L’inflation : perspectives à long terme (2ème partie)
Dans le précédent numéro de Conjoncture dédié à
l’inflation (n°39 de juillet 2013), ont été analys les
mesures de l’inflation, le contexte des dernières années et
les risques de retour de l’inflation à court terme. Les
facteurs de risque identifiés étaient la création monétaire et
les hausses de taxes. L’analyse menait à conclure
qu’aucun de ces facteurs ne représentait un risque majeur
de tensions inflationnistes. Cela suffit-il pour penser que les
risques inflationnistes sont faibles également à long
terme ? Les risques de dérapage des prix ne sont-ils pas
plus nombreux et n’augmentent-ils pas avec l’horizon de
prévision ? C’est à ces questions que des éléments de
réponse sont apportés.
Que prévoient les experts ?
Inflation faible ou forte : des risques équipondérés pour les
économistes
Les inquiétudes et les débats autour de l’inflation de long
terme portent le plus souvent sur les risques de hausse
marquée des prix. Pourtant, les économistes estiment que
les probabilités de dérapage des prix sont jugées plus
importantes à la baisse qu’à la hausse. Chaque trimestre,
la Banque Centrale Européenne (BCE) interroge les experts
européens sur leurs prévisions d’inflation : à l’horizon de
2018, ils attribuent une probabilité de 24,4 % à une
inflation inférieure à 1,5 % donc en-dessous de la cible de
la BCE (qui vise un taux d’inflation « proche et inférieur à
2 % »). La probabilité affectée à une inflation supérieure à
2,5 % est, elle, légèrement moins importante à 20,7 %.
Il est à noter que la prévision d’inflation médiane à 4 ans
(c’est-à-dire l’inflation au-delà des aléas conjoncturels) a
toujours été comprise entre 1,8 % et 2 % depuis que
l’enquête a été créée en 1999. Cela révèle le fort degré de
crédibilité dont jouit la BCE dans sa mission de maîtrise de
l’inflation. Par ailleurs, les risques extrêmes sont toujours
jugés très faibles : seulement 2 % de probabili est
attribuée à une inflation très forte (supérieure à 3,5 %) et à
peine 1 % à une inflation négative en 2018.
Graphique 1 : Probabilité attribuée à une inflation
éloignée de la de la cible de 2 % à long terme (%)
Source : BCE,
Survey of Professional Forecasters, calculs Caisse des Dépôts
Les investisseurs sont sereins face au risque inflationniste
Les économistes pensent que le risque de dérapage
marqué des prix est très faible mais qu’en est-il des
investisseurs ? Leurs anticipations peuvent être extraites
du prix des actifs qui servent de couverture contre
l’inflation. Les anticipations d’inflation à moyen et long
termes peuvent être extraites des taux d’intérêt des swaps
d’inflation européenne : le chiffre obtenu est l’inflation
anticipée augmentée d’une prime de quelques points de
base. Cette prime est présente car il y a plus d’agents qui
désirent se couvrir contre l’inflation que d’agents qui
veulent s’exposer à l’inflation. L’inflation de long terme est
mesurée par le taux swap d’inflation 5 ans dans 5 ans,
autrement dit l’inflation entre 2018 et 2023. Cet indicateur
est surveillé par les banques centrales pour évaluer leur
0
5
10
15
20
25
30
2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013
Probabilité (%)
Inflation à 5 ans supérieure à 2,5%
Inflation à 5 ans inrieure à 1,5%
40
NOVEMBRE
2013
crédibilité auprès des investisseurs. L’inflation « 5 ans dans
5 ans » s’établit actuellement à 2,30 % en zone euro, soit
un taux proche de la moyenne depuis 2004 (2,36 %).
Graphique 2 : Inflation 5 ans dans 5 ans (extraite de la
courbe des taux swap d’inflation européenne, %)
Source : Bloomberg, calculs Caisse des Dépôts
Quels facteurs pourraient générer de
l’inflation ? Revue des principales questions
Q1 : Le retour de la croissance ne va-t-il pas générer
forcément de l’inflation ?
La France est récemment sortie de récession. Les reprises
économiques peuvent déboucher sur des tensions
inflationnistes si l’accroissement de la demande de biens et
services est tel que des contraintes d’offre apparaissent.
Or, l’économie française est actuellement loin de son
niveau de production potentiel, c’est-à-dire loin du niveau à
partir duquel s’exercent des forces inflationnistes
domestiques. Aujourd’hui, la perte de production et la
présence de surcapacités de production restent
considérables. Le graphique 3 l’illustre très clairement :
l’économie française est à son niveau de production de
2008 autrement dit elle a perdu 5 ans de progression.
Plusieurs années de croissance continue et sans choc
seront nécessaires pour que le PIB renoue avec son
potentiel. Le taux d’utilisation des capacités de production,
actuellement à 76 %, est loin de sa moyenne de long
terme (81,6 %). Le chômage est élevé (10,9 % contre une
moyenne de 9,5 % depuis 1980) : il mettra du temps à se
résorber, ce qui limitera le pouvoir de négociation des
salariés et plaide pour une maîtrise des coûts salariaux.
Dans ce contexte d’absence durable de tensions
inflationnistes due au déséquilibre offre/demande sur le
marché des biens et services, les seules tensions
envisageables sur les prix sont des tensions transitoires,
pouvant être liées au prix des matières premières sur les
marchés mondiaux, aux conditions météorologiques, ou
aux taxes.
Graphique 3 : Perte de PIB après la crise financière
(base 100 : 2007)
Sources : INSEE, Commission Européenne
Q2 : Si la BCE n’avait plus la stabilité des prix comme
unique mandat ?
Le contexte économique morose de ces dernières années
a favorisé l’émergence de débats sur les moyens
disponibles pour relancer la croissance. Du côté de la
politique budgétaire, si la contrainte budgétaire se desserre
en 2014 par rapport à 2013, des efforts supplémentaires
sont nécessaires pour satisfaire aux règles européennes :
l’arme budgétaire est donc loin de retrouver ses vertus
pro-croissance. En revanche, la politique monétaire s’est
imposée ces dernières années comme un puissant levier
de gestion des crises bancaires, de stabilisation du
contexte financier, voire de relance de la croissance (Etats-
Unis, Japon). Dans ce cadre, est entrée en débat la
question de la formalisation du rôle de la BCE dans la
promotion de la croissance. Ceci pourrait se traduire par
un changement des objectifs de la BCE : l’objectif du plein-
emploi et le soutien à la croissance économique pourraient
devenir des objectifs au même titre que la stabilité des prix.
La BCE passerait à un mandat multiple, sur le modèle de la
banque centrale américaine.
Cette éventualité est très peu probable à court terme car
aucune proposition officielle n’a été faite en ce sens. Il
faudrait probablement modifier le Trai Européen (article
105) et surtout convaincre les autorités allemandes de la
pertinence de ce changement. Or, cela s’avèrerait très
difficile du fait de l’aversion des autorités et de la
population allemandes à l’inflation, aversion souvent
attribuée à l’expérience d’hyperinflation de l’entre-deux
guerres et à ses conséquences politiques.
Pour autant, il n’en est pas moins intéressant de
comprendre les possibles implications d’un tel changement
pour l’inflation. Est-ce qu’un double mandat favoriserait
forcément un contexte plus inflationniste et une perte de
crédibilité de la BCE quant à son objectif de maintenir
1,8
2
2,2
2,4
2,6
2,8
3
3,2
2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013
l’inflation proche mais inrieure à 2 % ? L’expérience
américaine semble montrer que tel ne serait pas le cas. En
effet, la Réserve Fédérale a, depuis longtemps, un double
objectif d’inflation et de croissance sans que cela n’amène
à de dérapages inflationnistes ou à l’intégration d’une forte
prime d’inflation dans les prix des actifs. Même la mise en
œuvre récente d’une politique monétaire non
conventionnelle engendrant une forte création monétaire
aux Etats-Unis n’a pas provoqué de revalorisation de
l’inflation de long terme (graphique 4). Aux Etats-Unis
comme en zone euro, les anticipations d’inflation restent
bien ancrées et les spécialistes n’accordent pas moins de
crédit à la Fed qu’à la BCE.
Graphique 4 : Prime d’inflation de long terme aux Etats-
Unis (5 ans dans 5 ans, %)
Sources : Datastream, calculs Caisse des Dépôts
Q3 : Que penser de l’assertion « l’inflation est inévitable car
c’est la solution de facilité pour le désendettement des
Etats »
La crise de la dette souveraine en zone euro a forcé les
pays européens à instaurer des programmes d’austérité
qui vont durer, avec un impact économique et social
sensible. Les autorités de politiques économiques
pourraient donc être tentées de trouver une solution moins
douloureuse que les hausses des taxes et les baisses des
dépenses : l’érosion du stock de dette existant par
l’inflation. Une hausse généralisée des prix a en effet pour
conséquence de réduire la valeur de la monnaie et, ainsi, la
valeur réelle des dettes. Pour un stock de dette donné, en
cas d’inflation et de revalorisation des revenus (à hauteur
de l’inflation), le ratio dette/revenu diminue
mécaniquement. En fait, plusieurs obstacles se dressent
devant cette solution. D’abord, l’inflation ne se décrète pas
et ceci est particulièrement vrai dans un contexte de
croissance économique modérée et sous le potentiel. De
plus, cette solution fonctionne si les revenus sont indexés à
l’inflation. Ensuite, cette option a un coût immédiat
puisqu’une partie de la rémunération des dettes publiques
est directement indexée sur l’inflation (OATi, OAT€i, BTP€i).
Enfin, une hausse de l’inflation peut avoir un effet nul voire
contre-productif car les investisseurs exigeront une prime
supplémentaire pour se couvrir contre l’inflation future :
ceci se traduira par une hausse des taux d’intérêt
nominaux. Le surplus d’inflation se traduira par un
renchérissement du coût de financement de la dette, ce
qui réduira de facto l’intérêt de l’inflation.
Q4 : La fin des produits à bas coûts en provenance des
pays émergents telle que la Chine ?
Les importations en provenance des pays émergents ont
permis depuis plusieurs années de baisser ou de freiner les
prix de certains biens de consommation. Les années 2000
ont été particulièrement marquées par l’importation de
produits « bon marché ». Ces produits en provenance de
pays de « localisation » représentent aujourd’hui un
quart de la consommation des biens en France. Daps
une étude récente du CEPII1, si les consommateurs
français achetaient des produits équivalents « Made in
France », cela représenterait un surcoût de 100 à 300
euros par ménage et par mois.
Les biens en provenance des pays émergents sont plus
compétitifs essentiellement parce que les coûts salariaux y
sont nettement plus faibles que dans les économies
développées. Or, l’économie mondiale est appelée à
évoluer profondément dans les prochaines décennies. Les
salaires sont voués à augmenter progressivement dans ces
régions, le modèle de croissance devrait se rééquilibrer
en faveur de la demande intérieure. On peut donc
légitimement se demander quel serait l’impact de ces
hausses des coûts de production des produits importés
sur l’inflation française.
La réponse dépendra des gains de productivité. En Chine,
la revalorisation régulière du salaire minimum a déjà
commencé. Pour autant, cela n’a pas engendré
d’augmentation des prix : les prix des importations
américaines en provenance de Chine continuent même de
baisser sur un rythme actuellement observé de 3,5 % sur
un an. En effet, si les hausses des salaires sont
compensées par une amélioration de la productivité alors
le coût par unité produite n’augmente pas et il n’y a pas
d’inflation. Les sources de productivité sont loin d’être
épuisées dans les pays émergents : la poursuite de
l’urbanisation représente de ce point de vue une manne
importante. De plus, le progrès technique difficilement
prévisible à 30 ans pourrait générer de nouveaux gains
de productivité. Ainsi, les hausses des salaires ne se
traduiraient pas automatiquement par des hausses de prix
proportionnelles.
1 CEPII, C. Emlinger et L. Fontagné, lettre de juin 2013, (Not)
Made in Fance
0,0
0,5
1,0
1,5
2,0
2,5
3,0
3,5
4,0
2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012
Prix non significatif
Q5 : La désinflation importée, de nouvelles perspectives ?
Durant la dernière décennie, l’arrivée d’une offre en
provenance des pays émergents a permis de limiter les
hausses de prix. Dans les prochaines années, cette
tendance pourrait être toujours présente mais peut-être un
peu moins marquée. La désinflation importée n’est pour
autant pas de l’histoire ancienne. En effet, la majorité de
nos partenaires commerciaux européens cherche
aujourd’hui à améliorer leur compétitivi. Ils suivent pour
cela l’exemple allemand, les recommandations du FMI et
de la Commission européenne. Ces pays cherchent à
diminuer les coûts salariaux pour pouvoir exporter
davantage, relancer leur croissance économique et
diminuer leur besoin de financement externe. L’Irlande, le
Portugal et l’Espagne voient depuis 2008-09 leur coût
salarial unitaire nominal baisser (graphique 6). Pour la
France, ce mécanisme vient modérer le prix moyen des
importations en provenance de la zone euro.
Graphique 5 : Coût salarial unitaire nominal (indice
2007 : 100)
Source : Eurostat
Q6 : La raréfaction des matières premières, un impact sur
les prix inévitable ?
S’il ne fait aucun doute que l’offre de matières premières est
une offre limitée, les conséquences haussières en termes de
prix ne sont pas facilement mesurables à un horizon lointain.
L’épuisement des matières premières et, en particulier, du
pétrole engendrera nécessairement une hausse des prix
dans un premier temps mais les effets de cette raréfaction
ne devraient pas s’arrêter là. Si les prix augmentent
fortement et durablement, ceci impactera nécessairement la
croissance mondiale. Or, un ralentissement de la croissance
réduira les tensions sur l’inflation sous-jacente. D’autre part,
l’augmentation des prix et la raréfaction irréversible de
certaines matières premières seront une incitation forte à
développer des technologies vertes. Ces technologies sont
pour l’essentiel au stade exploratoire mais avec la hausse
des coûts énergétiques, de tels projets deviendront de plus
en plus rentables ce qui favorisera leur déploiement. Enfin,
des avancées technologiques non prévisibles peuvent
retarder les tensions sur l’offre (nouveaux modes
d’extraction, découvertes…). L’équilibre offre/demande et en
conséquence le prix de l’énergie ne sont donc pas si
facilement prévisibles.
Conclusion
Au total, il apparait que les investisseurs comme les
économistes jugent les risques inflationnistes équilibrés. A
long terme, la meilleure pvision d’inflation en zone euro
reste finalement, pour eux, la cible de la BCE : un taux
d’inflation de 2 % par an. Du passage en revue des
principaux débats en cours sur le sujet de l’inflation, il
ressort que les risques de dérapage de l’inflation existent
mais qu’il ne faut pas les surestimer : des forces de rappel
ou de nouvelles sources de désinflation pourront
également se mettre en place.
95
100
105
110
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120
2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013
France Italie Espagne
Portugal Irlande France
>
Indicateurs clés au 31/10/2013
Croissance sur un an (%)
2009 2010 2011 2012 2013T2 2013* 2014*
France -3,2 1,7 2,0 0,0 0,4 0,1 0,9
Zone euro -4,4 2,0 1,5 -0,6 -0,5 -0,4 1,0
Etats-Unis -2,8 2,5 1,8 2,8 1,6 1,6 2,7
Chine 9,2 10,4 9,3 7,7 7,5 7,6 7,4
Taux (moyens, %) 2009 2010 2011 2012 oct.-13 2013** 2014**
Forward
fin 2013
Forward
fin 2014
Taux repo 1,26 1,00 1,25 0,88 0,50 0,50 0,50 - -
Eonia 0,71 0,44 0,87 0,23 0,09 - - 0,09 0,21
Euribor 3 mois 1,23 0,81 1,39 0,57 0,23 - - 0,24 0,40
OAT 10 ans 3,64 3,12 3,30 2,52 2,33 2,55 2,74 2,40 2,80
Inflation hors Tabac 0,10 1,40 2,00 1,90 0, 1,1*** 1,6*** - -
Livret A 2,08 1,44 2,06 2,25 1,25 - - - -
° mois précédent, * Consensus Bloomberg, moyenne annuelle ** Fin d'année
*** moyenne annuelle, pour l'inflation totale
Source : Bloomberg
Prévisions
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ISSN en cours.
L’activité est attendue en amélioration par les prévisionnistes.
En France, la croissance devrait dépasser 0,1 % en 2013
(c’est l’acquis de croissance à la fin du 2ème trimestre), et
pourrait approcher 1 % en 2014. Ce rebond est escompté
grâce à l’amélioration de la confiance des agents et à la
moindre rigueur budgétaire en 2014 (0,9 pt de PIB d’effort
structurel contre 1,7 pt en 2013). Le niveau des taux courts
est attendu stable, à un niveau bas : la reprise est insuffisante
pour que la BCE change de posture. Les taux longs, tels que
prévus par le consensus Bloomberg, sont attendus très
légèrement haussiers, sous l’influence de la hausse des
rendements américains due à la modulation à venir des
achats de titres de dette souveraine américaine par la Fed.
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