30 La Lettre du Psychiatre - Suppl. Les Actualités au vol. I - n° 5 - décembre 2005
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Le patient a peur d’être abandonné seul
face à sa maladie, et demande de l’aide.
Mais il a peur aussi d’être envahi,
dirigé, privé de son libre arbitre, c’est-
à-dire de disparaître en tant que per-
sonne volontaire dans la volonté d’un
autre, de perdre la maîtrise de son des-
tin. C’est pourquoi il arrive que, vis-à-
vis des êtres dont il a le plus besoin, le
patient ait des réactions d’opposition
ou d’agression paradoxales, par peur de
leur donner un pouvoir excessif en leur
confiant la résolution de ses soucis.
Il y a un équilibre à trouver entre
fusion et abandon, une juste distance à
définir pour aider sans remplacer, pour
soutenir sans porter.
Le souci est donc pour chacun des deux
protagonistes d’être reconnu et de se
reconnaître dans le miroir de l’autre en
l’acceptant, malgré les angoisses que
cela procure. Comme disait Jean Coc-
teau : “Les miroirs feraient bien de
réfléchir un peu avant de renvoyer des
images.”
Les mêmes enjeux sont mis en mouve-
ment entre le malade et sa famille, avec,
du fait de la maladie et des handicaps
qu’elle entraîne, une rééquilibration des
pouvoirs, des conflits de dominance qui
font resurgir les vieux problèmes, stabi-
lisés ou enfouis, les “cadavres du pla-
card” ; avec, à terme, la même problé-
matique qui est d’obtenir de la famille
comme, nous l’avons vu, du médecin,
une aide efficace, mais sans altération
du rôle social et de la dignité du
patient, dans le respect de son indivi-
dualité et de son libre arbitre. La bonne
connaissance de la situation sur ce plan
est essentielle pour savoir sur quel
niveau de soutien on peut compter en
ce qui concerne les aidants familiaux.
Une autre dualité, et non des moindres,
est celle du malade face à lui-même, lui
qui se demande ce qu’il va devenir par
rapport à ce qu’il était, ce qu’il va deve-
nir dans le regard des autres et ce qu’il
va devenir dans son propre regard.
Quelle estime de soi et quelle estime
des autres pourra-t-il avoir dans sa
nouvelle condition et pendant l’évolu-
tion de celle-ci ? Quelle image lui ren-
verra le miroir de Narcisse ?
Enfin, reste à considérer la dualité de la
mort. La première mort est la mort
sociale, avec d’abord l’isolement, puis
la perte de la communication verbale,
puis non verbale, jusqu’à devenir un
corps vivant, mais vide d’esprit.
Cela dure jusqu’à la mort légale, perte
de la vie, et enfin vient la mort totale,
lorsqu’on disparaît totalement du sou-
venir des autres.
Dans cette évolution, jusqu’à quand
peut-on avoir un contact avec autrui
sous quelque forme que ce soit ? Jus-
qu’à quand est-on une personne dans
cette première “entre-deux-morts” qui
sépare la mort sociale de la mort
légale ?
Déceler et rechercher le moindre signe
et le moindre moyen de communication
doit donc rester une préoccupation
constante de l’entourage thérapeutique
ou familial, mais cela, bien sûr, dépasse
considérablement le cadre de l’annonce.
Nous entrons là dans la dernière dua-
lité : celle qui sépare le connaissable de
l’inconnaissable, c’est-à-dire d’une part
ce qui est certain et ce qui peut être
connu et, d’autre part, ce qui ne pourra
jamais l’être.
Tant qu’une communication est pos-
sible, il faut dire ce qui est certain et
aider l’autre à en assumer les consé-
quences, dire aussi ce qui est possible
mais non encore connu, pour le com-
menter et le discuter. Pour ce qui est de
l’inconnaissable, il relève des convic-
tions philosophiques de chacun et il
faut l’encourager à en discuter avec ses
maîtres de conscience.
En fonction de ces éléments, on pourra
faire le point des faits, des projets pos-
sibles, accompagner le patient et sa
famille dans la conduite de ses deuils,
souvent itératifs, dans l’acceptation de
ce qui est inévitable, en rendant l’indi-
vidu malade le plus longtemps possible
acteur et décideur de son destin.
Nous l’avons vu, il nous faut tenir
compte dans ce domaine d’un ensemble
de choses sinon contradictoires du
moins opposées, entre lesquelles il faut
tenter de trouver le juste de milieu. Il
n’y a pas de solution parfaite, chaque
situation étant unique et chacun
devant faire face de son mieux à ses
propres peurs. Rien n’est sûr et, dans ce
cas, la chose la plus certaine est de
savoir douter, d’être perdu comme dans
le palais des glaces dans les images
mêlées d’une série de miroirs : le regard
de l’autre, miroir de son âme, le miroir
de Narcisse, image de soi-même, le
miroir d’Orphée, image de l’au-delà, et
le miroir aux alouettes des apparences
et des faux-semblants, qu’il nous faut
essayer d’éviter.
En conclusion, il me vient deux choses
en mémoire. Tout d’abord une citation
de Victor Hugo : “Dieu bénit l’homme
non pas pour avoir trouvé, mais pour
avoir cherché”, et les paroles d’un de
mes maîtres : “Le monde de l’esprit est
fait de deux compartiments : d’un côté
des questions, d’un autre des réponses.
Au milieu, ceux qui n’arrivent pas à
relier les unes aux autres, ceux qui
disent qu’existent des problèmes. Ceux-
là c’est nous, les imbéciles !” Puissent
cette réflexion et ces débats nous per-
mettre peut-être de l’être un peu moins
à l’avenir ! ■
Dr C. Mekies*
En France, plus de 700 000 personnes
sont atteintes de maladie d’Alzheimer
(MA), maladie dont l’incidence et la
prévalence vont augmenter dans les
prochaines années.
L’évolution des techniques permet un
diagnostic de plus en plus précoce, ce
qui amène à se poser le problème de
l’annonce du diagnostic dès les stades
légers à modérés, et parfois même à un
stade de trouble cognitif léger (mild
commitive impairment [MCI]) et donc
au stade prédémentiel de la MA.
D’un autre côté, à un stade plus avancé,
sachant que la MA se manifeste par un
trouble de la mémoire, du jugement et
qu’il y a souvent une anosognosie, y a-
t-il un sens à annoncer un diagnostic à
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* Capio-clinique des Cèdres, Toulouse,
secrétaire régional ANLLF Sud-Ouest.
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