moins un acte de maintien en mémoire et un acte constitutif
de connaissance. La rétention est bien une forme de
mémoire et, si elle est ce qui permet à la conscience
d’être pleinement elle-même, c’est parce qu’elle est
une partie de celle-ci. Mais, finalement, qu’est-ce que
la mémoire ? Qu’est-ce que la conscience ? Existe-t-il
finalement vraiment une frontière entre conscience et
mémoire ?
Chez Husserl, si la mémoire n’est pas indépendante,
elle n’est pas non plus aux ordres de la conscience.
Elles sont intrinsèquement liées. Voilà pourquoi nous
utiliserons les expressions de « conscience-mémoire » ou
de « mémoire continue » (termes que nous proposons),
cela pour insister sur cette dualité. Conscience et mémoire
seraient quasiment deux synonymes, sauf que le premier
terme insiste sur l’unité du soi, et le deuxième, sur sa
croissance et ses modifications incessantes.
Husserl a voulu montrer l’importance de l’intentionnalité
de la conscience, révélatrice à la fois d’un soi identitaire et
d’une conscience dynamique, en transformation constante.
Le terme de « mémoire continue » respecte ce souci d’unité
de la conscience, cher à Husserl, tout en soulignant
son caractère de mémorisation permanente, impliquant le
changement. De même, le terme de « conscience-
mémoire » retrace la vision multiple d’une unité se dévelop-
pant au fur et à mesure et abritant ses propres changements.
Cette position adoptée par Husserl correspond à certai-
nes conceptions de la mémoire développées aujourd’hui en
neurosciences. La mémoire, si elle est une fonction
d’apprentissage et de maintien (de manière consciente ou
inconsciente), renvoie aussi à une multiplicité de souvenirs
et de savoirs. De plus, « la mémoire » n’est plus perçue
comme étant figée, ajoutant simplement au fur et à mesure
le passé entrant, mais la mémoire est changeante, évolue
et se reconstruit sans cesse. Il existe donc bien, dans
les conceptions actuelles, cette idée de « conscience-
mémoire » évoluant sans cesse. Si conscience et mémoire
ne sont pas disjointes, on ne peut dire non plus que la
conscience soit la mémoire, puisque sinon, je retirerais à
la conscience sa substance.
Nous avons pu saisir, par l’analyse de ce texte majeur
d’Husserl, deux niveaux de mémoire, l’une rétentionnelle
(passive) et l’autre possédant en elle les souvenirs. Ainsi,
soit la conscience se sert de la mémoire et donc est
mémoire, soit elle puise dans la mémoire. Finalement
conscience et mémoire travaillent ensemble. La rétention
développée par Husserl est donc à la frontière de la cons-
cience et de la mémoire, ou plutôt le lieu même de leur lien
insécable, ce qui permet de lire chez Husserl une véritable
inséparabilité ou interdépendance de la mémoire et de
la conscience, et même de voir en elles une entreprise
commune où il est parfois difficile de les distinguer. Cet
entrelacs révèle en tout cas le caractère continuel de la
mémoire, se fondant au fur et à mesure que la conscience
vit. Cette « conscience-mémoire » explique la continuité
indéniable de notre soi intérieur et sa possibilité même.
Une vision moderne
de la mémoire chez Husserl :
la « conscience-mémoire »
Cette expression de « conscience-mémoire » n’est pas
qu’une interprétation avec un œil moderne de la philo-
sophie de Husserl, mais bien une reconnaissance de moder-
nité en celle-ci. En effet, nous savons que Husserl fait
référence au concept de « mémoire » lorsqu’il étudie la per-
ception d’un son de manière phénoménologique : il utilise
d’ailleurs le terme à la page 92 du recueil étudié (Sur la
phénoménologie de la conscience intime du temps) :
«Qu’est-ce qui fait alors la différence entre la cons-
cience temporelle originaire, dans laquelle le passé est
vécu en relation au maintenant, et la conscience temporelle
reproductive ? En d’autres termes : qu’est-ce qui différencie
la conscience temporelle dans la “perception”d’un proces-
sus, ou d’une durée, de la conscience temporelle dans un
souvenir d’un passé lointain ?
Faut-il dire : dans ce dernier cas, celui de la mémoire au
sens courant, une apparition est donnée, une durée ou un
processus est donné dans une apparition qui dure ou une
consécution d’apparition changeante, de sorte que toute
cette temporalité “présente”est un représentant, une
image, pour une temporalité passée ? ».
Husserl parle donc de « mémoire au sens courant »,
pour qualifier un processus de remémoration autobio-
graphique, un ressouvenir. Cependant, si Husserl prend la
peine de qualifier ce sens de la mémoire comme étant un
sens courant, c’est bien que, pour lui, la mémoire englobe
un autre sens.
Cette citation de Husserl permet non seulement de
montrer la seule occurrence du terme de « mémoire »
dans cet ouvrage, qui pourtant en traite pleinement, et de
souligner cette idée que la mémoire est plus que le ressou-
venir chez Husserl (d’où certainement le refus d’usage du
terme qui aurait causé polémique et ambiguïté à l’époque) :
il y a retenue déjà au sein même de la perception, la
mémoire n’est donc pas simplement le lieu du passé, mais
est ce qui le permet en instituant un présent. Si la mémoire
est plus qu’une remémoration pour Husserl, elle devient
alors une retenue d’information en elle-même. Cette
qualification est essentielle puisqu’elle amène avec elle
une vision très moderne d’une mémoire liée à la
conscience, autant constituante que remémorative.
Nous avons utilisé l’expression de « mémoire conti-
nue » chez Husserl, entendant par là l’idée d’une
« conscience-mémoire », c’est-à-dire d’une mémoire au
présent et non d’une mémoire simplement remémorative.
Dans le ressouvenir en effet, la mémoire se détache au
contraire du moment perceptif, il n’y a alors qu’une
continuité indirecte entre mes souvenirs et le vécu au
présent. En cela la mémoire du ressouvenir (secondaire),
est différente de notre conscience au présent.
Ainsi, la mémoire se révèle être aussi cette mémoire
primaire, où le présent se lie au passé d’une manière spon-
Article de synthèse
R
EVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE
N
EUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES
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