UNIVERSITE PARIS IX DAUPHINE
UFR SCIENCES DES ORGANISATIONS
Thèse présentée en vue de l’obtention du
DOCTORAT NOUVEAU REGIME ES SCIENCES DE GESTION
par Samuel MERCIER
Sujet : UNE CONTRIBUTION A LA POLITIQUE DE
FORMALISATION DE L’ETHIQUE DANS LES GRANDES
ENTREPRISES
Membres du Jury :
M. Bernard COLASSE Professeur à l’Université Paris IX Dauphine
M. Claude JAMEUX Professeur à l’Université de Savoie,
Rapporteur
M. Bernard de MONTMORILLON Professeur à l’Université Paris IX Dauphine,
Directeur de recherche
M. Yvon PESQUEUX Professeur Associé au Groupe HEC
M. Jacques ROJOT Professeur à l’Université Paris I Panthéon-
Sorbonne, Rapporteur
Date de la soutenance : 25 septembre 1997
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INTRODUCTION
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«Autant jusqu'à maintenant, ce sont des valeurs de succès individuel, de
rémunération personnelle, de développement unique des individus qui importaient et
fondaient les règles de notre société, autant, dans dix ans, c'est une morale de groupe qui
apparaîtra, assortie d'une responsabilité et d'une rétribution collectives» (Thévenet, 1985, p.
20). Dix ans plus tard, cette prédiction de Maurice Thévenet semble se réaliser : la question
éthique est entrée, depuis la fin des années 80, dans le champ de l'actualité. Dans les discours
sur la conduite des entreprises, elle accède au statut ambigu de nouvel art de management
(«art» entendu ici en son sens opératoire), comme l'avait fait avant elle le concept de culture
d'entreprise.
Confrontées à un problème, les entreprises ne sont pas seulement guidées par l'analyse de ce
qui est mais aussi par la prise en compte, souvent implicite et confuse, de ce qui leur paraît
«devoir être». Des valeurs sont donc présentes dans leurs choix et les orientent pour partie.
C'est ici qu'intervient la dimension éthique. L'engouement pour l'éthique n'est pas dû au
hasard mais aux nécessités du moment et à l'évolution des modes de pensée des dirigeants.
Cela a donc le grand mérite d'amener les entreprises à se poser quelques questions
fondamentales car leur importance prise dans la société contemporaine interdit qu'elles
s'exonèrent d'un certain nombre de responsabilités ou se dispensent de toute exigence morale
vis-à-vis de cette même société et de ses membres. Cet effet de mode a, d’autre part,
l'inconvénient de plonger sans préavis les entreprises dans des domaines non encore explorés.
Notre recherche est donc motivée par l’apparition d’un champ quasiment vierge
de tout travail empirique mais devenu l’objet de prises de position marquées : «Les
entreprises durables ont toutes une forte éthique», telle est la conviction d'Octave Gélinier
(1991, p. 9) ; de son côté, Peter Drucker (1981, p. 18) prétend que l'éthique des affaires n'est
rien de plus qu'une mode et lui donne le nom d'élégance éthique.
Cette divergence de vue peut paraître paradoxale. En effet, ce sont précisément les
Américains qui sont à l'origine de la vague éthique qui submerge l'entreprise. Cette éthique-
mania est «une création de l'idéologie de l'autorégulation libérale» (Guillon, 1994, p.1). Ce
renouvellement de la pensée libérale repose sur la constatation que la main invisible du
marché a cessé d'être souterrainement morale au travers des actions égoïstes et que son
efficacité requiert maintenant la moralité subjective des agents économiques.
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Notre travail part du constat suivant : les firmes sont de plus en plus nombreuses à
expliciter et à affirmer publiquement leur «éthique» à travers différents types de documents, à
investir des hommes et des moyens dans la réflexion et l'action concernant cette dimension.
Nous souhaitons centrer nos travaux sur ce concept de formalisation éthique.
La formalisation éthique consiste à poser explicitement, par écrit, les idéaux, valeurs,
principes et prescriptions de l’entreprise. Elle prend donc l’aspect d’un document de référence
rédigé par l’entreprise énonçant ses valeurs et comportant une dimension éthique.
Une telle préoccupation éthique semble d'autant plus urgente que le climat dans lequel se
déroulent les activités économiques et industrielles est empoisonné par la multiplication
d'affaires mettant en cause de grandes entreprises occidentales. D'après Etzioni1 (1986), les
deux tiers des 500 plus grandes firmes américaines ont été impliquées, à différents degrés,
dans une forme de comportement illégal durant la période 1976-1986.
La France qui n'est pourtant pas épargnée par cette montée de la corruption et des pratiques
illégales est certainement le pays occidental le plus attardé en matière de formalisation de
l’éthique. Toutefois, les nombreuses interrogations et incertitudes soulevées à ce sujet
témoignent de la vitalité de la réflexion qui lui est consacrée :
- l'éthique est-elle un élément supplémentaire de notoriété pour les entreprises et leurs
dirigeants qui se décernent un certificat de bonne conduite ?
- est-elle plutôt à usage interne pour créer un consensus social entre tous ceux qui travaillent
dans l'entreprise : support actif d'identification, de cohésion, de culture, par les valeurs qu'elle
propose ?
- peut-on, en outre, parler de la gestion de l'éthique, comme le fait Bergmann (1989, p. 1121)
indiquant par là que celle-ci est un instrument au service de l'entreprise ?
Ainsi, la prise en compte de la réflexion éthique dans l'entreprise suscite un débat
idéologique d’une telle ampleur que nous sommes incités à formuler plusieurs questions
fondamentales : comment se manifeste-t-elle, en France et à l'étranger, faut-il recourir ou non
à la publication des principes éthiques fondamentaux d'une entreprise, l'éthique d'entreprise
peut-elle se réduire à des codes, quelle utilité les dirigeants espèrent-ils tirer de la rédaction de
tels documents ? En d'autres termes, les outils mis en place actuellement constituent-ils une
bonne réponse à une vraie question ?
1 Cité par Saul W. GELLERMAN : "Why "good" managers make bad ethical choices", Harvard Business
Review, July-August 1986, p. 9.
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A ce propos, on peut considérer que le débat sur la formalisation de l’éthique en entreprise est
le domaine d'application par excellence de l'hypothèse de la relativité culturelle des pratiques
organisationnelles (Hofstede, 1987, p. 10). Il paraît alors pertinent de chercher à distinguer
des spécificités culturelles dans la mise en place de programmes de réflexion éthique.
En outre, plusieurs études semblent mettre en évidence l’existence d’un lien très étroit entre
éthique et culture. Ainsi, Baucus et Near (1991, p. 9) ont montré, pour certaines organisations,
la permanence dans le temps des comportements illégaux. De même, il semble que les
grandes entreprises ont plus tendance que les petites à commettre des actes illégaux ; il serait,
en effet, plus facile d'y cacher des activités illégales.
Certaines organisations semblent donc posséder une culture qui renforce l'existence d'actes
illégaux et peuvent, par là même, inciter leurs membres à considérer le comportement illégal
comme faisant partie de leurs occupations normales (Wimbush et Shepard, 1994, p. 641).
Une des solutions possibles, afin de remédier à ces dysfonctionnements, est de faire en sorte
que les comportements procèdent d'un souci éthique propre porté par l'individu et soutenu par
l'entreprise.
Hegarty et Sims (1979, p. 338) ont ainsi montré que les comportements éthiques étaient plus
fréquents quand existait une politique de formalisation éthique dans l'organisation. Ces
données ont été validées dans un contexte bien particulier mais elles permettent d'avancer
l'idée que le climat (c’est-à-dire les perceptions partagées des politiques et pratiques de
l'organisation) peut avoir un impact sur les comportements des individus, ce qui peut affecter
de façon significative la performance globale du groupe de travail.
Ce constat ne repose donc pas sur une validation scientifique mais il semble avancé par un
nombre croissant de dirigeants d'entreprises justifiant leurs investissements en matière de
réflexion éthique.
Nous allons, dans cette partie introductive, présenter les objectifs de notre
recherche ainsi que la démarche que nous avons suivie, puis nous présenterons l’architecture
de la thèse.
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