La Mouette - CRDP de Paris

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n° 153
novembre 2012
Les dossiers pédagogiques « Théâtre » et « Arts du cirque » du réseau SCÉRÉN en partenariat avec le Nouveau
Théâtre d’Angers. Une collection coordonnée par le CRDP de l’académie de Paris.
Texte d’Anton Tchekhov
Mise en scène
de Frédéric Bélier-Garcia
La Mouette
Avant de voir le spectacle :
la représentation en appétit !
Le choix
de la traduction
[page 2]
Les personnages ou la
confrontation…
[page 3]
Les costumes de La Mouette
[page 5]
L’espace de La Mouette, une
scénographie…
[page 6]
Le sous-texte ou le courant
souterrain [page 7]
Photo de répétition sans costumes © STÉPHANE TASSE
Au Nouveau Théâtre d’Angers du 14 au 24 novembre 2012
Édito
Après un échec à Saint-Pétersbourg en 1896, La Mouette de Tchekhov connaît un
immense succès lorsque Stanislavski la met en scène au théâtre d’Art de Moscou.
Lors de la première, le 17 décembre 1898, le public est tellement ému qu’à la fin
de la représentation un long silence précède un tonnerre d’applaudissements. Les
spectateurs ont l’impression d’assister à une nouvelle forme de théâtre qui les touche
profondément. Cette révolution tient à l’écriture de Tchekhov qui, sous l’apparente
banalité des répliques, raconte si bien l’âme humaine mais aussi à Stanislavski qui
est en train d’inventer l’art de la mise en scène.
Frédéric Bélier-Garcia, directeur du Nouveau Théâtre d’Angers depuis 2007, a mis en
scène beaucoup de textes contemporains, entre autres les comédies grinçantes d’Hanokh Levin, mais peu de pièces classiques. Avec La Mouette, il aborde Tchekhov pour
la première fois (annexe 1). Quand on essaie de comprendre quel parti pris sera le
sien, on entend dire que « ce ne sera pas russe » ou « peu dix-neuvième ». Il souhaite
surtout que le spectateur d’aujourd’hui puisse se reconnaître dans des personnages
que « le rêve est prêt à emporter vers le meilleur mais qui, comme de grands oiseaux
incapables de voler, demeurent dans ce décor, dans ce théâtre qui flétrit en eux au
fil des actes et des années ». Le parcours suivant permet aux élèves de pénétrer dans
les coulisses de la création par des recherches proposées au fil des rencontres avec
les artistes de La Mouette.
À noter que deux visions de La Mouette s’offrent cette année dans la collection Pièce
(Dé)montée, celle de Frédéric Bélier-Garcia et celle d’Arthur Nauzyciel, consultable
en ligne à l’adresse :
http://crdp.ac-paris.fr/piece-demontee/piece/index.php?id=la-mouette
Retrouvez sur4http://crdp.ac-paris.fr l’ensemble des dossiers « Pièce (dé)montée »
L’affiche, premier regard
sur la représentation [page 8]
Après la représentation :
pistes de travail
Les souvenirs de la
représentation… [page 10]
Le jeu amoureux
[page 11]
Le jeu choral
[page 11]
La bande sonore
[page 13]
La fonction des objets[page 14]
La scénographie : une mise
en abîme du théâtre [page 15]
L’évolution du personnage
à travers le costume [page 16]
La construction du personnage
par l’acteur
[page 17]
Annexes
[page 19]
2
Avant de voir le spectacle
La représentation en appétit !
n° 153
novembre 2012
Le choix de la traduction
© Photo d’équipe NTA
Frédéric Bélier-Garcia, metteur en scène de La Mouette, opte pour la traduction
d’Antoine Vitez 1 plutôt que pour celle d’André Markowicz qu’a choisie Arthur
Nauzyciel dans sa mise en scène pour la cour d’honneur du festival ­d’Avignon
(2012). Pourquoi ?
Frédéric Bélier-Garcia : « La traduction de Vitez est plus simple. Tchekhov a un grand
Maquette
souci de la simplicité de la langue. La magie de son théâtre ne vient pas d’une
complexité de la langue comme chez Shakespeare, Claudel ou Racine mais elle
est dans l’aller-retour entre texte et sous-texte, elle vient d’une sorte de quotidienneté qui est
toujours un peu symbolique. Et Vitez retranscrit bien cette simplicité de la langue présente dans
le théâtre comme dans les nouvelles de Tchekhov ».
Activité
Comparer les deux traductions
de La Mouette
Objectif : faire prendre conscience de
la singularité de la traduction choisie.
b À
la lumière de cette réflexion sur la
langue de Tchekhov et sur la traduction
de Vitez, l’enseignant demande aux élèves
d’observer les deux traductions d’un passage
de l’acte III (annexe 2) où Arkadina essaie de
convaincre Trigorine de rester avec elle alors
qu’elle sent qu’il lui échappe. Sans préciser
quelle version est de Markowicz ou de Vitez,
le professeur demande à deux élèves de se
mettre debout, chacun ayant en main une
traduction différente et de l’adresser à un
camarade de la classe : à chaque signe de
ponctuation, l’élève lecteur s’arrête puis
écoute l’autre élève dire le même texte dans
la deuxième traduction. Ils ne doivent pas
spécialement mettre d’intention mais faire
simplement entendre les mots et laisser du
silence entre chaque signe de ponctuation.
À la fin, la classe entière se prononce sur le
vocabulaire, la construction des phrases qui
ont semblé « plus simples ».
Traduction d’Antoine Vitez
« Ça m’est égal, je n’ai pas honte de mon amour
pour toi. (Elle lui baise les mains). Mon trésor,
tête folle, tu veux faire des bêtises, mais je ne
veux pas, je ne te laisserai pas… (Elle rit). Tu
es à moi… Tu es à moi… Ce front est à moi, et
ces yeux à moi, et ces beaux cheveux de soie
sont aussi à moi… Tu es tout à moi. Tu as tant
de talent, d’intelligence, tu es le meilleur de
tous les écrivains d’aujourd’hui, tu es l’unique
espoir de la Russie… tu as tant de sincérité, de
simplicité, de fraîcheur, d’humour sain… »
Traduction d’André Markowicz
1. Toutes les citations du texte, sauf
mention contraire, sont issues de la
traduction d’Antoine Vitez : La Mouette,
Anton Tchekhov, et sont © Actes Sud,
1984. La pagination se réfère à l’édition
au Livre de poche de ce texte. Les disdascalies sont en italique.
« Tant mieux je n’ai pas honte de mon amour
pour toi. (Elle lui baise les mains). Mon trésor,
ma tête brûlée, tu veux faire des folies, mais
moi, je ne veux pas, je ne te laisserai pas…
(Elle rit). Tu es à moi… à moi… Et ce front,
il est à moi, et ces yeux, ils sont à moi, et ces
cheveux splendides, ces cheveux soyeux, ils sont
aussi à moi… Tu es tout à moi. Tu es si doué, si
intelligent, le plus grand des écrivains de notre
temps, tu es le seul espoir de la Russie. Tu as
tant de sincérité, de simplicité, de fraîcheur,
d’humour salubre… »
3
On peut remarquer par exemple que l’adjectif « sain » qui définit l’humour dans la traduction de
Vitez est moins recherché que « salubre », étonnant adjectif accolé à « humour » dans la traduction
de Markowicz. La mise en valeur emphatique du sujet, systématique chez Markowicz, crée aussi une
insistance sur les différentes parties du corps de Trigorine absente de la traduction de Vitez.
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Les personnages ou la confrontation
de deux générations
Photo de répétition sans costumes © STÉPHANE TASSE
Comment Frédéric Bélier-Garcia choisit-il des
acteurs pour jouer des personnages appartenant
à deux générations différentes ?
À la question du choix d’une actrice comme
Nicole Garcia pour jouer Arkadina, Frédéric
Bélier-Garcia répond : « Je ne veux pas jouer sur
la notoriété, plutôt sur l’âge et l’appartenance
à des générations différentes. La génération
« du dessus », celle des acteurs que j’ai choisis
pour jouer Arkadina, Paulina et Sorine est une
génération qui a commencé au théâtre, et dans
Activité
Lire à haute voix la liste des personnages
un théâtre d’avant-garde, il y a quarante ans
dans les années 1970 et qui progressivement a
eu une notoriété au cinéma. La génération « du
dessous », celle des acteurs jouant Medvedenko,
Macha, Nina, Treplev est composée d’acteurs
sortis en même temps des conservatoires et qui
font des recherches dans le domaine théâtral
surtout. Or l’histoire de La Mouette est une
histoire de générations : le triomphe des parents
sur les enfants, des parents qui refusent de
passer la main, la victoire d’une génération
passée sur la génération présente ».
faisant sonner les noms russes, à la manière
d’un majordome, pour se familiariser avec le
nom des personnages (annexe 3).
Objectif : se familiariser avec les noms russes­ des personnages et comprendre leurs rela- b En s’appuyant sur la définition qu’en
tions (générations différentes).
fait Tchekhov, demander aux élèves quels
b Lire
à voix haute avec onze voix (nombre
de personnages) la didascalie initiale en
personnages seront joués par les acteurs plus
âgés et par les acteurs plus jeunes.
4
n° 153
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Photo de répétition sans costumes © STÉPHANE TASSE
Activité
Jouer une scène de conflit entre deux
générations
Objectif : comprendre que la parole au théâtre
est action et pas simple conversation.
À propos du fonctionnement de la parole au
théâtre, le dramaturge Michel Vinaver 2 parle
d’un « duel » quand les personnages entrent
dans un conflit et précise que quatre figures
sont alors utilisées : l’attaque, la défense, la
riposte et l’esquive. Il parle en revanche d’un
« duo » quand domine dans la parole la figure
du « mouvement vers » l’autre.
On peut rappeler à l’occasion de la lecture de
cette scène que « La Mouette est une vaste
paraphrase d’Hamlet », comme le dit Antoine
Vitez. Dans cet extrait, la jalousie incestueuse
de Treplev à propos de Trigorine, amant de
sa mère Arkadina, rappelle des scènes entre
Hamlet et sa mère Gertrude.
b  On
demande aux élèves d’analyser dans
cet extrait les deux causes du conflit entre
la mère et son fils : la jalousie de Treplev
envers Trigorine, mais aussi une conception
différente du théâtre.
b  Après
avoir défini ces mots avec les
élèves (attaque, défense…), l’enseignant
peut demander de repérer ces figures dans
l’extrait entre Arkadina et Treplev (annexe 4)
et de voir comment le duo initial entre mère
et fils se transforme en duel pour s’achever
à nouveau en duo.
b  Une fois les figures repérées, l’enseignant
peut demander à sept élèves de dire chacun
une réplique de Treplev à tour de rôle (idem
pour Arkadina) en traduisant les figures
repérées par la manière de dire.
Par exemple, dire avec beaucoup de douceur
les « mouvements vers », avec violence les
« attaques » et avec fermeté les « défenses ». Il
faut veiller à ne jamais précipiter la parole et
respecter vraiment les silences marqués par les
signes de ponctuation.
Photo de répétition sans costumes © STÉPHANE TASSE
2. Vinaver Michel, Écritures dramatiques,
Actes Sud, 1993.
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Les costumes de La Mouette
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Frédéric Bélier-Garcia s’est entouré de deux costumières (Catherine et Sarah Leterrier, mère et
fille) pour créer les costumes de La Mouette (entretien avec Catherine Leterrier, annexe 5).
Pour cette création, les costumières ont créé plus d’une vingtaine de costumes car certains
­personnages changent plusieurs fois de tenue durant les quatre actes.
Le costumier et le peintre
Catherine Leterrier révèle une source d’inspiration importante pour la création des costumes,
le peintre Vuillard : « Dans La Mouette, les
personnages sont au début pleins d’espoir, ils
seront dans les couleurs et tissus unis. Puis
petit à petit, comme la vie ne leur permet pas de
réaliser leurs rêves, les imprimés des costumes
deviendront de plus en plus présents voire surdimensionnés et donneront l’impression de faire
rentrer les personnages dans le décor comme
s’ils étaient enserrés dans leur espace ».
Activité
Observer un tableau
b  L’enseignant
Objectif : prendre conscience des sources
d’inspiration des costumiers.
peut proposer l’étude d’un
tableau d’Édouard Vuillard (Intérieur à la
table à ouvrage, 1893) qui a inspiré les costumières et demander aux élèves d’analyser
la manière dont le peintre crée cette confusion entre personnages et décor.
Costume et personnage
Activité
Observer des maquettes de costume
Objectif : découvrir comment un costume
révèle un personnage.
b  L’enseignant
interroge les élèves sur les
codes vestimentaires en général et sur la
façon dont tel ou tel vêtement traduit à la
fois l’appartenance sociale d’un individu et
sa psychologie.
© DANY PORCHÉ
© DANY PORCHÉ
À partir de maquettes de costumes dessinées par
Sarah Leterrier (annexe 6), les élèves réfléchissent à la manière dont ces costumes révèlent
socialement et psychologiquement un personnage. Dans un premier temps, les élèves mènent
cette réflexion sans référence aux personnages
de La Mouette. Puis ils essaient d’imaginer, à
partir des maquettes et de quelques répliques,
à quel personnage de La Mouette correspond tel
ou tel costume. Dix élèves lisent chacun une
réplique caractérisant un personnage (annexe
7). Chacun des dix élèves choisit auparavant sa
place dans la classe (debout ou assis), lit silencieusement sa réplique, fixe son regard sur une
personne (proche ou lointaine dans l’espace de
la classe) et adresse sa réplique. Les répliques
sont dites dans l’ordre, avec le plus de sincérité possible et en respectant la ponctuation
par un vrai silence de quelques secondes. On
rappelle aux élèves qu’ils ont à leur disposition
quatre émotions majeures : la peur, la colère,
la tristesse et la joie. Ils choisissent l’émotion
qu’ils veulent pour dire leur réplique après avoir
annoncé le nom de leur personnage.
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L’espace de La Mouette, une scénographie
entre intérieur et extérieur
n° 153
Interrogée sur ses choix scénographiques,
Sophie Perez répond (annexe 8) : « La
Mouette parle de la mise en abîme du
théâtre. À partir de là, la scénographie
est réversible : la maison, dont l’intérieur
est très réaliste, est représentée par des
châssis qui, une fois retournés, évoqueront des châssis de théâtre. Tout peut
se moduler. Une pièce de maison peut
devenir un bout d’île, l’île un intérieur. Il
faut que la scénographie soit envisagée
comme un objet de théâtre ».
novembre 2012
Photo de répétition sans costumes © STÉPHANE TASSE
Activité
Lire les quatre didascalies initiales
des quatre actes
Objectif : repérer les espaces intérieurs
et extérieurs.
Les didascalies initiales des quatre actes sont
écrites à la manière d’un romancier naturaliste
(Tchekhov a lu Maupassant et Flaubert :
Arkadina lit d’ailleurs un texte de Maupassant
au début de l’acte II, Sur l’eau). Elles décrivent
l’espace où évoluent les personnages mais
sont aussi à interpréter de façon symbolique.
Ainsi de l’acte I à l’acte IV un espace semble
triompher de l’autre : l’espace intérieur ou
l’espace extérieur ? (annexe 9)
b On
invite les élèves à se demander ce que
cette évolution de l’espace révèle du destin
des personnages.
L’enseignant peut trouver des éléments de
réponses chez Georges Banu 3, auteur de nombreuses recherches sur le
théâtre de Tchekhov. Il dit
à propos de l’espace de
La Mouette : « une action
extérieure s’enferme progressivement dans une
maison, jusqu’à aboutir à
une chambre barricadée ».
© Photo d’équipe NTA
Activité
Dessiner la première image de La Mouette
(comment représenter le théâtre dans le
théâtre)
Objectif : s’initier à la scénographie
b L’enseignant
3. Banu Georges, « Rupture dans l’espace de La Mouette »,
Le Texte et la Scène,
Institut d’études théâtrales, 1978.
demande aux élèves (par
groupe de quatre) d’imaginer, à partir de
la didascalie initiale de l’acte I et des deux
premières répliques de la pièce, quelle
serait, selon eux, la première image du
spectacle.
L’enseignant rappelle que dans ce premier acte
Treplev va jouer sa nouvelle pièce devant sa
mère et les autres personnages, ce qui explique
la présence de l’estrade et du rideau. Il précise
aussi que le théâtre n’est pas le cinéma, qu’il ne
peut tout montrer et fait appel à l’imagination
du spectateur (un arbre suggère une forêt…).
Les élèves dessinent sur une feuille de dessin
avec des crayons de couleurs cette première
image à partir de leurs réponses aux questions
suivantes :
7
n° 153
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Quel cadre de scène choisir parmi
les six proposés (annexe 10) ?
carrés ou rectangles aux formes
plus ou moins allongées et aux
points de fuite plus ou moins
centrés ? Ces six cadres sont proposés par le scénographe Yannis
Kokkos pour une initiation à la
scénographie 4. Ils permettent
de préciser les différents choix
de dimensions et de perspec- © Photo d’équipe NTA
tives scéniques (scène réduite
ou profonde, cadre de scène bas
ou élevé…)
Quels éléments semblent essentiels parmi
tous ceux évoqués par Tchekhov (parc ? allée ?
estrade ? buissons ? rideau ?). Qu’est-ce qui est
au premier ou au second plan ?
Enfin, où se trouvent dans cette scénographie
les deux personnages qui parlent au début ?
(Medvedenko : « Pourquoi êtes-vous toujours en
noir ? » Macha : « C’est le deuil de ma vie. Je suis
malheureuse. ») Sont-ils au centre ? sur le côté
cour ou côté jardin ? au lointain ? en avantscène ? et pourquoi les rêver là ?
b L’enseignant
propose de dessiner les deux
personnages à l’endroit souhaité sous formes
de simples silhouettes pour figurer l’échelle
humaine. Puis chaque groupe présente sa
proposition argumentée et ses choix.
b Pour
aller plus loin, on peut demander
à certains élèves (seuls ou en groupes) de
choisir quatre cadres identiques ou différents pour les quatre actes et de voir comment la scénographie évolue de l’acte I à IV
et comment l’intérieur envahit petit à petit
l’extérieur.
Le sous-texte ou le courant souterrain
« Cette dramaturgie sans action [celle de Tchekhov] repose, souligne Peter Stein, non sur ce qui
est dit mais sur la manière de le dire. Ce qui change, ce ne sont pas les mots, mais le moyen
ou la manière de les dire, de les prononcer. Tel est le fameux sous-texte ou “courant souterrain”.
Les acteurs du théâtre de Tchekhov, grâce au sous-texte, ont reçu des rôles tout à fait nouveaux.
Puisque ce qui importait n’était plus le contenu du texte mais bien davantage la manière de le
dire — l’interprétation, le jeu ont pris une telle importance que l’acteur est devenu un coauteur.
Tchekhov a laissé tellement d’espace, de liberté entre les propositions, les bouts de propositions
et même entre les mots, que l’acteur peut remplir ces vides de son état psychologique, de son
moi. C’est le plus grand cadeau que Tchekhov a fait aux acteurs. Mais cela ne signifie pas qu’il soit
facile de le jouer. »
Activité
Jouer une scène selon deux hypothèses
de lecture en imaginant un sous-texte
différent
Objectif : mesurer l’importance des choix
du metteur en scène et de l’acteur.
4. Cités et présentés par D. Porché dans
10 rendez-vous avec Yannis Kokkos,
Actes Sud/ANRAT, 2005, p. 81.
Frédéric Bélier-Garcia présente la difficulté
d’interpréter cette scène : « On ne sait, dit-il, si
Trigorine revient dans la maison vraiment pour
voir Nina et donne le prétexte de la canne à
pêche ou s’il vient effectivement rechercher sa
canne à pêche et a déjà oublié le rendez-vous
avec Nina ».
b L’enseignant
propose de lire cet extrait
(annexe 11) selon deux hypothèses de lecture :
– ou Trigorine revient pour voir Nina sous le
prétexte de la canne à pêche.
– ou Trigorine revient pour chercher la canne
à pêche et a déjà oublié Nina.
Dans les deux hypothèses, le sous-texte est
bien différent : les points de suspension, ponctuation très fréquente chez Tchekhov, sont à
lire différemment. Quatre élèves (deux garçons
et deux filles si possible) joueront les deux
versions de ce duo selon les deux hypothèses.
Pendant que les élèves joueurs apprennent le
texte, le reste de la classe imagine et écrit ce
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qui n’est pas dit dans les points de
suspension.
Si on écoutait le monologue intérieur de Nina et de Trigorine dans
la première et dans la deuxième
hypothèse, qu’entendrions-nous ?
L’enseignant crée un espace scénique en dégageant une diagonale 5 qui va d’une porte de la
classe au coin opposé. Un bâton
censé représenter la canne à pêche
est placé près de la porte. Celui qui
joue Trigorine entre par cette porte
et l’actrice qui joue Nina est assise
à l’opposé de cette entrée.
Photo de répétition sans costumes © STÉPHANE TASSE
Les deux interprétations de la scène sont
jouées successivement : les élèves proposent
des mouvements sur cette diagonale qui traduisent leurs émotions. Au début, ils doivent
être aux extrémités de la diagonale et à la fin,
très proches mais ils ne se déplacent que sur
cette diagonale : qui avance vers l’autre ? Le
font-ils ensemble ou non ? Éviter le piétinement : ils se déplacent ou ils sont immobiles.
Les regards doivent aussi être précis : que
fixent-ils ? l’autre ? ou un ailleurs qui peut être
menaçant, l’arrivée d’Arkadina par exemple
ou de quelqu’un d’autre ? Les silences doivent
être longs et révéler ce qui se passe en eux, le
fameux sous-texte.
Puis la classe se prononce sur l’interprétation
qui lui semble la plus juste et pourquoi.
Pour finir, quelques élèves peuvent faire
entendre les pensées intérieures qu’ils ont
imaginées sous les points de suspension, en
précisant quelle hypothèse ils ont retenue.
L’affiche, premier regard sur la représentation
Activité
Analyser l’affiche de La Mouette
Objectif : découvrir la portée symbolique
de l’affiche.
b L’enseignant
demande aux élèves d’observer l’affiche du spectacle de La Mouette
(annexe 12). Relever les informations textuelles (titre, auteur, équipe artistique,
producteurs, tournée), le choix des polices
et des couleurs. Analyser la photo (Nicole
Garcia jouant Arkadina) et la position du
corps.
5. La diagonale est une ligne dont le
metteur en scène Antoine Vitez dit
qu’elle est « dramatique », c’est-à-dire
qu’elle crée une tension : « Une ligne est
dramatique dans la mesure où elle est
biaise. Les dialogues peuvent être diagonaux mais jamais latéraux », cité par Dany Porché, op. cit., p. 75.
Que peut raconter à un spectateur qui n’a pas lu
la pièce cette photo de l’actrice Nicole Garcia ?
Analyser le mouvement des bras, le corsage
porté, les franges plumetées au poignet et au
col. L’enseignant aide les élèves à découvrir la
portée symbolique de la photo à partir de leur
interprétation des différentes occurrences du
mot « mouette » dans les répliques de la pièce
(annexe 12). N’y a-t-il pas ressemblance entre
une mouette et le cliché de l’actrice ? Quels
sont les éléments de cette analogie ? Mais alors
que dans le texte de Tchekhov, c’est Nina (jouée
par Ophélia Kolb) qui est continuellement associée à une mouette, sur l’affiche c’est Nicole
Garcia jouant Arkadina qui apparaît de profil.
Que peut nous révéler ce choix : simple volonté
de mettre sur l’affiche une actrice connue du
public ? Ou plus profondément désir de représenter les rêves de Nina, devenir une actrice
connue comme Arkadina, quitte à se brûler les
ailes ? Ou intention de montrer le pouvoir de
l’ancienne génération qui occupe l’espace visuel
et empêche la jeune génération d’être visible ?
Ou encore souhait de Frédéric Bélier-Garcia
de montrer qu’il met en scène sa mère, Nicole
Garcia, dans une pièce qui traite d’un conflit
violent entre une mère actrice et son fils auteur
de pièces d’avant-garde ? Autant d’interprétations qui ouvrent les portes de l’imaginaire et
rendent sensible au choix de mise en scène de
Frédéric Bélier-Garcia (annexes 13 et 14).
9
affiche LA MOUETTE_400x600_Mise en page 1 08/10/12 13:58 Page1
novembre 2012
de Anton Tchekhov
mise en scène Frédéric Bélier-Garcia
tion
duc
Pro
avec
Nicole Garcia
Ophelia Kolb
Agnès Pontier
Brigitte Roüan
Eric Berger
Magne-Håvard Brekke
Jan Hammenecker
Michel Hermon
Manuel Le Lièvre
Stéphane Roger
production
Nouveau Théâtre d’Angers
Centre Dramatique National Pays de la Loire
LE QUAI - FORUM DES ARTS VIVANTS
du mercredi 14 au samedi 24 novembre 2012
GRAND THÉÂTRE, PLACE DU RALLIEMENT
du jeudi 14 au lundi 18 février 2013
ET TOURNÉE NATIONALE AUTOMNE-HIVER
NANTES… LA ROCHE-SUR-YON… SAINT-NAZAIRE…
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© VINCENT FLOURET
Conception et impression : Setig Palussière, Angers. 10/2012. Photographie © Vincent Flouret.
n° 153
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Après la représentation
Pistes de travail
n° 153
novembre 2012
Les souvenirs de la représentation de La Mouette
Yannick Mancel, dramaturge du théâtre du Nord, dit à propos du partage des regards entre
spectateurs après une représentation : « Au commencement est la description scrupuleuse de tout
ce qui a été vu et entendu. Aucune analyse ni interprétation n’est possible si on ne l’instruit à la
base et si on ne la déduit ensuite d’une description quasi clinique des faits, signes et symptômes.1 »
Solliciter de la part des élèves des souvenirs précis est capital car l’interprétation se fonde sur les
signes et est sujette à caution si la mémoire est faillible. La réunion de trente élèves permet de
reconstituer au plus près le souvenir de la représentation.
Activité
Écrire le souvenir d’une image
de la représentation
Objectif : mener une description
scrupuleuse du spectacle avant
toute appréciation.
b Pour
1. Mancel Yannick, « L’apprenti spectateur : portrait historique, subjectif et
utopique » dans Le théâtre et l’école :
histoire d’une relation passionnée,
Actes Sud-Papiers, 2002, p. 187-189.
Yannick Mancel revient sur ces éléments
dans Théâtre Aujourd’hui n°13 :
la scénographie, SCÉRÉN, 2012.
que la description « clinique »
devienne ludique, chaque élève © MARC ENGUERAND et ARMELLE ENGUERAND CDDS
prend un papier et, à la manière
de Georges Perec, écrit une phrase
La représentation commence par l’expression
qui commence par « je me souviens » en de la douleur de Macha adressée à Medvedenko
décrivant très précisément un souvenir visuel sous les arbres par une nuit sombre. Elle se
(lié à l’espace, au mouvement des corps, termine par une image chorale à l’intérieur
aux objets, à la lumière) et sonore (lié aux d’une maison obscure. Seules quelques lumières
bruits, aux chants, à la musique enregistrée) venant de lampes rouges sont disséminées sur
de la représentation de La Mouette.
le plateau, quatre bougies sont allumées par
Par exemple : « Je me souviens des sons d’oi- Paulina, éclairage pour une catastrophe annonseaux au début quand Macha et Medvedenko cée, le suicide de Treplev. Dans l’image initiale,
se parlent sous les arbres et que la lumière les le rideau de scène presque invisible tombe très
éclaire à peine ».
lentement au-dessus de Macha et Medvedenko
qui se trouvent dans le décor du feuillage et
b Puis chacun lit à haute voix son souvenir,
du rocher factice. Ce rideau immense annonce
ou celui d’un autre élève, et la classe écoute la pièce de Treplev. À la fin il réapparaît en
l’ensemble des souvenirs sans commentaire. descendant à chaque extrémité du plateau
côté jardin sur le bureau vide de Treplev, côté
Pour mesurer la portée symbolique des images cour sur le canapé méridienne, comme une
construites par le metteur en scène et son dernière apparition fantomatique de Treplev.
équipe, on peut questionner ensuite les élèves C’est Frédéric Bélier-Garcia et non Tchekhov
sur leur souvenir de la première et dernière qui propose ce retour du rideau de théâtre de
image de la représentation. C’est une façon Treplev à la fin de la représentation. À partir de
concrète de raconter l’histoire qu’ils ont com- ces images (initiale et finale), on comprend que
prise. L’enseignant leur demande d’être sen- Tchekhov nous raconte le destin d’hommes et
sibles aux points communs et aux variations de de femmes qui rêvent d’art et d’amour et voient
ces deux images et de les interpréter. Chacun leurs idéaux se briser. Mais si les hommes se
contribue à les reconstruire par un échange tuent, les femmes hurlent leur douleur jusqu’au
oral.
bout.
11
Le jeu amoureux
n° 153
novembre 2012
« Tchekhov compose avec La Mouette un grand cabaret de l’existence, dit Frédéric Bélier-Garcia.
Chaque personnage est introduit dans un duo (Macha/Medvedenko, Paulina/Dorn…) puis y va de
son numéro. Chacun essaie d’être aimable… tandis qu’au plus profond de lui ahane la panique
d’exister » (annexe 14).
Activité
Rejouer un instant de duo amoureux
Objectif : développer le regard du spectateur
sur le jeu physique des acteurs dirigés par
Frédéric Bélier-Garcia.
b Dans
un premier temps, l’enseignant
demande aux élèves d’écrire, sous forme d’un
schéma, la chaîne des amours : Medvedenko
aime Macha qui aime Treplev qui aime Nina
qui aime Trigorine qui aime… ? Paulina aime
Dorn qui aime… ? Comme pour l’Andromaque
de Racine, tous aiment sans être aimés en
retour. Puis en s’appuyant sur la mémoire du
spectacle, les élèves préparent par deux la
reconstitution d’un duo amoureux sous forme
d’images fixes. L’enseignant rappelle que le
dessin des corps, la gestuelle, les attitudes,
la physionomie, les regards doivent être
précis :
– Arkadina allongée au pied de Trigorine
lorsque ce dernier lui avoue son attirance
pour Nina (acte III) ;
– Macha qui frappe avec violence le dos
de Medvedenko quand ce dernier veut la
ramener dans leur maison (acte IV) ;
– Nina qui serre dans ses bras Treplev tout
en lui avouant son amour pour Trigorine
(acte IV) ;
– Macha qui se refuse à Medvedenko et se
débat dans ses bras (acte IV) ;
© MARC ENGUERAND et ARMELLE ENGUERAND CDDS
– Paulina qui dégrafe son corsage pour attirer
Dorn… (acte II).
b L’enseignant,
pendant ce bref temps de
préparation, dessine au sol une aire de
jeu de 3 x 3 m à l’aide d’un scotch blanc
et demande aux duos à tour de rôle de se
placer à l’endroit du plateau où se tenait
l’image dans leur souvenir. Ils tiennent ce
tableau vivant puis l’animent brièvement. Ils
peuvent alors émettre un son ou une parole.
b Après
chaque reconstitution sans parole,
les élèves spectateurs disent de quels
personnages il s’agit et par quel traitement
du corps le metteur en scène a montré le désir
ou la douleur des personnages. L’enseignant
aide les élèves joueurs à être précis dans
la reconstitution de la relation amoureuse
et les élèves spectateurs à analyser toutes
les variétés physiques de l’expression de la
douleur d’aimer.
Le jeu choral
« La difficulté des scènes chorales, dit Frédéric Bélier-Garcia, c’est que deux parlent pendant que
dix sont sur scène. Il faut absolument veiller à ce que les dix soient impliqués sans artifice dans
le dialogue en cours. Il faut faire monter de vrais enjeux humains pour que la scène ne relève pas
de la simple conversation » (annexe 14).
Activité
Reconstituer un tableau collectif par le
jeu et analyser deux photos de groupe
Objectif : être sensible à ce qui les rend
vivantes.
b L’enseignant
peut proposer aux élèves de
se souvenir d’une scène chorale et de la
reconstituer devant les autres. Par groupe de
dix, ils préparent ce tableau après avoir choisi
une scène collective où chacun s’attribue un
rôle. Chaque groupe présente son image
dans l’aire de jeu. L’enseignant demande
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n° 153
novembre 2012
aux élèves d’être précis dans l’attitude, les
regards, la place de chacun dans l’espace et
de tenir l’image muette quelques secondes.
Les spectateurs disent ensuite de quelle
scène il s’agit et comment « les enjeux
humains » sont visibles.
b Deux
photos de la mise en scène de
Frédéric Bélier-Garcia peuvent être observées
afin de voir comment le metteur en scène
réussit à rendre vivant ce grand groupe
(annexe 15). Les élèves observent avec
précision les regards et attitudes qui rendent
vivant l’individu au milieu du groupe.
Les expressions des visages et des corps
permettent de comprendre les enjeux de la
scène pour chaque personnage.
© MARC ENGUERAND et ARMELLE ENGUERAND CDDS
Acte I : scène du début, le groupe assiste à la
pièce de Treplev mais quelques uns n’ont pas les
yeux rivés sur le spectacle. Chamraiev (côté jardin) regarde vers la salle, signe d’ennui face à
cette pièce d’avant-garde, lui qui aime le vieux
théâtre et les acteurs d’« avant le déluge »,
comme le lui dit Arkadina. Sorine s’inquiète des
réactions de sa sœur qu’il voit lever les bras en
signe de désapprobation, Paulina n’a d’yeux que
pour Dorn côté cour. Quant aux autres, leurs
yeux convergent vers Nina et le spectacle.
© MARC ENGUERAND et ARMELLE ENGUERAND CDDS
Fin de l’acte IV : tous sont regroupés autour du
jeu de loto mais seuls Trigorine et Chamraiev
regardent le jeu. Arkadina, la mère, et Macha,
l’amoureuse, regardent Treplev. Paulina adresse
un regard noir de jalousie à Arkadina. Quant à
Dorn, il semble regarder de façon nonchalante
le duo Treplev-Arkadina ou… dormir comme
Sorine qui se trouve sur le canapé à l’arrière.
L’enseignant peut aussi rendre les élèves sensibles à l’équilibre du plateau visible dans ces deux
photos, équilibre dont tout metteur en scène connaît les lois et qu’il doit particulièrement rechercher dans les scènes collectives.
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La bande sonore
n° 153
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André Serré est le concepteur son de La Mouette et a commencé avec Patrice Chéreau dans les
années 1970. Ils ont été les premiers à proposer des sons venant du décor : « Avant La Dispute mise
en scène par Chéreau, le son venait exclusivement de la salle. Avec Chéreau on a inventé le son
du décor. Dans La Dispute, le rideau s’ouvrait sur une forêt et on a mis le bruit de la forêt. Cela a
été une révolution. Au théâtre l’œil guide l’oreille. Si l’image est sur scène, le son est sur scène.
Ce sera aussi le cas dans la mise en scène de La Mouette.2 »
À la question du choix des bruits réalistes et des musiques suggérés par Tchekhov dans les didascalies, André Serré répond : « Il y a des sons inscrits dans le texte : les musiques de l’autre côté du
lac, des gens qui jouent du piano… la tempête sur le lac… Mais le son est subjectif et je ne vais
pas tout faire entendre : je sais par exemple qu’il y aura des aboiements des chiens car ils énervent Sorine et doivent aussi énerver le spectateur. Quant aux musiques, elles viendront de toutes
les époques, antérieures ou postérieures à Tchekhov mais rien de russe… Ce que j’aime dans une
bande-son c’est que, même si elle est faite de plein de petits bouts, elle ait une cohérence et que
le public ait l’impression qu’elle a été écrite pour le spectacle. »
Activité
Écrire une liste de souvenirs sonores
Objectif : comprendre la fonction du son.
b L’enseignant
demande aux élèves de faire
une liste de tous les sons dont ils se souviennent et de préciser leur intensité (fort
au 1er plan ou plus lointain au 2e plan). Il
peut ensuite relire avec eux les didascalies
initiales de Tchekhov (annexe 9 et repérer
les sons qui relèvent de l’auteur et ceux
qui ont été choisis par l’équipe artistique.
Enfin il leur demande de se questionner
sur la fonction des sons entendus et d’en
choisir un pour chacune des trois fonctions
ci-dessous, en sachant bien que le bruit réaliste a souvent une portée symbolique pour
Tchekhov.
– Créer un effet de réel
Ainsi les bruits d’oiseaux du début créent un
effet de réel et, comme le dit André Serré,
correspondent à ce que le spectateur a sous
les yeux : deux êtres sous les arbres, près de
rochers, un soir.
– Accroître la tension dramatique
La musique enregistrée (Variations Enigma
d’Elgar)­ accompagne à chaque fois le déplacement du décor mais aussi la grande tension
2. Propos recueillis par l’auteur.
dramatique à la fin de chaque acte. Tchekhov
le disait lui-même : « Je termine chaque acte
comme mes récits : je le conduis doucement,
paisiblement et, à la fin, pan ! sur la gueule
du spectateur. » Ainsi Macha avoue à Dorn son
amour pour Treplev à la fin de l’acte I. L’acte III
se clôt sur le premier baiser entre Trigorine et
Nina. Le choix d’Elgar, musique très lyrique
et quasi cinématographique, est une traduction sonore puissante de l’émotion voulue par
Tchekhov à ces moments-là et rappelle les
formes opératiques et cinématographiques que
connaît bien Frédéric Bélier-Garcia.
– Apporter une lecture symbolique
de la pièce
Le bruit du vent (voulu par Tchekhov au début
de l’acte IV) crée évidemment un effet de réel
mais a surtout une portée symbolique. C’est à
une violente et dernière tempête dans les cœurs
que nous assistons. Le drame s ‘achève. Macha
essaie d’échapper à l’étreinte brutale de son
mari et, dans une valse de plus en plus rapide
avec sa mère, dit son souhait d’« arracher » de
son « cœur » l’amour pour Treplev. Nina, entre
rire et larmes, serre une dernière fois Treplev
tout en lui disant son amour pour Trigorine.
Sorine attend la mort allongé sur la méridienne
et, à l’image de Firs dans La Cerisaie, semble
déjà oublié de tous. Quant à Treplev, il se suicide. Finie la tempête. Silence sur le plateau.
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La fonction des objets
n° 153
novembre 2012
« Il ne faut pas mettre sur scène un fusil si personne n’a l’intention de s’en servir », dit Tchekhov.
Dans la mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia, il y a un nombre considérable d’objets qui servent
le jeu et contribuent à recréer de façon authentique une époque révolue. Mais l’abondance d’objets
sur scène est peut-être aussi un signe d’ironie face à l’esthétique réaliste.
© MARC ENGUERAND et ARMELLE ENGUERAND CDDS
Activité
Suivre la vie d’un objet sur scène
Objectif : apprécier la fonction des objets
au théâtre.
b L’enseignant
rappelle que, dans les didascalies de Tchekhov (annexe 6), un certain
nombre d’objets sont présents, objets dont
ne tient pas toujours compte le metteur en
scène. Ainsi des objets datés : le croquet
(jeu de l’époque de Tchekhov) disparaît,
la tabatière de Macha est remplacée par la
cigarette… Les élèves écrivent sur un papier
le nom d’un objet dont ils se souviennent.
L’enseignant rappelle au préalable le sens
de l’objet : devient objet au théâtre tout
élément manipulé par l’acteur (objet certes,
mais aussi accessoire du personnage, élément de décor ou morceau de costume).
Chacun place dans un chapeau le nom de son
objet puis les élèves à tour de rôle sortent
un papier, lisent le nom de l’objet, le décrivent rapidement disent par qui et de quelle
manière il est manipulé. Enfin, ils émettent
une hypothèse sur sa fonction. Les élèves
peuvent aussi découvrir combien la mise en
scène de Frédéric Bélier Garcia est proche de
l’esprit tchekhovien avec une forte présence
d’objets réalistes qui ont une fonction symbolique. Très souvent l’élément le plus banal
révèle, par l’usage qu’en font les acteurs,
désir et souffrance des personnages.
Quelques exemples :
– la corde au milieu du plateau avec laquelle
joue Macha et qui est aussi manipulée par
Paulina dans une sorte d’autoflagellation ;
– le verre d’alcool partagé par Macha avec
Trigorine, signe de sa souffrance de ne pas être
aimée par Treplev ;
– les feuilles mortes cueillies puis jetées une à
une par Treplev quand il parle de l’amour filial
de sa mère dont il doute ;
– la mouette jetée au pied de Nina par Treplev
comme symbole de sa douleur et qui reparaît
empaillée à la fin comme une image de la mort
symbolique de Nina ;
– le col du costume de Paulina qu’elle dégrafe
violemment pour séduire Dorn ;
– la fleur donnée par Nina à Dorn et détruite par
la jalouse Paulina.
Pour prolonger cette recherche, on peut, à
titre de comparaison, regarder quelques photos
de la mise en scène d’Arthur Nauzyciel (Pièce
(dé) montée n° 148) d’où toute trace d’objet
a disparu. L’enseignant questionne les élèves
sur cette opposition entre les deux mises en
scène : d’un côté chez Frédéric Bélier-Garcia
une pléthore d’objets réalistes, de l’autre chez
Arthur Nauzyciel une disparition totale des
objets qui évoque plutôt un monde de morts
que de vivants.
15
La scénographie : une mise en abîme du théÂtre
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« La Mouette parle d’une mise en abîme du théâtre, dit Sophie Perez. Entre l’histoire de la mère et
du fils, ça ne parle que de réinventer le théâtre. Il faut que la scénographie soit envisagée comme
un objet de théâtre relatant l’histoire des codes théâtraux et l’idée de la modernité » (annexe 8).
Certes les meubles, les objets sont authentiques et relèvent d’une esthétique réaliste que le travail
de l’éclairagiste accentue. Ainsi le clair-obscur du dernier acte semble vraiment venir des objets
lumineux du décor, appliques, lampes, bougies. Mais la scénographie, elle, est bien une machine
de théâtre qui éloigne le spectateur de toute illusion.
© MARC ENGUERAND et ARMELLE ENGUERAND CDDS
Activité
Reconstruire les éléments et mouvements
du décor
Objectif : comprendre l’évolution et le fonctionnement de la scénographie.
b Par
groupe de cinq, l’enseignant demande
aux élèves de reconstituer avec des croquis
l’évolution de la scénographie au cours des
quatre actes. Quelques groupes présentent
l’évolution du décor.
Un sol noir suggère la brillance d’un lac ou d’un
parquet, délimite l’aire de jeu et est entouré
de feuilles mortes rougeoyantes. Le décor est
composé d’un immense rideau de scène et
de cinq éléments mobiles qui sont déplacés
pour se joindre ou se disjoindre dans l’espace.
Trois d’entre eux glissent sur le sol : le décor
de feuillages et rochers et les deux éléments
qui ressemblent à des
parties de pièces (salon
et bureau). Deux autres
éléments descendent
des cintres : une porte
(avec des dorures et
deux appliques rouges)
et un élément composé
de trois cadres-fenêtres
en bois brut. Les acteurs
se déplacent de façon © STÉPHANE TASSE
très libre et non réaliste d’un élément à l’autre.
L’espace change quatre fois. Le décor de
feuillages et rochers de la pièce de Treplev,
fermé par un rideau qui disparaît dans les
cintres, est retourné à la fin de l’acte et placé
côté jardin (acte I). Le spectateur voit alors
une sorte de déjeuner sur l’herbe avec corde,
balançoire, nappe recouverte de coussins et
de bouteilles, fermé au lointain par les trois
cadres-fenêtres (acte II). Puis les deux parties
de pièces de la maison avancent ainsi que la
porte et viennent créer un angle côté cour. Une
table et des chaises occupent le côté jardin.
Avant la rencontre entre Treplev et sa mère, le
décor change à nouveau et les deux pièces de
la maison se disjoignent : le salon côté jardin
légèrement en arrière et le bureau côté cour plus
proche de l’avant-scène. La porte aux appliques
disparaît au lointain (acte III). Enfin l’espace
est totalement fermé sous forme rectangulaire : le salon glisse côté cour, le bureau côté
jardin (parallèles aux
coulisses), la porte
aux appliques rouges
au centre et les trois
cadres-fenêtres légèrement au lointain.
Le rideau de la pièce
de Treplev tombe.
Les personnages sont
totalement enfermés,
la maison a avancé
16
progressivement et emprisonné ceux qui voulaient partir (acte IV).
b L’enseignant
n° 153
novembre 2012
demande ensuite aux élèves
de chercher un argument qui révèle que
toute la scénographie est une mise en abîme
du théâtre (et pas seulement quand il est
question de jouer la pièce de Treplev). Au
préalable l’enseignant peut lire et commenter
avec les élèves l’extrait de l’entretien de
Sophie Perez. Voici quelques arguments :
– l’importance du rideau qui est inspiré de
l’histoire du théâtre russe et de la mise en
scène de Stanislavski ;
– le décor factice de la pièce de Treplev
(arbres et rochers) ;
– les murs de la maison qui évoquent aussi
des châssis de théâtre ;
– le jeu avec les nombreux cadres vides qui
trouent les cinq éléments mobiles et qui
peuvent être des portes, des fenêtres mais
aussi des cadres de scène. À travers eux,
les personnages espionnent, regardent des
scènes qu’ils ne devraient pas voir ;
– le déplacement à vue des meubles et
des objets par des machinistes qui sont
aussi ponctuellement acteurs (ils viennent
d’ailleurs saluer) et des acteurs qui sont
machinistes ;
– le décor qui s’avoue décor de théâtre
puisqu’il est déplacé, déconstruit et reconstruit à vue et que le spectateur ne voit que
des murs coupés ou des pièces tronquées.
Si les objets, les beaux meubles d’époque mis en
lumière par Roberto Venturi entraînent le spectacle vers ce que Vitez appelait « un réalisme
enchanté », la scénographie en revanche repose
sur un jeu de construction et de déconstruction
qui éloigne du réalisme et affirme la modernité. Ce mélange radical d’esthétiques fait bien
résonner le propos de Tchekhov sur l’opposition
entre formes anciennes et formes nouvelles.
L’évolution du personnage à travers le costume
« Nina a quatre costumes, dit Catherine Leterrier. On a marqué le temps. À la fin, elle a un corset
sous sa robe : elle est devenue une femme marquée par la vie. »
© MARC ENGUERAND et ARMELLE ENGUERAND CDDS
Si l’espace évolue, les costumes aussi, signe du temps qui passe. Nina passe de « l’amour sororal »
pour Treplev à un « amour événement » pour Trigorine, selon une distinction de Roland Barthes
citée par Georges Banu 3. De l’espace de son enfance (les bords du lac) Nina part dans les grandes
villes, prend le train…
Nina est le seul personnage dont on peut dire qu’elle change vraiment : la toute jeune fille du
début, rêvant d’amour et de théâtre, devient une femme qui part tenter sa chance sur les scènes de
théâtre, a un enfant de Trigorine, enfant qui meurt, puis est abandonnée par son amant.
3. Banu Georges, op.cit.
17
Activité
Observer deux costumes de Nina
(annexe 16)
n° 153
novembre 2012
Objectif : être sensible à l’évolution d’un
personnage à travers ses costumes.
b L’enseignant
demande aux élèves d’ana­
lyser l’évolution de Nina à travers deux de
ses costumes : costumes de l’acte I et de
l’acte IV pour qu’ils mesurent l’évolution du
personnage en l’espace de deux ans.
Si à l’acte I elle est encore une toute jeune
fille (costume aux couleurs claires, robe courte,
sans manche et légère qui laisse voir beaucoup
de chair), le costume de l’acte IV est long,
plus sombre, recouvre le corps, sauf la poitrine
et le cou entouré d’un foulard rouge, signe de sensualité. La robe a des rayures qui rappellent
celles des costumes de l’actrice admirée de
Nina, Arkadina. Un corset invisible soutient
et enferme le corps moins libre qu’à l’acte I.
Le manteau semi-long est recouvert de taches
blanches qui peuvent évoquer la mouette à
laquelle Nina s’identifie. La chevelure et le
maquillage viennent accentuer cette transformation : les cheveux assez libres du début sont
tirés et tenus par un chignon à la fin et les yeux
non maquillés finissent charbonneux.
La construction du personnage par l’acteur
À la question : « Comment avez-vous construit le personnage de Macha ? » Agnès Pontier répond :
« Je pense toujours à Macha comme si j’étais elle. Je regarde dans la rue les filles habillées en
noir et qui cultivent cette façon de se vêtir. J’essaie d’avoir une vision globale de l’évolution de
Macha qui apparaît toujours en début et fin d’acte et ponctue la pièce. Sous son costume noir je
cherche la vie, le pétillement, la ferveur. Certes elle se morfond mais, si je vais dans le sens du
texte, cela peut devenir linéaire. Je l’imagine au contraire exaltée, lisant la poésie amoureuse de
Louise Labbé. Sous le costume noir, serré et couvrant tout le corps brûle un feu intérieur. Je joue
contre le costume qui pourrait évoquer une femme asexuée. »
Activité
Écrire la lettre de l’acteur à son personnage
Objectif : comprendre le lien entre l’écriture
de Tchekhov, la psychanalyse et la direction
d’acteurs de Frédéric Bélier-Garcia.
b L’enseignant
demande aux élèves d’écrire
la lettre de l’acteur à son personnage et de
choisir l’un des quatre jeunes : Éric Berger
écrivant à Medvedenko, Agnès Pontier à
Macha, Manuel Le Lièvre à Treplev, Ophélia
Kolb à Nina.
La lettre doit révéler les choix de l’acteur dirigé
par Frédéric Bélier-Garcia pour incarner son personnage et s’appuyer sur des souvenirs précis
du jeu de l’acteur. Comme s’il était son double
conscient, l’acteur écrit au personnage peu
conscient de ses actes et paroles et lui révèle
pour quelles raisons il l’incarne ainsi (actions,
manières de parler, pensées intérieures, passage
d’une émotion à l’autre sans transition, évolution, mouvements dans l’espace).
L’enseignant précise que la psychanalyse est
née à la même époque que La Mouette et que
Tchekhov se tient constamment informé des
travaux de Freud. Il n’est pas surprenant alors
qu’il crée des personnages aussi peu maîtres de
leurs paroles et de leurs gestes et dont nous
nous sentons si proches aujourd’hui. Pour analyser cette écriture du non-dit et voir comment
Frédéric Bélier-Garcia traduit cette inconscience
du personnage, l’enseignant demande aux
élèves de se souvenir de moments où un personnage agit sans savoir ce qu’il fait (Arkadina
dit « Pourquoi ai-je blessé mon pauvre petit
garçon ? ») ou parle à une personne et pense
complètement à quelqu’un d’autre (l’actrice
Ophélia Kolb — Nina — se jette dans les bras
de Manuel Le Lièvre — Treplev — à l’instant
même où elle dit aimer toujours Trigorine).
Tchekhov, lui, proposait cette étreinte seulement à la fin de leur échange. La cruauté
inconsciente de Nina est mise en valeur par la
mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia : Nina
ne voit pas que ses mots et gestes sont en train
de précipiter le suicide de Treplev.
b Les
élèves font entendre au reste de la
classe un extrait de leur lettre. Celles-ci
circulent enfin dans la classe pour être lues
par tous.
18
Bibliographie
n° 153
novembre 2012
Banu Georges, « Ruptures dans l’espace de La Mouette », dans Le Texte et la Scène, Institut d’études
théâtrales, 1978.
La scénographie, Théâtre Aujourd’hui n° 13, SCÉRÉN, 2012.
Mancel Yannick, « L’apprenti spectateur : portrait historique, subjectif et utopique », dans Le théâtre
et l’école : histoire d’une relation passionnée, Actes Sud-Papiers, 2002.
Nabokov Vladimir, Tolstoï, Tchekhov, Gorki, Stock, 1999.
Nemirovski Irène, La vie de Tchekhov, Albin Michel, 1989.
Pastoureau Michel, L’étoffe du diable, une histoire des rayures et des tissus rayés, Éd. du Seuil, 2003.
Porché Dany, 10 rendez-vous avec Yannis Kokkos, Actes Sud/ANRAT, 2005
Stanislavski Constantin, Ma vie dans l’art, Éditions l’Âge d’Homme, 1980.
Stein Peter, Mon Tchekhov, Actes Sud, 2002.
Tchekhov Anton, La Mouette, préface de Patrice Pavis, traduction de Antoine Vitez, Actes Sud/
Librairie Générale Française, 1999.
—, La Mouette, traduction André Markowicz et Françoise Morvan, Actes Sud/Labor/Lemeac, 1996.
« Stanislavski/Tchekhov », Alternatives théâtrales, numéro 87, octobre 2005.
Vinaver Michel, Écritures dramatiques, Actes Sud, 1993.
Filmographie
La petite Lili, Claude Miller, adaptation de La Mouette avec Nicole Garcia et Bernard Giraudeau,
2002.
Partition inachevée pour piano mécanique, Nikita Mikhalkov, adaptation à l’écran de Platonov, 1977.
La Mouette, Youli Karassik, Russie, Potemkine K, 1972.
Ce dossier a été élaboré dans le cadre du PRÉAC
(Pôle de Ressources pour l’Éducation Artistique et Culturelle Théâtre Angers-Nantes)
Nos chaleureux remerciements à Frédéric Bélier-Garcia, directeur du NTA et metteur en scène,
ainsi qu’à ses collaborateurs, qui ont permis la réalisation de ce dossier dans les meilleures conditions.
Tout ou partie de ce dossier sont réservés à un usage strictement pédagogique
et ne peuvent être reproduits hors de ce cadre sans le consentement des auteurs et de l’éditeur.
La mise en ligne des dossiers sur d’autres sites que ceux autorisés est strictement interdite.
Comité de pilotage
Jean-Claude LALLIAS, professeur agrégé,
conseiller Théâtre, département Arts et Culture, CNDP Patrick LAUDET, IGEN Lettres-Théâtre
Cécile MAURIN, chargée de mission Lettres,
CNDP
Marie-Lucile MILHAUD, IA-IPR honoraire
Lettres-Théâtre
Responsable de la collection
Jean-Claude LALLIAS, professeur agrégé,
conseiller Théâtre, département Arts et Culture, CNDP
Auteur de ce dossier
Dany PORCHÉ, professeure de Lettres, formatrice
Directeur de la publication
Florence CABRESIN, directrice du CRDP de l’académie de Nantes
Responsabilité éditoriale
Cyril ROY
Secrétariat d’édition
Sandrine BERCIER
Maquette et mise en page
Lydia BOILEAU, d’après une création d’Éric
GUERRIER, CRDP de l’académie de Paris
© CRDP académie de Nantes, novembre 2012
ISSN : 2102-6556
ISBN : 978-2-86628-461-1
Retrouvez sur4http://crdp.ac-paris.fr l’ensemble des dossiers « Pièce (dé)montée »
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Annexes
Annexe 1 : fiche technique
n° 153
novembre 2012
Dates des représentations de La Mouette
ANGERS : Le Quai du 14 au 24 novembre 2012 et au Grand Théâtre du 14 au 18 février 2013
NANTES : Le Grand T du 27 novembre au 5 décembre 2012
LA ROCHE-SUR-YON : Le Grand R les 10 et 11 décembre 2012
SAINT-NAZAIRE : Le Théâtre les 13 et 14 décembre 2012
TOURS : Le Nouvel Olympia du 17 au 21 décembre 2012
LA ROCHELLE : La Coursive les 15 et 16 janvier 2013
MARSEILLE : Le Théâtre du Gymnase du 22 au 26 janvier 2013
LYON : Théâtre des Célestins du 30 janvier au 10 février 2013
Durée estimée : 2 h 30
Distribution
Avec : Nicole Garcia, Ophélia Kolb, Agnès Pontier, Brigitte Roüan, Éric Berger, Magne-Hävard
Brekke, Jan Hammenecker, Michel Hermon, Manuel Le Lièvre, Stéphane Roger.
Scénographie : Sophie Perez et Xavier Boussiron
Costumes : Catherine Leterrier et Sarah Leterrier
Lumières : Roberto Venturi
Son : André Serré
Collaboratrice du metteur en scène : Valérie Nègre
Traduction : Antoine Vitez (Éditions Actes Sud/Le livre de Poche)
Affiche : Vincent Flouret
20
Annexe 2 : Acte III (extraits)
n° 153
novembre 2012
« Ça m’est égal, je n’ai pas honte de mon amour pour toi. (Elle lui baise les mains).
Mon trésor, tête folle, tu veux faire des bêtises, mais je ne veux pas, je ne te laisserai pas… (Elle rit). Tu es à moi… Tu es à moi… Ce front est à moi, et ces yeux
à moi, et ces beaux cheveux de soie sont aussi à moi… Tu es tout à moi. Tu as tant
de talent, d’intelligence, tu es le meilleur de tous les écrivains d’aujourd’hui, tu es
l’unique espoir de la Russie… tu as tant de sincérité, de simplicité, de fraîcheur,
d’humour sain… »
La Mouette
© Actes Sud, 1984, p. 86.
« Tant mieux je n’ai pas honte de mon amour pour toi. (Elle lui baise les mains).
Mon trésor, ma tête brûlée, tu veux faire des folies, mais moi, je ne veux pas, je ne
te laisserai pas… (Elle rit). Tu es à moi… À moi… Et ce front, il est à moi, et ces
yeux, ils sont à moi, et ces cheveux splendides, ces cheveux soyeux, ils sont aussi à
moi… Tu es tout à moi. Tu es si doué, si intelligent, le plus grand des écrivains de
notre temps, tu es le seul espoir de la Russie. Tu as tant de sincérité, de simplicité,
de fraîcheur, d’humour salubre… »
La Mouette
© Actes Sud / Labor / Lemeac, 1996, p. 90.
Annexe 3 : Les personnages
Irina Nikolaievna Arkadina, Mme Treplev par mariage
actrice
Constantin Gavrilovitch Treplev
son fils, jeune homme
Piotr Nikolaievitch Sorine
son frère
Nina Mikhailovna Zaretchnaia
jeune fille, fille d’un riche propriétaire terrien
Ilia Afanassievitch Chamraiev
lieutenant à la retraite, intendant chez Sorine
Paulina Andreievna
sa femme
Macha
sa fille
Boris Alexeievitch Trigorine
homme de lettres
Evgueni Sergueievitch Dorn
médecin
Semion Semionovitch Medvedenko
instituteur
Iakov
homme de peine
21
Annexe 4 : Acte III (extraits)
n° 153
novembre 2012
Treplev : Ces derniers temps, ces jours-ci, je t’aime aussi tendrement et totalement que dans
mon enfance. À part toi, il ne me reste personne. Mais pourquoi cet homme s’est-il mis entre
toi et moi ? [ndlr : il parle de Trigorine]
Arkadina : Tu ne le comprends pas, Constantin. C’est une personnalité très noble…
Treplev : Pourtant, quand on lui a fait savoir que j’avais l’intention de le provoquer en duel,
sa noblesse ne l’a pas empêché d’être un lâche. Il s’en va. Il fuit honteusement.
Arkadina : Quelle absurdité ! C’est moi qui lui demande de partir. Notre relation, évidemment,
ne peut pas te faire plaisir, mais tu es intelligent et cultivé, j’ai le droit d’attendre de toi que
tu respectes ma liberté.
Treplev : Je respecte ta liberté, mais permets-moi aussi d’être libre et de me comporter envers
cet homme comme je veux. Une personnalité très noble ! Nous voilà presque à nous disputer
tous les deux à cause de lui, et pendant ce temps-là il est quelque part au salon ou dans le
jardin en train de se moquer de nous… il fait l’éducation de Nina, il essaie de la persuader
définitivement qu’il est un génie.
Arkadina : Tu te délectes à me dire des choses désagréables. J’estime cet homme et je te prie
de ne pas dire du mal de lui en ma présence.
Treplev : Moi, je ne l’estime pas. Tu veux que je le considère moi aussi comme un génie, mais
pardonne-moi, je ne sais pas mentir, ses œuvres me donnent la nausée.
Arkadina : C’est de la jalousie. Les gens sans talent mais prétentieux n’ont pas d’autre
ressource que de nier les talents véritables. Rien à dire, c’est une consolation !
Treplev ironique : Les talents véritables ! (Avec colère). Si on en est là, alors j’ai plus de talent
que vous tous ! (Il arrache son bandeau). C’est vous, les routiniers, qui avez accaparé la première place dans l’art, et vous ne tenez pour légitime et véritable que ce que vous faites
vous-mêmes, le reste vous l’opprimez, vous l’étouffez. Je ne vous reconnais pas. Je ne reconnais ni toi ni lui.
Arkadina : Décadent !...
Treplev : Retourne à ton théâtre bien-aimé, va-t’en jouer tes pièces misérables, dérisoires.
Arkadina : Je n’ai jamais joué de pièces comme ça. Laisse-moi ! Toi, le moindre vaudeville
tu n’es pas capable de l’écrire. Bourgeois de Kiev ! Parasite !
Treplev : Avare !
Arkadina : Loqueteux ! (Treplev s’assied et pleure doucement). Nullité. (Allant et venant avec
agitation). Ne pleure pas. Il ne faut pas pleurer… (Elle pleure). Il ne faut pas… (Elle lui
baise le front, les joues, la tête) Mon enfant chéri, pardon… Pardonne à ta mère coupable.
Pardonne-moi, je suis malheureuse.
La Mouette, traduction d’Antoine Vitez
© Actes Sud, 1984, p. 82-83
22
Annexe 5 : Entretien avec Catherine Leterrier,
costumière
n° 153
novembre 2012
Est-ce que Frédéric Bélier-Garcia vous a proposé
une époque pour les costumes de La Mouette ?
Catherine Leterrier : Frédéric n’aime pas les
faux culs, les tournures, les cols durs, les
manches gonflées car il ne veut pas gêner les
acteurs dans leur jeu physique et souhaite que
le public s’identifie facilement aux personnages. Donc on ne respecte pas l’époque. On est
plutôt dans un mélange d’époques. Frédéric ne
voulait pas non plus que ces costumes évoquent
la Russie.
Apparemment vous vous êtes inspirée du peintre
Vuillard ?
C. L. – Oui, Frédéric a été très intéressé par
Vuillard. Dans La Mouette les personnages sont
au début pleins d’espoir, ils sont plutôt dans
des couleurs et tissus unis. Puis petit à petit,
comme la vie ne leur permet pas de réaliser
leurs rêves, on a trouvé intéressant que les
imprimés des costumes deviennent de plus en
plus présents et donnent l’illusion d’entrer dans
les imprimés du décor.
Comme si les personnages s’effaçaient dans le
décor ?
C. L. – Oui, comme chez Vuillard où l’on voit
émerger des gens qui sont enserrés dans un
décor aux impressions fortes. Il fallait qu’entre
le décor et les imprimés des costumes ça
coince, ça s’agresse : les personnages semblent
coincés entre les impressions du décor et ceux
de leurs costumes.
Dans La Mouette il y a des personnages de la
campagne comme Chamraiev, Medvedenko et
ceux de la ville comme Arkadina et Trigorine.
À quoi le voit-on dans votre création de costumes ?
C. L. – Pour Arkadina et Trigorine, Frédéric nous
a dit de « faire nouveaux riches » surtout à
l’acte IV. Les costumes de Chamraiev et de
Medvedenko seront en revanche assez ravaudés.
Mais même avec Arkadina on est resté dans la
simplicité car Frédéric n’aime pas les détails. On
a cherché plutôt une ligne. Pas de bouillonné
ni de nœuds. On a aussi fait des liens entre
des personnages comme Arkadina et Nina qui
l’admire et voudrait lui ressembler : on a créé un
costume avec de grosses rayures pour Arkadina
(les rayures étant la marque des personnages
hors de la société, bagnards comme acteurs)
et à l’acte IV Nina, devenue une petite actrice
ratée, porte aussi des rayures.
Certains personnages ont plusieurs costumes :
par exemple Nina qui change beaucoup entre
le I et le IV.
C. L. – Nina a quatre costumes. On a marqué le
temps. À la fin, elle a un corset sous sa robe,
elle est devenue une femme marquée par la vie.
Vous vous occupez aussi des dessous ?
C. L. – Oui, les silhouettes avec corsets semblent
plus anciennes et coincées que les silhouettes
avec soutien-gorge.
Et les accessoires ?
C. L. – Quelques réticules, le panama de Dorn
mais pas de chapeaux de femmes. Frédéric ne
veut pas trop marquer l’époque.
23
Annexe 6 : PHOTOS DE quelques COSTUMES
n° 153
1
2
3
4
5
6
7
8
9
novembre 2012
10
Photos des costumes de La Mouette © dany porché
24
Suite de l’annexe 6 noms des personnages associés aux costumes
n° 153
1
2
3
novembre 2012
Nina
Chamraïev
4
5
6
Medvedenko
Macha
7
8
Sorine
10
Dorn
Treplev
Paulina
9
Trigorine
Arkadina
25
Annexe 7 : Les personnages et leurs costumes
n° 153
novembre 2012
Macha [qui répond à la question de Medvedenko : « Pourquoi êtes-vous toujours en noir ? »]
« C’est le deuil de ma vie. Je suis malheureuse… Ce n’est pas une question d’argent. Un
pauvre peut être heureux. » Medvedenko à Macha
« Je ne gagne que vingt-trois roubles par mois, et on me retient encore là-dessus pour la Caisse de retraite, pourtant je ne porte pas le deuil. »
Sorine à Arkadina
« Ce serait si bien de s’arracher, ne fût-ce qu’une heure ou deux, à cette existence de goujon. »
Arkadina à son frère Sorine
« Si, j’ai de l’argent, mais je suis actrice ; rien que les toilettes, c’est une ruine. »
Paulina à Dorn
« Evgueni, mon très cher, mon chéri, prenez-moi avec vous… Notre temps passe, nous ne
sommes plus jeunes, et au moins à la fin de notre vie ne plus nous cacher, ne plus mentir… »
Dorn à Paulina
« J’ai cinquante-cinq ans, c’est trop tard pour changer de vie. »
Treplev à Nina
« Je suis solitaire, je n’ai pour me réchauffer aucune affection, j’ai froid comme dans un souterrain. »
Trigorine à Nina
« Quand je serai mort, mes amis, en passant devant ma tombe, diront :
- Ici repose Trigorine. C’était un bon écrivain, mais il écrivait moins bien que Tourgueniev. »
Nina à Trigorine
« J’ai pris une décision irrévocable, le sort en est jeté, je ferai du théâtre. »
Chamraïev à Arkadina
« Chère madame, vous ne savez pas ce que c’est qu’une exploitation agricole. »
26
Annexe 8 : Entretien avec Sophie Perez scénographe
n° 153
novembre 2012
Vous avez conçu une scénographie qui fait
cohabiter intérieur et extérieur, un intérieur
qui phagocyte petit à petit l’extérieur : un lac
idéalisé, lieu d’une enfance merveilleuse, extérieur qui va être progressivement avalé par la
maison…
Sophie Perez : La Mouette parle de la mise en
abîme du théâtre. Entre l’histoire de la mère,
l’actrice Arkadina, du fils, Treplev, jeune auteur
de théâtre qui a l’idée d’un théâtre moderne,
ça ne fait que parler de réinventer le théâtre.
À partir de là, la scénographie proposée est
réversible : la maison est représentée par des
châssis mais les châssis seront aussi des châssis
de théâtre quand ils seront retournés. Il n’y a
pas le lac mais il y a l’île. Tout est induit et
tout est réversible. On a vraiment travaillé sur
ce qui constitue le théâtre d’un point de vue
archaïque, d’un point de vue scénographique
aussi. Il y a un intérieur qui est très réaliste
mais en même temps on voit les châssis qui
sont apparents. Tout peut se moduler : ce qui
est une pièce de la maison peut devenir un
bout d’île. L’île peut devenir la moquette d’un
intérieur. Il faut que cette scénographie soit
envisagée comme un objet de théâtre relatant
l’histoire des codes théâtraux et l’idée de la
modernité…
Aucune époque précise ne se dégage de cette
scénographie ?
S. P. – Non, mais il y a des notions esthétiques,
il y a l’histoire de la Russie et du théâtre russe
de l’époque. Par exemple, je me suis inspirée,
pour le grand rideau de scène, de la première
mise de scène de La Mouette où Stanislavski
utilisait des toiles peintes avec des arbres
et, dans notre scénographie, il y a un rideau
avec de la marqueterie de tissus. En fait notre
scénographie s’inspire de l’histoire du théâtre
et de l’histoire de La Mouette et de toutes
ses représentations dont la première, celle de
Stanislavski.
Comment avez-vous traité le sol ?
S. P. – Les îlots sont recouverts de moquette
mais ils vont être jonchés de feuilles mortes
(toujours la confusion entre intérieur et extérieur et la réversibilité possible). Il y a comme
une histoire des saisons complètement inversée, renversée puisque la végétation est assez
luxuriante, mais il y a des feuilles mortes qui
jonchent le sol, et le sol qui pourrait être de
la moquette d’intérieur. Tous les thèmes esthétiques sont comme chamboulés ou inversés.
Le sol est composé d’îlots qui peuvent changer
de place comme dans un puzzle ?
S. P. – Oui, ces changements rendent compte
des époques où les personnages se retrouvent
(deux ans s’écoulent entre l’acte III et l’acte
IV), de la manière dont les choses changent
sans vraiment changer d’ailleurs. On sent dans
La Mouette un héritage, un poids : un héritage
terrible et magnifique, qu’on porte tous. La
Mouette parle de la manière dont les choses se
modulent tout en restant malheureusement ou
heureusement identiques.
Est-ce vous qui pensez les costumes ?
S. P. – Quand je travaille avec Frédéric, je fais
les costumes car j’aime penser à tout mais là
c’est quelqu’un d’autre qui s’est occupé des
costumes, quelqu’un de plus traditionnel. Les
costumes évoqueront probablement la fin du
xixe, le début du xxe. Et comme ce parti pris
daté était là pour les costumes c’était bien
d’être plutôt sur une évocation générale du
théâtre dans la scénographie.
Quelles seront les couleurs dominantes de la
scénographie ?
S. P. – L’intérieur de la maison ressemble à des
casemates avec du papier peint. C’est vraiment
la Russie, la datcha avec une accumulation de
rideaux, de peintures, de tapisseries, de guéridons. L’intérieur est très chargé, très réaliste. Je
voulais que l’intérieur des maisons soit réaliste
comme au cinéma puisqu’on a une abstraction
de l’espace.
27
Annexe 9 : Didascalies initiales des quatre actes
Didascalie initiale de l’acte I
n° 153
novembre 2012
Coin de parc dans la propriété de Sorine.
Une large allée partant du public et traversant le parc jusqu’à un lac est barrée par une estrade hâtivement dressée pour un spectacle d’amateurs, si bien que le lac est entièrement invisible. À droite et
à gauche de l’estrade, des buissons. Quelques chaises, une petite table. Le soleil vient de se coucher.
Sur l’estrade, derrière le rideau baissé, Iakov, avec d’autres ouvriers ; on entend tousser, frapper des
coups de marteau. Macha et Medvedenko arrivent sur la gauche, revenant de promenade.
Medvedeno : « Pourquoi êtes-vous toujours en noir ?
Macha : C’est le deuil de ma vie. Je suis malheureuse »
Didascalie initiale de l’acte II
Un terrain de croquet.
Au fond, à droite, la maison, avec une grande terrasse ; à gauche on voit le lac, dans lequel un soleil
étincelant se reflète. Parterres de fleurs. Midi. Il fait chaud. A côté du terrain, dans l’ombre d’un vieux
tilleul, Arkadina, Dorn et Macha sont assis sur un banc. Dorn tient sur ses genoux un livre ouvert.
Didascalie initiale l’acte III
La salle à manger dans la maison de Sorine.
Portes à droite et à gauche. Un buffet. Une armoire à pharmacie. Au milieu de la pièce, une table.
Une valise et des cartons ; préparatifs de départ. Trigorine déjeune. Macha est debout à la table.
Didascalie initiale l’acte IV
Un salon dans la maison de Sorine, transformé par Constantin Treplev en cabinet de travail.
À droite et à gauche, des portes donnant sur les pièces intérieures. En face, une porte vitrée donnant sur la terrasse. Outre le mobilier habituel d’un salon, il y a un bureau dans le coin à droite, un
divan turc près de la porte de gauche, une bibliothèque, des livres sur les rebords de fenêtres, sur les
chaises. C’est le soir. Le salon n’est éclairé que par une lampe à abat-jour. Pénombre. On entend le
bruit des arbres et le hurlement du vent dans la cheminée. Le gardien de nuit frappe ses palettes de
bois. Entrent Medvedenko et Macha.
Annexe 10 : CADRES de scènes
28
Annexe 11 : Acte III (extraits)
n° 153
novembre 2012
« Trigorine (rentrant) : J’ai oublié ma canne. Elle doit être là-bas, sur la terrasse.
(Il se dirige vers la porte de gauche et rencontre Nina qui entre). C’est vous ? Nous
partons.
Nina : Je sentais que nous nous reverrions (Émue). Boris Alexéiévitch, j’ai pris une
décision irrévocable, le sort en est jeté, je ferai du théâtre. Demain, je ne serai plus
ici, je quitte mon père, j’abandonne tout, je commence une nouvelle vie… Je m’en
vais, comme vous… à Moscou. Nous nous verrons là-bas.
Trigorine, (après un regard autour de lui). Descendez « au bazar slave »… Prévenezmoi tout de suite… Rue Moltchanovka, maison Grokholski… Je me dépêche…
Un temps
Nina : Non, encore une minute…
Trigorine : à mi-voix. Vous êtes si belle… Oh ! quel bonheur de penser que nous
nous verrons bientôt ! (elle se penche sur sa poitrine). Je verrai encore ces yeux
merveilleux, ce sourire inexprimablement beau et tendre… ces traits si doux, l’expression de la pureté angélique… Ma chérie… »
Baiser prolongé
La Mouette, traduction d’Antoine Vitez
© Actes Sud, 1984, p. 88-89.
29
Annexe 12 : L’Affiche du spectacle
affiche LA MOUETTE_400x600_Mise en page 1 08/10/12 13:58 Page1
novembre 2012
de Anton Tchekhov
mise en scène Frédéric Bélier-Garcia
tion
duc
Pro
avec
Nicole Garcia
Ophelia Kolb
Agnès Pontier
Brigitte Roüan
Eric Berger
Magne-Håvard Brekke
Jan Hammenecker
Michel Hermon
Manuel Le Lièvre
Stéphane Roger
production
Nouveau Théâtre d’Angers
Centre Dramatique National Pays de la Loire
LE QUAI - FORUM DES ARTS VIVANTS
du mercredi 14 au samedi 24 novembre 2012
GRAND THÉÂTRE, PLACE DU RALLIEMENT
du jeudi 14 au lundi 18 février 2013
ET TOURNÉE NATIONALE AUTOMNE-HIVER
NANTES… LA ROCHE-SUR-YON… SAINT-NAZAIRE…
TOURS… LA ROCHELLE… MARSEILLE… LYON
renseignements / réservations 02 41 22 20 20
www.lequai-angers.eu
© VINCENT FLOURET
Conception et impression : Setig Palussière, Angers. 10/2012. Photographie © Vincent Flouret.
n° 153
30
n° 153
novembre 2012
Répliques dans lesquelles figure le mot « mouette »
Nina à Treplev (acte I) « Mon père et ma mère ne veulent pas que je vienne ici. Ils disent que c’est la bohème ici…
ils ont peur que je devienne actrice… Mais je suis attirée par ce lac comme une mouette…
Mon cœur est plein de vous. »
Treplev à Nina (acte II)
« J’ai eu la bassesse de tuer cette mouette aujourd’hui. Je la dépose à vos pieds… C’est
comme ça bientôt que je me tuerai moi-même. »
Trigorine à Nina (acte II)
« Un sujet m’est venu à l’esprit… : au bord d’un lac, depuis son enfance vit une jeune fille,
comme vous ; elle aime le lac comme une mouette, elle est heureuse et libre comme une
mouette. Mais par hasard un homme est passé, l’a vue et, par désœuvrement, il la fait périr
comme une mouette. »
Trigorine à Nina (acte III)
« Il y a huit jours, vous portiez une robe claire… Nous avions parlé… il y avait une mouette
blanche sur le banc. »
Treplev à Dorn (acte IV)
« Elle (Nina) signait la Mouette… dans ses lettres, elle répétait sans cesse qu’elle était une
mouette. »
Chamraïev à Trigorine (acte IV)
« Un jour, Constantin Gavrilovitch avait tué une mouette et vous m’aviez chargé de la faire
empailler. »
Nina à Treplev (acte IV)
« Je suis une mouette… Non ce n’est pas ce que je veux dire. »
31
Annexe 13 : Note d’intention de Frédéric Bélier-Garcia
n° 153
novembre 2012
Tchekhov compose avec La Mouette un grand
cabaret de l’existence, chaque personnage est
introduit dans un duo (Macha-Medvedenko,
Treplev-Sorine, Dorn-Paulina…) puis y va de
son numéro. Chacun essaie d’être aimable, de
faire l’aimable tandis qu’au plus profond de lui
ahane la panique d’exister, qu’on essaie de faire
taire en babillant, braillant, chantant. Comme
cet enfant qui, obligé d’aller chercher quelque
chose à la cave, chante de plus en plus fort pour
disperser les fantômes et les peurs. Qu’as-tu fait
de ta vie ? Et des promesses premières ? La question est toujours effroyable, aussi imparable
qu’un matin blême. Ici chacun y est convoqué,
la fuit, la contourne, s’y fracture, s’étouffe dans
l’anorexie progressive du présent, s’exaspère à
attendre alors qu’il sait qu’il n’y a rien à patienter, et sort de scène en espérant que les autres
« ne garderont pas un mauvais souvenir ».
Raconter La Mouette, c’est mettre en acte cette
grande bataille immobile qu’est la vie, où tout
est déjà « trop tard ». Chacun poursuit un
amour, une ambition, une chimère qui se dérobe
quand il croit la tenir. Dans La Mouette, le rêve
est toujours au plus proche, prêt à emporter
chaque être vers le meilleur, mais les personnages, comme de grands oiseaux incapables
de voler, demeurent dans ce décor, dans ce
théâtre, qui se flétrit sur eux, en eux au fil des
actes et des années. Et en bout de piste, les
personnages semblent attendre une fête qui n’a
pas eu lieu. Pour finir comme les silhouettes
de Vuillard par s’effacer dans le motif mural.
Mettre en scène Tchekhov, c’est s’éprouver à
l’humilité de Tchekhov, comme un pianiste joue
les variations Goldberg. Une humilité foisonnante de ressources, de détails, de couleurs.
La vérité y est tant dans les mots que dans
l’infime variation météorologique, le reflet d’un
lac, un courant d’air, la couleur d’un tissu. La
modestie de Tchekhov tient dans son inquiétude
de l’entre-deux : tenir en même temps la voie
symbolique (le lac, le théâtre, la mouette, le
noir de Macha…) et la veine naturaliste, comme
si l’affaire humaine se tenait dans cette gravité
subtile des choses et des êtres pris entre leur
poids matériel et leur destination poétique.
La Mouette, plus que toutes ses autres pièces,
porte cette ambiguïté à sa quintessence.
32
Annexe 14 : Entretien avec Frédéric Bélier-Garcia
metteur en scène
n° 153
novembre 2012
Tchekhov est un des rares auteurs qui a su
rendre vivante une communauté de personnages
(une dizaine en l’occurrence pour La Mouette),
communauté familiale où chaque personnage a
sa place très définie. Mais ces scènes chorales
sont particulièrement délicates à mettre en jeu.
Frédéric Bélier-Garcia : La difficulté de ces
scènes chorales, c’est que deux parlent pendant
que dix sont sur le plateau. Il faut alors veiller
à ce que les dix soient impliqués sans artifice,
que chacun se trouve une implication dans le
dialogue en cours. Il faut faire monter de vrais
enjeux humains dans le dialogue, que ce ne soit
pas de l’ordre de la conversation. Ainsi au début
de l’acte II, il y a les deux êtres faibles de la
pièce, Medvedenko et Macha, qui sont rabroués
dans le dialogue et, pour que leur vexation soit
plus forte, il faut qu’elle ait lieu en public. Mais
chaque personnage du chœur doit réagir à cette
humiliation de manière vivante.
L’autre question posée par l’écriture de Tchekhov,
c’est ce qu’on appelle le sous-texte, ce qui n’est
pas dit mais que doivent imaginer l’acteur et le
metteur en scène pour faire comprendre ce qui
est dit. Dans la scène entre Trigorine et Nina
(fin de l’acte III) par exemple où les points de
suspension sont nombreux, comme très souvent
chez Tchekhov, vous semblez imaginer que, derrière cette hésitation de Trigorine, il faut voir
une gêne de retrouver Nina à la fin de l’acte III
qu’il a finalement assez vite oubliée.
F. B.-G. – Dans la pièce, tout n’est pas écrit.
L’histoire de Trigorine et de Nina se décompose
en trois scènes. La nature de leur amour est
en grande partie laissée à l’interprétation des
acteurs et du metteur en scène. On sait que
ces trois scènes se terminent par un baiser (fin
de l’acte III) et on sait ce qu’il advient à Nina
(par Treplev à l’acte IV). Mais qu’aime Nina en
Trigorine ? Est-ce lui qu’elle aime ou la gloire
qu’il représente ou ce mode de vie mondain et
moscovite. Du point de vue de Trigorine aussi
il y a des doutes sur l’importance qu’il accorde
à cet amour pour Nina. Tchekhov n’appréciait
pas l’interprétation de Trigorine par Stanislavski
qu’il trouvait trop élégant, trop « dragueur ».
Il ne voulait pas d’un Trigorine « homme à
femmes » mais plutôt pris dans ses problèmes
littéraires. Tchekhov proposait que Trigorine
ait des chaussures trouées et un pantalon à
carreaux. Trigorine est effectivement un terrien,
qui aime manger (début acte III), pêcher…
Pour revenir au passage que vous évoquez,
on ne sait si Trigorine revient dans la maison
vraiment pour voir Nina et donne le prétexte de
la canne à pêche oubliée ou s’il vient effectivement rechercher sa canne à pêche et a déjà
oublié le rendez-vous avec Nina.
La deuxième hypothèse est sans doute plus
intéressante car elle crée une grande tension
entre Nina qui ne rêve que de Trigorine et
Trigorine qui l’a déjà oubliée. Revenons à votre
distribution : vous choisissez, pour jouer l’actrice Arkadina, votre mère Nicole Garcia très
connue aussi dans le monde du cinéma. La
notoriété de l’actrice Nicole Garcia vous permetelle de suggérer la célébrité dont le personnage
Arkadina dit connaître ?
F. B.-G. – Je ne veux pas jouer sur la notoriété
mais plutôt sur des générations d’acteurs. J’ai
choisi deux générations d’acteurs : l’une qui a
commencé dans un théâtre d’avant-garde dans
les années 1970 et a eu progressivement une
notoriété au cinéma (ceux qui jouent Arkadina,
Sorine, Paulina) et la génération plus jeune
(ceux qui jouent Medvedenko, Treplev, Nina et
Macha) composée d’acteurs sortis des conservatoires en même temps et qui font des recherches
surtout dans le domaine théâtral. L’histoire de
la Mouette est une histoire de générations : le
triomphe des parents qui refusent de passer la
main, la victoire d’une génération passée sur la
génération présente.
33
Annexe 15 : Le jeu choral
n° 153
novembre 2012
© MARC ENGUERAND et ARMELLE ENGUERAND CDDS
© MARC ENGUERAND et ARMELLE ENGUERAND CDDS
34
Annexe 16 : L’évolution du costume de Nina
n° 153
novembre 2012
© DANY PORCHÉ
© DANY PORCHÉ
© STÉPHANE TASSE
© STÉPHANE TASSE
© STÉPHANE TASSE
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