209 •Le récit
Étudier la position du narrateur
6. Identifier la position du narrateur
par rapport à l’histoire
Texte A
Toute la Cité est maintenant réveillée. Les couloirs
sont remplis de fourmis messagères thermiques qui
s’empressent de réchauffer la Meute. Pourtant à cer-
tains carrefours on trouve encore des citoyennes
immobiles. Les messagères ont beau les secouer, leur
donner des coups, elles ne bougent pas.
Elles ne bougeront plus. Elles sont mortes. Pour
elles l’hibernation a été fatale. On ne peut sans risque
demeurer trois mois avec un battement cardiaque pra-
tiquement inexistant. Elles n’ont pas souffert. Elles
sont passées de sommeil à trépas durant un brusque
courant d’air enveloppant la Cité. Leurs cadavres sont
évacués puis jetés au dépotoir. Tous les matins, la Cité
enlève ainsi ses cellules mortes avec les autres ordures.
Une fois les artères nettoyées de leurs impuretés, la
ville d’insectes se met à palpiter. Partout les pattes
grouillent. Les mâchoires creusent. Les antennes fré-
tillent d’informations. Tout reprend comme avant.
Comme avant l’hiver anesthésiant.
Bernard Werber (né en1961), Les Fourmis,
© Albin Michel, 1991.
Texte B
Le messager vacillant se remit au « garde-à-vous », les
petits doigts sur la couture du pantalon, comme il se
doit dans ces cas-là. Il oscillait ainsi, raide, sur le talus, la
transpiration lui coulant le long de la jugulaire, et ses
mâchoires tremblaient si fort qu’il en poussait des petits
cris avortés, tel un petit chien qui rêve. On ne pouvait
démêler s’il voulait nous parler ou bien s’il pleurait.
Nos Allemands accroupis au fin fond de la route
venaient justement de changer d’instrument. C’est à la
mitrailleuse qu’ils poursuivaient à présent leurs sottises ;
ils en craquaient comme de gros paquets d’allumettes et
tout autour de nous venaient voler comme des essaims
de balles rageuses, pointilleuses comme des guêpes.
Louis-Ferdinand Céline (1894-1961), Voyage au bout de la nuit,
© Gallimard, 1932.
Texte C
Le vingt-cinq septembre douze cent soixante-
quatre, au petit jour, le duc d’Auge se pointa sur le
sommet d’un donjon de son château pour y considé-
rer, un tantinet soit peu, la situation historique. Elle
était plutôt floue. Des restes du passé traînaient
encore çà et là, en vrac. Sur les bords du ru voisin,
campaient deux Huns ; non loin d’eux un Gaulois,
Éduen peut-être, trempait audacieusement ses pieds
dans l’eau courante et fraîche. Sur l’horizon se dessi-
naient les silhouettes molles de Romains fatigués, de
Sarrasins de Corinthe, de Francs anciens, d’Alains
seuls. Quelques Normands buvaient du calva.
Le duc d’Auge soupira mais n’en continua pas moins
d’examiner attentivement ces phénomènes usés.
Les Huns préparaient des stèques tartares, le
Gaulois fumait une gitane, les Romains dessinaient
des grecques, les Sarrasins fauchaient de l’avoine […].
— Tant d’histoire, dit le duc d’Auge au duc d’Auge,
tant d’histoire pour quelques calembours, pour
quelques anachronismes. Je trouve cela misérable. On
n’en sortira donc jamais ?
Raymond Queneau (1903-1976), Les Fleurs bleues,
© Gallimard, 1965.
a) De quelle manière le narrateur*se manifeste-t-il
dans le texte A ? Et dans le texte B ?
b) Dans le texte C, pourquoi le terme « histoire » est-il
au singulier ? De qui le duc d’Auge se moque-t-il ?
c) Quelle est la position du narrateur*par rapport à
l’histoire dans chacun de ces extraits ?
7. Identifier différents narrateurs
Le narrateur rapporte comment le Chevalier des Grieux
entreprit de lui raconter ses aventures avec Manon.
Il n’attendit point que je le pressasse de me raconter
l’histoire de sa vie. Monsieur, me dit-il, […] je veux
vous apprendre, non seulement mes malheurs et mes
peines, mais encore mes désordres et mes plus hon-
teuses faiblesses […].
Je dois avertir ici le lecteur que j’écrivis son histoire
presque aussitôt après l’avoir entendue, et qu’on peut
assurer, par conséquent, que rien n’est plus exact et
plus fidèle que cette narration.
Abbé Prévost (1697-1763), Histoire du Chevalier Des Grieux
et de Manon Lescaut, 1731.
a) Quelle est la position du narrateur*principal par rap-
port à l’histoire ?
b) Combien y a-t-il de narrateurs dans ce texte ? Quels
indices le montrent ?
Le point de vue
8.Identifier le point de vue
Texte A
Arrivé devant le dernier distributeur, Wallas ne s’est
pas encore décidé. Son choix est d’ailleurs de faible
importance, car les divers mets proposés ne diffèrent
que par l’arrangement des articles sur l’assiette ; l’élé-
ment de base est le hareng mariné.
Dans la vitre de celui-ci Wallas aperçoit, l’un au-
dessus de l’autre, six exemplaires de la composition
suivante : sur un lit de pain de mie, beurré de marga-
rine, s’étale un large filet de hareng à la peau bleu
argenté ; à droite cinq quartiers de tomate, à gauche
trois rondelles d’œuf dur ; posées par-dessus, en des
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tat nul, à la surprise générale. Avocat autrichien raffiné
et cultivé, le joueur avoue au narrateur qu’il n’a pas
touché un échiquier depuis vingt ans. Il lui raconte
comment, arrêté et gardé au secret par les nazis, il a
volé un livre d’échecs et occupé sa captivité à répéter
des parties sur un échiquier imaginaire. Obsédé par le
jeu, atteint de dédoublement en raison des parties
imaginaires qu’il joue contre lui-même, il a succombé
à une crise nerveuse qui l’a conduit au bord de la folie.
Libéré par ses bourreaux, autorisé à s’exiler, il demeure
fragile.
Le lendemain, Monsieur B. remporte une première
partie contre Czentovic, mais à la deuxième partie,
une nouvelle crise nerveuse survient, provoquée par
Czentovic. Seule l’intervention du narrateur empêche
Monsieur B. de sombrer définitivement dans la folie.
Résumé de la nouvelle de S. Zweig (1881-1942),
Le Joueur d’échecs, © Stock, 1941.
a) Délimitez les différentes séquences narratives de ce
récit. Comment sont-elles organisées ?
b) Établissez le schéma narratif de l’intrigue*sur le
paquebot. Quelles indications la comparaison entre
l’état initial et l’état final donne-t elle sur l’enjeu de la
nouvelle ?
4. Étudier la désignation, la qualification
et la présentation des personnages
Texte A
Entre ces deux personnages1et les autres, Vautrin,
l’homme de quarante ans, à favoris peints, servait de
transition. Il était un de ces gens dont le peuple
dit :Voilà un fameux gaillard ! Il avait les épaules
larges, le buste bien développé, les muscles apparents,
des mains épaisses, carrées et fortement marquées aux
phalanges par des bouquets de poils touffus et d’un
roux ardent. Sa figure, rayée de rides prématurées,
offrait des signes de dureté que démentaient ses
manières souples et liantes. Sa voix de basse-taille2, en
harmonie avec sa grosse gaieté, ne déplaisait point. Il
était obligeant et rieur. Si quelque serrure allait mal, il
l’avait bientôt démontée, rafistolée, huilée, limée,
remontée, en disant : ça me connaît. Il connaissait
d’ailleurs tout, les vaisseaux, la mer, la France, l’étran-
ger, les affaires, les hommes, les événements, les lois,
les hôtels et les maisons.
Honoré de Balzac (1799-1850), Le Père Goriot, 1835.
1. Deux autres pensionnaires. 2. voix de basse-taille : voix grave.
a) Par qui le personnage est-il présenté ?
b) Qu’apprend-on sur le personnage et sur son rôle
dans l’action*?
Texte B
Nous étions debout tous les trois, le cœur battant,
lorsque la porte des greniers qui donnait sur l’escalier
de la cuisine s’ouvrit ; quelqu’un descendit les
marches, traversa la cuisine, et se présenta dans l’en-
trée obscure de la salle à manger.
« C’est toi, Augustin ? » dit la dame.
C’était un grand garçon de dix-sept ans environ. Je
ne vis d’abord de lui, dans la nuit tombante, que son
chapeau de feutre paysan coiffé en arrière et sa blouse
noire sanglée d’une ceinture comme en portent les
écoliers. Je pus distinguer aussi qu’il souriait…
Il m’aperçut, et, avant que personne eût pu lui
demander aucune explication :
« Viens-tu dans la cour ? » dit-il.
Alain-Fournier (1886-1914) Le Grand Meaulnes,
© Arthème Fayard, 1913.
a) Quelles informations sur le personnage cet extrait
donne-t-il ?
b) Par quels moyens l’auteur apporte-t-il ces informa-
tions ?
c) Quelles indications peut-on en déduire sur la suite
de l’action*?
5. Étudier les fonctions des personnages
Étienne Lantier, jeune ouvrier intelligent et sincère,
acquis aux théories socialistes, est embauché dans une
mine du Nord. Il loge chez des mineurs, les Maheu. Il
découvre la misère, les conditions de travail déplo-
rables des ouvriers et milite pour l’émancipation de la
classe ouvrière. La crise économique provoque une
réduction déguisée des salaires. Une grève éclate, dont
il prend la tête. La démarche des ouvriers chez le
directeur de la mine, M. Hennebeau, échoue. Après
quelques mois de famine, les mineurs sont poussés à la
violence. La troupe tire sur les grévistes et le Père
Maheu est tué. À la reprise du travail, un anarchiste
russe, Souvarine, inonde la mine. Dans la catastrophe,
Étienne voit mourir Catherine, la fille des Maheu,
dont il était amoureux. Il part tenter une action
sociale plus organisée à Paris, avec l’espoir de faire
triompher la justice parmi les hommes.
Résumé du roman d’Émile Zola (1840-1902),
Germinal, 1885.
a) Établissez une liste des personnages nommés dans
le résumé.
b) Quelles sont les fonctions des personnages dans ce
résumé ?
c) Quelles forces font aussi progresser l’action*?
d) Quelles indications cela donne-t-il sur les enjeux du
roman ?
EXERCICES D’OBSERVATION
ET D’INTERPRÉTATION