PHILIPPE QUINTON
pour une recherche d’effets. Pourtant, les conceptions usuelles et
persistantes (héritées de Kant) placent l’esthétique dans un absolu en
rapport avec le beau et l’universalité du jugement de goût, ou encore
l’harmonie. Les objets esthétiques de l’organisation doivent donc se
situer dans ce grand écart épistémologique. Mais s’ils opèrent à
l’évidence dans des territoires, des moyens d’identification, des
composantes d’une identité et plus localement des systèmes de
communication situés, ils n’y sont pas enfermés.
Cette question de l’esthétique des organisations concernant des
acteurs, des faits et des objets matériels très divers, on se limitera aux
designs –en tant que processus et résultats pris comme objets de
recherche– et en particulier ceux qui se rapportent aux
communications graphiques (identification visuelle, signalétique,
éditions papier et web, vidéos, expositions, etc.). Il convient d’abord
de s’extraire des débats obsolètes et réducteurs sur art et esthétique ou
art et communication, pour observer comment l’esthétique
s’accommode et se nourrit de la stratégie, de quelle manière elle se
met au service de l’argumentation et de l’influence.
Herman Parret6 parle d’une “esthétisation de la pragmatique” en
s’intéressant aux “franges esthétiques des discours”, ce qui peut nous
inviter au passage à considérer le sensible comme une forme de
discours, et prêter attention à ses manifestations non-verbales les plus
discrètes dans la communication, dans la mesure où elles fournissent
des supports et des marges de manœuvres essentielles aux médiations.
Enfin, Jean Caune7 précise que l’esthétique ne se confine pas à
l’artistique, d’autres objets ou mises en actes peuvent tout aussi bien
supporter une relation esthétique et porter des émotions ou des
savoirs. Avec lui, on peut déplorer qu’après Kant la limitation “du
sens commun au goût et du goût au jugement esthétique” ait été
favorisée, ce qui ne peut que réduire nos approches de ces notions. En
communication, la dimension esthétique se dilue dans les principes de
cohérence, d’identification, d’efficacité, de différence, de pertinence
ou d’originalité, etc., plus facilement applicables aux messages de
l’organisation. Cette orientation esthétique est partie prenante d’une
nouvelle forme d’universalité.
6 H. PARRET, L’esthétique de la communication. L’au-delà de la pragmatique,
Bruxelles, Ousia, 1999.
7 J. CAUNE, Esthétique de la communication, Paris, PUF, coll. “Que sais-je ?”,
n° 3259, 1997.