantiques réalisant lalgorithme de
Deutsch-Josza.
Alice choisit alors une des «pièces » possible quelle donne à
Bob sous forme dune «boite noire » contenant un réseau de
portes. Bob peut placer autour de ce réseau dautres portes
dans le but de résoudre son problème. Il lui suffit pour cela
dutiliser le circuit présenté sur la figure 2. Un calcul simple
montre que laction de ce circuit sur le registre dentrée dans
l’état |0,1est :
|0,1→±|fi(0)fi(1)|0|1
2(3)
Le signe ±dépend de la fonction fimais na pas dinfluence
sur le résultat de la mesure du qubit x. En mesurant l’état final
0ou 1du qubit x=fi(0)fi(1), Bob découvre en une seule
action de Ufique finest constante que si le résultat est x=0.
Il a donc, en quelque sorte, regardé à la fois les deux faces
dune pièce.
Quanta et photons
Résonance magnétique nucléaire
Un spin 1/2 nucléaire dans un champ magnétique réalise
un qubit idéal. Il est peu couplé à lenvironnement et on
manipule son état par résonance magnétique, combinant un
champ statique et un champ oscillant.
Dans une molécule, les fréquences de résonance de
noyaux identiques à des positions différentes sont légère-
ment différentes. Ces «déplacements chimiques » permet-
tent dadresser individuellement les spins en choisissant la
fréquence du champ oscillant. Deux spins voisins sont éga-
lement couplés entre eux : la fréquence de transition dun
spin dépend de l’état quantique du voisin. Ces couplages
sont les ingrédients de portes logiques quantiques.
On a pu adapter les spectromètres RMN au calcul quan-
tique : portes logiques variées, intrication de deux et trois
qubits jusqu’à une remarquable démonstration de lalgo-
rithme de Shor dans le cas «15 =5×3». Elle implique
quelques dizaines de portes sur une molécule spécialement
synthétisée, comptant 7 qubits.
Cette technique opère cependant sur un grand nombre de
molécules identiques, dans un échantillon liquide, proche de
l’équilibre thermique à température ambiante et donc très
faiblement polarisé. On est loin de manipuler des états
quantiques purs et de mesurer l’état dun qubit individuel.
Par des techniques complexes, on peut contourner ces diffi-
cultés, mais au prix dune dégradation du signal exponen-
tielle en fonction du nombre de spins.
Ions piégés
On sait piéger un ou quelques ions dans une configura-
tion convenable de champs électriques. On code un qubit
sur une transition entre deux niveaux de longue durée de
vie. La fluorescence dun ion unique, éclairé par un laser
résonnant sur une transition forte entre un des niveaux du
qubit et un niveau excité, permet de lire l’état final du qubit
ionique individuel. Cest un avantage majeur de la méthode
par rapport au cas de la RMN. Le mouvement quantifié de
lion dans le piège fournit un autre qubit, codé sur les états
à zéro et un quantum de vibration (phonon). Un refroidisse-
ment par laser permet dinitialiser lion dans l’état «zéro
phonon ». Des transitions optiques couplant états interne et
de vibration permettent de réaliser la porte logique CNOT.
Dans un schéma proposé par I. Cirac et P. Zoller, un pro-
cesseur quantique complexe est composé dune chaîne
dions couplés entre eux par un mode collectif de vibration.
Les expériences sont très délicates. Le groupe de D.
Wineland (NIST, Boulder) a réalisé la première porte
logique quantique entre les niveaux internes et de vibration
dun ion unique. Plus récemment, ce groupe ainsi que celui
de R. Blatt à Innsbruck ont réalisé des manipulations beau-
coup plus complexes, impliquant jusqu’à quatre ions. Lex-
périence dInnsbruck utilise un piège qui permet dadresser
les ions individuellement. Il a permis une implémentation
de lalgorithme de Deutch-Josza (voir encadré 2).
Les limites de ces expériences sont aussi bien techniques
que fondamentales. Une source importante de décohérence
est un «chauffage » de la vibration des ions par des champs
parasites. Elle est dorigine purement technique et rien
nempêche, a priori, de la combattre efficacement. De façon
plus fondamentale, les transitions optiques utilisées pour les
portes sont toujours affectées par l’émission spontanée. Les
limitations résultantes sont plus difficiles à contourner. La
porte logique initiale du NIST, par exemple, a un facteur de
qualité limite Q13, où αest la constante de structure
fine. Dautres schémas de porte peuvent contourner cet obs-
tacle, mais il souffriront aussi de limites fondamentales.
Il est difficile destimer les possibilités ultimes des ions
piégés. Réaliser quelques centaines dopérations sur
quelques dizaines de qubits demandera probablement de
nombreuses années deffort.
Atomes et cavités
L’électrodynamique quantique en cavité réalise le sys-
tème matière-rayonnement le plus simple : un seul atome
couplé à un seul mode du champ contenant quelques pho-
tons. Dans le régime de «couplage fort », linteraction
cohérente atome/champ domine la décohérence et peut donc
être utilisée pour générer de lintrication.
En utilisant des atomes de Rydberg circulaires et des
cavités supraconductrices résonnantes dans le domaine
micro-onde, il est possible de réaliser les fonctions de base
du traitement quantique de linformation. La plupart des
expériences que nous réalisons au Laboratoire Kastler Bros-
sel, avec S. Haroche, sont fondées sur linteraction réson-
nante atome/cavité-C(voir encadré 3). Les deux niveaux de
la transition atomique résonnante avec Cconstituent un
qubit, les états à zéro et un photon de Cen constituent un
autre. Linteraction atome-cavité permet, au choix, soit de
préparer un état intriqué, soit de copier le qubit porté par
latome sur la cavité, soit enfin de réaliser une porte quan-
tique.
Toutes ces opérations peuvent être réalisées à partir de
loscillation de Rabi entre les deux états |e,0(atome dans
l’état eet cavité vide) et |g,1(atome dans gavec un pho-
ton dans la cavité). Si latome est initialement dans eet la
cavité vide, l’état du système après un temps dinteraction t
est |(t)=cos(t/2)|e,0+sin(t/2)|g,1L’échange
d’énergie atome/cavité est réversible : latome émet un pho-
ton, piégé dans C, puis le réabsorbe. La «pulsation de
Rabi » dans le vide (voir encadré 3) caractérise la force
du couplage entre les deux niveaux.
En choisissant le temps dinteraction, on réalise différentes
opérations logiques. Par exemple, pour t=π(porte π), on
échange l’état de latome et de la cavité:
(ce|e+cg|g)|0→|g(ce|1+cg|0). On peut ainsi uti-
liser la cavité comme une «mémoire quantique » dans
laquelle un état quantique peut être écrit et stocké jusqu’à ce
quun autre atome vienne le lire par la transformation inverse.
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