Nous reconnaissons l'appui financier du ministère du Patrimoine canadien pour la traduction de ce documentaire.
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© Canadian Music Centre / Centre de musique canadienne 2005, www.musiccentre.ca / www.centremusique.ca
PORTRAITS DE COMPOSITEURS CANADIENS
DOCUMENTAIRE SUR TALIVALDIS KENINS
Produit et présenté par Eitan Cornfield
TALIVALDIS KENINS: Je ne suis pas un innovateur. Je suis plutôt un disciple ; mais,
en tant que disciple, j’essaie de mettre beaucoup de mes idées à moi, de mon esprit et de
mon message dans la musique que j’écris.
EITAN CORNFIELD : Les amis du compositeur Talivaldis Kenins savourent son
humour dirigé contre lui-même, mais la vérité est que chaque fois qu’il met toutes ses
idées, son esprit et son message dans une oeuvre musicale, il devient beaucoup plus
qu’un disciple. Sa voix est la sienne propre. C’est une voix formée par le cours de son
existence, une existence qui l’a transporté de la Lettonie déchirée par la guerre, jusqu’en
France et, finalement, au Canada. C’est une existence marquée par la tragédie, par le
travail acharné, et aussi par la chance. Membre d’une famille lettone très en vue qui
fondait de grands espoirs sur ses huit enfants, il est venu tard à la musique. Talivaldis
Kenins naît en 1919. La Lettonie vient tout juste d’obtenir son indépendance de la Russie.
Cette courte période de liberté est brutalement interrompue par la Deuxième Guerre
mondiale. À la fin de la guerre, dix pour cent de la population latvienne fuit l’occupation
russe. 250 000 Lettons constituent une diaspora répartie dans le monde entier, et c’est
ainsi qu’un compositeur né en Lettonie, de formation russe et française, en viendra à
écrire toutes ses oeuvres de maturité sur un piano droit délabré dans un chalet donnant sur
la Baie Georgienne, en Ontario. Ces oeuvres, composées pendant une vie de militantisme
musical, définissaient la culture d’après-guerre autant du Canada que de la Lettonie.
TALIVALDIS KENINS : Mes liens avec les Lettons ont été plutôt suivis, même si toute
mon existence, en réalité, est centrée sur la musique au Canada ; mais je me souviens
qu’Honegger, qui a été pour moi une grande source de joie, m’a interrogé un jour sur mes
origines, et je lui ai dit : c’est la Lettonie. « Oh, la Lettonie, a-t-il dit, vous voulez dire sur
la Baltique ? Je vois. C’est quelque part entre la Norvège, la Suède et la Russie. » Il y
trouvait quelque chose de serein, quelque chose de nostalgique et aussi d’un peu triste.
JOHN BECKWITH : Je dirais que les compositeurs baltes et scandinaves partagent
certaines caractéristiques, que je vois dans sa musique.
EITAN CORNFIELD : Le compositeur John Beckwith connaît Kenins depuis plus de
cinquante ans.
JOHN BECKWITH : L’une d’elles est un penchant pour les formes abstraites. Il écrit
une oeuvre et il l’intitule « Quintette » ou « Symphonie », ou « Concerto Grosso » ou
quelque chose du genre. Il ne l’intitule pas « Clair de lune sur le fleuve ». C’est peutêtre
simpliste, mais je pense que c’est un trait qui traverse ces cultures. Je pense que si une
personne parlant le letton examinait ses rythmes, elle trouverait un lien. J’ai toujours
soupçonné quelque chose du genre, parce que ses rythmes ont un caractère qui n’est ni
américain ni ouest-européen et, souvent, si vous considérez les rythmes d’un
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compositeur, vous pouvez les relier à sa langue maternelle. Debussy est un bon exemple.
Je pense qu’on peut faire de même pour Kenins.
EITAN CORNFIELD : Le compositeur et pianiste letton Peteris Plakidis dit que Kenins
est encore plus letton que cela.
PETERIS PLAKIDIS : Il utilise les intonations de la musique folklorique lettone, des
airs folkloriques même, il arrange la musique folklorique lettone dans plusieurs mélodies
pour choeur et plusieurs pièces instrumentales. Il essaie d’être un compositeur letton.
Parfois, c’est comme s’il était un compositeur letton par intérim.
EDGARS KARIKS : Vous dites « Ké-nins », nous disons « Ké-ninsh ». Vous dites «
lundi », nous disons « lindi ». Est-ce vraiment important ?
EITAN CORNFIELD : Edgar Kariks est un chef d’orchestre et musicologue qui vit à
Riga.
EDGARS KARIKS : C’est un compositeur. Le hasard fait qu’il est génétiquement letton
à cent pour cent, c’est son patrimoine et cela se reflète dans sa musique, mais il est
Canadien. Il est très Canadien. Je dirais qu’il est international. Il est simplement un
compositeur.
INGRIDA ZEMZARE : Comment croyez-vous – comment sonne ré majeur en letton ?
EITAN CORNFIELD : La biographe de Kenins, Ingrida Zemzare.
INGRIDA ZEMZARE : C’est une blague que répétait souvent Talivaldis Kenins, parce
que la musique ne connaît pas de frontières. Que signifie une musique lettone ou
française ? Seulement utiliser des mélodies ou des rythmes ? Je ne pense pas.
EITAN CORNFIELD : Ingrida Zemzare ne le pense peut-être pas, mais les racines
lettones de Kenins sont profondes. Le letton est la langue maternelle de Kenins, celle
qu’il parle encore à la maison. Il a grandi dans l’élégance médiévale de Riga, la capitale
de la Lettonie, où il a commencé à tâter de la musique dans son enfance.
TALIVALDIS KENINS : J’ai étudié le piano et un peu de théorie, et j’ai composé
quelques petites valses quand j’avais sept ou huit ans, sans aucune signification ni valeur.
J’irais jusqu’à dire que je ne pense pas que j’étais doué, comme on dit, vous savez, « cet
enfant est tellement doué, il joue du piano », alors j’ai peut-être eu une formation
musicale très heureuse ; c’est-à-dire qu’on ne m’a jamais vraiment obligé à faire de la
musique, parce que personne ne croyait que je deviendrais musicien, et personne ne s’y
attendait.
GUNDAR KENINS-KING : On ne le voyait pas musicien. On le voyait diplomate. En
fait, ceux qui le connaissent s’accorderont pour dire qu’il continue en réalité d’être un
diplomate.
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EITAN CORNFIELD : Gundar Kenins-King est doyen émérite de l’école des études
commerciales de la Pacific Lutheran University, dans l’État de Washington. Il est aussi
l’un des cinq frères de Talivaldis Kenins. La Riga de leur enfance était une belle ville,
assez semblable à Vienne. À l’époque des croisades, ce port hanséatique millénaire fut
capturé par les Germains. Il passa aux mains des Russes, des Suédois, des Lithuaniens et
des Polonais, mais la mémoire nationale survécut grâce à la tradition orale transmise par
un corpus de plusieurs centaines de chants folkloriques épiques. En tant que membre de
l’élite lettone, la famille Kenins menait une existence cosmopolite.
GUNDAR KENINS-KING : Gardez à l’esprit que les cercles culturels de Riga
comptaient peut-être cent ou deux cents familles appartenant à l’élite. C’étaient elles qui
allaient régulièrement à l’opéra et au théâtre ; c’était donc une vie culturelle plutôt active,
et Talivaldis a été en contact avec tout cela. Dans ce contexte, il s’est frayé un chemin
jusqu’au Conservatoire national.
EITAN CORNFIELD : Talivaldis Kenins admet volontiers qu’il était gâté et paresseux.
La seule chose qu’il désire à cette époque est jouer du piano, pas faire des gammes,
seulement jouer pour le plaisir. Il gagne du temps. Ses parents s’attendent à ce qu’il
poursuive la tradition familiale et étudie les sciences politiques à la Sorbonne, mais la
Deuxième Guerre mondiale et la fin de l’indépendance lettone anéantissent tout espoir
d’une carrière diplomatique. À l’instar d’innombrables familles lettones, les Kenins sont
frappés par la tragédie, déracinés et dispersés. Kenins est conscrit dans l’armée
d’occupation allemande. Par chance, il passe la guerre en Allemagne en qualité
d’organiste auprès d’un aumônier de l’armée.
Cette expérience lui sera très utile par la suite. À la fin de la guerre, Kenins a décidé de
faire carrière en musique. Une fois de plus, la chance est de son côté. Il a organisé des
concerts pour l’armée française dans la zone occupée de l’Allemagne. Grâce à ses
contacts dans l’armée, il réussit à obtenir un visa pour la France. Il ne possède aucun
diplôme officiel, n’ayant jamais pris ses études musicales très au sérieux ; pourtant,
Kenins espère être admis dans l’une des grandes écoles de musique de Paris, peut-être
même au Conservatoire.
TALIVALDIS KENINS : J’ai eu beaucoup de chance, parce que j’ai découvert que
j’avais un métier assez solide, par conséquent j’ai essayé de viser la Schola Cantorum ou
l’École Normale, mais je ne m’attendais jamais à recevoir une bourse pour étudier au
Conservatoire. Mais là, vous savez, j’ai vraiment remarqué pour la première fois de ma
vie ce qu’est le professionnalisme en musique, ce qu’est véritablement un don naturel,
parce que j’étais entouré de gens possédant ces qualités. Vous savez, les camarades de ma
promotion étaient la chanteuse Régine Crespin, le pianiste Philippe Entremont. Dans ma
classe, il y avait Pierre Boulez, il y avait Marie- Claire Alain. À cette époque, je me suis
vraiment rendu compte que mon talent avait des limites très définies – étant entouré de
gens abondamment pourvus de talent, de dons et ainsi de suite. Bref, je savais que la
chose sur laquelle je devais me concentrer était le métier, car je me suis dit : « Si tu dois
survivre en musique, dans ta carrière – parce que j’avais vraiment choisi d’en faire une
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carrière – alors tu ferais bien de perfectionner cela », et je vous assure que mes
professeurs m’ont beaucoup aidé.
EITAN CORNFIELD : À Paris, Kenins ne tarde pas à se créer un réseau de soutien. Il
établit des liens durables avec son professeur de composition Tony Aubin, luimême un
élève de Paul Dukas. Kenins tombe également sous le charme du compositeur Olivier
Messiaen. La célèbre pédagogue Nadia Boulanger le prend sous son aile. En 1949,
Kenins compose un Septuor, qui est porté à l’attention de l’éminent chef d’orchestre
allemand Hermann Scherchen. Scherchen dirige la création du Septuor au Festival de
musique nouvelle de Darmstadt. C’est le premier succès important que remporte Kenins
en tant que compositeur. La chance lui sourit de nouveau lors du concours pour
l’obtention de son diplôme, en 1950. Tony Aubin a persuadé le grand violoncelliste
Maurice Gendron d’exécuter la toute nouvelle sonate de Kenins. Il est accompagné au
piano par la femme du compositeur Henri Dutilleux. Le jury de compositeurs comprend
Arthur Honegger, Darius Milhaud, Georges Enescu et Francis Poulenc. Nadia Boulanger
est là aussi. Le jury est suffisamment impressionné pour accorder à Kenins un premier
prix. Kenins les remerciera de leur bonté en volant de petits morceaux à chacun d’eux,
mais il réservera son hommage ultime au plus grand compositeur français.
TALIVALDIS KENINS : J’ai toujours suivi le conseil de Jean Cocteau, le dramaturge
français qui disait – voici sa phrase célèbre : « Les grands maîtres sont inimitables ; par
conséquent, imitez-les », et, vous savez, mon modèle en musique est Maurice Ravel, son
genre objectif de musique, et sa manière de projeter ses pensées où, dans un minimum de
temps, il dit les choses importantes, et, d’une certaine façon, j’ai essayé de modeler mes
sentiments, ma technique, sur ce type de plan ou de dessin formel.
EITAN CORNFIELD : Il y a aussi une empreinte française très marquée sur le langage
harmonique de Kenins. Sur le Steinway de son studio torontois, le pianiste Arthur
Ozolins fait une démonstration.
ARTHUR OZOLINS : Il a certainement des éléments français de Messiaen, et
beaucoup de ses harmonies, surtout dans la première Sonate, et même dans la deuxième,
il utilise un demi-ton, puis un ton, puis un demi-ton, puis un ton, de sorte qu’on obtient
une gamme octatonique – tous ces sons – et tous les accords sont parfois construits sur
cette gamme particulière ; mais, très souvent, il aime aussi l’intervalle de la septième, qui
est plutôt laid, un peu, et parfois, comme dans la deuxième Sonate, il emploie la seconde
mineure, vous savez, des choses de cette nature, et ce sont celles-là qui en ont surpris plus
d’un au début : « Quel genre d’harmonies est-ce que c’est ? », mais, évidemment, c’est
presque comme Chopin et le reste – une version moderne. Voici un mouvement lent qui
est le thème, puis, évidemment, les variations démarrent, chacune prenant une tangente
différente, mais si vous songez que tout descend d’un demi-ton, constamment, les
accords, on voit que cela suppose une technique d’écriture, mais je crois vraiment qu’il
avait un don pour la mélodie.
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EITAN CORNFIELD : Le musicologue Edgars Kariks a choisi Talivaldis Kenins
comme sujet de sa thèse de doctorat. Kariks pense que l’usage que fait Kenins de la
gamme octatonique se situe au coeur de sa vision esthétique.
EDGARS KARIKS : En un sens, cette gamme reflète l’homme de la rue, elle n’est pas
noire, pas majeure pas – pas sombre, pas mineure, mais de couleur grise, avec des
possibilités multiples de modifier sa couleur autour d’un noyau de couleur noire ; mais
Kenins met l’accent sur le stress et la relaxation, les contraires absolus : noir/blanc,
joyeux/triste ; mais pas tellement joyeux/triste en réalité, plutôt au sens de
tension/résolution de tension. On trouve cela dans sa Symphonie no 4, de 1973, qui est, je
pense, le coeur de toute sa production, qui constitue réellement, à mon avis, la
représentation extrême et parfaite, à travers sa musique, de la tension et de la résolution
de la tension ; pas joyeux/triste, mais quelque chose de complètement différent, qui
transparaît dans sa musique ; je crois qu’il faut comprendre un peu l’histoire de l’homme
et d’où il vient pour comprendre cet aspect de sa musique, autrement la musique ne
rejoindra peut-être pas l’auditeur ordinaire.
EITAN CORNFIELD : Toute refléxion sur cet homme et ses origines doit commencer
par le père de Kenins. L’histoire d’Atis Kenins est intimement liée à l’histoire de
l’indépendance de la Lettonie. Dans sa bibliothèque, Gundar Kenins-King tente
d’expliquer et saisit un livre qui a manifestement beaucoup servi, un recueil de poèmes
de son père.
GUNDAR KENINS-KING : Je lis ici dans la préface de ce recueil de poésie
commémoratif : « Gardien de troupeaux de vaches et rêveur au bord de la rivière ; père
de six garçons et de deux filles ; éducateur de sa famille et de sa nation ; professeur et
fondateur des écoles Kenins ; fondateur de la Lettonie, signataire de l’indépendance ;
poète ; traducteur, surtout du français ; premier représentant de la Lettonie en Pologne ;
par la suite ministre de l’éducation et de la justice ; avocat, nationaliste et démocrate. » Si
vous preniez tous ces champs d’intérêt et ces expériences pour les diviser entre les six
fils, vous obtiendrez beaucoup, non ?
TALIVALDIS KENINS : Mes parents étaient de fervents nationalistes lettons, ils ont
combattu et travaillé pour l’indépendance de la Lettonie, et Riga, d’une certaine façon,
malgré sa situation sur les rives de la Baltique, était un centre qui penchait souvent vers la
Russie au plan culturel ; vous savez, quand j’ai commencé à écouter de la musique et
quand j’ai commencé à assister régulièrement à des événements musicaux, c’est à
l’opéra, vous savez, que j’ai connu mes premières expériences musicales ; et par
tempérament aussi, du moins à l’époque où je faisais mes études en Lettonie, j’ai d’abord
penché vers Tchaïkovski, Rachmaninov.
EITAN CORNFIELD : Un faible pour l’école romantique russe n’était pas tellement
inhabituel en Lettonie.
GUNDAR KENINS-KING : Avant l’occupation allemande et la déclaration,
fondamentalement, le régime impérial russe exigeait que tous les sujets, à tous les
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