3
voilà par une multitude de nouveaux besoins assujetti […] à ses semblables dont
il devient l’esclave4 […]
L’amour-propre est un concept qui rappelle la recherche de l’honneur d’Aristote5 : se faire
le pantin des désirs des autres pour être accepté, acclamé et glorifié. L’homme qui y
succombe est pris par une peur si grande de déplaire qu’il préfère tout effacer de sa
véritable nature pour devenir une sorte de caméléon s’adaptant aux modes, aux courants de
pensée, ou simplement aux goûts des personnes avec qui il se trouve6. En somme, il est
clair que la peur de l’ostracisme retire à l’homme qui y est soumis sa personnalité réelle, en
lui substituant un caractère malléable et influencé par les préférences de son entourage.
D’autre part, la peur des conséquences de ses actes paralyse toute envie de mener sa vie
librement. En se soumettant à ce qui est attendu de lui, l’homme qui mène son existence en
refusant d’emprunter certaines voies par peur de ce que cela entraînerait n’a pas un contrôle
soutenu de son avenir. Kant explique effectivement que le spectre des conséquences
légales, religieuses, familiales, économiques ou autres est une sérieuse motivation pour agir
conformément au devoir, c’est-à-dire légalement. Kant accorde une valeur morale
importante à des actes dépourvus de motifs personnels et qui ne sont pas posés faute de
meilleure option, mais bien par devoir. Cela signifie qu’il faut que les décisions d’un être
ne doivent en aucun cas être influencées par des intérêts privés ou par la crainte d’un
châtiment pour être moralement souhaitables7. Agir de façon à contourner obstacles et
conséquences néfastes serait évidemment le meilleur moyen pour un homme de perdre son
pouvoir décisionnel, puisqu’aucune de ses décisions ne serait motivée par sa propre
volonté. Par opposition à une vie courageuse, ce mode d’existence est intrinsèquement basé
4 ROUSSEAU, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité entre les hommes, p. 235.
5 ARISTOTE, Éthique à Nicomaque, trad. Tricot, Paris, Vrin, 1967.
6 Ibid.
7 Emmanuel KANT, Fondements de la métaphysique des mœurs, p. 94-96.