Ce qui donne encore plus de charme à cette pièce, c’est la musique, qui provoque chez
les spectateurs des émotions encore plus vives. Il y a des musiques additionnelles mais
aussi des musiques composées et interprétées par les comédiens eux-mêmes : sur scène
il y avait un clavier, des percussions et même des casseroles. Au début de la pièce, il y
a plus de mélodies jouées au piano : c’est la mélancolie, le désarroi, la tristesse. Après,
c’est la découverte, l’exploration, rythmées par les percussions. Simone, au début du
voyage, utilise sa voix pour appeler, elle chante avec cette voix de gitane, ce qui fait
beaucoup penser à la représentation de la pièce Le Cri d’Antigone de Henry Bauchau,
au Théâtre du Grand Marché, et le chant en kabyle et en arabe de Salah Gaoua. Littoral
sans musique aurait moins d’impact sur notre mental.
Cette pièce est un condensé d’arts car il y a là, la présence évidente de la
musique, de la danse et aussi un peu de la peinture, en plus du théâtre. Elle traite
principalement des thèmes de la guerre, de la mémoire et de la filiation, mais aussi de
l’exil, du voyage et de l’inconscient ; chaque spectateur interprète à sa façon le
message de la pièce et apprend des passages qui lui ont le plus marqués. Synchroniser
thèmes, arts et scénographie est un travail très minutieux et précis qui donne une
certaine concordance dépassant l’imagination du spectateur.
Dans la pièce, il y a deux parties qui se distinguent : dans un premier temps, le
récit initiatique avec le monologue de Wilfrid qui s’ouvre au juge (qui, au tout départ
est le public). Il raconte l’annonce de la mort de son père, ce qu’il faisait ce soir-là, sa
réaction et ce qu’il a ressenti : une façon pour lui de tenir le coup. Puis, il y a
l’apparition de l’équipe de cinéma, qui lui donne des indications scéniques, comme
dans un vrai tournage. Et, bien sûr, il y a l’arrivée du chevalier Guiromelan, dans le
Peep Show, toujours là quand Wilfrid l’appelle pour le protéger et pour l’aider : ce
personnage imaginaire nous ramène à la première pièce de Mouawad, Alphonse, qui
est un jeune garçon qui a disparu et lors des enquêtes, le narrateur nous apprend
qu’Alphonse avait un ami imaginaire Pierre Paul René, avec qui il vivait mille
aventures et combattait des monstres (mêmes propos évoqués dans Littoral). Tout ceci
se passe dans la tête du protagoniste. La première partie se déroule sur un rythme
effréné, entre coupures et juxtapositions de mondes imaginaires et réels.
En second lieu, c’est le voyage, l’exil, où Wilfrid va se rechercher grâce notamment à
ses rencontres. La seconde partie devient un merveilleux chant d’espoir et de
réconciliation avec la vie. Des personnages forts et attachants unissent leurs
souffrances autour de ce père mort, qui aidera chacun à renaître et vivre.
Le texte a ce côté philosophique et psychologique qui plonge immédiatement
les spectateurs dans la réflexion et il possède tout de même des touches d’humour et de
folie bien placées. Traversée par un double questionnement sur les origines et sur
l’ultime fin de la vie, la pièce aborde aussi les thèmes de la guerre, la mémoire, le rêve,
les rencontres importantes, l’amour ; ainsi que la douleur et le passé qu’on traîne
partout avec soi comme un corps mort. La transition entre le rêve et la réalité est
admirablement mise en scène : l’apparition de l’équipe de cinéma, l’enchaînement
saccadé ; l’apparition du chevalier Guiromelan, changement de ton, d’éclairage,
d’atmosphère, puis quand il repart, c’est retour à la réalité, la continuité de la pièce
comme si de rien n’était. La présence du chevalier Guiromelan, ce drôle de héros,