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RAPPORT 2007 : CHAPITRE III
Fraude et corruption dans l'économie : comment la criminalité a investi le monde des affaires ?
Les groupes criminels organisés appartiennent à la face cachée de l’économie de marché. Leurs stratégies consistent, dans la plupart des cas,
à se fondre dans les circuits économiques dont ils utilisent les points faibles.
Les criminels y parviennent en recourant à des montages frauduleux, notamment dans les secteurs d’activité encore mal protégés, comme par
exemple Internet. Ils ont su, depuis fort longtemps, tisser des liens entre l’économie légale et l’économie souterraine en s’imposant dans les
activités que personne, pour diverses raisons, ne veut ou ne peut exercer, au point, parfois, de parvenir à verrouiller à leur profit certaines
filières d’activité telles que la sous-traitance dans le BTP, la confection, les travaux agricoles… La criminalité a su se rendre incontournable
dans certains domaines. En définitive, elle affirme sa présence dans l’économie lorsqu’elle rend un service qui, réalisé par des voies normales,
serait beaucoup plus onéreux.
Cet entrisme se développe aisément dans les sociétés peu organisées, mais il affecte désormais les pays juridiquement structurés. Avec la
mondialisation de l’économie, les méthodes criminelles se sont répandues dans la plupart des pays, et même dans ceux qui se croyaient
protégés. Le développement de la criminalité a accompagné celui du commerce international. Les groupes criminels qui se sentaient à l’étroit
ou qui ne voyaient pas d’avenir dans leur pays d’origine ont investi d’autres zones géographiques et se sont durablement implantés dans les
économies développées. Ils y exercent des activités illégales, peu visibles et fort lucratives tout en bénéficiant des avantages et protections
légales qui caractérisent ces pays.
Ce phénomène prend une ampleur qui devient inquiétante. Une fois devenue l’une des composantes de l’économie, la criminalité sous-jacente
n’est plus identifiable comme telle. Une illustration en est donnée par les escroqueries liées aux carrousels de Taxe à la Valeur Ajoutée. Ces
derniers, créés à l’initiative d’entreprises ayant pignon sur rue, impliquent systématiquement l’intervention de structures criminelles : ces
dernières sont devenues incontournables ! Plus grave encore, la corruption et le blanchiment ont connu un développement considérable en
utilisant trois leviers : l’intérêt, la menace et la crainte !
L’analyse de la nature des structures de fraude, de corruption et de blanchiment, fait apparaître deux constats:
Le premier constat est le caractère très élaboré des montages et leur haut niveau d’efficience économique. La criminalité a depuis longtemps
su tirer profit des principes du libéralisme et de la mondialisation, et notamment celui de la main invisible. Les préceptes développés par Adam
Smith et réactualisés par Milton Friedman ont été récupérés par les groupes criminels dans leur activité économique avec comme slogan le
« no control, no limit » !
Le deuxième constat réside dans le fait que, à chacun des niveaux significatifs des processus analysés, tout semble avoir été aménagé au
préalable et selon un schéma préétabli au point qu’on peut se demander comment certaines « bonnes pratiques » ont pu se diffuser aussi
facilement. En effet, cette diffusion ne peut être le fait d’une créativité purement locale. Il faut bien que les innovations soient élaborées,
colportées et déclinées au moyen de supports adaptés. La grande criminalité a su s’entourer de conseils qui l’ont aidée dans l’élaboration de
ces montages.
LES RAISONS QUI EXPLIQUENT L’ENTREE DE LA CRIMINALITE DANS L’ECONOMIE
La criminalité et les mafias disposent d’un savoir-faire qu’elles savent adapter aux besoins des entreprises.
L’activité « d’assureur » illégal assuré par certaines mafias dans le domaine des ventes d’armes légères en est un bon exemple. Ce secteur,
dont l’expansion est très forte, met en présence des groupes de combattants et des fournisseurs. Les fournisseurs appartiennent pour partie à
des entreprises officielles (les produits sont alors détournés), ou sont des industriels camouflés assurant une prestation temporaire. Les clients
sont, quant à eux , des entités clandestines appartenant à des groupes qui sont liés à un Etat, à des structures officieuses si elles sont dirigées
contre l’Etat, ou travaillent pour leur propre compte. Quant aux intermédiaires, tous les schémas sont possibles. Lorsqu’une vente de ce type
se réalise, l’élément essentiel du contrat- la confiance entre les parties- comporte un certain nombre d’aléas. Un « juge de paix » doit garantir
aux deux parties que le produit arrivera en lieu et place au moment donné et que le paiement sera aussi effectif. Cette fonction est assurée
par certains groupes mafieux, qui, moyennant une commission, se sont porté garants de l’arrivée à bon port de la marchandise.
Cette remarquable capacité à pourvoir à un besoin laissé à l’abandon, est une constante historique de la criminalité. Dans les pays développés
les criminels gèrent leur fonds de commerce en coordonnant et rendant efficace l’utilisation de l’immigration clandestine, en mettant en place,
en finançant des circuits de contrefaçon et enfin en investissant.
L’IMMIGRATION CLANDESTINE
La grande criminalité est présente directement ou indirectement dans l’immigration clandestine organisée. Outre le savoir-faire qu’elle possède
de longue date dans la gestion des flux de prostitution, elle maîtrise parfaitement la gestion des moyens adaptés à ce type d’activité : la force
pour persuader, et la pratique de la corruption à tous les niveaux lorsque la persuasion n’a pas suffi.
Si l'on raisonne du strict point de vue économique, la grande criminalité dispose de tous les atouts pour gérer efficacement ce trafic. Elle le
maîtrise depuis son origine (à travers les groupes ethniques, sujets d’immigration) jusqu’à son terme (la mise à disposition de travailleurs).
Elle dispose dans ses rangs, quelle que soit la structure :
- des personnes dans les pays d’émigration qui sont, moyennant rémunération, susceptibles de démarcher les volontaires au départ.
C’est ainsi que s’est organisé un marketing de l’immigration. Les « petites mains » des criminels font payer leurs services et trouvent sur place
le moyen de s’enrichir en exerçant cette activité et quelques autres dont les enlèvements, le transport et la vente sur place de drogues.