A contrepied de sa pratique de photographe studio, Wilfrid Gremillet s’intéresse dans un projet plus personnel aux zones péri-urbaines, donnant une visibilité nouvelle à ces espaces souvent transitoires, fonctionnels ou désaffectés. Fin observateur, le photographe cherche à attirer l’attention sur ces interstices que l’on traverse sans voir, sur ces lieux faussement vides où se côtoient mobiliers urbains, bâtiments industriels et végétation. Prises de manière frontale puis accolées les unes aux autres, ses photographies créent l’illusion de panoramas segmentés puis recomposés, propices à multiplier les perspectives et à insuffler un dynamisme dans la composition. Cette dernière est articulée autour d’un fil conducteur, le plus souvent un mur, dont la linéarité est brisée par le chevauchement des images et leur nonalignement. L’agencement d’ensemble ainsi déconstruit laisse alors apparaître des ruptures, des coupes et des décalages qui jettent un trouble et déréalisent la scène. Wilfrid Gremillet développe par ce biais une esthétique de l’ambiguïté qui, si elle emprunte à la photographie d’architecture ou de paysage, se décolle de sa plasticité documentaire en incluant une impression d’artifice. Archéologie fictive de lieux existants, ce projet en réinvente finalement la perception et suscite, chez le spectateur, de nouvelles narrations possibles. L’exposition « NoGoZone » montre toute l’étendue de ce travail sur l’objectivité (les lieux photographiés sont désignés par leurs coordonnées réelles) qui pourtant déploie des imaginaires, à travers trois champs d’évocations. Un premier groupe se focalise sur la représentation de lieux désertés au bord de la ville, quasiment perçus comme condamnés ou interdits, que Wilfrid Gremillet juge pourtant dignes d’être regardés. Ici envisagés comme des espaces doubles, ces paysages périphériques sont autant des impasses qui font obstacle que des seuils qui, au contraire, invitent au dépassement. Le contraste entre le bloc mural étiré sur toute la largeur et le ciel qui en constitue l’horizon compense en effet l’impression d’un enfermement par la possibilité d’un point de fuite infini. Extraite de cette série, la photographie en grand format donne la mesure de cette architecture disciplinaire, force l’attention sur ces paysages urbains désertés et favorise les projections narratives du spectateur. Un autre corpus opère un rapprochement entre ces espaces marginalisés et des cités perdues, au double sens d’« abandonnées » et de « sans repères ». Wilfrid Gremillet s’affirme ici comme ethno-explorateur, défricheur de sites pseudo-antiques, lancé à la recherche de graffitis, témoins d’une culture urbaine en partie soustraite à la visibilité. Abordés comme des hiéroglyphes contemporains, une langue codée qu’on peut aussi apprécier pour ses vertus esthétiques, ces tags témoignent de la présence d’artistes relégués en marge des circuits officiels et des populations oubliées dont ils sont la voix. Pour certaines de ces œuvres, la présentation dans des cadres de plexiglass renforce leur proximité avec des reliques ou des trésors déterrés, les cristallisant comme les images fossiles et précieuses de cette archéologie citadine. Une troisième famille regroupe enfin des clichés qui tous présentent une composition plus distinctement structurée, tendant vers l’abstraction géométrique. Du béton au verre en passant par le minéral, les matériaux de construction convoqués sont ici perçus comme des médiums plastiques à parts entières qui font varier les textures et confondent, dans une certaine mesure, les environnements naturel et artificiel. Les tirages aux formats moyens renforcent leur proximité avec des œuvres picturales et font du rendu graphique propre à l’architecture urbaine un écho au minimalisme et la systématicité de certaines pratiques d’Avant-garde. Avec cette exposition, Wilfrid Gremillet pose les fondements d’une pratique fondée sur observation du réel rythmée et segmentée. A l’image du diaporama Time Lapse projeté discrètement, sa photographie, bien que réaliste, ouvre sur un lieu imaginaire à habiter et à investir, un espace de liberté où se réinvente le regard et dont nul mur ne pourrait obstruer l’accès. https://www.facebook.com/wilfrid.gremillet http://www.wilfridgremillet.com Florian Gaité