>Écho
des Congrès
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La Lettre du Psychiatre - Suppl. Les Actualités au vol. I - n° 5 - décembre 2005 2929
L’ANNONCE DU DIAGNOSTIC
Dr P. J. Prince*
Pourquoi avons-nous choisi ce sujet ?
L’annonce du diagnostic et surtout celle
d’un diagnostic de maladie chronique
(soignable, mais non curable) soumet le
neurologue à toute une série d’ambi-
guïtés et à la nécessité de faire face à
des dualités multiples.
Le terme même d’annonce est
ambigu. Il vient du latin nuntius, qui
veut dire messager, précédé d’un “a”
privatif, ce qui signifie que l’annonce
est faite par celui qui n’a pas de mes-
sage, c’est-à-dire quelqu’un qui n’a
rien à dire, ou par un prophète, dont
la bouche n’est que l’instrument d’une
parole divine.
Nous ne nous reconnaissons dans
aucune de ces descriptions, car d’un
côté nous avons la plupart du temps
quelque chose à dire et, d’un autre
>
côté, aucun neurologue n’est un pro-
phète (bien que certains le croient,
mais cela nous entraînerait vers un
autre débat). Nous sommes entre les
deux situations, car nous devons dire
une parole qui n’est pas seulement un
ensemble de mots, mais un ensemble
de termes chargés de sens, une parole
qui ne fait pas que raisonner, mais qui
résonne et crée une onde de résonance
qu’on ne peut maîtriser.
D’où la première ambiguïté :
dire ou ne pas dire ?
“Taisez-vous si vos paroles ne valent
pas mieux que le silence”, disait déjà
Ménandre au IVesiècle av. J-C. Un pro-
verbe arabe affirme également : “Le
mot que tu retiens entre tes lèvres est
ton esclave, celui que tu prononces est
ton maître.”
Que dire donc qui vaille mieux que le
silence ? Quels sont les mots que l’on
peut maîtriser ? Est-ce que les mots
sont suffisants ?
Nous entrons là dans l’ambiguïté même
de la médecine, que l’on dit être à la
fois science des maladies et art de gué-
rir. Doit-on être technicien ou huma-
niste ? Doit-on traiter des maladies ou
soulager les malades ?
“En vérité, disait Alexis Carel, la méde-
cine doit être à la fois réaliste et nomi-
naliste. Il faut qu’elle étudie l’individu
aussi bien que sa maladie.”
Le médecin, face au malade, subit une
nouvelle dualité : chacun, inconsciem-
ment, reconnaît en l’autre une partie de
son image dans une interaction où se
jouent des éléments psychologiques
puissants.
D’abord, les fantasmes de puissance et
d’immortalité. Ils sont remis en cause
chez le malade, impuissant devant sa
maladie et dont le pouvoir d’action sur
le monde diminue d’autant, impuissant
également devant son destin, puisque
au bout de la maladie la mort guette,
mettant à mal son fantasme d’immorta-
lité.
En écho, comme Orphée qui espérait,
par sa musique et son amour, pouvoir
revenir sans encombre des enfers et en
ramener Eurydice en endormant Cer-
bère, le médecin doit avouer son
impuissance devant la maladie et la
mort, ce qui, outre la blessure narcis-
sique certaine que cela provoque,
anéantit son fantasme de pouvoir
contre la mort, lui renvoyant aussi l’an-
goissante image de sa propre et inéluc-
table finitude, devant laquelle il n’est
qu’un homme comme tous les autres.
Le deuxième couple d’angoisse en
miroir qui intervient dans cette relation
est l’angoisse d’abandon et l’angoisse
de fusion.
>
Colloque de la Fédération
des neurologues
du Languedoc-Roussillon
La Fédération des neurologues
du Languedoc-Roussillon (FNLR)
sous la présidence du Dr P.J. Prince a organisé
en janvier 2005 un colloque sur l’annonce
de la maladie d’Alzheimer.
Nous présentons ici les résumés de deux interventions.
* Président de la Fédération des neurologues
du Languedoc-Roussillon, Montpellier.
30 La Lettre du Psychiatre - Suppl. Les Actualités au vol. I - n° 5 - décembre 2005
3030
Le patient a peur d’être abandonné seul
face à sa maladie, et demande de l’aide.
Mais il a peur aussi d’être envahi,
dirigé, privé de son libre arbitre, c’est-
à-dire de disparaître en tant que per-
sonne volontaire dans la volonté d’un
autre, de perdre la maîtrise de son des-
tin. C’est pourquoi il arrive que, vis-à-
vis des êtres dont il a le plus besoin, le
patient ait des réactions d’opposition
ou d’agression paradoxales, par peur de
leur donner un pouvoir excessif en leur
confiant la résolution de ses soucis.
Il y a un équilibre à trouver entre
fusion et abandon, une juste distance à
définir pour aider sans remplacer, pour
soutenir sans porter.
Le souci est donc pour chacun des deux
protagonistes d’être reconnu et de se
reconnaître dans le miroir de l’autre en
l’acceptant, malgré les angoisses que
cela procure. Comme disait Jean Coc-
teau : “Les miroirs feraient bien de
réfléchir un peu avant de renvoyer des
images.”
Les mêmes enjeux sont mis en mouve-
ment entre le malade et sa famille, avec,
du fait de la maladie et des handicaps
qu’elle entraîne, une rééquilibration des
pouvoirs, des conflits de dominance qui
font resurgir les vieux problèmes, stabi-
lisés ou enfouis, les “cadavres du pla-
card” ; avec, à terme, la même problé-
matique qui est d’obtenir de la famille
comme, nous l’avons vu, du médecin,
une aide efficace, mais sans altération
du rôle social et de la dignité du
patient, dans le respect de son indivi-
dualité et de son libre arbitre. La bonne
connaissance de la situation sur ce plan
est essentielle pour savoir sur quel
niveau de soutien on peut compter en
ce qui concerne les aidants familiaux.
Une autre dualité, et non des moindres,
est celle du malade face à lui-même, lui
qui se demande ce qu’il va devenir par
rapport à ce qu’il était, ce qu’il va deve-
nir dans le regard des autres et ce qu’il
va devenir dans son propre regard.
Quelle estime de soi et quelle estime
des autres pourra-t-il avoir dans sa
nouvelle condition et pendant l’évolu-
tion de celle-ci ? Quelle image lui ren-
verra le miroir de Narcisse ?
Enfin, reste à considérer la dualité de la
mort. La première mort est la mort
sociale, avec d’abord l’isolement, puis
la perte de la communication verbale,
puis non verbale, jusqu’à devenir un
corps vivant, mais vide d’esprit.
Cela dure jusqu’à la mort légale, perte
de la vie, et enfin vient la mort totale,
lorsqu’on disparaît totalement du sou-
venir des autres.
Dans cette évolution, jusqu’à quand
peut-on avoir un contact avec autrui
sous quelque forme que ce soit ? Jus-
qu’à quand est-on une personne dans
cette première “entre-deux-morts” qui
sépare la mort sociale de la mort
légale ?
Déceler et rechercher le moindre signe
et le moindre moyen de communication
doit donc rester une préoccupation
constante de l’entourage thérapeutique
ou familial, mais cela, bien sûr, dépasse
considérablement le cadre de l’annonce.
Nous entrons là dans la dernière dua-
lité : celle qui sépare le connaissable de
l’inconnaissable, c’est-à-dire d’une part
ce qui est certain et ce qui peut être
connu et, d’autre part, ce qui ne pourra
jamais l’être.
Tant qu’une communication est pos-
sible, il faut dire ce qui est certain et
aider l’autre à en assumer les consé-
quences, dire aussi ce qui est possible
mais non encore connu, pour le com-
menter et le discuter. Pour ce qui est de
l’inconnaissable, il relève des convic-
tions philosophiques de chacun et il
faut l’encourager à en discuter avec ses
maîtres de conscience.
En fonction de ces éléments, on pourra
faire le point des faits, des projets pos-
sibles, accompagner le patient et sa
famille dans la conduite de ses deuils,
souvent itératifs, dans l’acceptation de
ce qui est inévitable, en rendant l’indi-
vidu malade le plus longtemps possible
acteur et décideur de son destin.
Nous l’avons vu, il nous faut tenir
compte dans ce domaine d’un ensemble
de choses sinon contradictoires du
moins opposées, entre lesquelles il faut
tenter de trouver le juste de milieu. Il
n’y a pas de solution parfaite, chaque
situation étant unique et chacun
devant faire face de son mieux à ses
propres peurs. Rien n’est sûr et, dans ce
cas, la chose la plus certaine est de
savoir douter, d’être perdu comme dans
le palais des glaces dans les images
mêlées d’une série de miroirs : le regard
de l’autre, miroir de son âme, le miroir
de Narcisse, image de soi-même, le
miroir d’Orphée, image de l’au-delà, et
le miroir aux alouettes des apparences
et des faux-semblants, qu’il nous faut
essayer d’éviter.
En conclusion, il me vient deux choses
en mémoire. Tout d’abord une citation
de Victor Hugo : “Dieu bénit l’homme
non pas pour avoir trouvé, mais pour
avoir cherché”, et les paroles d’un de
mes maîtres : “Le monde de l’esprit est
fait de deux compartiments : d’un côté
des questions, d’un autre des réponses.
Au milieu, ceux qui n’arrivent pas à
relier les unes aux autres, ceux qui
disent qu’existent des problèmes. Ceux-
là c’est nous, les imbéciles !” Puissent
cette réflexion et ces débats nous per-
mettre peut-être de l’être un peu moins
à l’avenir !
Dr C. Mekies*
En France, plus de 700 000 personnes
sont atteintes de maladie d’Alzheimer
(MA), maladie dont l’incidence et la
prévalence vont augmenter dans les
prochaines années.
L’évolution des techniques permet un
diagnostic de plus en plus précoce, ce
qui amène à se poser le problème de
l’annonce du diagnostic dès les stades
légers à modérés, et parfois même à un
stade de trouble cognitif léger (mild
commitive impairment [MCI]) et donc
au stade prédémentiel de la MA.
D’un autre côté, à un stade plus avancé,
sachant que la MA se manifeste par un
trouble de la mémoire, du jugement et
qu’il y a souvent une anosognosie, y a-
t-il un sens à annoncer un diagnostic à
>
* Capio-clinique des Cèdres, Toulouse,
secrétaire régional ANLLF Sud-Ouest.
>Écho
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La Lettre du Psychiatre - Suppl. Les Actualités au vol. I - n° 5 - décembre 2005 3131
un patient qui risque de ne pas le rete-
nir et dont il n’a pas conscience ?
Jusqu’à une période relativement
récente, le médecin se réservait le droit
ou le devoir de dissimuler des informa-
tions au patient sur son état de santé.
En effet, certaines d’entre elles, comme
un pronostic défavorable, étaient
jugées susceptibles de nuire au patient
concernant sa motivation à entre-
prendre un traitement ou son espoir de
guérison. En prenant l’exemple de la
cancérologie, il était d’usage d’em-
ployer des périphrases, telles que “gros-
seur, tache, cellules anormales”, tant le
diagnostic de cancer était lourd de sens
pour le patient et l’entourage.
Les mentalités ont aujourd’hui considé-
rablement évolué. Le droit à l’informa-
tion a rendu caduque cette attitude, ce
qui modifie la relation médecin-malade.
Que ce soit à propos du cancer ou du
sida, les malades revendiquent le droit
de savoir.
La loi du 4 mars 2002 sur les droits de
la personne malade accompagne
d’ailleurs cette évolution de pensée :
elle n’en est pas le point de départ,
mais plutôt une étape juridique dans la
modification des relations entre le
patient et le médecin.
Enfin, la médiatisation de la MA auprès
du grand public concourt à la déstig-
matisation de la maladie. La rend-elle
pour autant plus facilement recevable ?
Il faut cependant admettre que cette
meilleure connaissance de la sympto-
matologie par les patients et par leur
entourage ne permet plus, indépen-
damment de la loi, de dissimuler un
diagnostic trop évident sans nuire à
l’indispensable rapport de confiance
que nécessite la relation médicale.
Cette problématique nous a conduits à
élaborer un programme de formation à
l’usage des neurologues, des gériatres,
des psychiatres et des généralistes. Il a
été réalisé par l’Association des neuro-
logues libéraux de langue française
(ANLLF), en partenariat avec l’Institut
Alzheimer (laboratoire EISAI). Il s’agit
d’un programme national décliné au
niveau régional. Intitulé “Réfléchir
ensemble au processus d’annonce dans
la maladie d’Alzheimer”, il avait pour
objectif d’échanger les expériences des
différents acteurs professionnels autour
de cette problématique, en prenant
pour cadre des jeux de rôle. Il était
étayé par de nombreux supports (livret-
questionnaire, cédérom, aides à l’an-
nonce, etc.).
Deux questions peuvent être posées :
quelles sont les raisons des difficultés
de l’annonce, et quels sont les argu-
ments en faveur de cette annonce ?
Les raisons des difficultés
de l’annonce
L’annonce d’une maladie incurable
Une des principales difficultés à annon-
cer le diagnostic s’argumente autour du
caractère incurable de la MA. Le pro-
nostic à annoncer est pour beaucoup
dans les freins rencontrés par les clini-
ciens : beaucoup anticipent l’évolution
finale du processus de dégradation et
craignent de devoir annoncer la
“démence” dans toute sa dimension
tragique.
Cependant, ce sombre pronostic est
partagé avec un certain nombre de
maladies dans lesquelles la stratégie
d’annonce a notablement évolué.
Ainsi, en 1961, 90 % des médecins
n’annonçaient pas le diagnostic de can-
cer. Seize ans plus tard, ils étaient 97 %
à le donner. Les progrès thérapeutiques
et la plus grande précocité du diagnos-
tic grâce à des dépistages plus systé-
matisés ont certainement contribué à
cette évolution, mais il ne faut pas
sous-estimer le désir d’information par
les patients, désireux aujourd’hui, en
grande majorité, d’avoir leur diagnostic.
L’évolution juridique aboutissant à la
loi du 4 mars 2002 est souvent jugée
comme la conséquence des démarches
militantes menées par les associations
de patients souffrant de sida. Dans le
domaine de la psychiatrie, de nom-
breuses associations de familles se bat-
tent aujourd’hui pour que les diagnos-
tics de schizophrénie soient nommés.
S’il n’est pas possible de comparer stric-
tement l’évolution de la MA à celle des
maladies citées ci-dessus, le caractère
incurable ne semble cependant pas
être un critère différentiel majeur qui
justifierait une attitude radicalement
différente.
Sans doute peut-on se poser la ques-
tion de savoir ce qui rend l’annonce
quelquefois si difficile, en s’interro-
geant sur les rapports personnels du
médecin à la MA. La maladie a une
représentation négative pour le corps
médical, qui a longtemps considéré
celle-ci comme une maladie incurable,
peu gratifiante.
L’incertitude diagnostique
Vassilas et al. ont réalisé une enquête
auprès de médecins généralistes de la
région de Cambridge concernant leur
attitude vis-à-vis de l’annonce d’un dia-
gnostic de cancer ou de démence. La
plupart des médecins déclaraient don-
ner un diagnostic de cancer terminal
systématiquement (27 %) ou souvent
(67 %), ce qui était loin d’être le cas
dans la démence (respectivement 5 %
et 34 % des cas). La principale raison
évoquée était l’incertitude diagnostique
dans la MA.
Si la question se pose à des stades très
précoces, voire dans le MCI, quel sens
a-t-elle en pratique si le doute persiste
au sein du groupe des démences, dont
le mauvais pronostic global est connu ?
Par ailleurs, les procédures de dépistage
et de diagnostic précoce s’améliorent
de jour en jour grâce aux formations et
à des recommandations de pratique de
mieux en mieux codifiées (Anaes).
La perte d’identité
Au-delà du caractère incurable de la
maladie, un des aspects dramatiques
consiste dans la perte d’identité dont
souffrira le malade. L’image que le
médecin se fait de cette perte d’iden-
tité et la projection qu’il en fait sur le
patient constitue l’un des freins
majeurs à l’annonce du diagnostic.
Liée à la perte d’identité, la détériora-
tion cognitive est un autre argument
qui fait débat autour de l’annonce. En
schématisant le problème à outrance,
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nous pourrions le présenter de la façon
suivante : pourquoi annoncer à quel-
qu’un qui va encore bien l’inexorable
dégradation cognitive liée à la mala-
die ? Et, en miroir, pourquoi se mettre
émotionnellement en difficulté en
annonçant le diagnostic à un patient
qui ne possède plus les capacités
cognitives pour comprendre ou les
capacités mnésiques pour mémoriser le
sens de ce diagnostic ?
Il est évident que, dans la pratique quo-
tidienne, le problème se pose rarement
en des termes aussi tranchés, ce qui
implique l’absence de réponses uni-
voques.
Le risque émotionnel
Annoncer un diagnostic grave ne doit
jamais être considéré comme un temps
banal dans la relation médecin-
malade. L’émotion, à n’importe quel
moment, reste toujours présente : pour
le patient évidemment, pour l’entou-
rage, mais aussi pour le médecin lui-
même. Il faut savoir que, quelle que
soit la modalité de l’annonce, celle-ci
sera ressentie par le patient comme un
véritable choc.
Le patient perçoit cette maladie dans
des termes variables, mais très généra-
lement péjoratifs : perte de dignité,
perte d’autonomie, catastrophe, hor-
reur, sans espoir…
Les réactions personnelles du médecin
sont variables et ont été exprimées
dans une enquête par les termes : neu-
tralité, compassion, empathie, opti-
misme, attitude rassurante, embarras,
attention, bienveillance…
La question du ressenti de l’aidant au
moment de l’annonce du diagnostic fait
apparaître des mots tels que : choc,
désarroi, désespoir, anéantissement,
impuissance…
Le discours devra être clair : à la fois
réaliste quant à la gravité de la mala-
die, mais aussi rassurant, s’appuyant
sur la possibilité d’un traitement symp-
tomatique, sur le suivi global, en mon-
trant au patient qu’on ne le laisse pas
tomber, mais qu’on va l’accompagner
dans sa maladie.
Cette annonce va être à l’origine de
multiples interrogations de la part du
patient, dont les principales tournent
autour des possibilités de traitement,
de l’évolution de la maladie, des causes,
de l’hérédité… Il faudra donner au
patient la possibilité d’y répondre, par
exemple en proposant un autre rendez-
vous pour aborder ces problèmes, mais
en ayant délivré les informations mini-
males.
Quelques idées reçues doivent cepen-
dant être combattues. Si des réactions
de tristesse, voire de stress, sont fré-
quentes au moment de la formulation
du diagnostic, l’annonce du diagnostic
n’entraîne pas une augmentation
notable de la fréquence des tableaux
dépressifs ou anxieux avérés, ni de la
suicidalité.
Les arguments en faveur
de l’annonce du diagnostic
Le désir de savoir de la part du
patient
La projection des désirs du patient est
ici d’autant plus importante que les
déficits cognitifs sont censés abolir sa
capacité à exprimer sa propre volonté.
En ce qui concerne l’entourage, les
choses semblent complexes. En effet,
lorsqu’on interroge les aidants familiaux
de patients, comme cela a été fait dans
une étude irlandaise, plus de 80 %
d’entre eux souhaitent que leur malade
ne sache pas le diagnostic, alors que
71 % déclarent dans le même temps
qu’ils souhaiteraient être informés per-
sonnellement de leur diagnostic s’ils
étaient dans une situation similaire.
La loi du 4 mars 2002
La loi du 4 mars 2002 établit un devoir
médico-légal d’information du malade.
Il ne s’agit plus d’une règle de déonto-
logie, mais d’une véritable obligation
légale, avec nécessité pour le clinicien
de faire la preuve que l’information a
été correctement donnée. Il semble
important de rappeler ici que cette loi
ne génère pas par elle-même l’évolution
de la relation médecin-patient, mais
qu’elle est l’aboutissement de la modi-
fication des mentalités, tout particuliè-
rement grâce à l’implication grandis-
sante des associations de familles et de
patients.
La précocité du diagnostic, des
patients plus jeunes, la possibilité
d’agir
Comme nous le disions en introduction,
le diagnostic de MA peut être porté à
un stade de plus en plus précoce,
devant une simple plainte mnésique.
Cela peut conduire à annoncer le dia-
gnostic à un patient qui a toutes les
capacités cognitives pour intégrer
celui-ci et pouvoir s’organiser pour
gérer son avenir. Cette annonce est
d’autant plus nécessaire que les traite-
ments actuellement disponibles sont
efficaces à la phase précoce de la mala-
die (tant que la perte neuronale n’est
pas encore massive). Par ailleurs, les
notices médicamenteuses indiquent
clairement “traitement symptomatique
de la maladie d’Alzheimer”.
L’adhésion au processus de soins
Une annonce clairement établie aura
pour but d’envisager une relation méde-
cin-malade plus sincère. Il a été nette-
ment démontré que l’adhésion au pro-
cessus de soins était meilleure lorsque
le diagnostic avait été bien établi et
que les différentes questions relatives à
la pathologie avaient été abordées par
le médecin et son patient.
La médiatisation et la déstigmati-
sation
Un effort de médiatisation est actuelle-
ment en cours pour modifier la repré-
sentation négative de la maladie auprès
du corps médical et de la population
générale. On citera plusieurs sites
Internet créés ces dernières années, les
associations de patients et la Journée
mondiale Alzheimer. Tout cela a connu
un développement incroyable sous l’im-
pulsion de la communauté médicale,
des patients et de leur famille, ce qui a
permis d’aboutir à un programme d’ac-
tion pour les patients souffrant de MA
et de maladie apparentée présenté par
le gouvernement en octobre 2001.
33
La Lettre du Psychiatre - Suppl. Les Actualités au vol. I - n° 5 - décembre 2005 3333
Conclusion
Il n’y a donc pas de recette pour
annoncer. La réflexion du médecin lui-
même et son ressenti vis-à-vis de la
maladie vont lui permettre d’appréhen-
der au mieux cette annonce qui est
toujours délicate. Une des principales
recommandations consiste à éviter l’im-
provisation : se préparer techniquement
et sur le plan émotionnel est un des
facteurs de réussite du processus d’an-
nonce. Par ailleurs, il ne suffit pas de
faire l’annonce, mais il faut en gérer les
conséquences auprès du malade et de
son entourage. D’où l’intérêt d’une
réflexion en amont et donc de ce pro-
gramme national de l’ANLLF et de l’Ins-
titut Alzheimer.
Cette annonce doit être associée à un
projet de soin et à une prise en charge
globale. Celle-ci comprend le suivi du
patient en partenariat avec d’autres
acteurs professionnels de la santé, la
prévention et le traitement des compli-
cations somatiques et des situations de
crise, la mise en place d’aides adaptées
et le soutien des familles.
Il y a dix ans, le problème de l’annonce
du diagnostic de MA n’avait peut-être
pas lieu d’être. Souhaitons que, dans
moins d’une décennie, ce ne soit plus
un problème, mais un acte thérapeu-
tique s’intégrant naturellement dans la
prise en charge des patients souffrant
de MA.
Dr I. Moley-Massol*,
psychothérapeute, Paris
Comment évaluer la souffrance du
malade victime d’une maladie neurolo-
gique ? Comment comprendre sa repré-
sentation de la maladie ?
Un cerveau peut-il être malade ? Quel
sens cela revêt-il ?
Le cerveau n’est pas un organe comme
les autres. Il représente l’individu dans
>
sa singularité, telle une carte d’identité
où s’écrirait toute l’histoire du sujet.
Centre du langage et de la communica-
tion, il est le lieu secret et supposé de
la pensée, de l’intelligence, de la
mémoire et de la créativité. Il est aussi
le témoin de l’évolution de l’espèce,
dont il garde des traces. Il marque la
supériorité de l’homme sur l’animal.
Infiniment complexe et mystérieux, le
cerveau serait le propre de l’homme, de
chaque homme, le lieu sacré de son
intimité et de sa liberté psychiques,
intouchable.
Une maladie neurologique est vécue
comme une atteinte de l’identité psy-
chique du sujet. Ne dit-on pas en par-
lant de ces malades :”Il n’est plus lui-
même” ?
Avoir une maladie d’Alzheimer, n’est-ce
pas déjà commencer à mourir pour les
autres, être là sans ne plus y être vrai-
ment ?
Les troubles de la mémoire et de la
cognition sont très douloureusement
vécus par le malade qui se sent évalué
comme un enfant et remis en cause à
travers l’évaluation de ses performances
intellectuelles. Il craint d’être pris pour
un fou, “un dément”, un imbécile.
Le médecin doit veiller à ce que le
malade ne se sente ni jugé ni infanti-
lisé par les tests et les examens, d’au-
tant que la famille, souvent dans le
déni de la maladie, impute les troubles
mnésiques et neurologiques au manque
de volonté du malade : “Il ne fait aucun
effort, il n’essaie même pas !”.
L’annonce d’une maladie d’Alzheimer
(MA) pose la question de fond et de
forme de l’information à donner au
malade et à ses proches sur la maladie,
son origine organique, les traitements
et toutes les formes de ressources exis-
tantes, afin d’aider chacun à “apprivoi-
ser” pas à pas l’idée de la maladie et à
construire une relation nouvelle, dans
le présent.
Le temps des premiers mots énoncés
est unique, essentiel, fondateur, il
marque à tout jamais l’imaginaire du
malade, de ses proches et la relation
médecin-malade-maladie
Tous les témoignages l’affirment, l’an-
nonce d’une maladie grave ou chro-
nique reste gravée comme une terrible
nouvelle, marquant la fin d’une vie où
la maladie était absente, impensable.
Il n’existe pas une “bonne” façon d’an-
noncer une mauvaise nouvelle ; cer-
taines sont toutefois moins dévasta-
trices que d’autres, et celui qui l’énonce
est toujours un oiseau de mauvais
augure, irrémédiablement lié au mal-
heur qu’il désigne.
L’annonce d’une maladie est toujours un
traumatisme. Avant, il y a le doute et
l’inquiétude, puis les mots tombent et
le temps s’arrête, c’est la sidération.
D’un côté, l’annonce lève le doute et de
l’autre, elle marque de façon indélébile
l’avenir. Le futur devient soudain inima-
ginable.
Comment, pour le médecin, trouver les
mots, communiquer avec la parole, les
gestes, le regard, sa présence à l’autre,
dans l’instant et jusqu’au bout de l’his-
toire qui commence à s’écrire ?
Comment, pour le malade et pour les
proches, surmonter l’annonce, s’adapter,
se reconstruire, donner un sens au pré-
sent, penser un autre avenir, un autre
projet de vie ?
Il s’agit, pour le médecin, de ne pas
figer l’avenir, devenu source de toutes
les angoisses, et de prendre en compte
les représentations que revêt la maladie
ou le handicap, pour le malade et sa
famille.
Annoncer une maladie ou un handicap
ne signifie pas “lâcher” l’information
comme une sentence et s’en délester
auprès du malade, mais, au contraire,
diffuser une information adaptée, pro-
gressive, respectueuse du sujet, de sa
demande, de ses ressources et de ses
mécanismes de défense, une informa-
tion qui crée le lien, ouverte sur
l’échange et qui aide le malade à trou-
ver un sens à ce qui lui arrive, sans
honte ni culpabilité, et ouvrir vers un
devenir, toujours porteur d’espoir, mais
d’un espoir réaliste.
Quelque chose de sacré se joue au
moment de l’annonce, dans la relation
qui unit médecin-malade-maladie.
* Auteur du livre : “L’annonce de la mala-
die. Une parole qui engage”. Éditions
Datebe, Paris 2004. [email protected]
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