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Le succès du Festival IN d’Avignon 2009
LITTORAL
WAJDI MOUAWAD
Critique artistique
IVOULA
Charlotte
1e L
Une exceptionnelle pièce de théâtre fait escale au
Théâtre de Champ-Fleuri
La Réunion peut être fière d’avoir reçu, le jeudi 25 et le vendredi 26 février 2010 au
théâtre de Champ-Fleuri, un des plus grands succès du Festival In d’Avignon 2009 intitulé
Littoral. Wajdi Mouawad, le dramaturge, était l’artiste associé et y a présenté l’intégrale de sa
trilogie : Littoral, Incendies, Forêts, dans la cour d’honneur du Palais des Papes.
Wajdi Mouawad est un auteur dramatique, metteur en scène et comédien, né au
Liban, à la fin de la guerre civile. Il quitte son pays natal avec sa famille pour partir en
exil au Canada, à Montréal, après être refusé en France, manque de papiers. Avec
Littoral il commence à connaître une notoriété internationale. Jeune artiste
mondialement reconnu pour son talent et apprécié du public, Wajdi Mouawad occupe
une place importante dans le paysage du théâtre francophone ; il est choisi pour être
associé au Festival d’Avignon 2009.
Littoral, publié en 1997, est le premier volet d’une tétralogie théâtrale intitulée
Le Sang des Promesses, suivi de Incendies en 2003, de Forêts en 2006 et de Ciels, crée
en 2009 pour le Festival d’Avignon.
« Littoral est né d’abord et avant tout d’une rencontre et a pris son sens par les
rencontres. C’est-à-dire ce besoin effrayant de nous extraire de nous-mêmes en
permettant à l’autre de faire irruption dans nos vies, et de nous arracher à l’ennui de
l’existence. » Wajdi Mouawad.
Cette pièce lui a valu le Molière du meilleur auteur francophone de théâtre en 2005, qu’il
refusera pourtant, en signe de protestation contre les pratiques de certains directeurs de
théâtres, ceux qui "jettent les manuscrits" des jeunes dramaturges ; les auteurs vivants,
face aux professionnels, sont démunis.
Sa tétralogie, présentée au Festival d’Avignon, est une saga familiale riche de personnages
en quête de leurs origines et de leurs ancêtres ; une nuit de spectacle, du crépuscule à
l’aube, soit 11 heures et 30 minutes de jeu : une grande performance pour les
comédiens et une unique expérience pour les spectateurs.
Littoral est mis en scène par Wajdi Mouawad lui-même et produit par les
troupes Au Carré de l’hypoténuse en France, et Abé Carré Cé Carré au Québec. La
pièce est jouée par une troupe de comédiens talentueux : Emmanuel Schwartz
(Wilfrid), Patrick Le Mauff (le père) qui remplace Jean-Marie Senia, Jean Alibert (le
chevalier Guiromelan), Catherine Larochelle (Simone), Tewfik Jallab (Amé),
Guillaume Sévérac-Schmitz (Sabbé), Lachsen Razzougui (Massi) et enfin, Marie-Eve
Perron (Joséphine).
Littoral est l’histoire d’un jeune homme, Wilfrid, qui apprend la mort de son
père qu’il n’a jamais connu. Il se retrouve alors avec le cadavre de celui-ci et
entreprend donc un voyage pour réaliser sa dernière volonté, celle d’être enterrer sur la
terre de ses ancêtres, son pays natal, au Liban. Mais cette terre se trouve être ravagée
par la guerre et Wilfrid a du mal à tenir son engagement. Tout se construit autour de ce
voyage initiatique et émouvant, ce voyage dans le temps, dans les souvenirs, les
vérités, un retour imminent en arrière. Par cette tragédie, Wilfrid va alors se
reconstruire et retrouver une identité propre à lui.
« Un homme cherche un endroit où enterrer la dépouille de son père ; il
retourne au pays de ses origines, où il fera des rencontres significatives qui lui
permettront de retrouver le fondement même de son existence et de son identité. Alors,
l’écriture s’est mise en marche, assoiffée, hallucinée, solitaire. » Wajdi Mouawad.
Au tout début de la pièce, la scénographie paraît simple : les six comédiens sont
plaqués sur une sorte de mur recouvert entièrement d’un papier plastique sombre et ont
des convulsions, brusques et irrégulières. Lorsqu’ils s’en détachent, leurs silhouettes
apparaissent grâce à de la peinture blanche sur leurs dos, cette même peinture présente
sur le sol, à l’emplacement de Wilfrid lors de son monologue.
Puis il y a changement, après la scène où la famille de Wilfrid se trouve d’abord dans
l’appartement de Wilfrid, puis au salon funéraire ; il y a d’ailleurs une touche
d’humour sur ce changement de lieux, comme une sorte d’ironie sur le théâtre luimême et son décor, car un des oncles est perdu entre l’appartement et le salon
funéraire (où se trouve le père derrière l’encadrement d’une porte dans le mur), alors
que tous les autres se trouvent au salon et il ne comprend pas comment ils sont arrivés
là, alors que deux minutes avant ils étaient toujours chez Wilfrid. Cette parenthèse
burlesque se voit par les jeux de lumière : blanche pour l’appartement avec l’oncle, et
violet pour le salon, avec tous les autres personnages. A la fin de cette scène, lorsque
Wilfrid s’enfuit du salon avec le cadavre de son père, sur l’indication de l’esprit de
celui-ci, la famille, paniquée par cette disparition, déchire le papier plastique sombre
qui laisse alors apparaître d’autres portes au mur.
Cette scénographie joue un rôle d’un retour en arrière, quand Wilfrid lit les lettres que
son père ne lui avait jamais envoyées, quand le passé ressuscite sous ses yeux ; les
souvenirs sombres de la guerre, passionnés de l’amour de son père et de sa mère jadis,
horribles de la mort de sa mère.
Et enfin, lors de la deuxième partie de la pièce, les comédiens renversent le mur qui
s’effondre en arrière et dévoile alors dix panneaux fortement lumineux ; la
scénographie du voyage de Wilfrid et de ses rencontres, l’avancée de ce groupe où
chacun dépend de l’espérance, de l’histoire et de la vie de l’autre.
Il y a différentes étapes de la scénographie, diverses et recherchées. Chaque
changement de décor correspond aux scènes jouées. Il y a comme une sorte de
transformation subtile de l’espace scénique pour manipuler le spectateur et, à partir de
là, construire une interprétation qui défit la logique et donc, l’attente et l’imagination
du spectateur. La scénographie est composée d’objets simples qui sont utilisés au
niveau plus complexe : le mur à plusieurs fonctions qui se dévoile peu à peu à mesure
que la pièce avance. L’espace de cette pièce devient un monde à part entière, un
univers que nous propose Wajdi Mouawad si passionnant, qu’on se sent obligé de le
suivre jusqu’au bout, sans pour autant chercher un raisonnement rationnel.
Il y a une recherche très avancée de la mise en scène, des costumes et de la
musique en fonction de l’histoire prenante de Wilfrid. Les symboles sont
nombreux parmi la « performance plastique » : la peinture blanche au départ, sur le
corps des comédiens, qui représente leurs silhouettes sur le mur et étalée par terre, puis
rouge, quand la mère accouche, mais trop fragile pour le supporter, elle meurt et se
recouvre la tête de peinture rouge qui lui dessine un voile de sang, et enfin bleue, pour
la mer (un choix minutieux des couleurs car cela fait référence au drapeau français),
lorsque le groupe accompagnant Wilfrid durant son voyage arrive à la mer, la mer
qu’il n’avait jamais vu auparavant ; et les objets multifonction, comme le balai, qui
devient micro pour l’équipe de cinéma, mais qui devient aussi une guitare, des seaux
qui jouent aussi le rôle de projecteurs. Il y a un jeu détourné des objets, volontaire,
pour rester dans le théâtre ouvert à tout.
Les costumes sont assez contradictoires : d’un côté, Wilfrid qui porte des habits
contemporains de cette époque ; puis il y a la famille, habillée comme des bourgeois
(les femmes avec des mantaux en fourrure, les hommes en costume cravate et tous
portent un couvre-chef en fourrure qui fait référence à la Russie) ; le cadavre du père
porte aussi un costume et un chapeau ; le chevalier Guiromelan, lui, est un rêve, il est
fantaisiste et est habillé comme un chevalier du temps de la Table Ronde. Le groupe
qu’il rencontre lors de son voyage est habillé tel des aventureux, mais Simone porte un
costume particulier, une robe rouge et des bottes, car c’est une gitane.
Ce qui donne encore plus de charme à cette pièce, c’est la musique, qui provoque chez
les spectateurs des émotions encore plus vives. Il y a des musiques additionnelles mais
aussi des musiques composées et interprétées par les comédiens eux-mêmes : sur scène
il y avait un clavier, des percussions et même des casseroles. Au début de la pièce, il y
a plus de mélodies jouées au piano : c’est la mélancolie, le désarroi, la tristesse. Après,
c’est la découverte, l’exploration, rythmées par les percussions. Simone, au début du
voyage, utilise sa voix pour appeler, elle chante avec cette voix de gitane, ce qui fait
beaucoup penser à la représentation de la pièce Le Cri d’Antigone de Henry Bauchau,
au Théâtre du Grand Marché, et le chant en kabyle et en arabe de Salah Gaoua. Littoral
sans musique aurait moins d’impact sur notre mental.
Cette pièce est un condensé d’arts car il y a là, la présence évidente de la
musique, de la danse et aussi un peu de la peinture, en plus du théâtre. Elle traite
principalement des thèmes de la guerre, de la mémoire et de la filiation, mais aussi de
l’exil, du voyage et de l’inconscient ; chaque spectateur interprète à sa façon le
message de la pièce et apprend des passages qui lui ont le plus marqués. Synchroniser
thèmes, arts et scénographie est un travail très minutieux et précis qui donne une
certaine concordance dépassant l’imagination du spectateur.
Dans la pièce, il y a deux parties qui se distinguent : dans un premier temps, le
récit initiatique avec le monologue de Wilfrid qui s’ouvre au juge (qui, au tout départ
est le public). Il raconte l’annonce de la mort de son père, ce qu’il faisait ce soir-là, sa
réaction et ce qu’il a ressenti : une façon pour lui de tenir le coup. Puis, il y a
l’apparition de l’équipe de cinéma, qui lui donne des indications scéniques, comme
dans un vrai tournage. Et, bien sûr, il y a l’arrivée du chevalier Guiromelan, dans le
Peep Show, toujours là quand Wilfrid l’appelle pour le protéger et pour l’aider : ce
personnage imaginaire nous ramène à la première pièce de Mouawad, Alphonse, qui
est un jeune garçon qui a disparu et lors des enquêtes, le narrateur nous apprend
qu’Alphonse avait un ami imaginaire Pierre Paul René, avec qui il vivait mille
aventures et combattait des monstres (mêmes propos évoqués dans Littoral). Tout ceci
se passe dans la tête du protagoniste. La première partie se déroule sur un rythme
effréné, entre coupures et juxtapositions de mondes imaginaires et réels.
En second lieu, c’est le voyage, l’exil, où Wilfrid va se rechercher grâce notamment à
ses rencontres. La seconde partie devient un merveilleux chant d’espoir et de
réconciliation avec la vie. Des personnages forts et attachants unissent leurs
souffrances autour de ce père mort, qui aidera chacun à renaître et vivre.
Le texte a ce côté philosophique et psychologique qui plonge immédiatement
les spectateurs dans la réflexion et il possède tout de même des touches d’humour et de
folie bien placées. Traversée par un double questionnement sur les origines et sur
l’ultime fin de la vie, la pièce aborde aussi les thèmes de la guerre, la mémoire, le rêve,
les rencontres importantes, l’amour ; ainsi que la douleur et le passé qu’on traîne
partout avec soi comme un corps mort. La transition entre le rêve et la réalité est
admirablement mise en scène : l’apparition de l’équipe de cinéma, l’enchaînement
saccadé ; l’apparition du chevalier Guiromelan, changement de ton, d’éclairage,
d’atmosphère, puis quand il repart, c’est retour à la réalité, la continuité de la pièce
comme si de rien n’était. La présence du chevalier Guiromelan, ce drôle de héros,
prouve que Wilfrid est toujours rattaché à son enfance. « Le rêve est ce qui nous donne
la force d'exister, même s'il n'existe pas. »
Le cadavre du père qui dialogue avec son fils, qui le pousse à fuir pour l’enterrer sur la
terre de ses ancêtres et qui lui raconte le passé, l’amour de sa mère et lui, le terrible
drame arrivé le jour de la naissance de Wilfrid, jour de la mort de sa mère et son
absence, et aussi l’explication de cette absence. Ce dialogue m’a orienté vers un roman
de Marc Levy intitulé Toutes ces choses qu’on ne s’est pas dites, où une femme, dont
le père est souvent absent à cause de travail, apprend sa mort. Mais celui-ci n’est pas
réellement mort : pour profiter de tout ce temps perdu avec sa fille et pour réparer ses
erreurs d’autrefois, il lui a fait croire que c’était une machine à intelligence extrême ;
alors ils discutent, font des voyages et finissent par se réconcilier au départ du père.
Littoral a aussi pour thème la relation père/fils car Mouawad a aussi beaucoup souffert
de l’absence de son père durant son enfance
Cette pièce est à la recherche du refuge, de la paix de soi-même pour Wilfrid, un lieu
de retraite pour effacer ses fautes et ses crimes pour Amé qui a tué son père sans le
savoir, un lieu où l'on pourrait s'aimer pour Joséphine, une musique où l'on peut être
soi, ne plus être avec les autres ni à la guerre pour Simone et un film où l'on peut
observer qui l'on est car cette pièce se déroule comme un film sous nos yeux. Chacun
se bat pour une mémoire perdue, chacun veut écouter et aider les autres car la douleur
des autres est la même que la notre. Ils nous font part de leurs songes, de leurs
angoisses, à leur façon.
Littoral est incontestablement une belle odyssée.
Un journaliste dit de Mouawad : « Il est le fils d’Eschyle et de Racine, de
Michael Jackson et d’un métissage libano-franco québécois. »
Dans Littoral, Mouawad réunit les grandes pièces tragiques figurées par le prédicateur
aveugle, Vazaon, l’Œdipe ayant crevé les yeux de son père. « Vazaon, l’aveugle, m’a
dit que je sauvais une mémoire. Il m’a appelé par un nom que je n’avais jamais
entendu. Il m’a dit « Bonne route, Antigone ». Joséphine. Ce qui redonne aux choses
leur caractère sacré.
Littoral est une pièce basée sur le tragique. « Aucune mort n'est anodine, c'est
d'abord la fin d'une existence qui en justifie d'autres. »
Et un clin d’œil spécial à Michael Jackson avec les chorégraphies des
comédiens, leurs synchronisations mais aussi l’effet cinématographique qui donne aux
événements les plus fantaisistes et surnaturels, une réalité frappante.
Cette troupe de comédiens hors pairs, dont la performance est énergique du
début à la fin, malgré les 2 heures et 40 minutes de jeu sans interruption, effectue avec
Littoral, une expérience unique en tant que comédiens. Ils sont à l’écoute les uns des
autres, il y a une concentration intense, ressentie par les spectateurs. Ils sont
coordonnés autant dans les mouvements, proches de la danse, que dans le jeu, ce qui
est évidemment fondamental pour l’histoire de Littoral. Leur remarquable prestation
donne davantage d’émotions, en plus de l’histoire, de la musique et de la scénographie.
Les rencontres de Wilfrid au cours de son voyage vont l’amener au littoral de la
délivrance : lorsque le groupe d’aventureux arrive au littoral et à la mer, c’est le
bonheur, la liberté car pour la plupart, ils n’ont jamais vu la mer, l’horizon qui permet
de prendre le large et de s’éloigner de tout, de la difficulté du passé. Cela m’a fait
pensé à la pièce créole Somin La Mèr de Didier Ibao, qui dénonce la société actuelle
commerciale et la relation roi/valet, et qui oublie les vraies valeurs de la vie ; et tout le
long de la pièce, le valet et le roi avaient pour objectif de voir la mer, un univers
encore inconnu pour eux et qui serait synonyme de liberté.
Wilfrid, après maintes recherches ne trouve finalement pas d’endroits correspondant à
la dernière volonté de son père, et décide de jeter le corps dans la mer. Mais le père a
peur de partir dans la mer, que tout s’arrête ici, dans cet univers inconnu pour lui, loin
de la terre, de la terre de ses ancêtres. Alors il part malgré lui, avec tous les noms des
morts qui ont construits la vie de Joséphine mais qu’elle lui abandonne pour pouvoir se
détacher du passé et construire une nouvelle vie. A la fin, le monologue du père est
émouvant, poignant et on sentait même l’émotion dans la voix du comédien (Patrick
Le Mauff). Il se prépare à partir dans cet endroit si inhabituel. La mort, c’est quelque
chose d’angoissant certes, mais surtout de très mystérieux.
La pièce se termine sur l’image du père, drapé de blanc et recouvert de peinture bleue
qui représente la mer et autour de lui, il y a tous les bagages contenant les noms des
morts ; il y a aussi l’image de Wilfrid et de Joséphine qui s’embrassent, qui sont
heureux alors que le père, lui, souffre. On ne peut pas dire que c’est une fin tragique
car le père qui part est déjà mort, ce n’est que sa conscience qui souffre. Mais c’est une
fin basée sur l’espoir car Wilfrid, à travers ce voyage et ses rencontres, a pu se
reconstruire et fonder sa propre identité, ainsi que ses compagnons de voyage : ils sont
tous libérés de leurs terribles passés, ils veulent oublier et partir de l’avant, vers
l’horizon. C’est l’espoir qui naît, et avec lui, le bonheur.
L’affiche montre la relation entre le père et le fils : le père, dont le bras,
démesurément grand, sort d’outre-tombe, traverse le crâne d’un homme qui doit être
Wilfrid. Cela prouve que le père de Wilfrid, à sa mort, agit volontairement sur le
mental de Wilfrid et le conduit alors à travers son voyage pour trouver un endroit où
l’enterrer dans son pays natal. Une discussion entre mort et vivant, entre père et fils.
Pour moi, cette pièce de théâtre est la meilleure de toutes celles que j’ai vues
auparavant depuis ma première année en option théâtre au lycée. Je n’aurai jamais pu
imaginer qu’une seule pièce pouvait réunir autant de richesses culturelles, autant
d’éléments exceptionnelles, autant de messages sur la vie et sur la mort et sur plusieurs
autres thèmes graves. Malgré les 2 heures et 40 minutes assis dans les fauteuils au
théâtre de Champ-Fleuri, je ne me suis pas ennuyée à un seul moment : moments
tristes, nostalgiques, drôles, psychologiques et philosophiques, tous sont passionnants,
et je ne compte pas le nombre de fois où les paroles, la musique et les événements de
la pièce m’ont amenée à réfléchir sur les origines mêmes de la vie, de nos ancêtres, de
la fin de tout, de la vie après la mort et de tout ce que nous, humains, ignorons encore.
Mouawad est pour moi un artiste qui a révolutionné les idées de la littérature dans le
théâtre. Mettre dans une pièce de théâtre des références aux pièces tragiques antique,
de l’histoire des chevaliers de la Table Ronde et même d’un artiste contemporain tel
que Michael Jackson, relève de la plus haute réflexion et d’une intelligence
recherchée.
Le moment des souvenirs, lors de la lecture des lettres du père de Wilfrid, est très
émouvant, surtout lorsque la mère, trop fragile pour accoucher, meurt en mettant au
monde Wilfrid. Cette image est atrocement belle car on voit la femme, avec ce voile
de sang sur la tête, partir, suivie de quelques personnes. Puis, il y a la fin, marquante
par le départ déchirant du père qui ne veut pas partir et qui a peur, cette image
paradoxale entre la souffrance du père à l’arrière plan et l’espoir de l’amour au premier
plan de Wilfrid et Joséphine. Puis il y a les techniques de jeu remarquables, comme la
transition entre le rêve et la réalité, admirablement représentée sur scène.
Un condensé d’arts pour le plaisir des yeux et des oreilles, mais surtout qui, par la
performance des comédiens, provoque chez les spectateurs des émotions vives,
graves : Mouawad nous propose de reévaluer les vraies valeurs de la vie et nous laisse
libre d’interpréter comme il nous sent les innombrables messages que contient Littoral.
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