Lettre numérique de l’Alliance Sociale des peuples et des pays de France http://alliancesociale.free.fr/ n° 3/2014 Réforme territoriale : Un nouveau découpage nous est proposé Un nouveau découpage régional nous est proposé. Efficacité économique, économies, simplification et clarification sont mises en avant dans l’exposé des motifs de l’actuel projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République. Certaines questions préalables à tout découpage régional semblent cependant avoir été oubliées ou traitées de façon bien expéditive. Les grands bassins de mobilité Faut-il donner à la région parisienne sa vraie dimension ? N’y ayant apparemment pas songé, l’on a partagé la grande banlieue parisienne en morceaux pouvant inclure également Cherbourg, Charleville, Montbéliard ou Royan. Faut-il distinguer le Massif central ? N’y ayant pas songé l’on s’est interdit d’offrir au Limousin et à l’Auvergne la possibilité de jouer ensemble une partition originale. Doit-on centrer les grandes régions sur des métropoles ? Apparemment non. Il en est allé de même pour rendre possibles de vraies politiques de la mer. Onze régions littorales viennent en remplacer dix avec la fusion des deux Normandie. Piètre progrès ! ZEAT et métropoles en 1964 Devait-on regrouper des régions, des départements ou des bassins de vie ? L’on a tranché de la façon la plus paresseuse en regroupant des régions entières, les départements étant privés de tout droit d’option. Ce dernier aurait pu mettre à mal le Poitou-Charentes, écartelé entre Bordeaux, Nantes et Paris, ou les Pays de la Loire, pour partie armoricains et pour partie parisiens. Evoqués à propos des régions dans l’exposé des motifs, les « bassins économiques » partageant la France n’y sont pas définis. S’agissait-il seulement d’économies budgétaires ? Distinguant Paris et le Bassin Parisien et déjà composées de régions entières, les Zones d’Etude et d’aménagement du Territoire (ZEAT) définies en 1964 par le Commissariat au Plan sur la base du rapport Hautreux-Rochefort constituaient de vrais bassins économiques. L’étude de la mobilité des ménages entre 1982 et 1990 montre leur pertinence. La question du niveau intermédiaire entre les communes et les grandes régions a été traitée pardessus la jambe. L’on aurait pu opter pour de petits départements, centrés sur les villes, capables d’une grande autonomie et proches des populations. L’on a préféré retenir une intercommunalité invitée à correspondre à des « bassins de vie » dont on ne donne aucune définition. Un choix calamiteux. Les nouvelles intercommunalités devront compter au moins 20.000 habitants. Comme indiqué par ailleurs et 1 ci-dessous (Plaidoyer pour de petits départements), cela ne les empêchera pas de dissocier les villes et les campagnes. Nous aurons partout des assemblées pléthoriques et des espaces étriqués, incapables d’hériter des actuelles responsabilités départementales, lesquelles viendront encombrer les régions. Transfert à leur profit des collèges, des routes, des transports scolaires, tout est dans le projet de loi. Il n’y avait pas besoin de grandes régions pour cela. Après une parenthèse bien imparfaite, l’on en revient à la centralisation, jadis parisienne, régionale demain. La France avec ses 65 millions d’habitants compte 350 sénateurs et 577 députés, total 927. Les Etats-Unis avec leurs 300 millions d'habitants comptent 100 sénateurs et 435 représentants, total 535. La Russie ne compterait qu’une centaine de députés. Nous sommes bien la nation des assemblées mirifiques. Or apparemment tout est en place pour obtenir la même chose dans nos grandes régions et nos intercommunalités. Les assemblées régionales et locales pourront friser les 300 élus dont 50 viceprésidents. Le Grand Londres, lui, n’a que 25 élus. Le but n’étant pas en France de déconsidérer totalement les régions et les intercommunalités, que cherche notre législateur ? S’agirait-il seulement de nier qu’il puisse y avoir tutelle d’une collectivité sur une autre, toutes les communes étant présentes dans les intercommunalités et toutes les intercommunalités dans les régions de demain ? Si tel est le cas, il faut enlever au plus vite de la Constitution ce refus de toute tutelle. Question finale : que deviendra notre territoire en cas d’effondrement toujours possible du pouvoir central ? C’est cette question qui a décidé De Gaulle en mai 1968 à proposer quelques mois après une vraie régionalisation aux Français. La résilience, c’est de pouvoir passer de l’automobile au vélo. Le moins que l’on puisse dire, avec les projets actuels mettant sur les routes des milliers d’élus régionaux pour s’occuper des collèges ou des transports scolaires, c’est qu’on n’en prend guère le chemin. Saurons-nous un jour, à titre posthume, donner raison à l’homme qu’en 1969 nous avons renvoyé dans ses foyers ? ---------------------------------------------PLAIDOYER POUR DE PETITS DEPARTEMENTS Ouest-France 20 mai 2014 Oui aux grandes régions, seules aptes à équilibrer une Ile-de-France ayant satellisé de fait les régions voisines. Mais non à la suppression des départements au profit des intercommunalités. Ce sont les départements qu’il faut valoriser, en les rapprochant des citoyens et en laissant à l’intercommunalité rurale son rôle de coopération fraternelle entre communes voisines. La nouvelle carte intercommunale annoncée par Manuel Valls sera fondée sur les bassins de vie. Ceuxci devront inclure, pour éviter que la région (conseil régional) ne s’encombre des services de proximité, les lycées, hôpitaux, tribunaux d’instance, la gestion du réseau routier emprunté par les navettes domicile- travail et celle du parc de logement permettant la mobilité résidentielle. Centrés le plus souvent sur une préfecture ou une sous-préfecture, il faudra à ces bassins regrouper souvent 100 ou 200 communes. C’est hors de portée de l’intercommunalité. Limitée à 58 communes sur les 288 du département et les 514 de l’aire urbaine, l’assemblée du Grand Lyon compte déjà 155 membres, dont quarante vice-présidents. Le Grand Londres, lui, c’est vingt-cinq élus. Recouvrement rendu possible des bassins de vie, modestie des assemblées, respect des liens de voisinage entre communes : trois bonnes raisons pour amener de petits départements, et non une intercommunalité bouffie, à constituer le futur échelon idéalement situé entre la commune et la Région. En 1964, 202 bassins d’équipements collectifs dépassant le plus souvent les 100.000 habitants furent dessinés en France à l’initiative du Commissariat au Plan. Ils furent vite oubliés mais inspirèrent, en 1971, le Comité d’Etudes et de Liaison des Intérêts Bretons. Quinze pays venaient prendre le relai des cinq départements bretons. C’est dans cette voie qu’il faut avancer. Baptisé bassin, pays, district ou petit département, le nouvel échelon serait amené à jouer un rôle majeur dans notre vie quotidienne. Sa carte devra être contrôlée par la région. Ne perdons pas de vue, en effet, qu’associée aux moyens budgétaires alloués, elle commanderait l’armature urbaine de notre pays. De nouveaux bassins devront pouvoir être promus entre deux agglomérations souffrant d’une croissance trop rapide. A l’inverse de petits bassins pourront gagner à s’agréger face à de puissants bassins tendant à concentrer la croissance. Bien dimensionné, le nouvel échelon pourrait répondre à de multiples fins : -Simplification: la nouvelle institution réunira les compétences des agglomérations et des départements. Un échelon de moins. - Légèreté: les nouvelles assemblées départementales pourront ne compter qu’une vingtaine de membres. - Moindre engorgement des Régions et vraie démocratie locale : l’ensemble des équipements collectifs concernant la population pourra être du ressort des nouveaux départements. Meilleur équilibre territorial : les sous-préfectures érigées en chefs-lieux cesseront d’être marginalisées comme aujourd'hui. Quatre heureuses perspectives à expérimenter au plus tôt. Loeiz Laurent, 2014 -------------------------Chargé de 1993 à 2000 d’une mission nationale d’étude des solidarités territoriales,auteur de Petits départements et grandes régions, proximité et stratégies, L’Harmattan, 2011 2- L’As de Trèfle 3/2014 . La vertu du regard éloigné (Lévy-Strauss) Il faut sans doute, une bonne fois pour toutes, comprendre la complicité objective qui lie les peuples et leurs dirigeants dans la fuite en avant drapée dans le mot démocratie qui n’est qu’un achat fort coûteux par les puissants de l’affect des peuples. Les peuples ne comprennent évidemment rien à la comédie générale qui leur est proposée, ils en pressentent la duperie mais jouissent pour la plupart en occident d’une vie facile à laquelle ils n’ont guère envie de renoncer. Cette complicité empêche de voir la simplicité du problème et le coût abominable des multiples paravents que nous mettons nous-mêmes en place pour ne pas nous laisser pour l’instant déranger par la réalité. Car si la réalité du problème est simple, la réalité de la solution est vertigineuse et apeure tout le monde. Les paravents sont éducatifs quand on fait croire que l’accumulation de connaissance génère le discernement. Ils sont politiques quand on arrive à faire croire que l’avis majoritaire de la foule définit l’intelligence. Ils sont économiques quand on prétend qu’il existe des cycles et que tout repart toujours, alors que seule la guerre est cyclique quand elle devient la seule capable de remettre les yeux en face des trous. L’un des pires paravents économiques est la fausse croyance que nous créons des richesses à nous partager et que le PIB mesure une production alors qu’il ne mesure qu’une activité sans différencier l’activité saine de l’activité malsaine. Les diatribes actuelles entre d’un côté les pays comme l’Angleterre ou l’Espagne qui mettent la prostitution et la drogue dans le PIB et qui sont soutenus en France par le sénateur Philippe Marini, président de la commission des finances, et de l’autre l’INSEE qui continue à vouloir faire croire que le PIB est une production et qu’on ne peut y intégrer « l’immoral », ces diatribes montrent bien l’étendue du faux débat. Tout le monde sait que le PIB et la croissance ne mesurent que l’activité et qu’ils ne se soucient ni de l’origine de ce qui est vendu, ni de l’origine des fonds qui ont permis l’achat. La prostitution comme la drogue, les accidents de voiture ou les marées noires font évidemment techniquement de la croissance. Ce qui est stupide ce n’est pas de faire le lien entre la croissance et l’emploi mais de faire croire que la croissance enrichit et permet l’emploi alors qu’elle se paye et que l’unanimité est totale pour ne pas se demander qui paye. Nous ne pouvons consommer que ce que notre travail nous rapporte s’il est reconnu utile par le groupe. Ce que nous produisons n’est richesse que si c’est acheté par quelqu’un qui en a envie et qui a de quoi l’acheter. Si personne n’en a envie ou si le client potentiel n’a pas de quoi payer, la production n’est plus richesse mais encombrement ou déchet. Cette évidence simple est très dérangeante car elle limite notre consommation et nous force à nous bousculer. Elle est totalement anti électorale car elle évalue notre consommation à l’aune de notre utilité réelle. Et comment évaluer notre utilité réelle dans un groupe dont nous ne savons plus ni la taille, ni le lien, ni même s’il existe encore ? Alors pour ne surtout pas regarder la réalité en face et continuer à flatter l’électeur qui ne peut payer sa consommation, on tente de faire payer les autres et de faire payer le futur. Faire payer les autres, c’est la balance commerciale excédentaire. Chacun la veut dans ce mondialisme qui vante la liberté des renards dans les poulaillers. Chacun se croit renard et beaucoup se retrouvent poules. C’est notre cas où à force de vouloir faire payer les autres, nous payons en plus pour les autres. Nous devons retrouver le bon sens que la dernière guerre nous avait réintroduit par le Conseil National de la Résistance et par la charte de La Havane que l’ONU avait préparée mais que les USA n’ont pas ratifiée après l’avoir pourtant signée. La Charte de La Havane confirmait qu’on ne fait pas payer les autres et que les balances commerciales ne peuvent être ni excédentaires ni déficitaires. Faire payer le futur c’est l’emprunt. Il est pourtant par définition irremboursable puisqu’il n’y a création de richesse que si elle est consommée et qu’elle ne peut donc servir une deuxième fois à rembourser un emprunt. La démonstration mathématique que la somme de toutes les valeurs ajoutées de toutes les entreprises n’est égale qu’à la somme de toutes les consommations, est prudemment mise sous le boisseau pour ne pas déranger. Un emprunt remboursé est forcément un appauvrissement créé quelque part. Si l’on n’arrive pas à faire provisoirement payer les autres comme l’Allemagne, l’appauvrissement s’accumule dans les entreprises avec les conséquences que l’on constate et que les puissants appellent la crise. La guerre remet les yeux en face des trous et quand elle se termine, le bon sens reprend provisoirement le dessus. Ne pourrions-nous pas, pour remettre les yeux en face des trous, donner sa chance à notre intelligence et éviter les drames de la guerre ? Marc Dugois 2014 Le site de Marc Dugois : Sur la société http://www.surlasociete.com/author/marc-dugois 3- L’As de Trèfle 3/2014 A propos de l’accord transatlantique de commerce et d’investissement : Un avatar de la doxa libre-échangiste On a déjà beaucoup écrit sur l’accord de partenariat transatlantique de commerce et d’investissement, ou TAFTA, (pour Transatlantic Free Trade Agreement). Rappelons en l’historique et les principes. 22 novembre 1990, soir un an après la chute du mur de Berlin, la CEE (aujourd’hui Union européenne) et les Etats-Unis signent la première déclaration transatlantique dans laquelle ils s'engagent en particulier à « promouvoir les principes de l'économie de marché, rejeter le protectionnisme, renforcer et ouvrir davantage [les économies nationales] à un système de commerce multilatéral ». De 1995 à 1998, 29 Etats membres de l’OCDE, acquise aux thèses commerciales développées par les firmes multinationales, tendent de mettre en place un accord multilatéral sur les investissements (AMI) qui, face au tollé général, fut remisé jusqu’à maintenant. L’AMI avait précisément pour objectif de libérer les investissements internationaux des contraintes sociales, environnementales. L’accord de partenariat transatlantique de commerce et d’investissement, en négociation depuis 2013, en reprend l’argumentaire. Cette nouvelle version propose la suppression progressive de toutes les barrières tarifaires, notamment les normes, qu’elles soient sanitaires, juridiques ou environnementales. Les investisseurs étrangers pourront ainsi, comme le proposait déjà l’AMI, porter plainte contre les Etats qui ne respectent pas leurs engagements à leur égard. Autrement dit, les législations des Etats devront se plier aux normes du libre-échange établies sous la pression et pour le compte des multinationales européennes et américaines, sous peine de sanctions commerciales et de réparation financière. On devine aisément les conséquences de cet accord sur notre industrie et notre agriculture, notre culture déjà bien normalisée….bref, notre modèle de vie. A titre de comparaison, on se souvient que des sociétés européennes ont pu déjà « engager des poursuites contre l’augmentation du salaire minimum en Egypte ou contre la limitation des émissions toxiques au Pérou, l’Alena (Alliance de libre échange nord américaine) servant dans ce dernier cas à protéger le droit de polluer du groupe américain Renco. Autre exemple : le géant de la cigarette Philip Morris, incommodé par les législations antitabac de l’Uruguay et de l’Australie, a assigné ces deux pays devant un tribunal spécial. (Le Monde diplomatique, novembre 2013» S’il devait entrer en vigueur, les privilèges des multinationales prendraient force de loi et lieraient pour de bon les mains des gouvernants, malgré les alternances politiques et les mobilisations populaires. Cet accord transatlantique est évidemment dénoncé par de nombreux observateurs pour de multiples raisons (parce qu’il sert les intérêts américains, notamment géostratégiques, parce qu’il est négocié dans une opacité technocratique étrangère aux principes démocratiques). Mais aucun n’évoque la doxa libre-échangiste imposée depuis plusieurs décennies comme cause de ces évolutions dont cet accord n’est qu’un avatar de plus. Cette idéologie détruit les nations. Les tableaux ci-dessous sur l’évolution du commerce extérieur dans le monde sont, à ce sujet, significatifs Importations de marchandises en pourcentage du PIB (au prix de 1990) de 1870 à 1998 1950 1973 1998 France 6,1 15,2 27,7 Allemagne 4,1 17,6 36,1 Etats-Unis 3,9 6,9 13,0 Exportations de marchandises en pourcentage du PIB (au prix de 1990) de 1870 à 1998 1870 1929 1950 1973 1998 France 4,9 8,6 7,6 15,2 28,7 Allemagne 9,5 12,8 6,2 23,8 38,9 Etats-Unis 2,5 3,6 3,0 4,9 10,1 Monde 4,6 9,0 5,5 10,5 17,2 Source : Angus Maddison, L’économie mondiale, une perspective millénaire, OCDE 2001n pages 145 et 381. Pendant plusieurs siècles, les nations ont maintenu un taux d’échange international raisonnable, en dessous de 15 % de leur PIB. C’est à ce prix qu’elles étaient libres. Depuis les années 1980, ce taux ne cesse de s’augmenter. Elles dépendent, à présent, pour 30 % de leur économie, du bon vouloir des marchands et financiers internationaux. Le libre-échangiste, proposé hier comme le rempart du protectionnisme (création du GATT en 1947), est présenté aujourd’hui comme le facteur principal de la croissance (OMC, 1990) « L’économie qui n’exporte pas doit mourir » est devenue la loi libre-échangiste au mépris du droit des nations à l’autonomie économique….L’esclavage a encore de l’avenir. Janpier Dutrieux Le site de Janpier Dutrieux : Prospérité et partage http://prosperiteetpartage.free.fr/ L’As de Trèfle Lettre numérique d’information de l’Alliance sociale des peuples et pays de France L’Alliance sociale organise périodiquement des réunions de travail, des conférences, des colloques et édite des ouvrages de réflexion. Pour tous contacts, renseignements, date de réunions, demande de conférences, adhésion et dons, adresser un courriel à l’Alliance sociale : [email protected] Notez le bien : Nous vous informons de l’ouverture du nouveau site de l’Alliance sociale des peuples et pays de France à l’adresse suivante : http://alliancesociale.free.fr/ 4- L’As de Trèfle 3/2014