LE GRAND LARGE DANS LES POLITIQUES ETRANGERES DU GENERAL DE GAULLE ET DE FRANCOIS MITTERRAND Sous la direction de Monsieur Frédéric RAMEL, Professeur des universités Aymeric DUREZ La recherche d’un équilibre entre politique européenne et politique du « grand large » est une constante dans la politique extérieure française.1 Résultant de la situation géographique le débat stratégique entre priorité continentale et expansion outre-mer traverse les époques et les régimes, depuis la constitution du premier empire colonial français jusqu’à nos jours.2 Mais après 1945, l’avènement des Etats-Unis comme première puissance occidentale a imposé le lien transatlantique comme une nouvelle priorité stratégique dans le cadre de la guerre froide. Depuis lors, la politique française peut s'appréhender à travers trois cercles d’appartenance3: Europe: correspond à l’environnement immédiat de la France, trouve son incarnation institutionnelle dans l'Union européenne. Transatlantique : correspond au partenariat global noué avec les Etats-Unis, trouve son incarnation institutionnelle dans l’Alliance atlantique et l’OTAN. Grand large: correspond aux zones d'outre-mer ou la France exerce une l'influence particulière, trouve son incarnation institutionnelle dans l'Organisation internationale de la Francophonie. Cette thèse se propose donc d'étudier à la fois les transformations de la politique française du grand large et les changements d'articulation entre la politique du grand large et les deux autres cercles d'appartenance sous deux présidences. Si la problématisation du sujet se rattache aux Relations internationales à travers une étude du changement, notre travail s'appuie sur une recherche historique. Il s'agit donc de dépasser la séparation entre "historiens des relations internationales et politologue spécialiste des Relations internationales"4 en réalisant une histoire diplomatique éclairée par les théories des Relations internationales, ou si l'on préfère une analyse théorique étayée par une recherche empirique. Concrètement, 1 Jacques Bainville, Histoire de France, Edition Tallandier, 2007 [1924], 566p. Éric de la Maisonneuve, "Vers le grand large", Revue de défense nationale, n°764, Novembre 2013. 3 Frédéric Charillon, La politique étrangère de la France: de la fin de la guerre froide au printemps arabe, Paris, la Documentation française, 2011, p.53. 4 Georges-Henri Soutou, "L'Histoire des Relations internationales", dans Thierry Balzacq et Frédéric Ramel (dir), Traité des Relations internationales, Paris, Les Presses de Science Po, 2014. 2 1 à travers un matériau historique constitué en particulier par un travail sur les archives, nous essayerons, en nous inspirant du "réalisme néoclassique", de saisir la façon dont les "les pressions du système international sont filtrées à travers les variables internes pour produire la politique étrangère.5" Résumé En prise avec des pressions contradictoires entre son environnement intérieur et extérieur au moment de son retour au pouvoir en 1958, le général de Gaulle dispose d'une marge de manœuvre réduite. Dans la mesure où seul l'appui d'une des deux grandes puissances pourrait avoir un véritable impact sur son environnement international, il cherche à jouer sur la corde du partenariat transatlantique6. Le mémorandum envoyé à D. Eisenhower le 17 septembre 1958 permet à la France d'exercer une politique de coercition entendue comme la volonté d’ « influencer le comportement d’une cible en modifiant le calcul de ses intérêts. »7 Mais en dépit des mesures prises contre l'OTAN, les Etats-Unis refusent de modifier leur politique. Le 16 septembre 1959, le général de Gaulle prononce un discours décisif en faveur de l'autodétermination de l'Algérie. Le choix d'un ajustement à l'environnement international résulte de l'affaiblissement de la position de la France dans ses trois cercles d'appartenance. Si le changement de cap conditionne le devenir de l'ensemble de la politique française du « grand large », il constitue simplement la proclamation du changement. Au final le rôle du décideur est déterminant dans le continuum du changement à travers quatre phases principales: Perception-proclamation-mobilisation des ressources-achèvement ou échec. Pour mener à son terme le changement le décideur doit saisir des alternatives8. En ce sens, la relance du projet européen à l'automne 1959 permet de faciliter la politique de « dégagement » en Algérie. Un mois après les accords d'Evian, l'échec du plan Fouchet met un terme à la politique du levier européen. La volonté de la France de se présenter comme « leader régional » bute sur l'impossibilité de figurer comme le « protecteur régional ».9 Le grand large revient alors au premier plan à la fois sous une forme 5 Randall L. Schweller, Unanswered threats. Political constraints on the balance of power, Princeton, Princeton University Press, 2006, p.6. 6 Irwin Wall, Les Etats-Unis et la guerre d'Algérie, Paris, Soleb, 2006. Matthew Connelly, L’arme secrète du FLN, Paris, Payot et Rivages, 2014. 7 Jean-Frédéric Morin, La politique étrangère: théories, méthodes et références, Paris, A. Colin, 2013, pp. 37;90. 8 Kjell Goldmann, Change and Stability in Foreign Policy: The problems and possibilities of détente, New York, Harvester Wheatsheaf, 1988, p.51 9 Kalevi J. Holsti, « National Role Conception in the Study of Foreign Policy », International Studies Quarterly Vol. 14, No. 3 (Sept., 1970), pp. 261-262. 2 défensive visant à conserver le pré-carré franco-africain de l'influence des deux grands et sous une forme plus dynamique et offensive. Si le gouvernement français se tourne en priorité vers les pays francophones, il privilégie des politiques bilatérales différenciées plutôt qu'une approche globale. Pour cette raison, la France se montre d'abord réticente envers le projet de Francophonie. C'est finalement la volonté du gouvernement Québécois de fonder sa personnalité extérieure sur une union linguistique qui modifie la position de la France mais pour le général de Gaulle, l’avènement du Québec au rang d’Etat souverain apparait comme un préalable à la mise en place de la Francophonie. A la fin des années 1970, l'avènement de la nouvelle guerre froide, marquée en particulier par la crise des euromissiles vient remettre en cause la politique de détente. François Mitterrand rompt avec la politique de son prédécesseur en soutenant publiquement le déploiement de fusées Pershing II. Cependant le président français cherche avant tout à se projeter vers le renforcement de la coopération franco-allemande. Le refus d'user du levier transatlantique se traduit également par une politique offensive en matière de grand large. La France se distingue plus fréquemment de la politique poursuivie par les Etats-Unis dans le tiers monde. Si la politique offensive du grand large permet au gouvernement socialiste de compenser son alignement sur la politique américaine, la politique traditionnelle du pré carré franco-africain n'est pas abandonnée pour autant. Cependant, dans la pratique, la tentative d'une double politique s'avère plus problématique que bénéfique. Les départs successifs de Jean-Pierre Cot et de Claude Cheysson révèlent l'échec de la tentative de changement de la politique du grand large. Après la fin de la guerre froide, la priorité européenne est confirmée. L’européanisation de la politique étrangère française, la participation à la guerre du Golfe réduisent la valeur stratégique du grand large, désormais considéré comme le « 3ème cercle » de la politique étrangère française. En même temps, la Francophonie prend une importance nouvelle puisqu'elle apparait, dans le cadre d’une diplomatie de plus en plus multilatérale, comme un levier complémentaire, et parfois alternatif du levier européen afin de "balancer" la super puissance américaine. PARTIE 1: LE CHANGEMENT AU SERVICE DU "RANG": LA POLITIQUE DU GRAND LARGE SOUS LE GENERAL DE GAULLE: Titre 1: La transformation de la politique française du « grand large » à travers la fin de l’Algérie française Chapitre 1: Le général de Gaulle et la guerre d’Algérie: une entreprise à la Sisyphe 3 Section 1 Faire face à la montée des contraintes internationales Section 2 La tentative du général de Gaulle pour mettre le cercle atlantique au service de sa politique algérienne Section 3 L’échec de la stratégie gaullienne en faveur de l’inversion de la pression internationale par l’intermédiaire des Etats-Unis Chapitre 2: Le changement de la politique du grand large Section 1: Analyse du changement. D’une politique de résistance au contexte international vers un ajustement Section 2: Rétablir le rôle du décideur dans la temporalité et la conduite du changement Section 3: De la nécessité des alternatives pour atténuer le changement et pour l’inscrire dans une certaine continuité : vers une nouvelle articulation des cercles d'appartenance Titre 2: Le "grand large" au cœur de la politique de grandeur et d'indépendance du général de Gaulle Chapitre 1: Le paradoxe du grand large: un cercle stratégique mais fragmenté Section 1: Le pré carré franco-africain au centre de la politique du "grand large" Section 2 Extension du domaine du grand large: le grand large offensif Chapitre 2: Le projet de Francophonie: vers une réinstitutionnalisation du grand large? Section 1: La France confrontée au projet de Francophonie organique Section 2: La Francophonie au nom du Québec PARTIE 2: AJUSTER SANS CHANGER: LA POLITIQUE DU GRAND LARGE SOUS FRANCOIS MITTERRAND Titre 1: La pesanteur d'un grand large défensif Chapitre 1: La politique des cercles au défi de la nouvelle guerre froide Section 1: De Valéry Giscard d'Estaing à Mitterrand l'ajustement de la politique étrangère française au nouvel environnement international Section 2: Le grand large comme variable d'ajustement d'un changement limité 4 Chapitre 2: Les ambitions déçues du grand large Section 1 L'attraction du pré carré Section 2: L'ajournement du projet de Francophonie Titre 2 Le déclin du grand large au sortir de la guerre froide Chapitre 1 Un grand large à la marge Section 1: La révision des cercles d'appartenance Section 2: Marginalisation du grand large Chapitre 2: A la recherche d'une nouvelle crédibilité du grand large Section 1: La "Paristroika": un amendement contraint du grand large défensif Section 2: La Francophonie comme instrument additionnel d'une politique de 'balancement' Bibliographie BOZO Frédéric, La France et l'OTAN. De la guerre froide au nouvel ordre européen, Paris, 1991, 227p. CHARILLON Frédéric, La politique étrangère de la France: de la fin de la guerre froide au printemps arabe, Paris, la Documentation française, 2011, p.53. GUILLOU Michel, Francophonie-Puissance. L’équilibre multipolaire, Paris, Ellipses, coll. « Mondes réels », 2005, 156p. HOLSTI Kalevi Jaako, Why nations realign: foreign policy in the postwar world, London: Allen and Unwin, 1982, 225p. NUENLIST Christian, LOCHER Anna, MARTIN Garret, Globalizing de Gaulle: international perspectives on French foreign policies, 1958-1969, Lanham, Rowman & Littlefield, 2010, 318p. ROSATI Jerel, HAGAN Jon, (dir), Foreign policy restructuring: how governments respond to global change, Columbia, S.C: University of South Carolina Press, 1994, 316p. SOUTOU Georges-Henri, L'alliance incertaine: les rapports politico-stratégiques franco-allemands, 1954-1996, Paris, Fayard, 1996, 496p. TURPIN Frédéric, De Gaulle, Pompidou et l’Afrique (1958-1974). 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