croisement interdisciplinaire vise à établir une lecture politique de la spatialité des situations de
classe.
L’idée d’espace en partage est celle d’un monde commun dont la pluralité est la condition. Cette
condition est à entendre comme condition per quam de toute vie politique, c’est-à-dire publique, et
non pas comme condition sine qua non (Arendt, 1983, p.42). Le partage n’est ni la fusion (tous
identiques), ni l’atomisme (rien de commun). C’est par les objets fabriqués par les êtres humains que
le monde advient, qui n’est pas une nature. La condition de ce monde commun est l’existence
d’objets qui peuvent à la fois séparer et relier les personnes (ibid., p.92). L’école a à faire entrer des
nouveaux venus dans ce monde commun. Dans une classe, les objets placés entre les personnes
(tableau, tables, cahiers, etc.) peuvent être des voies d’accès à et des moyens d’éprouver ce monde
commun, ou au contraire, faire obstacle à cet accès. Certains enseignants parviennent à coordonner
les élèves et eux-mêmes, par ces objets qui fonctionnent alors comme des opérateurs spatiaux
(Lussault, 2000) de ce monde commun, d’autres n’y parviennent pas. Nous pouvons alors reprendre
la tension lieu/espace soulignée et discutée par des géographes anglo-saxons (Tuan, 1977 ; Taylor,
2001) pour expliciter ces constats dans le contexte spatial de l’action scolaire. Si le lieu est pour nous
« là où quelque chose se trouve ou/et se passe » (Lévy et Lussault, 2003, p.555) de l’ordre d’une
relation d’apprentissage, alors il est un accès à ce monde commun que construit le professeur. Il est
promesse d’une vie démocratique parce qu’il initie à une pluralité en partage. En revanche, tous les
usages des objets ne conduisent pas nécessairement à l’établissement de cette relation. C’est alors
un espace de domination qui fonctionne, les objets ne font plus médiation et la culture légitime, au
lieu d’être partagée, exclut les élèves.
La recherche qui soutient cette élaboration a été conduite entre 2011 et 2013 dans le quartier de la
Duchère à Lyon, quartier en rénovation urbaine et dont les établissements fonctionnent en réseau
ECLAIR (Ecole Collège Lycée pour l’Ambition, l’Innovation et la Réussite). Intitulée Culture écrite et
prévention du décrochage : enjeux cognitifs, culturels et sociaux, cette recherche s’est inscrite dans
un partenariat entre l’IFE (Institut Français d’Education) et la Fondation de France. Il s’est agi de
repérer ce qui pouvait prévenir du décrochage dans la culture écrite scolaire, lors du suivi
longitudinal (deux ans) d’enfants de CM2 passant ensuite en classe de 6eme.
Le cas d’étude que nous proposons est celui d’une classe de sixième observée avec différents
professeurs, en français, en anglais, en éducation musicale, en mathématiques, etc. Selon les
pratiques des professeurs, le tableau, objet scolaire ordinaire s’il en est, varie du statut d’opérateur
spatial des apprentissages (par exemple, plusieurs enfants écrivent en même temps, des textes
différents, sous le regard et avec les commentaires du reste de la classe) à celui d’objet inerte (par
exemple, la vidéo-projection sur le tableau d’un texte de cours déjà prêt et qui se déroule sans
aucune interaction « au » ou par rapport au tableau). L’observation de la dimension spatiale de la
forme scolaire, investie à l’échelon de la classe par chaque professeur, donne les moyens de
départager les situations qui engagent les enfants dans les apprentissages de celles qui les excluent.
La fabrique des inégalités scolaires, généralement étudiée à des échelons supérieurs, est ainsi
montrée à l’œuvre dans les salles de classe et par la spatialité de l’ordinaire scolaire.
Références bibliographiques