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Bouddhisme et christianisme : l’expérience d’Abe Masao
Date : 1 avril 2016
Rémy Valat , auteur, essayiste ♦
Sous la philosophie, le mysticisme...
« Tous (les) personnages qui traversent l’histoire du Japon dont l’amour et la fidélité ont
resplendi comme l’éphémère floraison du cerisier étaient habités par le sublime du sacrifice. La
civilisation bourgeoise qui a écarté à peu près tout aspect chevaleresque de la vie des hommes
en Occident est sans doute désormais incapable de goûter ces récits d’un autre univers mental.
On pourrait en dire de même de la spiritualité du pur amour ou de toute spiritualité du sacrifice.
Qui intéressent-elles aujourd’hui ? »
Père Alex Galland est un prêtre catholique, docteur en théologie, qui a soutenu sa thèse à
l’université de Lorraine sous la direction de Marie-Anne Vannier et de Anne-Élisabeth Spica en
2014. Le condensé de cette recherche a été publié par les Presses universitaires du
Septentrion sous le titre « Bouddhisme et christianisme chez Abe Masao ».
Abe Masao (1915-2006) était un universitaire, spécialiste des religions comparées, et un
philosophe bouddhiste, formé à l’école de Kyôtô (département de philosophie de l’université de
Kyôtô en charge de l’étude comparée des philosophies orientales et occidentales) et disciple de
Nishida Kitarô (1870-1945). Il était un fervent promoteur du bouddhisme en Occident et d’un
rapprochement entre les deux religions : il est pour cela considéré comme le successeur de
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Suzuki Daisetz(u) Teitarô, disparu en 1966. Formé à la philosophie occidentale, Abe Masao a
connu une rupture spirituelle au tournant des années 1940 : il bascule de l’amidisme (que nous
simplifierons, et donc inévitablement trahirons la pensée, en une croyance en un « Paradis », la
Terre Pure, terre du Bouddha Amida) au bouddhisme zen au contact du maître zen Hisamatsu
Shin'ichi (1889-1980).
L’amidisme et l’étude croisée des philosophies et des religions influencent le philosophe zen :
Abe Masao cherchera à rapprocher christianisme et bouddhisme, à rechercher leur
dénominateur commun. Il tenta de rapprocher les notions de « kénose » (concept que l’on peut
difficilement résumer en quelques mots, mais qui insiste sur l’abaissement, la destruction et le
sacrifice christique par pur amour) du Christ dans le christianisme et de « vacuité » (le Vide)
dans le bouddhisme.
Père Alex Galland démontre que cette perspective se fonde sur les écrits du philosophe
bouddhiste indien Nâgârjuna, mais la ressemblance entre « kénose » chrétienne (qu’Abe
Masao aborde surtout du point de vue de la théologie naturelle) et « vacuité» bouddhiste est
trompeuse : « Tout au plus peut-on voir une convergence de méthode entre la démarche d’Abe
et ce que l’on nomme la théologie naturelle en monde chrétien. Toutefois, la théologie naturelle
n’est qu’une voie parmi d’autres pour le christianisme, qui ne peut obérer la place centrale de
l’interprétation de la Révélation. Le christianisme reste avant tout une religion surnaturelle,
tandis que la démarche spirituelle chez Masao Abe consiste à se déprendre de toute croyance
en l’existence de surnaturel » (p. 185)».
Abe Masao était à la fois un mystique et un membre de la « génération Romain Rolland »
(selon l’expression de Michael Lucken), pétris de culture héroïque européenne. Les parallèles
entre la mystique allemande (maître Eckhart) et le zen étaient des chemins balisés (et
expérimentés) par (entre autres) Karlfried Graf Dürckheim (1896-1988), un contemporain d’Abe
Masao.
Il y a, à mon avis, une intuition forte chez Abe Masao : celle de vouloir rattacher la
connaissance et l’expérience religieuse à son essence, essence antérieure au christianisme et
au bouddhisme dont on retrouve des indices forts dans les mythologies. Ce qui pourrait aussi
expliquer le choix du concept de kénose comme point de convergence entre les deux religions.
La kénose (du grec κενόω) signifie « vider », « se dépouiller de soi-même » ; la racine de ce mot
désigne également les fruits indéhiscents dits akènes
. Or, dans l’évangile de Jean (12-24), il est dit : « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt
pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il donne beaucoup de fruits ». De même dans la mythologie
japonaise, la déesse Izanami, tombe des cieux et meurt en couche en donnant naissance au
dieu du feu, Kagu Tsuchi (迦具土) et de son corps en décomposition sous l’action destructrice des
flammes apparaissent les divinités associées à la fertilité : l’eau, la terre, le mûrier, cinq variétés
de graines (chanvre, millet, riz, maïs, légumes secs) et le ver à soie.
Alex Galland, Bouddhisme et christianisme chez Masao Abe, Éditions Presses Universitaires du Septentrion, Livre
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