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LE NATURALISTE CANADIEN, VOL. 130 No 2 ÉTÉ 2006
ENVIRONNEMENT
d’évaluer des milieux humides du Michigan, Wolfson et al.
(2002) concluent que, pour ne pas induire de mauvaise inter-
prétation dans l’évaluation, les SIG devraient toujours être
combinés à des validations effectuées sur le terrain.
Lors de l’adoption de la convention de Ramsar sur les
zones humides en 2002, il a été évoqué qu’il n’existe actuel-
lement aucun modèle intégré simplifié d’inventaire qui per-
mette d’évaluer et de suivre l’évolution des milieux humides
de façon à identifier, à délimiter et à optimiser leurs rôles
essentiels (Finlayson, 2003). Les inconvénients des méthodes
existantes sont essentiellement liés aux efforts considéra-
bles qui doivent être déployés, aux contraintes techniques, à
l’inapplicabilité sur une aire géographique étendue et, enfin,
aux difficultés d’identification des types de milieux humides
et de leurs rôles.
Dans une tentative de pallier ces inconvénients, une
méthode d’évaluation par facteurs biophysiques fonction-
nels (FBF) est présentée dans ce document. Elle consiste
à mesurer six facteurs biophysiques qui permettent aux
milieux humides de remplir leurs trois rôles écologiques
essentiels concomitants au niveau des cycles hydrologique
et biogéochimique et de servir d’habitat et de nourriture
pour la faune (Tiner, 1999 ; Mitsch et Gosselink, 2000). Le
rôle hydrologique (processus physique) représente la con-
tribution du milieu humide à la quantité des eaux de surface
et des eaux souterraines. Le rôle biogéochimique (processus
chimique) représente la contribution du milieu humide à la
qualité des eaux de surface et des eaux souterraines. Le rôle
d’habitat (processus biologique) représente la contribution
du milieu humide à l’abondance et à la diversité d’espèces.
En plus de caractériser les milieux humides, cette méthode
permet de leur octroyer un indice de qualité d’habitat d’un
point de vue écologique, selon leur capacité fonctionnelle.
Puisque les milieux humides inventoriés sont comparés les
uns aux autres en termes de qualité d’habitat, aucun effort
n’est déployé au préalable afin de déterminer des milieux de
référence. La valeur écologique globale du milieu humide
déterminera par le fait même sa catégorie de référence.
Choix des facteurs clés
Six facteurs essentiels ont été identifiés comme com-
posantes du milieu humide contribuant aux trois rôles éco-
logiques des milieux humides et régissant leur performance
ou leur capacité à exercer leurs rôles. Il s’agit de la superficie
du milieu humide, de l’hydropériodicité, de l’hydroconnec-
tivité, de l’hétérogénéité, de l’intégrité du milieu adjacent et
de la fragmentation.
La superficie d’un milieu humide est un indicateur de
sa capacité à filtrer les apports en sédiments, éléments nutri-
tifs, pathogènes et contaminants et à abriter une faune et
une flore abondante (Tiner, 1999 ; Mitch et Gosselink, 2000 ;
Kent, 2000). Elle indique également son potentiel comme
source d’approvisionnement en eau ainsi que sa capacité
à réalimenter la nappe phréatique et à atténuer les effets de
la sécheresse et des inondations. La superficie d’un milieu
humide est en relation positive avec sa capacité d’emma-
gasinage des eaux (Cedfeldt et al., 2000). De plus, elle a un
effet fondamental sur la performance des espèces (Fahrig et
Merriam, 1985 ; Robinson et al., 1992). Selon Schweiger et al.
(2002), la superficie augmente la résilience et la distribution
des espèces.
L’hydropériodicité est un indicateur de la présence
d’eau sous trois formes durant la période de croissance des
plantes et du cycle annuel vital de la faune. La présence d’eau
libre sans végétation, d’eau avec végétation émergente et
d’eau près de la surface du sol (sol saturé d’eau) est un indi-
cateur de la capacité du milieu humide à répondre aux diffé-
rents besoins de la faune, principalement durant la période de
reproduction. Selon Babbitt et al. (2003), l’hydropériodicité
influence la richesse en espèces, la distribution et la compo-
sition des communautés larvaires d’amphibiens. Les dispari-
tés en termes d’assemblages sont entre autres attribuables au
temps nécessaire à l’achèvement du développement larvaire
d’une espèce (Babbitt et al., 2003) ou encore à son cycle vital
(Kolozsvary et Swihart, 1999). Les petits milieux humides
isolés de faible hydropériodicité sont souvent les premiers à
intercepter les eaux de surface et les eaux souterraines pro-
venant de sources variées, tels les champs agricoles (Hol-
land et al., 1990 ; Lowrance et al., 1995, cités dans Whigham,
1999). Ils jouent ainsi un rôle clé dans la filtration et la régu-
lation des eaux de ruissellement.
L’hétérogénéité du milieu humide fait référence à la
structure physique de la végétation. Elle concerne le nombre
de strates végétales présentes dans le milieu. Les strates her-
bacée (de bas et de haut marais), arbustive et arborescente,
se développent généralement suivant la toposéquence du
terrain et le gradient d’humidité du sol. L’hétérogénéité du
couvert végétal d’un milieu humide détermine sa capacité à
intercepter les nutriments (Fennessey et Cronk, 1997, cités
dans Ducks Unlimited Canada, 2001) et à les transformer en
particules organiques, ce qui permet d’améliorer la qualité
de l’eau (Ducks Unlimited Canada, 2001). La végétation
d’un milieu humide réduit significativement le débit des
apports d’eaux (Carter et al., 1978, cités dans Ducks Unli-
mited Canada, 2001). En effet, lorsque de l’eau de surface
parvient à un milieu humide, la végétation disperse l’entrée
d’eau, réduit sa vitesse d’écoulement et augmente son temps
de résilience à l’intérieur du milieu (Brown, 1988 ; Winter et
Woo, 1990, cités dans Ducks Unlimited Canada, 2001). La
diminution de la vitesse d’écoulement des eaux de ruisselle-
ment est en lien direct avec le taux de sédimentation (Brown,
1988 ; Hammer, 1993, cités dans Ducks Unlimited Canada,
2001). Un taux de sédimentation élevé diminue les risques
de mortalité chez les poissons et les organismes benthiques
et aide, entre autres, au maintien de la productivité primaire
et à la qualité de l’habitat de reproduction piscicole (Gleason
et Euliss, 1998 ; U.S.E.P.A., 2000, cités dans Ducks Unlimited
Canada, 2001). Il a également été observé que l’abondance
d’amphibiens et de reptiles augmente avec la complexité de
la végétation (Jobin et al., 2004).