John Maynard keynes, un économiste différent
SEMINAIRE KEYNESIEN - NOVEMBRE & DECEMBRE 2015
John Maynard Keynes, un économiste différent
“[...]. To understand my state of mind, however, you have to
know that I believe myself to be writing a book, which will
largely revolutionise - [...]- the way the world thinks about
economic problems [...]. There will be a great change, and
in particular, the Ricardian foundations of Marxism will be
knocked away. [...] for myself, I don’t merely hope what I
say, in my own mind, I’m quite sure.”.
Lettre de J. M. Keynes à G. B. Shaw, le 1er janvier 1935.
Ideas do not disperse so quickly [as ashes]; and Keynes’s
will live so long as the world has need of them.
R. Skidelsky (2003).
G. PAGANO, Professeur de Finances publiques et Politique économique à la Faculté Warocqué
de l’Université de Mons.
J. M. Keynes, The General Theory of Employment, Interest and Money, Macmillan, 1936, P. v.
1
Idem, P. vi.
2
Ibidem.
3
P. v.
4
L’avant-propos commence par “Le présent ouvrage a pour but d’aider et d’inciter l’étudiant à lire la
5
Théorie générale”.
AVANT - PROPOS
Are you talking to me ?....
Robert De Niro, Travis Bickle (Taxi Driver, 1976)
This book is chiefly adressed to my fellow economists : c’est par ces mots que
1
commence la préface de la Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, l’un des
ouvrages les plus célèbres et les plus influents de l’histoire de la pensée économique. C’est donc
aux économistes que John Maynard Keynes destine sa Théorie générale, et non pas, par exemple,
aux décideurs politiques, aux journalistes, au grand public ou aux étudiants. Ce sont ses collègues
qu’il veut convaincre : “[...] if my explanations are right, it is my fellow economists, not the
general public, whom I must first convince , car “At this stage of the argument the general
2
public, though welcome at the debate, are only eavesdroppers at an attempt by an economist to
bring to an issue the deep divergences of opinion between fellow economists which have for the
time being almost destroyed the practical influence of economic theory, and will, until they are
resolved, continue to do so . Keynes précise également les conséquences de son choix : “Thus
3
I cannot achieve my object of persuading economists to re-examine critically certain of their
basic assumptions except by a highly abstract argument and also by much controversy . Si sa
4
volonté de convaincre, d’abord, ses collègues économistes établis dans la profession ne sera
exaucée qu’en partie, le décor de la Théorie générale restera tel que Keynes l’a défini : un livre
abstrait, donc, probablement, d’une lecture difficile, et polémique, et ces deux
caractéristiques l’accompagneront tout au long son existence, longue aujourd’hui de quelque
quatre-vingts ans.
Joan Robinson, la collaboratrice de Keynes, pour sa part, considérait que l’essentiel de
la bataille pour les nouvelles idées de la Théorie générale se gagnerait, non pas auprès des
économistes établis - trop peu nombreux pour être déterminants et trop rigides dans leurs
certitudes pour se laisser convaincre - mais auprès des jeunes et, en particulier, des étudiants. Dès
la publication du livre, elle en donnera les éléments dans ses enseignements à Cambridge - au
point d’inquiéter ses collègues plus attachés à la théorie monétaire traditionnelle qui craignaient
de voir leurs propres enseignements évincés des programmes - et publiera des commentaires plus
abordables que le livre original. Alvin Hansen, dans son Guide to Keynes (1953), adopte la même
attitude .
5
Le texte qui suit ne vise pas principalement les économistes, même si, bien entendu, et
par symétrie avec les propos de Keynes, ils sont les bienvenus dans le débat. On peut, cependant,
supposer qu’ils connaissent déjà l’oeuvre de Keynes, même si une synthèse peut être profitable.
Le texte s’adresse évidemment aux étudiants, pour lesquels il a même été écrit et conçu. Mais
ce texte s’adresse aussi à ceux qui, probablement, connaissent peu la pensée de Keynes, ou, plus
Avant-propos - 2 -
Ainsi, on ne trouve aucune trace écrite de l’idée souvent attribuée à Keynes, selon laquelle il serait plus
6
profitable de payer des hommes pour faire les trous et les reboucher, plutôt que de les laisser au chômage.
La Théorie générale, elle-même, ne contenait, à l’origine, aucun graphique. Cest à la demande de R.
7
Harrod, un des 5 économistes auxquels Keynes avait demandé de relire les épreuves en 1935, qu’un graphique et
un seul sera ajouté, au chapitre 14 (P. 180 dans l’édition originale).
probablement encore, la connaissent mal : Monsieur et Madame Tout le Monde qui, au détour
d’un magazine, d’une émission de télévision, d’une conférence ou d’une conversation, ont pu
glaner l’une ou l’autre bribe, peut-être mal formulée ou trop résumée, quand elle n’est pas,
purement et simplement, erronée ou caricaturale . Contrairement à ce que pensait Keynes en
6
1936, il est sans doute davantage nécessaire, aujourd’hui, de convaincre dans le débat
démocratique plutôt que dans le cercle des économistes patentés ou même dans celui des
étudiants en économie. Car seul le débat démocratique semble encore en mesure d’influencer le
cours des événements dans une Europe marquée par le chômage qui, en 2015, n’est pas très
éloigné des niveaux qu’il atteignait en 1936.
S’adresser à tous les lecteurs intéressés, quelle que soit leur formation ou leur profession,
emporte une contrainte absolue : le texte sera accessible à tous et toutes, sous réserve de l’intérêt
et d’une élémentaire volonté de comprendre. C’est le défi de la lisibilité mais aussi le parti pris
du débat des idées et uniquement des idées. On n’y trouvera donc ni formule mathématique
sibylline, ni graphique improbable , seules des idées et une analyse intense sur le fond.
7
L’ouverture à tous et à toutes porte aussi un espoir : celui d’intéresser les élus et décideurs
politiques, car ce sont eux qui, légitimement, mènent l’action au nom des citoyens qui les ont
élus.
INTRODUCTION GENERALE
[...], the ideas of economists and political philosophers, both
when they are right and when they are wrong, are more
powerful than is commonly understood. Indeed the world is
ruled by little else. Practical men, who believe themselves to
be quite exempt from any intellectual influence, are usually
the slaves of some defunct economist. Madmen in authority,
who hear voices in the air, are distilling their frenzy from
some academic scribbler of a few years ago. I am sur that the
power of vested interests is vastly exaggerated compared
with the global encroachment of ideas.
J. M. Keynes,
The General Theory of Employment, Interest and Money
(1936), P. 383.
C’est le 4 février 1936, il y a 80 ans, que la prestigieuse maison d’édition londonienne
Macmillan mettait en vente la première édition de The General Theory of Employment, Interest
and Money , oeuvre maîtresse de l’économiste John Maynard Keynes, qui exercera sur la pensée
et les politiques économiques des XX et XXI siècles une influence déterminante et
ième ième
probablement inégalée. C’est le 21 avril 1946, il y a 70 ans, que Keynes meurt d’un arrêt
cardiaque dans sa ferme de Tilton dans le Sussex. 2016 marque donc un double anniversaire
décennal, qui nous fournit une occasion de revenir sur la pensée de cet économiste exceptionnel
et différent.
Le texte ci-dessous ne mériterait probablement pas votre attention si son intérêt tenait
uniquement dans la coïncidence des dates. Malheureusement, à la coïncidence des dates se
superpose celle, plus grave, des préoccupations car la similitude entre les deux époques est
frappante. Certes, les niveaux de richesse et de protection sociale que nous connaissons
aujourd’hui sont sans comparaison avec ceux de l’Angleterre avant Beveridge. Mais, pour le
surplus, on ne peut qu’être préoccupé de la similitude des situations. Une crise boursière
américaine, survenue en octobre 1929, déclenche une crise économique mondiale dont la
principale caractéristique est la chute de la croissance et la montée puis la persistance du
chômage. Une autre crise boursière américaine survenue en septembre 2008 déclenche une crise
économique mondiale dont la principale caractéristique est la chute de la croissance et la montée
puis la persistance du chômage. La crise de 1929 inspirera à Keynes ses travaux les plus
originaux et les plus féconds. La crise de 2008 a, certes, quelque peu ébranlé les certitudes
“classiques” qui prévalaient jusqu’alors; mais on est loin encore du retour du Maître auquel R.
Skidelsky fait allusion dans son livre de 2010 (voir ci-dessous).
Et pourtant, la situation économique est aujourd’hui à ce point préoccupante, surtout,
dans l’Union européenne et la Zone Euro, qu’on pourrait utilement s’inspirer de la sagesse et de
la prodigieuse clairvoyance de Keynes. Revenir sur Keynes, c’est donc remettre au centre du
débat une conception différente de la politique économique, une conception plus réaliste,
dépouillée de ces hypothèses léonines qui étonnent le profane - à juste titre ! - et... ne trouvent
que rarement confirmation dans les faits. Une conception dont le plus grand mérite est
probablement de s’attaquer avec détermination aux problèmes qui, ici et aujourd’hui, minent le
bien-être des citoyens, laissant pour plus tard, ou pour la pure réflexion théorique, les non-
problèmes, les problèmes qui n’existent plus et ceux dont nous ne pouvons savoir s’ils existeront
1 / 106 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !