Yeats Dramaturge- 22 -
il semble être cantonné à cette sphère expérimentale: aucun éâtre national, ni
Centre dramatique, ni Scène nationale, ne l’a jusqu’à présent programmé.
Cette lacune tient probablement à plusieurs strates superposées de malen-
tendus. Le premier d’entre eux est que l’œuvre théâtrale est le plus fréquem-
ment perçue comme seconde par rapport à l’œuvre poétique – ce qui n’est pas le
moindre des paradoxes, concernant un poète qui a fait de «l’oralité» de la parole
la pierre angulaire de son œuvre, tant dramatique que poétique. Nombreux, de
ce point de vue, sont les liens que l’œuvre poétique elle-même entretient avec le
théâtre, tant dans son écriture que dans la façon dont Yeats envisageait le devenir
concret d’une œuvre «à dire». L’œuvre dramatique quant à elle, n’échappe pas
aux jugements critiques. Le premier théâtre semble rangé au placard tantôt des
expériences néo-symbolistes, à la marge des grands courants européens du moment
–symbolisme belge et français, gures européennes dominantes des scandinaves
ou des russes–, tantôt du théâtre militant, et donc local, de l’Irish Cultural Revival.
Sans parler de Beckett , qui a acquis depuis longtemps une stature universelle,
il semble ne pas faire le poids à côté de l’œuvre d’un Synge , dont la nesse du
réalisme poétique et la virtuosité de la langue constituent la voie – la voix ? – idéale
pour une représentation e cace et brillante d’une certaine Irlande mythique ; ce
même Synge qui fut choisi par l’Odéon, à côté de Franck MacGuinness , comme
phare de la culture irlandaise durant l’année de l’Irlande en France, en 1996 ; ou
d’un O’Casey, qui fut annexé par Vilar au TNP, à l’époque de ses grandes mises en
scène des années1950 ; ou, plus proche de nous, d’un Brian Friel ou d’un Martin
MacDonagh. Le second théâtre de Yeats, quant à lui, inspiré du Nô, même s’il
suscite l’intérêt par sa recherche sur les formes, ou l’annonce d’une modernité, est
jugé di cile d’accès, par ses thématiques métaphysiques ou occultes – relecture de
la passion christique, motifs du masque et du double, des morts et des esprits–,
traitées sur le mode de la parabole. Cette di culté est renforcée par une écri-
ture savante, une forme composée et ritualisée, la mise en place d’une médiation
complexe entre le spectateur et la fable. L’un et l’autre de ces deux pans de l’œuvre,
Marquardt, Place des Vosges à Paris, dans le cadre de L’Imaginaire Irlandais Contemporain, deux
mises en espace de Deirdre et Les Eaux d’Ombre, qui seront reprises au éâtre de l’université de
Caen, puis, pour Les Eaux d’Ombre, à l’Atalante en 2011, soutenu par la région Île-de-France,
l’ Essonne et la ville de Paris. En 2000, les metteurs en scène associés Jacques Delcuvellerie et
Mathias Simons montent La Seule Jalousie d’Emer, présenté au Festival de San Marino, en Italie. En
2004, la compagnie Articule, soutenue par la DRAC, la région Centre et la ville d’Orléans, présente
Trois Nôs d’Irlande d’après W. B. Yeats, sous la direction de Christophe Maltot. Ils seront repris
dans la programmation de Lille 2004 (capitale européenne de la culture). Julien Parent, directeur
de la compagnie «Blow-up, set et match !», implantée en Essonne, monte en 2006 Le Chat et la
lune et Ce que rêvent les os de W. Butler Yeats, avec l’ensemble musical Suonare E Cantare. En n,
le comédien et metteur en scène Eram Sobhani crée, à l’Étoile du Nord en 2010, Le Roi de la tour
du grand horloge, spectacle repris à Roubaix en 2012.
[« Yeats dramaturge », Pierre Longuenesse]
[ISBN 978-2-7535-1980-0 Presses universitaires de Rennes, 2012, www.pur-editions.fr]