sont considérés, dans ces conditions, comme des ennemis. Outre l’accusation de défaitisme
profitant aux ennemis, de l’intérieur ou/et de l’extérieur, des figures emblématiques du
soufisme ont connu la persécution, voire le « martyre » à l’instar de Hallâj et Suhrawardî.
C’est grâce à la popularité qu’il a acquise à travers sa forme confrérique, que le soufisme a
survécu aux tentatives d’éradication qui l’ont visé tout au long de son histoire, et au siècle
dernier, au lendemain des indépendances, dans le cadre des politiques de modernisation et de
lutte contre les facteurs de sous-développement.
Les trois formes de religiosité peuvent cohabiter et un même croyant peut passer de
l’une à l’autre ou les adopter simultanément pour satisfaire les différentes dimensions de sa
personnalité. Cependant, les fanatiques ont souvent tendance à l’exclusivisme et ne tolèrent
que la voie qu’ils érigent comme seule et unique façon d’être croyant ; ainsi les voit-on partir
en guerre contre les autres voies qu’ils considèrent comme des hérésies. C’est précisément le
cas du hanbalisme, avec sa forme wahhabite de nos jours et ses ramifications se présentant
sous l’étiquette du salafisme ; son projet est de soumettre tous les aspects individuels et
collectifs à une application rigoureuse des normes proclamées « valables pour tous les lieux et
pour tous les temps », sans la moindre prise en compte des contingences du temps, de
l’espace, des cultures et des sensibilités personnelles. Mais, l’intolérance peut aussi être le fait
d’adeptes d’autres formes de religiosité et de toutes les doctrines, surtout en périodes de crises
et de peurs favorables aux crispations identitaires et à la recherche de boucs émissaires. Le
hanbalisme et le wahhabisme, ainsi que leurs ramifications salafistes, sont nés et se sont
développés précisément à des moments où le monde musulman, s’est trouvé en prise avec le
doute quant à sa capacité à poursuivre son expansion et à soutenir la concurrence avec
d’autres cultures, du temps d’Ibn Hanbal et Ibn Taymiyya, à résister à l’expansion des
empires européens et des idéologies modernes, du temps d’Ibn Abd al-Wahhâb, et à faire face
aux défis de la mondialisation de nos jours.
L’islam politique contemporain, par delà la diversité de ses expressions se rattachant
au wahhabisme, comme les groupes salafistes, à l’idéologie des Frères Musulmans ou
expressions asiatiques se réclamant de la pensée de Mawdûdî, a beaucoup d’affinités avec le
hanbalisme tel que l’ont développé Ibn Taymiyya au XIVème siècle et Ibn Abdelwahhab au
XVIIIème siècle. Les références explicites à Ibn Taymiyya et le soutien que le wahhabisme
saoudien a apporté aux différentes expressions de l’islam politique sont la traduction de ces
affinités. L’impunité dont jouissent les groupes salafistes qui se sont attaqués aux symboles
du soufisme en Tunisie et là où gouvernent des partis politiques issus des Frères Musulmans,
n’est pas sans rapport avec les connivences entre cette mouvance de l’islam politique et le
wahhabisme. C’est la résistance inspirée par les spécificités des pays ayant des traditions
hostiles au rigorisme hanbalite qui oblige les islamistes de ces pays à se démarquer, du moins
en apparence et du bout des lèvres, des salafistes et de leurs actions que ce soit à l’égard des
symboles du soufisme ou à l’égard d’autres aspects des coutumes locales. L’islam officiel, en
Tunisie comme dans les autres pays du Maghreb, rappelle la symbiose entre ses composantes
qui le rattachent à la théologie normative (fiqh) de Mâlik, à la doctrine théologique (en
matière de croyances) d’Al-Ach‘arî et la spiritualité de Junayd (m. en 911) qui a donné, avec
Muhâsibî, une orientation au soufisme donnant la priorité à la lucidité, au détriment de
« l’ivresse des chatahât », et à la prudente discrétion au détriment de la divulgation au grand
public des expériences mystiques que seuls les initiés sont à même de comprendre. Ces
rappels prennent souvent des accents apologétiques empreints d’intolérance et d’anathème à
l’égard de ceux qui se trouvent ainsi accusés d’importer un islam étranger aux traditions
locales, comme si le problème était lié aux origines de ces courants et non à leur intolérance et
au non respect de la liberté de croyance, de culte et de conscience de ceux qui ne partagent