Quanta et photons
Résonance magnétique nucléaire
Un spin 1/2 nucléaire dans un champ magnétique réalise
un qubit idéal. Il est peu couplé à l’environnement et on
manipule son état par résonance magnétique, combinant un
champ statique et un champ oscillant.
Dans une molécule, les fréquences de résonance de
noyaux identiques à des positions différentes sont légère-
ment différentes. Ces «déplacements chimiques » permet-
tent d’adresser individuellement les spins en choisissant la
fréquence du champ oscillant. Deux spins voisins sont éga-
lement couplés entre eux : la fréquence de transition d’un
spin dépend de l’état quantique du voisin. Ces couplages
sont les ingrédients de portes logiques quantiques.
On a pu adapter les spectromètres RMN au calcul quan-
tique : portes logiques variées, intrication de deux et trois
qubits… jusqu’à une remarquable démonstration de l’algo-
rithme de Shor dans le cas «15 =5×3». Elle implique
quelques dizaines de portes sur une molécule spécialement
synthétisée, comptant 7 qubits.
Cette technique opère cependant sur un grand nombre de
molécules identiques, dans un échantillon liquide, proche de
l’équilibre thermique à température ambiante et donc très
faiblement polarisé. On est loin de manipuler des états
quantiques purs et de mesurer l’état d’un qubit individuel.
Par des techniques complexes, on peut contourner ces diffi-
cultés, mais au prix d’une dégradation du signal exponen-
tielle en fonction du nombre de spins.
Ions piégés
On sait piéger un ou quelques ions dans une configura-
tion convenable de champs électriques. On code un qubit
sur une transition entre deux niveaux de longue durée de
vie. La fluorescence d’un ion unique, éclairé par un laser
résonnant sur une transition forte entre un des niveaux du
qubit et un niveau excité, permet de lire l’état final du qubit
ionique individuel. C’est un avantage majeur de la méthode
par rapport au cas de la RMN. Le mouvement quantifié de
l’ion dans le piège fournit un autre qubit, codé sur les états
à zéro et un quantum de vibration (phonon). Un refroidisse-
ment par laser permet d’initialiser l’ion dans l’état «zéro
phonon ». Des transitions optiques couplant états interne et
de vibration permettent de réaliser la porte logique CNOT.
Dans un schéma proposé par I. Cirac et P. Zoller, un pro-
cesseur quantique complexe est composé d’une chaîne
d’ions couplés entre eux par un mode collectif de vibration.
Les expériences sont très délicates. Le groupe de D.
Wineland (NIST, Boulder) a réalisé la première porte
logique quantique entre les niveaux internes et de vibration
d’un ion unique. Plus récemment, ce groupe ainsi que celui
de R. Blatt à Innsbruck ont réalisé des manipulations beau-
coup plus complexes, impliquant jusqu’à quatre ions. L’ex-
périence d’Innsbruck utilise un piège qui permet d’adresser
les ions individuellement. Il a permis une implémentation
de l’algorithme de Deutch-Josza (voir encadré 2).
Les limites de ces expériences sont aussi bien techniques
que fondamentales. Une source importante de décohérence
est un «chauffage » de la vibration des ions par des champs
parasites. Elle est d’origine purement technique et rien
n’empêche, a priori, de la combattre efficacement. De façon
plus fondamentale, les transitions optiques utilisées pour les
portes sont toujours affectées par l’émission spontanée. Les
limitations résultantes sont plus difficiles à contourner. La
porte logique initiale du NIST, par exemple, a un facteur de
qualité limite Q≈1/α3, où αest la constante de structure
fine. D’autres schémas de porte peuvent contourner cet obs-
tacle, mais il souffriront aussi de limites fondamentales.
Il est difficile d’estimer les possibilités ultimes des ions
piégés. Réaliser quelques centaines d’opérations sur
quelques dizaines de qubits demandera probablement de
nombreuses années d’effort.
Atomes et cavités
L’électrodynamique quantique en cavité réalise le sys-
tème matière-rayonnement le plus simple : un seul atome
couplé à un seul mode du champ contenant quelques pho-
tons. Dans le régime de «couplage fort », l’interaction
cohérente atome/champ domine la décohérence et peut donc
être utilisée pour générer de l’intrication.
En utilisant des atomes de Rydberg circulaires et des
cavités supraconductrices résonnantes dans le domaine
micro-onde, il est possible de réaliser les fonctions de base
du traitement quantique de l’information. La plupart des
expériences que nous réalisons au Laboratoire Kastler Bros-
sel, avec S. Haroche, sont fondées sur l’interaction réson-
nante atome/cavité-C(voir encadré 3). Les deux niveaux de
la transition atomique résonnante avec Cconstituent un
qubit, les états à zéro et un photon de Cen constituent un
autre. L’interaction atome-cavité permet, au choix, soit de
préparer un état intriqué, soit de copier le qubit porté par
l’atome sur la cavité, soit enfin de réaliser une porte quan-
tique.
Toutes ces opérations peuvent être réalisées à partir de
l’oscillation de Rabi entre les deux états |e,0(atome dans
l’état eet cavité vide) et |g,1(atome dans gavec un pho-
ton dans la cavité). Si l’atome est initialement dans eet la
cavité vide, l’état du système après un temps d’interaction t
est |(t)=cos(t/2)|e,0+sin(t/2)|g,1L’échange
d’énergie atome/cavité est réversible : l’atome émet un pho-
ton, piégé dans C, puis le réabsorbe. La «pulsation de
Rabi » dans le vide (voir encadré 3) caractérise la force
du couplage entre les deux niveaux.
En choisissant le temps d’interaction, on réalise différentes
opérations logiques. Par exemple, pour t=π(porte π), on
échange l’état de l’atome et de la cavité:
(ce|e+cg|g)|0→|g(ce|1+cg|0). On peut ainsi uti-
liser la cavité comme une «mémoire quantique » dans
laquelle un état quantique peut être écrit et stocké jusqu’à ce
qu’un autre atome vienne le lire par la transformation inverse.
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