Repères
Le récit est un énoncé qui relate, de manière orale ou écrite, une suite de faits vrais ou imagi-
naires. Le terme récit peut désigner un texte non littéraire (récit journalistique d’un fait divers,
témoignage) aussi bien qu’un texte littéraire (roman, conte, nouvelle).
1. LES COMPOSANTES PRINCIPALES
DU RÉCIT
Deux éléments sont essentiels dans le récit :
L’HISTOIRE : le terme désigne l’ensemble des
actions effectuées, dans un espace et un temps
déterminés ; dans un récit imaginaire, particuliè-
rement dans le roman et la nouvelle, la fiction
désigne l’univers créé par le texte, distinct du
monde réel ; l’intrigue* est l’ensemble des actions
des personnages.
LANARRATION : le terme désigne la façon de
raconter l’histoire ; la narration varie selon le nar-
rateur*, le point de vue*, les destinataires* du récit,
l’effet que l’on veut obtenir.
L’étude du récit suppose donc que l’on s’intéresse à
l’histoire* et à la narration* (Action et narration,
pp. 204-206).
2. LES ENJEUX DU RÉCIT
Le récit présente divers enjeux. Il peut ainsi :
informer ou expliquer (récit d’un fait divers,
récit d’un événement historique) ;
distraire, amuser ou solliciter l’imagination
(histoire drôle, récit d’aventures) ;
convaincre ou persuader (articles de presse
destinés à émouvoir ou à provoquer une prise de
conscience, à partir du récit d’une anecdote, d’un
témoignage ; conte philosophique, fable).
Ces différents enjeux se mêlent souvent dans les
récits, particulièrement dans les récits littéraires.
3. LES GENRES NARRATIFS
LITTÉRAIRES
Les formes narratives littéraires varient selon le
projet de l’auteur et l’ampleur du récit.
202 Le récit 203 Le récit
LE RÉCIT : DÉFINITION ET ENJEUX - Certains romans privilégient l’étude des per-
sonnages. Le roman d’analyse comme La
Princesse de Clèves, de Madame de Lafayette,
s’intéresse à la psychologie des personnages.
Le roman d’apprentissage du XIXesiècle suit
l’évolution sentimentale, intellectuelle et
sociale du héros (Stendhal, Le Rouge et le Noir,
1830). Le roman peut aussi étudier la société et
les mœurs comme chez Balzac ou Zola.
- D’autres romans privilégient les événements
racontés. C’est le cas des romans historiques,
des romans d’aventure, mais aussi des romans
policiers ou de science-fiction.
Ainsi, même s’il s’inspire de la réalité ou l’imite, le
roman est une œuvre de fiction. Cependant, cer-
tains récits littéraires, distincts du roman, relatent
des faits réels :
- les récits historiques (Voltaire, Le Siècle de
Louis XIV, 1756),
- les récits de voyage,
- les biographies qui racontent la vie de per-
sonnes réelles,
- les genres autobiographiques (Le biogra-
phique, p. 238).
Le terme roman désigne alors un récit versifié en
langue romane. Depuis le XVIIesiècle, le roman
désigne une œuvre narrative en prose. Les progrès
de l’édition et l’accroissement du nombre des lec-
teurs assurent son succès aux XIXeet XXesiècles, où
il représente une part importante des textes publiés.
Récit en prose, nécessitant un temps de lecture
relativement long, le roman présente les aventures
imaginaires de personnages donnés comme réels,
dotés d’une psychologie, d’un destin et évoluant
dans un temps et un milieu déterminés. Le roman
raconte des faits imaginaires tout en prétendant à
une certaine vraisemblance.
À la différence d’autres genres, comme la tragé-
die et l’épopée, le roman n’obéit pas à des règles
contraignantes. Il présente des formes et des
thèmes variés. Souvent écrit à la troisième per-
sonne, le récit est parfois fait à la première per-
sonne (Action et narration, pp. 204-206). Il peut
se présenter sous la forme d’un échange de lettres
dans lesquelles les différents épistoliers s’expri-
ment tour à tour (L’épistolaire, pp. 332 à 358).
Les romans prennent des orientations diverses
selon leur thème :
LANOUVELLE
La nouvelle est un récit fictif, généralement bref,
nécessitant un temps de lecture relativement court.
Elle se caractérise par un cadre spatial et temporel
resserré, un nombre restreint de personnages,
réduits à quelques traits permanents et typiques,
une action dense et fortement structurée. Elle a le
souci de la vraisemblance* et reste ancrée dans le
réel, même si elle adopte le registre fantastique*.
La nouvelle est souvent le récit d’une crise, mais
elle présente des formes diverses. On peut retenir
par exemple :
- Les nouvelles à chute : elles se terminent de
façon inattendue, la chute est énoncée en
quelques mots qui modifient radicalement le
sens des faits racontés et invitent à la relecture.
- Les nouvelles-instants : elles s’appuient sur
une anecdote, un moment apparemment ano-
din de la réalité qui modifie pourtant le cours
des faits évoqués.
LECONTE
Le conte est un récit bref et fictif, inspiré de la
tradition populaire et orale. La fiction du conte se
déroule dans un espace et un temps éloignés, sou-
vent irréels, et elle fait parfois intervenir le mer-
veilleux (faits inexplicables, personnages ou objets
dotés de pouvoirs surnaturels).
Récit à vocation divertissante, le conte peut aussi
avoir une fonction morale (Charles Perrault,
Histoires ou contes du temps passé, 1697) ou philo-
sophique : au XVIIIesiècle, Voltaire utilise la forme
du conte et le regard faussement naïf des person-
nages pour critiquer la société du temps, vulgariser
la pensée des philosophes des Lumières et échapper
à la censure, grâce au travestissement de la fiction.
LEROMAN
Au Moyen Âge, le roman est la langue d’usage
par opposition à la langue savante, le latin. Puis, à
partir de 1150, les termes « romancer » ou « mettre
en roman » signifient « traduire en langue romane ».
Repères
Louis de Steuben
(1788-1856), Liseuse,
Nantes, Musée des Beaux-
Arts, © RMN-Gérard Blot.
205 Le récit
- Le lecteur est la personne réelle, destinataire
de l’œuvre écrite par l’auteur.
- Le narrateur* est l’être inventé par l’auteur
pour raconter l’histoire. Le narrateur
s’adresse à un destinataire fictif, le narra-
taire* distinct du lecteur réel. Le personnage
est l’être imaginaire qui vit et accomplit les
actions de l’histoire.
Dans un récit à la première personne, il ne faut
pas assimiler auteur et narrateur. Meursault, le
narrateur et héros de L’Étranger (1942) n’est pas
l’auteur du récit, Albert Camus.
Auteur, narrateur et personnage ne se confon-
dent que dans l’autobiographie. Les Confessions
(1782-1789) de Rousseau présentent un narrateur
qui est le personnage principal de l’histoire et l’au-
teur lui-même.
4. LA POSITION DU NARRATEUR
PAR RAPPORT À L’HISTOIRE
LENARRATEUR EXTÉRIEUR À LHISTOIRE
Le narrateur peut être extérieur à l’histoire. Il
n’est pas apparent dans le récit et l’histoire paraît
se raconter d’elle-même, les faits et les propos des
personnages semblent être livrés sans intermé-
diaire. Le récit est à la troisième personne.
Dans le roman réaliste du XIXesiècle, ce procédé
contribue à créer l’illusion réaliste en donnant au lec-
teur l’impression qu’il assiste directement à l’action :
En ce moment, le jeune clerc qui servait la messe
sonna pour l’élévation. Madame de Rênal baissa la
tête qui un instant se trouva presque entièrement
cachée par les plis de son châle. Julien ne la reconnais-
sait plus aussi bien ; il tira sur elle un coup de pistolet
et la manqua ; il tira un second coup, elle tomba.
(Stendhal, le Rouge et le Noir, 1830)
Même extérieur à l’histoire, le narrateur peut
intervenir dans le récit :
- par des commentaires à la première personne :
ce sont des intrusions d’auteur :
Les habits rouges ! les habits rouges ! criaient avec joie
les hussards de l’escorte, et d’abord Fabrice ne com-
prenait pas ; enfin il remarqua qu’en effet presque tous
les cadavres étaient vêtus de rouge .[…] Notre héros,
fort humain, se donnait toutes les peines du monde
pour que son cheval ne mît les pieds sur aucun habit
rouge. (Stendhal, La Chartreuse de Parme, 1839)
nages, dans des dialogues qui contribuent à
créer l’illusion de la réalité.
- La façon dont l’auteur présente ses personnages
est une donnée essentielle du récit. En effet,
c’est cette présentation qui nourrit l’imaginaire
du lecteur et lui permet de s’identifier au per-
sonnage. Elle est aussi le moyen, pour l’auteur,
de transmettre des valeurs idéologiques.
Fonction des personnages
Dans un récit, les personnages font avancer l’ac-
tion : ce sont des forces agissantes. Chacun d’eux
se définit par rapport aux autres et par la part qu’il
prend à l’action, c’est-à-dire par sa fonction.
On distingue six fonctions :
- le sujet : il accomplit l’action et poursuit un
but ;
- l’objet : c’est le but visé par l’action ;
- l’adjuvant : il aide le sujet dans son action ;
- l’opposant : il contrarie l’action du sujet ;
- le destinateur : il détermine l’action du sujet,
l’incite à agir ;
- le destinataire : il reçoit le bénéfice de l’ac-
tion du sujet.
Ainsi, dans le mythe de Thésée, le roi Égée (le des-
tinateur) ordonne à Thésée (le sujet) de tuer le
Minotaure (l’objet) pour sauver les Athéniens (les
destinataires). Thésée, dans sa quête, est aidé par
Ariane (l’adjuvant) et entravé par le labyrinthe
(l’opposant).
Au cours de l’action, le personnage change de
fonction : un même personnage exerce générale-
ment plusieurs fonctions alternativement ou
même temps. Une même fonction peut aussi être
remplie par plusieurs personnages simultanément.
Les forces qui font progresser l’action ne sont
pas seulement des personnages : ce peut aussi
être des institutions, des sentiments, des valeurs
morales, philosophiques…
3. NARRATEUR ET AUTEUR,
NARRATAIRE ET LECTEUR
Il ne faut pas confondre auteur et narrateur,
lecteur et narrataire*.
- Lauteur est l’être réel, qui construit, écrit le
récit et signe l’œuvre de son nom (ou de son
pseudonyme).
1. L’ACTION
L’action est composée d’un enchaînement organisé
d’événements. Mais toute suite d’événements ne
constitue pas un récit. Celui-ci se caractérise par la
transformation d’un état en un autre état, en pas-
sant par différentes étapes. Ces cinq étapes définis-
sent le schéma narratif ou schéma quinaire :
l’état initial : l’état d’équilibre qui précède l’action ;
la complication (force perturbatrice) : elle per-
turbe l’état initial et déclenche l’action ;
la dynamique : le conflit, les péripéties qui
découlent de la complication ;
la résolution (force équilibrante) : elle introduit
un élément qui rééquilibre la situation ;
l’état final : un nouvel équilibre est instauré.
Voici par exemple le schéma narratif de la fable de
La Fontaine, « Le Loup et l’Agneau » (1668) :
,
Comparer l’état initial et l’état final d’un récit per-
met souvent d’en dégager les enjeux essentiels.
La réalisation de ces cinq étapes constitue une
séquence narrative, mais le schéma n’est pas tou-
jours réalisé en totalité. Il ne faut donc pas chercher
à retrouver systématiquement les cinq étapes mais
plutôt s’intéresser à la façon dont le schéma est
traité (changement de l’ordre des étapes, omission
d’une étape…) et dégager la spécificité du récit.
2. LE PERSONNAGE
Le personnage d’un récit littéraire est la représen-
tation fictive d’une personne. C’est un « être de
papier » qui n’existe que par les mots du texte et
par l’imaginaire du lecteur.
Pour donner une épaisseur au personnage, l’auteur
dispose de divers moyens qui procurent l’illusion
de la réalité.
204 Le récit
DÉSIGNATION, QUALIFICATION ET PRÉSENTATION
DU PERSONNAGE
La désignation du personnage
L’auteur apporte en général plusieurs informations
qui constituent une carte d’identité du personnage :
il est doté d’un état civil (nom, prénom, âge…).
La qualification du personnage
Le personnage a une identité physique, psycholo-
gique, morale et sociale.
Un jeune homme de dix-huit ans, à longs cheveux et qui
tenait un album sous son bras, restait auprès du gouver-
nail, immobile. […] M. Frédéric Moreau, nouvellement
reçu bachelier, s’en retournait à Nogent-sur-Seine, où il
devait languir pendant deux mois avant d’aller « faire
son droit ». (G. Flaubert, L’Éducation sentimentale, 1869).
L’auteur indique le nom, le prénom et l’âge du per-
sonnage, ainsi que son origine géographique et son
statut social : c’est un jeune étudiant bourgeois qui se
donne une allure romantique.
L’auteur dresse généralement un portrait phy-
sique, moral, psychologique qui donne des indica-
tions précieuses pour la suite de l’action.
Madame Grandet était une femme sèche et maigre,
jaune comme un coing, gauche, lente ; une de ces
femmes qui semblent être faites pour être tyrannisées ;
elle avait de gros os, un gros nez, un gros front, de gros
yeux, et offrait au premier aspect une vague ressem-
blance avec ces fruits cotonneux qui n’ont plus ni
saveur, ni suc. […] Une douceur angélique […] une
piété rare, une inaltérable égalité d’âme, un bon cœur
la faisaient universellement plaindre et respecter.
(Balzac, Eugénie Grandet, 1833).
Portrait physique (sèche et maigre, gros os, gros nez…)
et portrait moral (douceur angélique, égalité d’âme) s’as-
socient pour donner à voir en Mme Grandet une vic-
time potentielle (une de ces personnes qui semblent être
faites pour être tyrannisées).
La présentation du personnage
- Le personnage peut être présenté par le nar-
rateur* omniscient, qui en donne un portrait
détaillé et rapporte ses paroles et ses pensées
au style indirect ou indirect libre (Les dis-
cours rapportés, p. 67).
- Le personnage peut aussi être présenté par
ses propres paroles rapportées au style direct
ou par ses échanges avec d’autres person-
Un Agneau se désaltérait
Dans le courant d’une onde pure.
Un Loup survient à jeun, qui cherchait aventure,
Et que la faim en ces lieux attirait.
Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?[…]
Sire, répond l’Agneau, que votre Majesté
Ne se mette pas en colère. […]
Tu la troubles, reprit cette bête cruelle,[…]
Si ce n’est toi, c’est donc ton frère.
Je n’en ai point. — C’est donc quelqu’un des tiens :
On me l’a dit : il faut que je me venge.
Le Loup l’emporte et puis le mange,
Sans autre forme de procès.
état initial
complication
dynamique
résolution
état final
ACTION ET NARRATION
Repères
207 Le récit
Étudier les composantes du récit
1. Distinguer histoire et narration
LECÔTÉ SUBJECTIF
Je n’étais pas mécontent de ma vêture, ce jourd’hui.
J’inaugurais un nouveau chapeau, assez coquin, et un
pardessus dont je pensais grand bien. Rencontré X
devant la gare Saint-Lazare qui tente de gâcher mon
plaisir en essayant de me démontrer que ce pardessus
est trop échancré et que j’y devrais rajouter un bouton
supplémentaire. Il n’a tout de même pas osé s’attaquer
à mon couvre-chef.
Un peu auparavant, rembarré de belle façon une
sorte de goujat qui faisait exprès de me brutaliser
chaque fois qu’il passait du monde, à la descente ou à
la montée. Cela se passait dans un de ces immondes
autobi qui s’emplissent de populus précisément aux
heures où je dois consentir à les utiliser.
AUTRE SUBJECTIVITÉ
Il y avait aujourd’hui dans l’autobus à côté de moi,
sur la plate-forme, un de ces morveux comme on n’en
fait guère, heureusement, sans ça je finirais par en tuer
un. Celui-là, un gamin dans les vingt-six, trente ans,
m’irritait tout spécialement non pas tant à cause de
son grand cou de dindon déplumé que par la nature
du ruban de son chapeau, ruban réduit à une sorte de
ficelle de teinte aubergine. Ah ! le salaud ! Ce qu’il me
dégoûtait ! Comme il y avait beaucoup de monde
dans notre autobus à cette heure-là, je profitais des
bousculades qui ont lieu à la montée ou à la descente
pour lui enfoncer mon coude entre les côtelettes. Il
finit par s’esbigner lâchement avant que je me décide à
lui marcher un peu sur les arpions pour lui faire les
pieds. Je lui aurais dit aussi, afin de le vexer, qu’il man-
quait un bouton à son pardessus trop échancré.
Raymond Queneau (1903-1976),
Exercices de style, © Gallimard,1947 (première édition).
a) Pour chacun de ces deux récits, distinguez l’histoire*
(ce qui est raconté) et la narration*(la manière dont on
raconte).
b) Quelles ressemblances présentent ces deux récits ?
c) Quelle est leur principale différence ? Quelles modi-
fications entraîne-t-elle dans le récit ?
d) Justifier le titre de chacun des extraits.
Étudier les genres
narratifs littéraires
2. Identifier différents genres narratifs
Texte A
Après une étape sur Saturne où il se fait un compa-
gnon de voyage, philosophe comme lui, Micromégas,
habitant de Sirius, vient visiter la terre des hommes,
« notre petite fourmilière » : occasion de péripéties
nombreuses et de dialogues variés. Puis, à la fin du livre,
les deux personnages reprennent leur voyage, on ne sait
vers quelle destination. Le lecteur ne les accompagne
plus. Il demeure aux côtés des Terriens, ses semblables.
Si l’étrangeté dont joue Voltaire dans ce conte, qu’il
publie en 1752, est d’abord celle des deux voyageurs, des
autres mondes habités et du voyage interstellaire, c’est
bien ensuite celle des Terriens, qu’il met en scène : étran-
geté physique, puis intellectuelle et philosophique. […]
Voltaire (1694-1778), Micromégas, quatrième de couverture
de l’édition du Livre de poche n°14904,
© Le Livre de poche, 2000.
Texte B
Une des inventions les plus étonnantes de toute
l’histoire de la littérature : comment un enfant monté
à douze ans dans les arbres y reste, comment l’homme
y passe toute sa vie, pour prouver à ses contemporains
ce que c’est que la liberté et l’intelligence et pour leur
prouver qu’ils n’agissent eux, qu’en balourds et à
l’étourdi [ …] Un autoportrait d’un des plus grands
écrivains vivants : Côme circule dans les yeuses1
comme Calvino dans les lignes.
Italo Calvino (1923-1985), Le baron perché, 1957,
quatrième de couverture de la collection « Points Seuil »,
© Le Seuil, 1960.
1. yeuses : chênes verts.
Quels genres narratifs littéraires ces quatrièmes de
couverture annoncent-elles ?
Étudier l’histoire :
l’action et les personnages
3. Séquence et schéma narratifs
Sur un paquebot en partance pour Rio, vers 1940,
le narrateur assiste à l’embarquement d’un jeune pro-
dige des échecs, Mirko Czentovic. Orphelin pauvre et
inculte, recueilli par le curé de son village, Czentovic
se révèle un génie des échecs. Mais c’est un jeune
homme fruste, brutal et arrogant.
Curieux de cas psychologiques, le narrateur, pour
l’approcher, organise un tournoi entre plusieurs passa-
gers et le champion. Ce dernier se montre méprisant
avec les amateurs, qu’il bat facilement. Lors de la
revanche, un inconnu, Monsieur B., obtient un résul-
A
B
5
10
5
10
5
10
15
20
25
30
5
EXERCICES D’OBSERVATION
ET D’INTERPRÉTATION
C
- par des jugements ou des explications sur les
personnages et sur l’action :
C’est alors qu’ils s’affrontent à l’épée. […] Farouchement
ils se mesurent sans céder à un seul pied de terrain non
plus que ne feraient deux rocs. Jamais deux chevaliers
ne mirent plus de rage à précipiter l’instant de leur mort.
Ils veillent à ne pas gaspiller leurs coups, mais ils s’em-
ploient à frapper de leur mieux… (Chrétien de Troyes,
Yvain ou le Chevalier au lion, vers 1170)
LENARRATEUR INTÉRIEUR À LHISTOIRE
Le narrateur peut aussi être le héros de l’histoire
qu’il raconte ou se présenter comme un témoin.
- Le narrateur-personnage raconte sa propre
histoire ou une histoire à laquelle il participe.
Il s’exprime à la première personne et sa
parole porte la marque de la subjectivité.
Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je
ne sais pas. J’ai reçu un télégramme de l’asile : « Mère
décédée. Enterrement demain. Sentiments distin-
gués. » Cela ne veut rien dire. C’était peut-être hier.
(Albert Camus, L’Étranger, 1942)
- Le narrateur-témoin prend une certaine dis-
tance avec l’histoire qu’il interrompt parfois
de ses commentaires :
Il arriva chez nous un dimanche de novembre 189…
Je continue à dire « chez nous », bien que la maison ne
nous appartienne plus. Nous avons quitté le pays depuis
bientôt quinze ans et nous n’y reviendrons certainement
jamais. (Alain-Fournier, Le Grand Meaulnes, 1913)
Dans un récit la position du narrateur peut varier.
La narration peut être prise en charge par des nar-
rateurs successifs.
5. LE POINT DE VUE
Le lecteur est guidé dans l’histoire par le narrateur
mais il perçoit les faits racontés selon une pers-
pective qui varie souvent au cours du récit. C’est
le point de vue ou focalisation.
LAFOCALISATION ZÉRO OU POINT DE VUE OMNISCIENT
Le lecteur perçoit ce qui est vu ou ressenti par les
personnages grâce à un narrateur omniscient ;
celui-ci voit tout, sait tout et dit tout de l’action et
des pensées des personnages.
206 Le récit
M. de Clèves ne trouva pas que Mlle de Chartres eût
changé de sentiment en changeant de nom. La qualité
de mari lui donna de plus grands privilèges ; mais elle
ne lui donna pas une autre place dans le cœur de sa
femme. […] et, quoiqu’elle vécût parfaitement bien
avec lui, il n’était pas entièrement heureux. (Madame
de Lafayette, La Princesse de Clèves, 1678)
Le lecteur connaît à la fois les sentiments de M. de
Clèves et ceux de son épouse.
LAFOCALISATION EXTERNE OU POINT DE VUE EXTERNE
Le lecteur perçoit seulement ce qu’un regard exté-
rieur à l’histoire peut lui livrer, comme le ferait
une caméra. On ne lui indique ni les sentiments
des personnages ni le sens du spectacle présenté.
À neuf heures, la salle du théâtre des Variétés était
encore vide. Quelques personnes, au balcon et à l’or-
chestre, attendaient perdues parmi les fauteuils de
velours grenat, dans le petit jour du lustre à demi-feu.
Une ombre noyait la grande tache rouge du rideau ; et
pas un bruit ne venait de la scène, la rampe éteinte, les
pupitres des musiciens débandés. […] Par moments,
une ouvreuse se montrait, affairée, des coupons à la
main, poussant devant elle un monsieur et une dame
qui s’asseyaient… (Émile Zola, Nana, 1880)
Le narrateur décrit la salle telle qu’un spectateur
peut la voir.
LAFOCALISATION INTERNE OU POINT DE VUE INTERNE
Le lecteur perçoit ce que ressent, entend, voit un
personnage particulier qui n’est pas forcément le
narrateur :
Elle descendit au salon. Il était sombre derrière ses
volets fermés et elle fut quelque temps avant d’y rien
distinguer ; puis son regard s’habituant à l’obscurité, elle
reconnut peu à peu les hautes tapisseries où se prome-
naient des oiseaux. Deux fauteuils étaient restés devant
la cheminée comme si on venait de les quitter ; et
l’odeur même de la pièce, une odeur qu’elle avait tou-
jours gardée […] pénétrait Jeanne, l’enveloppait de sou-
venirs, grisait sa mémoire. (Guy de Maupassant, Une
vie, 1883)
Le lecteur découvre la pièce avec les yeux de
Jeanne. Pourtant ce n’est pas elle qui raconte,
mais un narrateur extérieur à l’histoire, dans un
récit à la troisième personne.
209 Le récit
Étudier la position du narrateur
6. Identifier la position du narrateur
par rapport à l’histoire
Texte A
Toute la Cité est maintenant réveillée. Les couloirs
sont remplis de fourmis messagères thermiques qui
s’empressent de réchauffer la Meute. Pourtant à cer-
tains carrefours on trouve encore des citoyennes
immobiles. Les messagères ont beau les secouer, leur
donner des coups, elles ne bougent pas.
Elles ne bougeront plus. Elles sont mortes. Pour
elles l’hibernation a été fatale. On ne peut sans risque
demeurer trois mois avec un battement cardiaque pra-
tiquement inexistant. Elles n’ont pas souffert. Elles
sont passées de sommeil à trépas durant un brusque
courant d’air enveloppant la Cité. Leurs cadavres sont
évacués puis jetés au dépotoir. Tous les matins, la Cité
enlève ainsi ses cellules mortes avec les autres ordures.
Une fois les artères nettoyées de leurs impuretés, la
ville d’insectes se met à palpiter. Partout les pattes
grouillent. Les mâchoires creusent. Les antennes fré-
tillent d’informations. Tout reprend comme avant.
Comme avant l’hiver anesthésiant.
Bernard Werber (né en1961), Les Fourmis,
© Albin Michel, 1991.
Texte B
Le messager vacillant se remit au « garde-à-vous », les
petits doigts sur la couture du pantalon, comme il se
doit dans ces cas-là. Il oscillait ainsi, raide, sur le talus, la
transpiration lui coulant le long de la jugulaire, et ses
mâchoires tremblaient si fort qu’il en poussait des petits
cris avortés, tel un petit chien qui rêve. On ne pouvait
démêler s’il voulait nous parler ou bien s’il pleurait.
Nos Allemands accroupis au fin fond de la route
venaient justement de changer d’instrument. C’est à la
mitrailleuse qu’ils poursuivaient à présent leurs sottises ;
ils en craquaient comme de gros paquets d’allumettes et
tout autour de nous venaient voler comme des essaims
de balles rageuses, pointilleuses comme des guêpes.
Louis-Ferdinand Céline (1894-1961), Voyage au bout de la nuit,
© Gallimard, 1932.
Texte C
Le vingt-cinq septembre douze cent soixante-
quatre, au petit jour, le duc d’Auge se pointa sur le
sommet d’un donjon de son château pour y considé-
rer, un tantinet soit peu, la situation historique. Elle
était plutôt floue. Des restes du passé traînaient
encore çà et là, en vrac. Sur les bords du ru voisin,
campaient deux Huns ; non loin d’eux un Gaulois,
Éduen peut-être, trempait audacieusement ses pieds
dans l’eau courante et fraîche. Sur l’horizon se dessi-
naient les silhouettes molles de Romains fatigués, de
Sarrasins de Corinthe, de Francs anciens, d’Alains
seuls. Quelques Normands buvaient du calva.
Le duc d’Auge soupira mais n’en continua pas moins
d’examiner attentivement ces phénomènes usés.
Les Huns préparaient des stèques tartares, le
Gaulois fumait une gitane, les Romains dessinaient
des grecques, les Sarrasins fauchaient de l’avoine […].
Tant d’histoire, dit le duc d’Auge au duc d’Auge,
tant d’histoire pour quelques calembours, pour
quelques anachronismes. Je trouve cela misérable. On
n’en sortira donc jamais ?
Raymond Queneau (1903-1976), Les Fleurs bleues,
© Gallimard, 1965.
a) De quelle manière le narrateur*se manifeste-t-il
dans le texte A ? Et dans le texte B ?
b) Dans le texte C, pourquoi le terme « histoire » est-il
au singulier ? De qui le duc d’Auge se moque-t-il ?
c) Quelle est la position du narrateur*par rapport à
l’histoire dans chacun de ces extraits ?
7. Identifier différents narrateurs
Le narrateur rapporte comment le Chevalier des Grieux
entreprit de lui raconter ses aventures avec Manon.
Il n’attendit point que je le pressasse de me raconter
l’histoire de sa vie. Monsieur, me dit-il, […] je veux
vous apprendre, non seulement mes malheurs et mes
peines, mais encore mes désordres et mes plus hon-
teuses faiblesses […].
Je dois avertir ici le lecteur que j’écrivis son histoire
presque aussitôt après l’avoir entendue, et qu’on peut
assurer, par conséquent, que rien n’est plus exact et
plus fidèle que cette narration.
Abbé Prévost (1697-1763), Histoire du Chevalier Des Grieux
et de Manon Lescaut, 1731.
a) Quelle est la position du narrateur*principal par rap-
port à l’histoire ?
b) Combien y a-t-il de narrateurs dans ce texte ? Quels
indices le montrent ?
Le point de vue
8.Identifier le point de vue
Texte A
Arrivé devant le dernier distributeur, Wallas ne s’est
pas encore décidé. Son choix est d’ailleurs de faible
importance, car les divers mets proposés ne diffèrent
que par l’arrangement des articles sur l’assiette ; l’élé-
ment de base est le hareng mariné.
Dans la vitre de celui-ci Wallas aperçoit, l’un au-
dessus de l’autre, six exemplaires de la composition
suivante : sur un lit de pain de mie, beurré de marga-
rine, s’étale un large filet de hareng à la peau bleu
argenté ; à droite cinq quartiers de tomate, à gauche
trois rondelles d’œuf dur ; posées par-dessus, en des
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208 Le récit
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tat nul, à la surprise générale. Avocat autrichien raffiné
et cultivé, le joueur avoue au narrateur qu’il n’a pas
touché un échiquier depuis vingt ans. Il lui raconte
comment, arrêté et gardé au secret par les nazis, il a
volé un livre d’échecs et occupé sa captivité à répéter
des parties sur un échiquier imaginaire. Obsédé par le
jeu, atteint de dédoublement en raison des parties
imaginaires qu’il joue contre lui-même, il a succombé
à une crise nerveuse qui l’a conduit au bord de la folie.
Libéré par ses bourreaux, autorisé à s’exiler, il demeure
fragile.
Le lendemain, Monsieur B. remporte une première
partie contre Czentovic, mais à la deuxième partie,
une nouvelle crise nerveuse survient, provoquée par
Czentovic. Seule l’intervention du narrateur empêche
Monsieur B. de sombrer définitivement dans la folie.
Résumé de la nouvelle de S. Zweig (1881-1942),
Le Joueur d’échecs, © Stock, 1941.
a) Délimitez les différentes séquences narratives de ce
récit. Comment sont-elles organisées ?
b) Établissez le schéma narratif de l’intrigue*sur le
paquebot. Quelles indications la comparaison entre
l’état initial et l’état final donne-t elle sur l’enjeu de la
nouvelle ?
4. Étudier la désignation, la qualification
et la présentation des personnages
Texte A
Entre ces deux personnages1et les autres, Vautrin,
l’homme de quarante ans, à favoris peints, servait de
transition. Il était un de ces gens dont le peuple
dit :Voilà un fameux gaillard ! Il avait les épaules
larges, le buste bien développé, les muscles apparents,
des mains épaisses, carrées et fortement marquées aux
phalanges par des bouquets de poils touffus et d’un
roux ardent. Sa figure, rayée de rides prématurées,
offrait des signes de dureté que démentaient ses
manières souples et liantes. Sa voix de basse-taille2, en
harmonie avec sa grosse gaieté, ne déplaisait point. Il
était obligeant et rieur. Si quelque serrure allait mal, il
l’avait bientôt démontée, rafistolée, huilée, limée,
remontée, en disant : ça me connaît. Il connaissait
d’ailleurs tout, les vaisseaux, la mer, la France, l’étran-
ger, les affaires, les hommes, les événements, les lois,
les hôtels et les maisons.
Honoré de Balzac (1799-1850), Le Père Goriot, 1835.
1. Deux autres pensionnaires. 2. voix de basse-taille : voix grave.
a) Par qui le personnage est-il présenté ?
b) Qu’apprend-on sur le personnage et sur son rôle
dans l’action*?
Texte B
Nous étions debout tous les trois, le cœur battant,
lorsque la porte des greniers qui donnait sur l’escalier
de la cuisine s’ouvrit ; quelqu’un descendit les
marches, traversa la cuisine, et se présenta dans l’en-
trée obscure de la salle à manger.
« C’est toi, Augustin ? » dit la dame.
C’était un grand garçon de dix-sept ans environ. Je
ne vis d’abord de lui, dans la nuit tombante, que son
chapeau de feutre paysan coiffé en arrière et sa blouse
noire sanglée d’une ceinture comme en portent les
écoliers. Je pus distinguer aussi qu’il souriait…
Il m’aperçut, et, avant que personne eût pu lui
demander aucune explication :
« Viens-tu dans la cour ? » dit-il.
Alain-Fournier (1886-1914) Le Grand Meaulnes,
© Arthème Fayard, 1913.
a) Quelles informations sur le personnage cet extrait
donne-t-il ?
b) Par quels moyens l’auteur apporte-t-il ces informa-
tions ?
c) Quelles indications peut-on en déduire sur la suite
de l’action*?
5. Étudier les fonctions des personnages
Étienne Lantier, jeune ouvrier intelligent et sincère,
acquis aux théories socialistes, est embauché dans une
mine du Nord. Il loge chez des mineurs, les Maheu. Il
découvre la misère, les conditions de travail déplo-
rables des ouvriers et milite pour l’émancipation de la
classe ouvrière. La crise économique provoque une
réduction déguisée des salaires. Une grève éclate, dont
il prend la tête. La démarche des ouvriers chez le
directeur de la mine, M. Hennebeau, échoue. Après
quelques mois de famine, les mineurs sont poussés à la
violence. La troupe tire sur les grévistes et le Père
Maheu est tué. À la reprise du travail, un anarchiste
russe, Souvarine, inonde la mine. Dans la catastrophe,
Étienne voit mourir Catherine, la fille des Maheu,
dont il était amoureux. Il part tenter une action
sociale plus organisée à Paris, avec l’espoir de faire
triompher la justice parmi les hommes.
Résumé du roman d’Émile Zola (1840-1902),
Germinal, 1885.
a) Établissez une liste des personnages nommés dans
le résumé.
b) Quelles sont les fonctions des personnages dans ce
résumé ?
c) Quelles forces font aussi progresser l’action*?
d) Quelles indications cela donne-t-il sur les enjeux du
roman ?
EXERCICES D’OBSERVATION
ET D’INTERPRÉTATION
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Raconter, c’est situer des événements dans le temps. Les actions accomplies par les personnages
se déroulent à un certain moment dans une certaine durée, selon un certain ordre : c’est le
temps de l’histoire. Mais le narrateur* peut jouer sur le moment, l’ordre, la durée, la fréquence
de la narration* par rapport au temps de l’histoire.
1. LE MOMENT DE LA NARRATION
PAR RAPPORT AU MOMENT
DE L’HISTOIRE
La narration ultérieure : le narrateur raconte
une histoire qui s’est déroulée avant le moment où
il la relate. C’est un récit rétrospectif au passé.
La narration simultanée se situe en même temps
que se déroulent les faits racontés. Le narrateur
emploie le présent.
La narration antérieure raconte les faits avant
qu’ils ne se produisent. C’est le cas, rare, des pro-
phéties ou des prédictions.
La narration intercalée : dans un journal intime,
par exemple, la narration introduit une pause dans
l’action qui reprend pour être ensuite interrompue
par la narration, etc.
2. L’ORDRE DE LA NARRATION
PAR RAPPORT À L’ORDRE
DE L’HISTOIRE
Le narrateur se situe de différentes manières par
rapport à la fiction. Il peut :
raconter en suivant l’ordre des événements de
l’histoire : la narration respecte l’ordre chronolo-
gique ;
raconter après coup un événement antérieur :
c’est un retour en arrière ou analepse ;
raconter par anticipation un événement ultérieur :
c’est une projection dans l’avenir ou prolepse.
3. LA DURÉE DE LA NARRATION
PAR RAPPORT À LA DURÉE
DE L’HISTOIRE
Le narrateur détermine aussi la vitesse de narra-
tion. Il peut modifier le rythme du récit en jouant
sur le rapport entre la durée de l’histoire et la lon-
gueur du texte. On distingue cinq vitesses :
211 Le récit
le sommaire résume une longue période en
quelques mots ;
Pendant un demi-siècle, les bourgeoises de Pont-
L’Evêque envièrent à Mme Aubain sa servante Félicité.
(G. Flaubert, Trois contes, 1877)
la scène : le temps de la narration correspond à
peu près au temps de l’histoire ; on assiste en par-
ticulier aux dialogues « en temps réel » ;
l’ellipse : la narration passe sous silence un
moment donné de l’histoire, créant ainsi des
« blancs chronologiques » ;
Deux mois plus tard, Frédéric, débarqué un matin
rue Héron, songea immédiatement à faire sa grande
visite. (G. Flaubert, L’Éducation sentimentale, 1869)
la pause : la narration est développée alors que
l’histoire s’interrompt. C’est le lieu de descriptions,
ou d’interventions du narrateur qui semblent arrê-
ter l’histoire ;
le ralenti : la narration développe longuement
des instants très brefs de l’histoire.
4. LA FRÉQUENCE DE LA NARRATION
Le narrateur peut moduler cette fréquence :
en racontant une fois des faits qui se sont passés
une seule fois : c’est un récit singulatif ;
en racontant une fois des faits identiques qui se
sont passés plusieurs fois : c’est un récit itératif ;
Longtemps, je me suis couché de bonne heure…
(M. Proust, À la recherche du temps perdu, Du côté de
chez Swann,1913)
en racontant plusieurs fois des faits qui ne se
sont passés qu’une fois : c’est un récit répétitif.
L’étude des variations dans le traitement du temps
permet de mesurer en particulier l’importance
donnée aux événements.
210 Le récit
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points calculés, trois olives noires. Chaque plateau
supporte en outre une fourchette et un couteau.
Alain Robbe-Grillet (né en 1922), Les Gommes,
© Les Éditions de Minuit, 1953.
Texte B
D’un seul coup, comme une eau lentement saturée,
le ciel de jour avait viré au ciel lunaire ; l’horizon deve-
nait une muraille laiteuse et opaque qui tournait au
violet au-dessus de la mer encore faiblement miroi-
tante. Traversé par un pressentiment brusque, je
reportai alors mes yeux vers un singulier nuage. Et
tout à coup, je vis.
Une montagne sortait de la mer, maintenant dis-
tinctement visible sur le fond assombri du ciel. Un
cône blanc et neigeux, flottant comme un lever de
lune au-dessus d’un léger voile mauve qui le décollait
de l’horizon, pareil, dans son isolement et sa pureté de
neige, et dans les jaillissements de sa symétrie parfaite,
à ces phares diamantés qui se lèvent au seuil des mers
glaciales. Son lever d’astre sur l’horizon ne parlait pas
de la terre, mais plutôt d’un soleil de minuit, de la
révolution d’une orbite calme qui l’eût ramené à
l’heure dite des profondeurs lavées à l’affrontement
fatidique de la mer.
Julien Gracq (né en 1910), Le Rivage des Syrtes,
© Éditions José Corti, 1951.
a) Quel est le point de vue*adopté dans chacun des
extraits ? Justifiez votre réponse.
b) Pour chacun des extraits, quel est l’effet produit par
le point de vue choisi ?
9. La variation des points de vue
L’héroïne, Emma Bovary, mène une vie monotone à Yonville.
Un soir que la fenêtre était ouverte, et que, assise au
bord, elle venait de regarder Lestiboudois, le bedeau,
qui taillait le buis, elle entendit tout à coup sonner
l’Angélus.
On était au commencement d’avril, quand les pri-
mevères sont écloses ; un vent tiède se roule sur les
plates-bandes labourées, et les jardins, comme des
femmes, semblent faire leur toilette pour les fêtes de
l’été. Par les barreaux de la tonnelle et au-delà tout
alentour, on voyait la rivière dans la prairie, où elle
dessinait sur l’herbe des sinuosités vagabondes. La
vapeur du soir passait entre les peupliers sans feuilles,
estompant leur contours d’une teinte violette, plus
pâle et plus transparente qu’une gaze subtile arrêtée
sur leurs branchages. Au loin, des bestiaux mar-
chaient ; on n’entendait ni leurs pas, ni leurs mugisse-
ments ; et la cloche, sonnant toujours, continuait dans
les airs sa lamentation pacifique.
À ce tintement répété, la pensée de la jeune femme
s’égarait dans ses vieux souvenirs de jeunesse et de
pension. Elle se rappela les grands chandeliers, qui
dépassaient sur l’autel les vases pleins de fleurs et le
tabernacle à colonnettes.
Gustave Flaubert (1821-1880), Madame Bovary, 1857.
a) Quel est le point de vue*adopté aux lignes 1et 2, 10 à 13
b) Quel est le point de vue adopté des lignes 3 à 9 ? Que
permet-il de montrer ?
c) Quel effet produit la variation de point de vue dans ce
texte ?
10. Exercice-bilan
Frédéric, pour rejoindre sa place, poussa la grille des
Premières1, dérangea deux chasseurs avec leurs chiens.
Ce fut comme une apparition :
Elle était assise, au milieu du banc, toute seule ; ou
du moins il ne distingua personne dans l’éblouisse-
ment que lui envoyèrent ses yeux. En même temps
qu’il passait, elle leva la tête ; il fléchit involontaire-
ment les épaules ; et, quand il se fut mis plus loin, du
même côté, il la regarda.
Elle avait un large chapeau de paille, avec des
rubans roses qui palpitaient au vent derrière elle. Ses
bandeaux noirs, contournant la pointe de ses grands
sourcils, descendaient très bas et semblaient presser
amoureusement l’ovale de sa figure. Sa robe de mous-
seline claire, tachetée de petits pois, se répandait à plis
nombreux. Elle était en train de broder quelque
chose ; et son nez droit, son menton, toute sa per-
sonne se découpait sur le fond de l’air bleu.
Comme elle gardait la même attitude, il fit plu-
sieurs tours de droite et de gauche pour dissimuler sa
manœuvre ; puis il se planta tout près de son
ombrelle, posée contre le banc, et il affectait d’obser-
ver une chaloupe sur la rivière.
Gustave Flaubert (1821-1880), L’Éducation sentimentale, 1869.
1. les Premières : la première classe sur le bateau.
a) Quelle est la position du narrateur*par rapport à
l’histoire ?
b) La scène est-elle vue par le narrateur, par le person-
nage ? Justifiez votre réponse.
c) Par qui la jeune femme est-elle vue ?
d) Quel est l’intérêt de la variation des points*de vue
dans cet extrait ?
EXERCICES D’OBSERVATION
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