Approches d’un dilemme éthique : conflit et consensus Approche par les principes Approche par les cas : Une complémentarité nécessaire et féconde La règle du double effet Le dilemme du wagon fou 1 Approches d’un dilemme éthique 1/ Généralités : La religion révèle une vérité, une croyance, La morale édicte des règles, L’éthique s’interroge… Le doute, la confrontation des idées et des disciplines, sont indispensables pour aborder la complexité. 2 1 Approches d’un dilemme éthique 1/ Généralités : Le débat éthique résulte le plus souvent d’un conflit de valeurs : un bien contre un autre bien. Les questions éthiques sollicitent au-delà de la médecine, la société. (Greffes d’organes, assistance médicale à la procréation, embryologie, génétique, fin de vie…) 3 Approches d’un dilemme éthique 1/ Généralités : L’aide à la décision médicale « éthiquement » difficile. ex ; information du conjoint de patient séropositif qui refuse de révéler son état… 4 2 Approches d’un dilemme éthique - Années 70 : respirateurs artificiels. Le choix des patients en priorité? Egalité d’accès aux soins? Qui assume la responsabilité? - Femme de 80 ans, maladie d’Alzheimer depuis 5 ans. Le cardiologue estime qu’il faudra changer le pacemaker prochainement. Il demande s’il faut vraiment le changer? 5 Approche par les principes Beauchamp et Childress 1 / Le principe de l’autonomie, du respect de la personne. Donner du poids aux opinions, aux choix réfléchis d’une personne autonome (libre et capable ou « compétente ») Capacité à délibérer sur ses objectifs personnels L’information (véracité) Obtention du « consentement libre et éclairé » du patient? Protection des personnes qui ont une autonomie diminuée Le contraire du paternalisme Paradoxe du principe d’autonomie alors que la maladie entraine une perte d’autonomie 6 3 Approche par les principes 2 / Le principe de non-malfaisance (non maleficence) Maxime d’Hippocrate « ne faites pas de tord » La réduction du risque de dommage, d’effet délétères La possibilité de renoncer à des avantages en raison des risques L’appréciation du rapport bénéfice/risque La notion de risque « raisonnable » 7 Approche par les principes 3 / Le principe de bienfaisance (beneficence) Procurer des bienfaits, promouvoir le bien d’autrui Le soulagement de la souffrance Le bien-être, le respect des décisions des personnes La protection contre des dommages éventuels Le principe d’utilité, parfois appellé de proportionnalité (déterminer quelles actions produiront une quantité suffisante de bienfaits pour justifier leurs coûts, intérêts de la société vs intérêts ou droits individuels ex : programmes de vaccination) 8 4 Approche par les principes 4 / Le principe de justice (d’égalité d’accès aux soins). « distribution équitable » des ressources médicales Années 40 : étude sur la syphilis sur des sujets de race noire en milieu rural. Observation de la maladie en l’absence de traitement alors que le traitement existe! 9 L’approche par les cas L’éthique « pratique » ou « appliquée » Avantages Tenir compte des circonstances particulières? Inconvénients Affaiblit la force des principes? Permet de les transgresser? Aucun cas ne ressemble tout çà fait Favorise l’émergence de nouvelles normes? à un autre? Primauté au principe de réalité, de Chaque situation est unique au plan pragmatisme, d’individualisme? éthique? (Contexte : malade, L’éthique clinique susceptible de maladie, entourage, équipe compromettre la morale? soignante…) 10 5 Approches d’un dilemme éthique L’ambition est d’éclairer la décision, d’identifier les enjeux, les valeurs et principes éthiques qui la sous tendent. Etude de la balance bénéfices-risques au plan médical, du couple bienfaisance-non malfaisance. Jusqu’à quel point le principe du respect de l’autonomie doit être pris en compte dans l’histoire présente? 11 Approches d’un dilemme éthique Mieux comprendre comment les principes sont mis en tension par les situations concrètes Importance de la médiation dans les décisions médicales difficiles. 12 6 Approches d’un dilemme éthique Démarche pragmatique, en temps réel, dictée par les besoins du patient. Démarche empirique, dans un contexte d’incertitude et d’insatisfaction (recherche de la moins mauvaise solution) 13 Approches d’un dilemme éthique L’approche par les cas ne saurait se concevoir sans l’approche per les principes et vice versa. L’une éclaire et enrichit l’autre et réciproquement. 14 7 Approches d’un dilemme éthique Un dilemme éthique met en tension le respect d’un ou plusieurs principes dans une situation clinique concrète. La spécificité du contexte pondère le statut « d’obligation à priori » des principes éthiques. Ross : La recherche « du meilleur équilibre » entre ce qui est bon et ce qui est mauvais 15 La règle du double effet Origine dans la théologie morale du XIIIe siècle. Thomas d’Aquin, Somme Théologique, (II, II, 64 a.8). A propos de la légitime défense : effet voulu, effet second, dernier recours et proportionnalité. 16 8 La règle du double effet Les effets voulus (soulager la personne) opposés aux effets simplement prévus ou attendus mais non voulus (quand les effets sont les conséquences des actions) Une action qui a 2 effets prévus, l’un bon, l’autre mauvais : ex soulagement d’une situation de détresse avec le risque d’accélérer le décès. 17 Art. 1110-5 du Code de Santé Publique (Art. 2 de la loi « Léonetti ») " Si le médecin constate qu'il ne peut soulager la souffrance d'une personne, en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable, quelle qu'en soit la cause, qu'en lui appliquant un traitement qui peut avoir pour effet secondaire d'abréger sa vie, il doit en informer le malade, sans préjudice des dispositions du quatrième alinéa de l'article L. 1111-2, la personne de confiance visée à l'article L. 1111-6, la famille ou, à défaut, un des proches. La procédure suivie est inscrite dans le dossier médical. " 18 9 La règle du double effet Est-il moralement admissible, en fin de vie, de prendre des risques vitaux avec des traitements symptomatiques dont les effets secondaires sont acceptés et non traités s’ils surviennent ? La distinction entre ces prescriptions thérapeutiques et des procédés visant à accélérer la survenue du décès est-elle fondée ? Si oui, pourquoi ? 19 4 conditions à respecter pour accepter la RDE. 1 / La nature de l’acte. L’acte doit être bon ou neutre, indépendamment de ses conséquences. Ex soulager le malade 2 / L’intention de la personne : l’effet positif est le seul qui soit voulu. L’effet négatif peut – être prévu, toléré et permis mais non voulu. Ex : soulager au risque accepté de hâter le décès. 20 10 4 conditions à respecter pour accepter la RDE. 3 / La distinction entre les moyens et les effets. L’effet négatif ne doit pas être un moyen pour arriver à l’effet positif. Ex : ne pas provoquer le décès pour soulager 4 / La proportionnalité entre l’effet positif et l’effet négatif. Une raison proportionnée compense l’autorisation de l’effet négatif prévu ou « toléré ». Ex : sédation en dernier recours et titration de la posologie. 21 La règle du double effet Mais…. « Hâter le décès = mauvais effet » ? - Jugements divers sur le « mauvais effet » : un mal, un « moindre mal », un bien ? - Pour certains : similitude avec une euthanasie au sens de « bonne mort » provoquée (« dernier sommeil »). Le critère de l’intention pose problème - Il est ambiguë : but, désir ou souhait, arrière-pensée (mauvaise foi). - la personne agissant sciemment et volontairement pour apporter un effet provoque cet effet qui devient « intentionnel » ou « voulu » même s’il n’est pas désiré ni 22 considéré comme un but 11 La règle du double effet En philosophie morale : débat entre déontologistes et conséquentialistes ou « ce n’est pas la même chose » (invoque une norme) vs « ça revient au même » (invoque une valeur, un résultat). L’intention du médecin est privilégiée par rapport aux conséquences pour le malade. Accusation d’hypocrisie. Distinguer la valeur d’un mal parce qu’il est voulu ou prévu, est ce une distinction morale ou une rationalisation? Argument conséquentialiste : causalité indirecte = causalité 23 directe. Limites des deux thèses Thèse de la discontinuité Ne rend pas compte des similitudes des décisions de fin de vie pour le malade et ses proches. Thèse de la continuité Ne rend pas compte des exigences déontologiques des médecins et des soignants. La distinction faire mourir vs laisser mourir est jugée moins pertinente par les « profanes » (attitude spontanément conséquentialiste) que par les médecins et soignants (attitude spontanément déontologiste) et varie selon le déroulement de l’action. Sugerman DB, Active Versus Passive Euthanasia: An Attributional Analysis. J Applied Soc Psych, 1986 ; 16 : 60-76 24 12 Le dilemme du wagon fou. Neurosciences et éthique. Psychologie morale, étude des processus. « Qu’est-ce qu’une action bonne? » Un tramway fou va écraser 5 personnes : il est possible de le dévier ou de freiner sa course Foot (1967), Thomson (1976, 1985) Fig 1. Détourner Denise : aiguillage En accord scénario 1 = 85 % 25 Fig 2. Pousser Frank : En accord scénario 1 = 12 % Dans les 2 cas , 1 mort au lieu de 5 Hypothèses psychologiques : -L’être humain est irrationnel et se laisse influencer par des éléments non pertinents moralement. - Il répugne à être la cause directe de la mort. (Levy, 2007, 291-292) - Loin des yeux, loin du cœur : l’ouvrier isolé est moins visible que le gros homme. 26 13 Le dilemme du wagon fou En imagerie cérébrale IRMf, plus nous sommes impliqués activement, plus les zones émotionnelles du cerveau sont actives. Nos décisions morales sont influencés par la place que nous avons dans l’action. Feltz 2008 : Lors de réponse émotionnelle faible, on tend vers le conséquentialisme (la raison domine), lors de réponse émotionnelle forte, on tend vers le déontologisme (l’émotion domine). 27 Le dilemme du wagon fou Greene, 2008 - Les émotions nous motivent (sans émotions, pas d’action) - Une motivation moralement adéquate est impossible sans émotions, mais certaines émotions nous motivent de façon inadéquate sur le plan moral (réponses différentes alors que la situation parait moralement analogue) - Seules les émotions qui sont en accord avec une norme morale rationnelle nous motivent de manière moralement adéquate - La seule norme rationnellement adéquate pour la morale est la norme conséquentialiste (maximisation du bien dans les résultats) - Les émotions qui nous motivent dans le cas du gros homme, 28 sont moralement inadéquates 14 Hauser 2007 29 Le dilemme du wagon fou Cette expérience limite l’interprétation de Greene sur la dimension personnelle-impersonnelle. (Réactions des sujets dans le cas du gros homme) La pièce manquante serait la partie de notre psychologie qui évalue les causes et les conséquences de l’action, spécialement l’intention (2007) 30 15 Le dilemme du wagon fou Dans les 4 scénarios, Il y a 2 conséquences identiques : une bonne, sauver 5 vies, une mauvaise, la mort d’une personne. Et 2 actions moralement différentes : Frank pousse un gros homme (meurtre). Denise, Oscar et Ned actionnent un aiguillage, ce qui est une action moralement indifférente. 31 Le dilemme du wagon fou Hauser 2007 3 distinctions morales : 1 / Dommage prévu vs voulu . Il est moins permis de causer un dommage si c’est un moyen voulu que si c’est une conséquence prévue. 2 / Introduction vs redirection d’une menace. Il est moins permis de causer un dommage en introduisant une nouvelle menace (pousser un homme), qu’en redirigeant une menace déjà présente (dévier vers un homme). 3 / Personnel vs impersonnel. Il est moins permis de causer un dommage par contact physique direct (interdit de l’instrumentalisation, Kant ) que par un moyen indirect. 32 16 Le dilemme du wagon fou Un principe dit quoi faire, même dans une situation embrouillée. Mais les émotions jouent aussi ce rôle : elles nous permettent, avant que notre raison puisse entrer en action d’agir et de réagir rapidement. 33 Le dilemme du wagon fou E . Anscombe 1981 Une action intentionnelle est caractérisée par son but interne. La valeur morale de l’action et la droiture de l’intention de l’agent sont déterminées par la valeur du but interne et non par les conséquences. Pourquoi préfère-t-on un chemin plus long? Il éloigne la responsabilité, Il multiplie les possibilités d’interventions tierces capables de se mettre au travers du résultat indésirable. Ex : l’action sur l’aiguillage pourrait faire dérailler le wagon? 34 17 L'expérience de Milgram, psychologue 1960 L'objectif de l'expérience est de mesurer le niveau d'obéissance à un ordre, même contraire à la morale. Des sujets acceptent de participer, sous l'autorité d'une personne supposée compétente, à une expérience d'apprentissage où il leur sera demandé d'appliquer des traitements cruels (décharges électriques) à des tiers sans autre raison que de « vérifier les capacités d'apprentissage ». L'expérience était présentée comme l'étude scientifique de l'efficacité de la punition, ici par des décharges électriques, sur la mémorisation. 35 L'expérience de Milgram L’expérimentateur (E) amène le sujet (S) à infliger des chocs électriques à un autre participant, l’apprenant (A), qui est en fait un acteur. La majorité des participants continuent à infliger les chocs jusqu'au maximum prévu (450V) en dépit des plaintes de l'acteur. 36 18 L'expérience de Milgram 62,5 % des sujets menèrent l'expérience à terme ( 3 X 450 volts). La moyenne des chocs maximaux (niveaux auxquels s'arrêtèrent les sujets) fut de360 volts. Toutefois, chaque participant s'était à un moment ou à un autre interrompu pour questionner le professeur. Beaucoup présentaient des signes patents de nervosité extrême et de réticence lors des derniers stades (protestations verbales, rires nerveux, etc.). 37 L'expérience de Milgram Critiques : Une expérience reposant sur la tromperie est-elle scientifiquement valide et moralement acceptable ? « On avait donc trompé les sujets sur les points suivants : la « victime » ne recevait pas en réalité des chocs ; la « victime » était en réalité un complice ; Les sujets pouvaient en réalité cesser en tout temps (ce qui n'était pas véritablement le cas étant donné que la personne chargée de l'expérience donnait des consignes précises de poursuivre malgré l’hésitation des sujets et, par conséquent, ne laissait pas aux sujets la possibilité d'arrêter). 38 19