Présentation des Œuvres
J. Brahms, Trio pour piano et cordes n°1 opus 8
Plus tard la mer retrouvée…
Traversée de mouettes violentes et de houles
blanches, telle est la musique. du jeune Brahms.
Lacs en brume aux bruits assourdis, odeur
ancienne des feuilles passées, éclats déjà mangés
par le silence, ors estompés de la clarinette ou du
cor, telle sera la musique du dernier Brahms.
Et voilà qu'une œuvre rejoint les rêves latents de
tout amoureux de Brahms : le croisement du jeune
homme flamboyant de vingt ans, et du vieil homme
marchant de-ci de-là dans le tourbillon des feuilles
mortes, sans aucune maison jamais à rebâtir.
Cette œuvre est le trio opus 8 de Brahms et c'est
la belle révélation incertaine d'une pulsion de
jeunesse réécrite dans les cicatrices, voire les
sanglots.
Rhabillée par le temps, elle laisse entrevoir sa
nudité d'origine, efface la patine des habitudes qui
font que l'on commence trop souvent un musicien
par la fin.
Brahms ne fut pas seulement ce bruit de portes qui
chancellent dans les jardins d'automne, il était
homme de la mer du Nord et des landes neigeuses.
Et ce trio écrit au cours de l'hiver 1853-54 par un Brahms de vingt ans à Düsseldorf et à
Hanovre avait su capter bien des forces tumultueuses, des pluies et des marées.
Trente-huit ans plus tard, le vieux Brahms reprend cette œuvre "juste pour lui donner un
coup de peigne, lui démêler les cheveux".
Mais comment respecter le climat des Ballades, des passions encore tourbillonnantes,
quand l'on est depuis le compositeur officiel de tout ce qui parle allemand.
Brahms, d'habitude si castrateur vis-à-vis de ses propres œuvres ne tua pas l'œuvre de
jeunesse, il la canalisa seulement.
Et c'est la mer retrouvée dans ces quatre mouvements.
Mais quels furent les sentiments de Brahms en 1891 quand vers la fin de sa vie, déjà
enfermé en lui-même, il retrouvait les traces des élans de sa jeunesse.
Ce trio op. 8 est l'occasion d'un des plus grands retours en arrière de la musique, un "retour
en arrière" de 40 ans.
Nous pouvons penser que Brahms a dû à la fois réentendre cette musique impudique et
impudente du nouveau héros de vingt ans de la musique, mais aussi revoir ce séjour à
Düsseldorf avec la vénération prophétique de Schumann, l'ombre de la folie et le début du
naufrage aussi de son ami (en 1854 Schuman commence à s'enfoncer dans la nuit), et
aussi le regard à la fois aimant et impitoyable de Clara.
Cette musique, il l'avait jetée fiévreusement hors de lui, suffisamment fier de cette œuvre
pour l'imprimer et la faire jouer en première mondiale à New York !
Bien plus tard, il remanie en profondeur son texte, réécrivant des passages entiers,
modifiant thèmes et développement, supprimant certains élans, mais respectant
finalement l'enfant des landes qui court pieds nus dans cette partition.
Cette tendresse envers son adolescence donne à cette partition une couleur particulière,
mélange des couleurs vertes du début et des tons automnaux de l'époque de sa révision