À la recherche d’un cadre conceptuel pour analyser les pratiques d’enseignement 5
non seulement des représentations des enseignements vis-à-vis de la tâche à effectuer identifiée
dans le curriculum, mais aussi de l’anticipation de la réalisation de cette tâche à partir de la planifi-
cation des activités d’enseignement-apprentissage1, de l’action effective de l’enseignant sur le rap-
port que l’élève établit au savoir par la mise en œuvre de processus de guidage, et de son apprécia-
tion rétroactive vis-à-vis de la réalisation et de la planification. Ainsi, chercher à saisir les pratiques
d’enseignement dans leur complexité est devenu le fil conducteur de nos recherches. Plus précisé-
ment encore, deux questions ont peu à peu émergé des résultats obtenus. Ces questions portent sur
deux objets qui nous sont apparus hautement problématiques, car apparemment peu considérés
dans les discours et dans les pratiques des enseignants: Quelle importance les enseignants accor-
dent-ils aux savoirs autres qu’instrumentaux (apprendre à lire, écrire, compter) dans leurs pratiques
d’enseignement? Comment ces savoirs sont-ils enseignés, c’est-à-dire quelles sont les structura-
tions des activités d’enseignement-apprentissage ou, encore, quel est le cheminement, l’articulation
séquentielle des actions et des discours des enseignants au sein de ces activités?
Le cheminement conceptuel et méthodologique que nous avons entrepris est loin d’être terminé.
Nous nous trouvons confrontés à plusieurs zones d’ombre sur les plans conceptuel et méthodologi-
que – en général comme au regard des procédures d’échantillonnage, de recueil et d’analyse des
données –, mais aussi sur les plans de l’interprétation des données et de la diffusion et du transfert
des résultats dans le milieu scolaire (Lenoir, 2006a; Lenoir, Maubant, Lebrun, Zaid, Lacourse, Oli-
veira et Habboub, à paraître). Nous sommes particulièrement conscients au sein de l’équipe de re-
cherche de l’existence d’au moins cinq obstacles sérieux dans la mise en œuvre de notre démarche
de recherche:
- celui de suivre et de respecter le point de vue de l’enseignant pour saisir pleinement la logique
de son action à travers un processus de reconstruction qui implique le praticien lui-même dans
une visée distanciée d’explicitation et de (re)construction compréhensive, ce qui nous pose des
problèmes non seulement méthodologiques, mais aussi, sinon surtout administratifs et finan-
ciers;
- celui de prendre en compte la logique de la pratique des enseignants, c’est-à-dire le rapport pra-
tique à la pratique (Bourdieu, l980) qui repose largement sur une logique de l’efficacité immé-
diate de sens commun, et non d’imposer a priori une quelconque vision théorique de la pratique
pour en rendre compte, la modélisation théorique de la pratique devant plutôt en découler de
manière à en rendre compte et à en dégager son sens, ce qui n’exclut nullement toutefois la né-
cessité d’un cadre conceptuel fort;
- celui de la nécessité d’inscrire l’analyse des pratiques dans une temporalité longue de manière à
pouvoir en saisir les particularités et les traits invariants et leurs liens aux visées socio-
éducatives poursuivies, ce qui nous pose des problèmes liés aux ressources humaines et finan-
cières, ainsi qu’aux contraintes organisationnelles;
- celui de chercher à différencier dans le discours des enseignants ce qui relève entre autres du
curriculum enseigné, du curriculum désiré ou caché, du curriculum interprété, ce qui soulève
des problèmes d’ordre méthodologique et interprétatif;
- celui de l’analyse systématique des interactions qui se tissent entre l’enseignant et les élèves à
propos des apprentissages et qui requiert également l’analyse du travail des élèves, ce qui nous
pose des problèmes d’ordre déontologique.
C’est pourquoi la présentation du cadre conceptuel et méthodologique ne représente que l’état ac-
tuel de notre approche de la question et ne vaut que par l’instantané qu’elle offre. Dans le présent
1 Nous adoptons l’expression “enseignement-apprentissage”, plutôt qu’enseignement et/ou apprentissage,
rejoignant ainsi Schneuwly (1995) qui met en évidence la perspective que Vygotsky privilégiait en recou-
rant au terme obuchenie pour caractériser le processus bi-directionnel de transmission-appropriation des
connaissances.