LES MÉTHODES D`ANALYSE DES PRATIQUES D`ENSEIGNEMENT

LES MÉTHODES D’ANALYSE DES PRATIQUES D’ENSEIGNEMENT:
UN REGARD COMPARATIF
XVIIe Congrès international de l’Association mondiale des sciences de l’éducation
Reims, du 3 au 8 juin 2012
Les représentations du curriculum d’enseignement
par des enseignants du primaire : le recours au questionnaire d’enquête
Valérie Jean, étudiante au 2e cycle
Yves Lenoir, titulaire de la CRCIE
Université de Sherbrooke
La rédaction du questionnaire ne constitue pas la première phase
d’une enquête. La première opération consiste à déterminer
l’objet de l’enquête, les problèmes à étudier et les objectifs à at-
teindre (Noelle, 1966, p. 67)
Introduction
Ce texte présente lun des dispositifs de recueil utilisé par le programme de recherche de
la Chaire de recherche du Canada sur l’intervention éducative (CRCIE): le questionnaire
d’enquête. Dans un contexte où le système éducatif québécois a été soumis à de profonds
changements au cours de la dernière décennie, les représentations sociales des ensei-
gnants ont été possiblement appelées à se modifier au regard des nouvelles finalités et
orientations du curriculum d’enseignement. Nous allons d’abord rappeler les caractéris-
tiques, apports et limites de l’usage du questionnaire d’enquête, situer le recours aux
questionnaires dans l’ensemble des travaux de la CRCIE. Nous énoncerons ensuite les
objectifs poursuivis par l’utilisation de cet instrument. Puis, nous présenterons l’échan-
tillon de la population visée par le questionnaire d’enquête, les procédures de recueil et
enfin, les procédures de traitement et d’analyse des données. Les éléments du cadre con-
ceptuel qui guident le recueil et le traitement des données sont introduits au fur et à me-
sure de la présentation des procédures méthodologiques.
Le questionnaire d’enquête par écrit
Définition
Le questionnaire d’enquête par écrit est l’une des formes indirectes de recueil de don-
es
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que Quivy et Van Campenhoudt (1995) définissent ainsi: «le chercheur s’adresse au
sujet pour obtenir l’information recherchée. […] l’instrument d’observation est soit un
questionnaire soit un guide d’entrevue» (p. 165). Ces auteurs ajoutent que l’enquête par
questionnaire «consiste à poser à un ensemble de répondants, le plus souvent représenta-
tif d’une population, une série de questions relatives à leur situation sociale, profession-
nelle ou familiale, à leurs opinions, à leur attitude à l’égard d’options ou d’enjeux hu-
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L’autre principale forme est celle du questionnaire d’entrevue qui ne sera pas abordée ici, mais qui est
aussi utilisée pour le recueil de données par la CRCIE.
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mains et sociaux, à leurs attentes, à leur niveau de connaissance ou de conscience d’un
événement ou d’un problème, ou encore sur tout autre point qui intéresse les chercheurs.
L’enquête par questionnaire se distingue toutefois du sondage en ce que ce dernier, ainsi
que le relève Van der Maren (1996), premièrement, «ne fournit qu’une image fugitive de
l’opinion publique élaborée dans le contexte des consignes et du climat dans lequel les
gens sont sondés. L’opinion livrée par les personnes interrogées n’est qu’une opinion pu-
blique: ce que chacun pense qu’il est bon de dire en public à la suite d’une question posée
à un moment donné» (p. 327). Deuxièmement, le sondage a pour visée de prédire, à partir
d’un échantillon aléatoire, les résultats pour une population entière préalablement cir-
conscrite au regard d’une question posée à un moment donné. Troisièmement, le ques-
tionnaire d’enquête, soulignent Quivy et Van Campenhoudt (1995), est plus élaboré et
consistant et vise «la vérification d’hypotses théoriques et l’examen de corrélations que
ces hypothèses suggèrent» (p. 181).
Il existe en fait de nombreuses finitions du questionnaire d’enquête. Par exemple, pour
Gagné, Lazure, Sprenger-Charolles et Ropé (1989), le questionnaire est une «tech-
nique de prélèvement des données qui consiste à soumettre les sujets à un ensemble con-
traignant de questions précises, ouvertes ou fermées» (p. 176). Selon Pourtois et Desmet
(1988), l’enquête par questionnaire est «un instrument de prise de l’information, basé sur
l’observation et l’analyse de réponses à une série de questions posées» (p. 157).
Les auteurs soulignent que la notion d’enquête est entendue «au sens d’une étude d’un
thème précis auprès d’une population dont on détermine un échantillon afin de préciser
certains paratres» (Ibid., 1988, p. 31). De même, De Ketele et Roegiers (1991) citent
«R. Ghiglione (1987, p. 127): “pour construire un questionnaire, il faut évidemment sa-
voir de façon précise ce que l’on recherche, s’assurer que les questions ont un sens, que
tous les aspects de la question ont bien été abordés”» (p. 30). Les questions sont soit à al-
ternatives prédéterminées (questions fermées), soit à réponses libres (questions ouvertes)
(Bélanger, 1977).
Caractéristiques
C’est en tant qu’instrument normalisé (standardisé) que le questionnaire d’enquête est
élaboré. Celui-ci s’adresse à un échantillon d’une population aux mêmes caractéristiques:
dans notre cas, les enseignantes du primaire œuvrant dans les écoles publiques québé-
coises. Tremblay (1968) et Grawitz (1990), par exemple, mentionnent la nécesside dé-
terminer d’avance les questions, de les valider au préalable et insistent sur le fait que tout
questionnaire doit être construit en fonction des composantes du cadre conceptuel de ré-
férence.
Duverger (1964) insiste sur la cessité d’un ordonnancement réfléchi et rigoureux des
questions. Lefrançois (1992) souligne l’importance «d’agencer les questions suivant la
logique du répondant et non celle de l’investigateur. L’idée est d’alléger autant que faire
se peut le travail du répondant de façon à maximiser la qualité des informations» (p. 261).
Un questionnaire, écrit Grawitz (1990), «doit, autant que possible, suivre un ordre lo-
gique, plus facile à retenir pour l’enquêteur et moins traumatisant pour l’enquêté, c’est-à-
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dire que les questions doivent paraître se suivre naturellement, découler en quelque sorte
d’une progression, chacune étant issue de la précédente sans rupture brusque» (p. 801).
La formulation des questions constitue aussi un enjeu majeur. Les ouvrages consultés in-
sistent en particulier sur la pertinence, la clarté et la longueur des questions, sur la simpli-
cité du vocabulaire, sur les dangers de formuler des questions ambiguës ou tendancieuses,
sources de biais évidents, mais aussi sur les dangers de contamination entre des ques-
tions.
Avantages et limites
Plus économe en temps et en énergie, le questionnaire écrit permet de rejoindre un échan-
tillon important d’une population. Il convient en fait à différentes tailles d’échantillons,
alors que l’entrevue nécessite plus de ressources (humaines, financières et temporelles),
ce qui peut dès lors s’avérer ardu quand il s’agit d’un échantillon de grande taille. Il ga-
rantit l’anonymat bien davantage, d'un point de vue perceptuel, que lentrevue, ce qui
permet au sujet de se sentir possiblement plus libre d’exprimer des opinions qu’il jugerait
non conformes aux conceptions dominantes. Il permet également d’assurer une certaine
uniformité dans les réponses obtenues. Quivy et Van Campenhoudt (1995) notent alors la
«possibilité de quantifier de multiples données et de procéder dès lors à de nombreuses
analyses et corrélations» (p. 191), ainsi que «le fait que […] l’exigence parfois essentielle
de représentativide l’ensemble des répondants peut être rencontrée» (p. 192).
Par contre, le questionnaire est aussi porteur de limites. Robert (1988) relève quatre pro-
blèmes auxquels un questionnaire est exposé: l’accès aux sujets et leur acceptation à par-
ticiper à l’enquête; la compréhension des questions; la capacipour les sujets de fournir
les informations demandées; la véracides réponses. S’inspirant des critiques et proposi-
tions formulées par Ghiglione et Matalon (1978), De Ketele et Roegiers (1991) citent
plusieurs limites de l’enquête par questionnaire:
Une limite importante a trait à la racité des réponses. Il est certain que des erreurs”
volontaires ou non sont toujours présentes dans les réponses données […]. Par ailleurs, R.
Ghiglione et B. Matalon (p. 149-150) signalent la présence de réponses instrumentales”,
c'est-à-dire de stratégies pour atteindre un but extérieur à l’enquête, celle-ci devenant
alors un moyen pour le sujet (p. 166-167).
Outre les limites déjà citées, ajoutent De Ketele et Roegiers, cela (le fait que le matériel
récolté et traité est exclusivement verbal) se pose le problème de sens. Le langage du
chercheur et celui de l’enquêté coïncident-ils? (p. 167).
C’est pourquoi Quivy et Van Campenhoudt (1995), en plus du risque de la «superficialité
des réponses» parlent de «la relative fragilité de la fiabilité du dispositif» (p. 192). Gra-
witz (1990) relève à ce propos le niveau d’information obtenu plus réduit qu’avec
l’usage de l’entrevue. Pourtois et Desmet (1988) relèvent aussi des limites concernant la
pertinence du questionnaire, l’agencement des questions, les refus (les non répondants),
etc.
Les questionnaires dans l’ensemble de la recherche CRCIE
Les différentes recherches menées ces dernières années par la CRCIE dans le domaine de
l’intervention éducative ont montré linfluence de l’interprétation du curriculum d’ensei-
gnement par les différents acteurs sur les pratiques d’enseignement (Lenoir, 2006; Le-
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noir, Maubant et Routhier, 2008). À la suite des changements survenus dans le système
éducatif québécois, les représentations préexistantes ont été remises en question et des
nouvelles se sont construites simultanément (Jodelet, 1989). Cette évolution reflète les
identités collectives et professionnelles des enseignants et a des répercussions sur les pra-
tiques d’enseignement, puisque cette interprétation et construction de la réalité condition-
nent la manière de penser et l’action qui en découle (Larose et Lenoir, 1998; Tyrlik et
Macek, 2002). C’est dans cette visée que le programme de recherche sur les pratiques
d’enseignement de la CRCIE s’est penché sur cette question avec le souci de décrire et de
comprendre les pratiques d’enseignement, mais également d’alimenter la réflexion sur les
processus de formation à l’enseignement. Recourant à différentes modalités de recueil de
données, les questionnaires s’inscrivent dans la tradition méthodologique de la CRCIE.
Ceux-ci présentent différents avantages et permettent d’accéder aux représentations so-
ciales des enseignantes à l’égard des différentes composantes du curriculum d’ensei-
gnement et de leurs pratiques.
Différents types de questionnaire
Dans le cadre des activités de recherche de la CRCIE, nous recourons à une administra-
tion directe (et non indirecte) des questionnaires, car ce sont les sujets eux-mêmes qui les
complètent. Lefraois (1992) qualifie ce mode de recueil de données de questionnaire
auto-administré. La CRCIE utilise le questionnaire écrit dans deux perspectives: premiè-
rement, recueillir auprès des enseignantes participantes des données initiales sur certains
aspects liés à l’objet d’étude afin de pouvoir utiliser les résultats pour orienter la prépara-
tion d’entrevues ou de focus groups; deuxièmement, recueillir des données auprès d’un
échantillon large de la population considérée afin de comparer les résultats obtenus à
ceux des quelques enseignants qui participent à l’ensemble de la recherche et de considé-
rer éventuellement ces résultats dans une perspective de géralisation.
La CRCIE a donc recours à plusieurs types de questionnaire écrit et d’entrevue (ques-
tionnaires d’information, de départ, de planification, de rétroaction, d’approfondissement,
etc.) afin de recueillir de l’information sur les pratiques d’enseignement à observer ou ob-
servées. Si la majorité des questionnaires sont administrés sous forme d’entrevues semi-
dirigées, le questionnaire d’enquête écrit constitue une première étape afin d’accéder pré-
alablement aux représentations sociales liées au curriculum d’enseignement ou à certains
aspects en lien avec les pratiques d’enseignement, ainsi les représentations au regard des
didactiques des disciplines.
Les objectifs poursuivis
Le questionnaire d’enquête permet de recueillir des informations se rapportant à des faits
et à des situations connus, quant aux attitudes, aux croyances, aux connaissances, aux
sentiments et aux opinions (Fortin, Côté et Filion, 2006). L’intérêt de recourir à ce dispo-
sitif de recueil pour accéder aux représentations d’enseignants à l’égard du curriculum
d’enseignement réside principalement dans la souplesse qu’il offre quant à sa structure,
sa forme et ses procédures de passation.
Le questionnaire néral de départ, que nous prenons ici en guise d’illustration, a pour
raison d’être d’obtenir un portrait général des représentations des enseignantes partici-
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pantes au regard d’éléments en amont des pratiques d’enseignement. Les résultats per-
mettent d’orienter l’élaboration d’outils ultérieurs de recueil. Ce questionnaire contient
des questions relatives à deux composantes du curriculum d’enseignement, à savoir,
d’une part, les finalités du système d’enseignement instruire, socialiser et qualifier
que le ministère de l’Éducation du Québec a octroyées en 1997 au système d’ensei-
gnement quécois (Gouvernement du Québec, 1997; Lenoir, 2009), Par finalité, nous
entendons
à la suite de Legendre (1993), un «énoncé de principe indiquant l’orientation générale de
la philosophie, des conceptions et des valeurs d’un ensemble de personnes, de ressources
et d’activités» (p. 612). Par rapport à un but, qui est un lieu, un état, un effet, etc., à at-
teindre au terme d’un processus intentionnel, les finalités apparaissent «plus abstraites et
plus générales» et elles «indiquent une direction plus qu’un aboutissement» (Bru et Not,
1987, p. 287). Les finalités sont donc des options qui explicitent les valeurs privilégiées
et qui fondent l’organisation du système éducatif. Ailleurs, Not (1984) précise que, «alors
que les buts marquent des points d’arrivée spécifiques et parfaitement définissables, les
fins indiquent plutôt le sens dans lequel un processus s’accomplit, les aspects généraux
que son accomplissement est appelé à prendre, plus que les réalisations précises aux-
quelles il aboutit» (p. 189-190) (Lenoir, 2008, p. 45-46).
D’autre part, le questionnaire aborde la place quoccupent les disciplines scolaires dans
les représentations de l’éducation scolaire par les enseignantes, par l’importance attri-
buée à l’enseignement à la finalité dinstruction en conséquence des savoirs que con-
tient le curriculum d’enseignement (Lenoir, 2011).
L’échantillonnage de la population
La population visée par le questionnaire d’enquête de la CRCIE est constituée d’ensei-
gnantes du primaire provenant de la Commission scolaire de la Région-de-Sherbrooke
(CSRS). En 2011, le questionnaire de départ a été administré aux quatre enseignantes du
2e et 3e cycle du primaire de la CSRS qui avaient alors accepté de participer. Une cin-
quième enseignante s’est jointe ensuite. Il s’agit d’un échantillon de convenance, de type
non-probabiliste, formé de sujets qui ont consenti librement et volontairement à participer
à la recherche dans sa totalité. Les critères d’inclusion pour participer étaient de deux
ordres: premièrement, être titulaire d’une classe du primaire du deuxième ou du troisième
cycle, c’est-à-dire rejoignant des élèves de 8 à 12 ans; deuxièmement, s’engager dans tout
le processus de la recherche, et, en conséquence, être disponible pour la passation des dif-
férents questionnaires écrits et d’entrevues prévus dans le cadre de la recherche, ainsi que
pour les autres activités, entre autres avec les élèves, et accepter que des activités en
français, mathématiques, univers social ou sciences et technologie soient filmées.
Procédures de recueil
Le questionnaire général de départ était précédé, lors de l’acceptation d’une enseignante
à participer aux activités de recherche, par un questionnaire d’informations qui portait sur
leurs caractéristiques socioéconomiques:
- des renseignements personnels: le nom et le prénom; le nom de l’école; le sexe; la
tranche d’âge;
- l’expérience dans l’enseignement: le statut (permanent, statut précaire, titulaire d’une
classe); le nombre total d’années d’expérience d’enseignement au primaire; le nombre
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